UNE
VISITE A L'INSTITUT PASTEUR
C'est une blanche et claire maison.
Adossée à la colline, entre la mer et le ciel, entre deux
infinis, elle est au milieu des fleurs une douce retraite où
la science s'est installée.
L'aube miroite dans ses vitres, le crépuscule y prolonge sa gloire
et les heures, d'un pied léger, foulent les parterres au coloris
charmant qui étendent devant elle un harmonieux tapis. On pense
aux nobles et calmes horizons des fresques de Puvis de Chavannes ou
des vastes compositions d'Henri Martin.
Est-ce la maison du poète ?... Les bougainvillées répandent
autour de ses murs leur somptueuse, leur royale chevelure. La bignonne,
sur ses escaliers, laisse choir mollement ses fleurs jaunes et rouges.
On foule des feuilles mortes pour atteindre ce seuil privilégié.
Et la brise marine qui murmure à travers les bambous et les aréquiers
du Jardin d'Essai, vient doucement mourir parmi les platanes où
l'automne arrache, comme à regret, une dernière feuille
d'or...
Non, ce n'est pas la maison du poète, mais bien plutôt
la maison du savant.
Et le docteur Edmond Sergent, qui, avec tant de bonne grâce me
reçoit, exprime d'un mot ma pensée en embrassant du regard
et du geste le paysage qui nous entoure et dont la douceur semble inviter,
non aux laborieuses recherches, mais au loisir des longues rêveries.
- La science n'est pas forcément une rébarbative et maussade
personne ! s'écrie-t-il.
Je songe alors qu'elle puise, en effet, au sein même de la nature
ses inspirations les plus profondes. Et lorsque nous pensons qu'elle
fut, aux yeux de Pasteur, une source intarissable de bonté, une
bienfaitrice penchée avidement sur les pires souffrances humaines,
il ne nous paraît plus surprenant de la rencontrer sous des traits
aussi séduisants et dans une demeure aussi agréable.
Maison de verre, maison transparente que la lumière traverse,
faisant scintiller dans une éprouvette une précieuse goutte
de sang, ou, sur une lame de cristal, quelque bacille longuement interrogé
et qui répond au microscope par un bâtonnet plus indéchiffrable
que les hiéroglyphes thébains !...
Successivement, le docteur Edmond Sergent nous promène de laboratoire
en laboratoire.
Ce sont autant de cellules où se poursuivent, en pleine, lumière,
les travaux les plus minutieux. Le temps semble ne pas exister pour
ces hommes qui ont voué à la science leur vie entière.
Les jours succèdent aux jours, les années suivent les
années, et parfois, de ce silence et de cette solitude, part
le brusque rayonnement d'une découverte ou d'une trouvaille aux
conséquences incalculables.
Nous savons aujourd'hui ce que nous devons à l'Institut Pasteur
d'Alger.
C'est au docteur Edmond Sergent que le Gouvernement fil appel lorsque,
justement ému par les ravages que le paludisme faisait dans les
rangs de son armée d'Orient, le général Sarrail
poussa son cri d'alarme.
La campagne antipaludique de l'éminent directeur de l'Institut
Pasteur d'Alger demeure désormais fameuse. Grâce aux énergiques
mesures qui, sur ses indications, furent prises, les hôpitaux
se vidèrent et l'armée assainie put affronter victorieusement
les fatigues d'une offensive dont on connaît aujourd'hui les importants
et heureux résultats. D'autre part, grâce à ses
considérables réserves de sérums et de vaccins,
l'Institut Pasteur d'Alger fut à même de pourvoir à
tous les besoins des hôpitaux et. des casernes, dès la
mobilisation et pendant toute la durée de la guerre.
Mais le. docteur Edmond Sergent, un Algérien - il est né
à Philippeville - n'aime pas que l'on parle de ses distingués
services et, lorsqu'on insiste, il en rejette tout le mérite
sur ses collaborateurs.
Nous visitons à sa suite les différents locaux.
Voici les vitrines où sont enfermées les redoutables vipères
à cornes dont on récolte le venin nécessaire à
la préparation du sérum antivenimeux A. N. (Afrique du
Nord), sérum que l'Institut Pasteur envoie, chaque année,
en grande quantité, en France.
L'extraction se fait d'une assez curieuse manière.
L'animal étant solidement maintenu par le cou, le plus près
possible de la tête afin qu'il ne puisse pas se détourner
pour mordre, on peut l'obliger à cracher la plus grande partie
du liquide contenu dans ses deux glandes en comprimant celles-ci avec
force, d'arrière en avant, comme on exprimerait le suc d'un quartier
d'orange.
On peut extraire le venin de leurs glandes toutes les deux semaines,
sauf au moment de la mue.
Nous nous penchons sur les vitrines. La vipère à cornes
est un charmant reptile qui évoque, par ses délicates
couleurs, le rose et le gris argenté des dunes natales.
Il y a là, sur un peu de sable, une dizaine de serpents. Ils
ne sont guère incommodés par notre curiosité, et
il faut que le docteur Sergent, aidé d'un garçon de laboratoire,
les oblige à sortir de leur indifférence et de leur torpeur
pour nous présenter leurs civilités. Ce qu'ils font en
baillant, soucieux de nous montrer leurs crochets et leur redoutable
mâchoire...
L'un d'eux a abandonné sa peau dans un coin, comme un vieux vêtement
usé.
Courts, ramassés, ils donnent l'impression d'une force vivante
et souple. Les prunelles sous les petites cornes brunies ont une transparence
d'ambre et de topaze, une fraîcheur de pierrerie qui étonne.
On ne se lasse pas d'observer ces dangereuses bêtes, qui, au moindre
contact, se dressent dans une attitude de défense ou d'attaque.
Et des serpents, nous passons aux chameaux.
L'Institut Pasteur possède, dans ses dépendances, un parc
ou sont élevées et nourries dix à douze de ces
bêtes, sur lesquelles on opère journellement, et à
heure fixe, des prises de sang.
Les voici dans un des coins les plus- riants de ce paysage, où
rien ne rappelle les vastes horizons du Sud et la piste des caravanes.
A peine avons-nous franchi la barrière de l'enclos, qu'elles
nous saluent d'un énorme ronronnement et viennent au-devant de
nous, avec une politesse tout à fait cérémonieuse,
l.e préparateur qui m'accompagne reçoit même d'affectueux
témoignages de Margot, Margot qui, à leur retour après
une longue absence,a reconnu les garçon de l'Institut et leur
a manifesté sa joie de, la plus touchante manière.
Le docteur Edmond Sergent nous fait assister aux péripéties
d'une prise de sang.
Mais l'opération a été déjà faite,
à l'heure habituelle, dans la matinée, et ce sont, parmi
les chameaux, des mouvements de surprise, puis de mécontentement
et de révolte.
Il faut courir après Margot, qui se dérobe en claironnant
et semble nous dire :
- Ah ! non, voilà qui n'est pas de jeu !
Trois aides parviennent cependant à l'atteindre et à l'agenouiller,
malgré ses protestations bruyantes, et la prise de sang s'opère
une deuxième fois, sous les yeux étonnés des amis
de Margot.
Ainsi, l'Institut Pasteur ressemble-t-il assez à l'arche de Noé
: serpents, singes, chameaux, lapins, cobayes, moutons, vaches ; c'est
toute une colonie soumise aux volontés de la science, qui, sur
cette blanche nef immobile, au milieu des fleurs, s'applique à
combattre d'affreux monstres : diphtérie, fièvre, peste,
rage, etc...
On est charmé par l'heureuse disposition de cette maison ei nous
ne sommes pas étonnés lorsque le docteur Edmond Sergent
nous apprend que le grand philantrope grec, M. Basile Zaharoff, a décidé
l'installation, à ses frais, à Athènes, d'un grand
laboratoire bâti selon le plan de l'Institut Pasteur d'Alger.
Nous voici dans la bibliothèque où, sur une large table,
sont disposés les bulletins scientifiques du monde les plus importants.
Grâce à eux, les médecins de l'Institut sont renseignés
très exactement sur les travaux et sur les recherches que poursuivent
les savants français et étrangers.
Nos regards se portent sur une toile qui, dans un lourd cadre d'or,
orne seule cette solitude.
Le docteur Edmond Sergent nous raconte alors que, lors de l'inauguration
de l'Institut, le docteur Rouby lui offrit ce tableau, où est
représentée la maison natale de Pasteur.
C'est bien la petite tannerie d'Arbois, près du pont bâti
sur la Cuisance.
Alors, nous évoquons avec une infinie reconnaissance la grande
figure de l'illustre savant, dont l'uvre étend aujourd'hui
son rayonnement sur le monde.
Il serait à souhaiter que, dans tous les laboratoires de France,
dans chaque Institut, l'humble maison d'Arbois soit ainsi pieusement
vénérée.
Et notre pensée se reporte, aussi vers ce petit village d'Algérie
que M. Cambon, dans un touchant témoignage, plaça sous
l'invocation patriotique de Pasteur, dont la noble réponse est
encore dans toutes les mémoires :
- J'éprouve, répondit le grand homme, une émotion
profonde à savoir que, grâce à vous, mon nom restera
attaché à ce coin de terre. Lorsqu'un enfant de ce village
demandera l'origine de cette dénomination, je souhaiterais que
l'instituteur lui apprit simplement que c'était, le nom d'un
Français qui a beaucoup aimé la France et qu'en la servant
de son mieux, il put contribuer au bien de l'humanité.
" La pensée que mon nom pourra éveiller un jour dans
l'âme d'un enfant le premier sentiment de patriotisme, me fait
battre le cur. Je vous aurai dû, dans ma vieillesse, cette
grande joie. Je vous remercie plus que je ne saurais dire. "