L'INSTITUT AGRICOLE D'ALGÉRIE
Sur le plateau qui domine la ville de
Maison-Carrée, non loin de la mer dont on aperçoit à
l'horizon l'immensité bleue, à vingt minutes seulement d'Alger,
l'Institut Agricole d'Algérie dresse parmi les verdures sombres
la blancheur mate de ses façades.
C'est ici que se forment les futurs colons qui mettront en valeur le sol
de l'Afrique du Nord. Il semble qu'un hasard étrange ait assigné
à l'Institut un emplacement symbolique, à l'entrée
même du domaine africain. Il est situé, en effet, au débouché
de la riche plaine de la Mitidja. à la bifurcation des lignes ferrées
qui, issues d'Alger, s'ouvrent à l'Ouest vers Oran et le Maroc,
à l'Est vers Constantine et la Tunisie, et voici plus loin les
riches coteaux du Sahel, décrits par Fromentin, les orangeries
embaumées de Boufarik et de Blida, les vignobles de Mouzaïa,
le commencement d'une terre fertile qui s'enfonce vers l'intérieur
du pays, la porte de la plus grande France.
Cet immense domaine de l'Afrique du Nord que les Anciens, éblouis
par sa fécondité, avaient dénommé le grenier
de l'Empire, est une région essentiellement agricole.
Un jour viendra, sans doute, où l'industrie exploitera les richesses
de son sous-sol. Mais dans le premier stade du développement qu'il
effectue aujourd'hui, le travail de la terre constitue sa principale fortune.
C'est donc avec justesse que les économistes éclairés
considèrent le colon comme l'artisan indispensable de sa prospérité.
D'où la nécessité de former des cadres de colons
capables de rendre plus intense par des moyens rationnels la production
agricole, de mettre en pleine valeur le territoire nouveau qui s'offre
à leur activité.
Placé à la tête de vastes domaines, l'agriculteur
des colonies a besoin, plus que celui de la métropole, d'une solide
instruction technique. Où la puiser, cette instruction indispensable
? Les expériences personnelles, les difficultés d'adaptation
qu'ont dû surmonter cependant les premiers colons, présentent
trop de risques et de lenteurs.
Une telle méthode de perpétuel recommencement ne saurait
remplacer les avantages qu'offre une éducation à la fois
théorique et pratique, rendue efficace par un stage où,
dès leur jeunesse, les élèves-colons, vivant la vie
de colon, reçoivent directement la plus profitable des leçons
de choses, apprennent par l'usage le maniement des machines agricoles,
les soins à donner aux animaux, le prix de revient des travaux,
en un mot. s'initient par une gestion fictive à la gestion réelle
d'un domaine rural.
'Tel est le but poursuivi par l'Institut Agricole d'Algérie, établissement
d'enseignement d'expérimentation et de vulgarisation agricoles,
né de la transformation que les Assemblées algériennes
décidèrent, en octobre 1920, de faire subir à l'ancienne
École d'Agriculture de Maison-Carrée, fondée en 1905.
Cette nouvelle dénomination répond mieux, en effet, au rôle
qui est dévolu à l'institution, et consacre le remarquable
essor qu'elle a pris depuis octobre 1919, ainsi que le niveau des études
qui y sont faites.
En effet, de 1905 à 1911, l'Institut n'avait reçu que 211
élèves, soit une moyenne annuelle de 23 élèves
seulement. Les deux promotions de 1919 à 1920 réunissent
à elles seules un effectif de 152 élèves, soit 76
chacune. Plus de 150 candidats sollicitent cette année leur admission.
Près de 90 sont originaires de la Métropole et de l'Étranger.
En suivant la courbe ascendante de ces chiffres, on ne peut que se féliciter
du succès obtenu par l'établissement, et de l'extension
progressive de son renom, tant en Algérie que dans les pays voisins.
L'essor de son recrutement régional et extérieur prouve
qu'il répond à une nécessité de la vie économique.
Doté de vastes locaux confortablement aménagés, qui
peuvent loger une centaine d'internes, comportant des amphithéâtres,
des salles d'études, des laboratoires de chimie, de physique, d'nologie,
de pathologie végétale, pourvu de collections variées,
et de tout le matériel nécessaire aux travaux d'analyse
et de micrographie, l'Institut dispense à ses élèves
un enseignement qui présente la plus grande analogie avec celui
des Écoles Nationales de Grignon, de Montpellier et de Rennes,
tout en tenant compte, naturellement, des conditions spéciales
que réclame la culture sous le climat méditerranéen.
Réparti entre 20 chaires confiées à un nombre égal
de professeurs, tous spécialistes éprouvés ou chargés
de cours à l'Université d'Alger, son enseignement embrasse
toutes les branches de l'activité agricole, ainsi que les sciences
auxquelles le colon doit constamment faire appel pour résoudre
les problèmes que la culture intensive moderne pose chaque jour.
Mais, ainsi que le fait remarquer un excellent rapport officiel auquel,
par souci de précision, nous empruntons ces intéressants
documents, cet enseignement théorique est doublé d'un enseignement
pratique.
Il attache, en effet, une importance spéciale à l'étude
du génie rural : l'Institut dispose à cet effet d'une station
dotée de salles d'essai de moteurs et de machines, d'ateliers pour
le travail du fer et du bois, ainsi que d'un vaste hall d'exposition de
l'outillage agricole, couvrant 600 mètres carrés.
Il faut ajouter aussi les installations nécessaires pour les chaires
de mécanique, d'électro-technique, d'hydraulique et de constructions
rurales qui sont groupées dans des locaux contigus.
Cet ensemble, dont la construction vient d'être terminée,
constitue une station de génie rural d'une importance toute spéciale.
En sus des quatre professeurs spéciaux, un préparateur et
des ouvriers instructeurs y sont attachés. Ces derniers sont chargés
de travaux manuels.
Enfin, l'extension prise par la culture mécanique a conduit l'Institut
Agricole à s'annexer une École d'apprentissage de mécaniciens
ruraux et à créer un Centre pratique de culture mécanique.
Chaque année, les élèves sont familiarisés
avec tous les travaux agricoles par un stage qu'ils accomplissent sur
les trois domaines que possède l'Institut et qui couvrent une superficie
de 600 hectares. Sur les 80 hectares de Maison-Carrée, il leur
est permis d'étudier pratiquement la vigne, les cultures maraîchères,
les fourrages, la botanique. A Rouïba, ils trouvent un vignoble expérimental
et une orangerie de 15 hectares. Enfin, le domaine de Berteaux. comprenant
425 hectares sur les hauts plateaux du département de Constantine,
les familiarise avec les procédés de la grande culture,
le dry-farming. l'élevage, la motoculture.
En se rendant de Maison-Carrée à Berteaux, et durant leur
séjour sur les terrains de l'annexe, les élèves visitent
le plus grand nombre possible d'exploitations. Ils consacrent même
leurs vacances de Pâques à des excursions d'étude
où l'utile est habilement mêlé à l'agréable.
Ainsi, durant leur temps de scolarité, ils sont amenés à
connaître les diverses régions agricoles du pays. Initiés
de la sorte, sans aucune fatigue, à la théorie et à
la pratique, ils pourront ensuite entreprendre dans d'excellentes conditions
leur métier de colon. Rien de ce qui le touche ne leur sera étranger.
De plus, une sélection rigoureuse leur est imposée à
la sortie de l'Institut. Seuls, les meilleurs candidats qui ont satisfait
aux épreuves exigées par le règlement reçoivent
le Diplôme d'Ingénieur.
Encore faut-il qu'ils aient obtenu au classement de sortie une moyenne
au moins égale à 15, sans aucune note inférieure
à 13 pour les épreuves de fin d'études.
D'importants avantages sont réservés aux six premiers élèves
de chaque promotion. Ils peuvent être admis à effectuer une
troisième année d'études, soit dans les laboratoires
de l'Institut où ils complètent leur instruction, soit à
l'École Coloniale d'Arts et Métiers (installée à
Dellys en attendant qu'elle soit transférée à Maison-Carrée).
Ils s'initient alors à l'application des arts industriels à
l'agriculture.
Il leur est offert également la possibilité de se perfectionner
en horticulture et en arboriculture par un stage rémunéré
au Jardin d'Essai du Hamma ou dans l'une des stations expérimentales
en voie d'organisation dans les départements algériens ou
même dans les Territoires du Sud.
Quant à ceux qui veulent s'installer dans nos possessions lointaines,
le moyen d'acquérir les connaissances indispensables leur est donné
par leur admission à l'École Nationale Supérieure
d'Agriculture Coloniale de Nogent-sur-Marne (Seine).
Par ce rapide aperçu sur l'organisation de cet enseignement qui
permet aux élèves remarquables de poursuivre très
avant leurs éludes, on voit les engageantes perspectives sur l'avenir
qu'il offre à qui veut travailler.
Ouvert, après concours, aux jeunes gens qui ont terminé
leurs études dans les écoles primaires supérieures,
les établissements d'enseignement secondaire, les écoles
professionnelles, ou, sans concours, aux jeunes gens pourvus du baccalauréat,
du brevet supérieur, l'Institut agricole s'adresse à tous
ceux qui, soit pour leur compte, soit pour le compte d'autrui, désirent
se consacrer à l'agriculture en Algérie. dans les protectorats
voisins et dans toutes les régions soumises à un climat
analogue à celui de l'Afrique du Nord.
En principe. l'Institut Agricole de Maison-Carrée s attache à
orienter ses élèves vers les entreprises dues à l'initiative
privée, mais un certain nombre d'entre eux peuvent également
se faire des situations dans les services publics de l'Afrique du Nord,
particulièrement dans ceux qui exigent des connaissances agricoles
(laboratoires et services agricoles, génie rural, service de la
culture des tabacs, service topographique). Nombre de jeunes élèves
trouveront dans cette voie le moyen d'acquérir une connaissance
plus complète du pays, tout en subvenant à leurs besoins
ou en attendant de pouvoir s'installer comme agriculteurs.
Enfin, aux termes du décret du 22 octobre 1916, les emplois dans
le Service Agricole général de l'Algérie sont réservés
aux candidats diplômés d'une des grandes Écoles de
France ou de l'Institut d'Algérie lui-même.
Il offre donc à toute une jeunesse active et laborieuse, des débouchés
innombrables, presque illimités. surtout si elle se tourne du côté
de l'expansion coloniale.
Car ce n'est pas seulement l'Algérie qui s'ouvre à son ambition,
mais les vastes territoires du Maroc, de la Syrie, où, pour assurer
le succès de ses armes, sous la protection des troupes chargées
de faire régner l'ordre et la tranquillité, la France, comme
autrefois Rome, a besoin d'intelligences actives, spécialisées
dans les sciences agricoles.
L'histoire des grandes puissances colonisatrices nous apprend que la possession
du sol est toujours assurée, non par une exploitation irréfléchie,
confinant au pillage, mais par une exploitation scientifique, une mise
en valeur rationnelle.
L'agriculture est donc le plus sûr moyen, la plus sûre garantie
d'accroître et de conserver les vastes domaines de la plus grande
France : et, pour emprunter notre conclusion au rapport précis
de M. Brunel, directeur général de l'Agriculture, du Commerce
et de la Colonisation en Algérie, rapport paru dans le Bulletin
International d'Agriculture, disons de même que le Maroc trouve
actuellement dans la colonie algéro-tunisienne les éléments
fondamentaux de sa colonisation, de même il y a lieu de penser,
avec les protagonistes du Rail-Africain, que du jour assez prochain sans
doute où l'Afrique du Nord sera reliée par chemin de fer
à nos autres possessions de l'Afrique, ses colons pousseront vers
le Niger et le Congo, comme les Américains sont allés des
côtes de l'Atlantique jusqu'au Far-West, et il y a là aussi
de ce côté, pour les techniciens préparés à
Maison-Carrée, une perspective intéressante...
Devant cette richesse de débouchés, au moment où
chacun comprend la nécessité vitale de l'intensification
de la production par la mise en valeur raisonnée du sol, nul doute
que l'Institut Agricole d'Algérie, excellent instrument de colonisation,
ne soit appelé au plus bel avenir.
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