Alger, Algérie : documents algériens
Série culturelle : Alger
Alger aux époques pheniciennes et romaine
5 pages + 1 plan - n°62 - 30 avril 1952

 
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LA LEGENDE D'HERCULE.

--------Bien peu de renseignements sont en possession des archéologues et des historiens sur l'Alger des ires lointaines. Pendant longtemps l'on ne savait absolument rien par l'archéologie sur les origines de notre cité : tout au plus, l'on pouvait remonter à l'époque romaine grâce aux vestiges retrouvés en 1330, sur lesquels BERBRUGGER a fait d'intéressantes observations.
--------Cependant, plus tard. STEPHANE GSELL, dans sa remarquable " Histoire Ancienne de l'Afrique du Nord ", réuni une foule de renseignements archéologiques et littéraires.
--------Cet auteur, lui-même, ne savait rien sur l'époque phénicienneà Alger, et les seuls textes sur lesquels il se basait sont les légendes contées par le latin SOLIN qui vivait 250 ans après Jésus-Christ.
--------Au sujet d'lcosium, SOLIN est ainsi traduit :
--------" Lorsque Hercule traversa cette région (Icosium), vingt de ses compagnons l'ayant abandonné. ils choisirent un emplacement sur lequel ils édifièrent des murailles. "
--------" Afin qu'aucun d'eux ne put se glorifier d'avoir imposé son nom à cette ville, ils donnèrent à celle-ci un nom formé du nombre de ses fondateurs.
"
--------Le nombre vingt, en grec, est désigné par EIKOSI. L'on pouvait penser que IKOSIM, premier nom de la cité, était dérivé de ce terme.
--------En novembre 1940, les travaux de démolition de quelques immeubles du quartier de l'Ancienne Préfecture permirent de mettre au jour une jarre remplie de pièces de monnaie en cuivre et en plomb d'origine phénicienne.
--------MM. CANTINEAU, professeur de langues sémitiques, qui en a traduit les inscriptions, et LESCHI. directeur des Antiquités de l'Algérie, nous apprennent ce que signifient les signes et figures indiqués sur ces pièces.
--------Du même type, elles ont plusieurs dimensions et les petites différences qu'elles présentent, font supposer qu'elles n'ont pas' été émises dans le même temps.
--------Sur une de leurs faces l'on aperçoit un personnage dans lequel ces archéologues ont reconnu MELKART, le dieu phénicien de Tyr. La peau de bête qui le recouvre est une peau de lion, qui représente sans aucun doute la dépouille du lion de Némée, fille dé Jupiter.
--------Or, nous avons tous appris que dans l'antiquité, MELKART, le roi fort, était considéré à Tyr comme l'image du soleil. Selon toute vraisemblance, il ne fait qu'un avec l'Hercule grec. Une flamme éternelle brûlait dans son temple. et, tous les ans, l'on élevait un immense bûcher en son honneur, sans doute pour commémorer et honorer l'acte après lequel il fut placé au rang des Dieux (Hercule après avoir revêtu la tunique du centaure Nessus, teintée dans le sang empoisonné de ce dernier, que lui remit une de ses épouses (Dejanire) fut pris de douleurs intolérables. Il se retira sur le mont Oeta, y édifia un bûcher sur lequel il se plaça et fit mettre le feu par Philoctète).
--------MELKART était adoré par les habitants de toutes les colonies phéniciennes qui s'étendaient dans presque 'tout le bassin méditerranéen et même jusqu'en Espagne, puisque Cadix dérivé du punique Gader. située sur une île de l'embouchure du Betis, a été fondée par les Phéniciens sur un côté du détroit d'Hercule.
--------Nous avons aussi que les " colonnes d'Hercule ", promontoire de Calpé et d'Abila, actuellement détroit de Gibraltar, ont été atteintes par les Phéniciens.
--------Toute cette digression sur les points fixés par les Phéniciens, n'a d'autre but que de montrer les
déplacements de ce peuple qui a exploité à peu près tous les sites intéressants du bassin méditerranéen et surtout de la côte africaine, constituant ainsi des routes maritimes et commerciales que les marchands de Tyr, et, plus tard, les Carthaginois, sillonnèrent dans tout le bassin occidental méditerranéen.
--------Ceci nous permet de faire un rapprochement avec la fameuse légende d'Hercule qui partit à la recherche du " jardin des Hespérides ", lieu où nous dit la mythologie, se trouvaient les "pommes d'or " qu'Eurysthée fit enlever par Hercule malgré la garde du dragon.

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IKOSIM DES PHÉNICIENS.
--------En essayant d'extraire le vraisemblable du légendaire, il semble que rien ne s'oppose à croire que les Phéniciens aient vraiment occupé les îles qui se trouvaient devant Alger avant la construction de la jetée de Khaïr ed Dîne.
--------M. LESCHI nous dit, au sujet de l'étude des caractères puniques figurés près du personnage supposé être Melkart, que l'inscription devait être lue : 1KOSIM.
--------Nous citons plutôt M. LESCHI (J. CANTINEAU et L. LESCHI. Monnaies puniques d'Alger. Communication faite à l'Académie des inscriptions et belles lettres. C.R. 1941, p. 263.)
--------"M. CANTINEAU a reconnu que l'inscription comprenait cinq signes et qu'il fallait la lire IKOSIM.
--------Ikosim est composé de deux mots : l'un signifie l'île, que l'on retrouve dans les noms géographiques de la Méditerranée. Ibosim, Ibica, dans l'archipel des Baléares ; Inosim, l'île de San Pietro, au Sud-Ouest de la Sardaigne ; Ironim, l'île de Cossura (Pantellaria) dans le détroit de Sicile. "
--------" KOSIM se révèle plus difficile à interpréter et M. CANTINEAU hésite entre le sens d'épines, l'île des épines ou d'oiseaux impurs, de hiboux que peut avoir le vocable.
"
--------Nous voyons, par cette citation, qu'IKOSIM est d'origine punique. Cela est suffisant pour nous permettre de dire que le site sur lequel furent plus tard édifiées Icosium puis DJEZAIR BEN MEZGANA, fut remarqué et retenu par les Carthaginois, successeurs des Phéniciens.


ICOSIUM DES ROMAINS.
--------Que s'est-il passé jusqu'au moment où les Romains sont venus s'installer dans IKOSIM sur les bords du rivage algérois ? Nous n'en savons rien.
--------En 25, avant Jésus-Christ, sous le règne d'Auguste, ICOSIUM passa sous la tutelle du roi de Maurétanie, JUBA, résidant à Cherchell, et prit le nom d'ICOSIUM.
--------La cité qu'organisèrent les Romains semble avoir été une colonie dont l'importance retenu l'attention des observateurs qui, plus tard, y attachèrent leurs regards.
--------C'est ainsi que l'écrivain musulman EL BEKRI, écrivait au XI" siècle, en parlant de DJEZAIR BEN MEZGANA : " Cette ville est grande et de construction antique, elle renferme des monuments anciens et des voûtes solidement bâties qui démontrent par leur grandeur qu'à une époque reculée, elle avait été la capitale d'un empire. "
--------" On y remarque un théâtre dont l'intérieur est pavé de petites pierres de diverses couleurs qui forment une espèce de mosaïque. La ville possédait une vaste église dont il ne reste qu'une muraille en forme d'abside se dirigeant de l'Est à l'Ouest."
--------Nous voyons toute l'importance que revêt cette citation et, en supposant qu'il y ait eu exagération dans l'affirmation d'EL BEKRI, il n'en reste pas moins vrai que la grandeur des constructions d'ICOSIUM était suffisante pour retenir l'attention des voyageurs, d'autant plus que la plupart des cités de ces époques n'apparaissaient pas à la même échelle que les nôtres.
--------Dans le courant de l'année 1950, une embase de statue a été trouvée dans les fouilles exécutées pour travaux en bordure de l'avenue du 8-Novembre.
--------L'inscription qu'elle présente se rapporte à un certain MARCUS MESSIUS MASCULUS qui est honoré par son petit-fils, PUBLIUS CORNELIUS HONORATUS, flamine perpétuel de SEPTIME SEVERE et de ses fils ( Communication faite par M. LESCHI. directeur des Antiquités, qui nous a donné obligeamment l'autorisation de publier ce texte dont il a fait la traduction.).
--------Au cours d'une reconnaissance que nous fîmes en septembre 1950, avec M. l'ingénieur en chef MOLBERT, sur des travaux entrepris aux environs de l'avenue du 8 Novembre, nous remarquâmes un fut de colonne de 70 centimères de diamètre, une pierre tombale de petite dimension et une meule de grand diamètre en parfait état de conservation.
--------Le fût correspond à une hauteur de colonne de 8 à 9 mètres. Cette dernière donne une idée de la grandeur du portique dans lequel elle entrait.
--------Elle appartenait sans aucun doute à ICOSIUM car son volume et son poids interdisaient qu'on la transportât jusque là lorsqu'à l'époque turque, les habitants de la cité utilisèrent les ruines d'ICOSIUM et même celles de RUSGUNIAE.
--------Cette découverte confirme, en partie, les assertions d'EL BEKRI.

--------Malgré la chute de l'empire carthaginois, l'organisation et les moeurs puniques ne disparurent pas complètement et les Romains qui savaient s'adapter aux organisations et parfois même aux coutumes de leurs vaincus, bénéficièrent, en occupant ICOSIUM, d'une organisation municipale existante. Ceci nous est prouvé par une inscription trouvée rue Bruce. Elle est faite à l'adresse du roi PTOLEMEE,
ils de JUBA, par un certain " LUCIUS CAECILIUS RUFUS ", qui avait reçu tous les honneurs dans sa patrie (Leschi. Conférence sur les origines d'Alger.)
--------Il faut cependant être très prudent sur les inscriptions d'El-Djezaïr en raison, comme nous le disons plus haut, des transports de pierres romaines par les Turcs, de RUSGUNIAE, et même de TIPASA.
--------Pourtant, il existe une autre inscription sur laquelle il n'y a aucun doute à formuler. C'est celle que l'on trouve encastrée dans l'immeuble situé à l'angle des rues Bab-Azoun et du Caftan. C'est le hasard qui cri 1844 fit découvrir cette pierre qui, jusque là, avait servi à un cloutier exerçant dans la rue de Chartres.
--------Les traducteurs nous citent ainsi cette inscription
--------"A PUBLIUS SITTIUS PLOCAMIANUS, fils de MARCUS, de la tribu QUIRINA, le Conseil Municipal d'ICOSIUM. MARCUS SITTIUS CAECILIANUS, fils de PUBLIUS, de la tribu QUIRINA, au nom de son fils très cher, ayant reçu l'honneur, a assumé la dépense. "
--------Sur cette pierre qui devait être un socle de statue sont également gravés les mots : " ORDO ICOSITANORUM " qui nous prouvent que la cité romaine possédait un Conseil Municipal et un ordre de décurions et de magistrats.
--------L'empereur Vespasien la consacra colonie latine ce qui lui conférait une réelle importance.
--------Peu de faits historiques sont connus sur ICOSIUM. M. LESCHI, l'éminent archéologue, nous dit "qu'en 372, FIRMUS, un chef d'origine berbère qui s'était révolté contre Rome et qui n'avait pas réussi à s'emparer de TIPASA à cause de ses remparts et de la résistance de ses habitants animés de leur foi en Sainte Salsa, devint le maître d'ICOSIUM qu'il restitua l'année suivante ".
--------Il est vraisemblable que FIRMUS, au cours de ses attaques, avait été aidé par les donatistes.
--------Nous savons qu'un nommé CRESCENS, évêque donatiste, se trouvait à ICOSIUM en 411 et que VICTO qui fut évêque en 484 fut persécuté par les Vandales (3), après la prise d'ICOSIUM par ces derniers.( G. Yver, - Annales africaines N" 9.).
--------Ces quelques traits archéologiques et historiques sont les rares données encore bien incertaines (à l'exception de l'inscription de la pierre encastrée dans l'immeuble de la rue Bab-Azoun) que l'on possède sur la ville latine.
--------L'on a également découvert en 1907 des chambres sépulcrales avec vaisselles mortuaires près du bâtiment que tous les vieux Algérois ont connu sous le nom de " Kursaal ".
Un texte y était gravé en l'honneur d'un certain Titus Flavius Sextus, soldat de la 4" légion qui "servit 26 ans et en vécut 50 ". (La 4è Légion romaine se trouvait en Europe Centrale, TITUS FLAVIUS était un vétéran libéré après 26 ans de services.).
--------C'est à peu près tout ce que l'on sait de la ville romaine d'ICOSIUM. Comme toutes les cités africaines, elle a dû, vers le II` siècle, connaître une certaine prospérité.
--------L'attestation en est fournie par un beau buste de l'empereur HADRIEN, découvert à Belcourt et, aujourd'hui, placé au musée Stéphane Gsell.
--------Nous avons également essayé de faire sortir de la profondeur des siècles quelques données sur l'alimentation en eau d'ICOSIUM.
--------Sans vouloir émettre trop de présomptions, nous essaierons de grouper les quelques découvertes qui nous permettront de suivre vaguement le réseau d'alimentation en eau potable de la ville des anciens.
--------De nombreuses sources jaillissaient du Dj'bel (colline sur laquelle s'édifie la Kasbah d'aujourd'hui).
--------Ce Dj'bel à constitution schisteuse, présente des failles souterraines et des diaclases dans lesquelles l'eau de pluie s'infiltrant parcourt parfois un très long chemin pour réapparaître sous forme d'émergence.
--------A l'époque turque ces émergences portaient noms de Aïn N'zaouka, Aïn Essabat, Aïn et Atoch Ain et Djedida, Aïn et Oldj, Aïn Essoltan, etc...
--------Il ne fait aucun doute qu'elles furent utilisées.
--------Pendant longtemps, l'on n'en eut aucune preuve. Seul, DEVOULX, dans son ouvrage sur ALGER. cite un extrait d'acte de propriété de 1522-1523, ainsi conçu
--------" Une ruine dans Ketchawa (La Ketchawa est la mosquée qui s'érigeait à l'emplacement de la cathédrale d'aujourd'hui. L'écrivain arabe EL BIEKRI, ncus apprend qu'une église romaine encore debout au 11è siécle, s'y trouvait en face d'une source jaillissant de terre.) est limitée au Nord par un aqueduc des anciens qui existait dans les temps écoulés."
--------Nous voyons toute la valeur de cette citation d'autant plus que DEVOULX nous dit : "C'est la seule fois que j'ai trouvé dans un document authentique (et il m'en est passé plus de cent mille dans les mains) la moindre allusion aux traces laissées par les Romains."
--------Vers 1844. les Français mirent à découvert sous la cathédrale et à 10 mètres sous terre, plusieurs citernes romaines juxtaposées deux à deux et communiquant entre elles, ainsi que des restes de thermes.
--------L'on pouvait donc admettre que le sol romain se trouvait à cette profondeur. Cette supposition s'est transformée en certitude lorsque l'on découvrit ces citernes. Leur existence vint confirmer une affirmation de DEVOULX qui faisait état de travaux d'exhaussement du sol à l'emplacement de la cathédrale sur une hauteur approximative de 10 mètres.
--------Il est fort possible que ces citernes recevant les eaux de l'aqueduc ci-dessus aient été utilisées en qualité de réservoirs recueillant les eaux destinées à l'alimentation de la ville située en contrebasà l'emplacement du quartier de l'Ancienne Préfecture.
--------Quelques vestiges, ainsi que le tracé en échiquier des voies, certes déformé, nous montrent que la ville latine limitée par la. ligne rues Bab-Azoun, Bab-el-Oued, à l'Ouest, et la côte à l'Est, n'était pas très grande ; son carde et son décumanus étant vraisemblablement la rue de la Marine et l'ancienne rue d'Orléans.
--------D'autres citernes que celles situées sous la cathédrale ont été découvertes sous l'ancienne rue de la Charte ; elles figuraient d'ailleurs sur un plan établi entre 1568 et 1571. Portant des inscriptions italiennes, ce document nous montre à cet emplacement, les mentions suivantes : " fontane grande et altre fontane " (grande fontaine et autre fontaine) ainsi que " Forum ".
--------Comme sur presque tous les anciens documents, ces ouvrages sont figurés par un dessin et la représentation figure un monument ressemblant très fidèlement au nymphée romain de TIPASA.
--------Sur ce document est également figuré un aqueduc avec plusieurs arches se trouvant approximativement à l'emplacement du Fort de l'Empereur.
--------Toutes ces données pourraient nous permettre de supposer qu'Icosium a été alimentée en eau par un aqueduc qui, captant les sources situées sur son parcours, utilisant le jaillissement situé près de la cathédrale, emmagasinait cette eau dans des citernes pour la répartir dans la cité. Nous ne pourrions toutefois l'affirmer.
--------Aujourd'hui, encore, c'est tout ou à peu près tout ce qui nous reste des deux premières civilisations qui ont jeté les bases de notre Cité. C'est bien peu de chose et, bien souvent, en passant dans l'avenue du 8-Novembre ou dans la rue de la Marine, il nous arrive d'interroger mentalement les sous-sols de ces voies et ceux du quartier qui les environnent.
--------Nous livreront-ils encore quelques vestiges tenus secrètement au fond de leur remblai où ils nous cachent le peu qui reste de ce passé endormi à jamais ? Nous le pensons et c'est pourquoi nous restons vigilants lorsque d'importants terrassements sont en cours qui attirent nos espoirs de retrouver une vieille pierre qui nous parlera de ces temps lointains.
--------Mais depuis la fuite de ces derniers, de nombreux éléments sont venus qui ont transformé, brisé, saccagé ces vieilles choses, témoins de l'existence de ces puissants ancêtres ; aussi, bien rares doivent être à Alger. les vestiges d'ICOSIUM.

E. PASQUALI

Ingénieur Chef du Service d'Urbanisme
de la Ville d'Alger