-----Et toute cette graine de lycéens,
que couvent les mères, toujours inquiètes et pleines de
recommandations, sont heureux comme des poissons dans l'eau lorsqu'ils
vont, en fraude, se baigner dans le port. Près du bassin de Radoub,
il y a une vieille barque à la caravelle, transformée en
cabine publique. On s'y déshabille à cinquante, en plein
air, sans la moindre pudeur. Kaddour vous garde le linge et vous loue
un caleçon (un sou le caleçon troué, deux sous le
caleçon non troué). C'est le "Bain à un sou",
où le cireur scrofuleux coudoie le fils de famille.
-----Quant aux caleçons, ils ne vont
jamais : trop grands, trop petits, dépourvus d'élastique,
criblés de trous, indécents, crasseux, délavés
et jamais lavés, on se colle ces loques sur la peau sans sourciller
et : "aïdé !..." On plonge, à la française,
à la mauresque, à l'éclair, à la "bombe"
en repliant les jambes. On tire la brasse, on fait le mort, la planche,
la " bouteille sur la table", la "respiration", on
passe sous les chalands, au risque d'y rester. Et, au bout de deux heures,
violet, grelottant, souvent écorché, couvert de goudron
ou de mousse gluante, on se rhabille sans s'essuyer, sans se cacher ;
et l'on rentre à la maison où l'on affirme avoir été
faire ses devoirs avec Untel, chez lui. Pendant deux mois, l'auteur et
Raymond Guasco sont allés chaque jour faire leurs devoirs de cette
façon l'un chez l'autre. Ce surmenage intellectuel a abouti d'une
part à un trou à la tête, de l'autre à une
bronchite.
-----Toujours avant de rentrer chez lui,
le salaouetche qui se respecte se débarbouille à l'eau douce
à la fontaine, pour ne pas avoir le goût de sel lorsque sa
mère l'embrassera, ou simplement sentira l'odeur de ses joues.
" Ma mère elle est louette, quand je rentre le soir elle me
goûte pour voir si j'ai baigné..." disait Titouss.
Paul Achard
"Salaouetches"chez Balland
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