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-----C'est drôle, quand même,
comme l'Histoire c'est un éternel recommencement malgré
que les jours y se suivent et se ressemblent pas
-----1er novembre,
par exemple, jour de la fête des morts et jour où la France,
elle a commencé à faire son deuil de l'Algérie. 18
juin, c'est l'appel de De Gaulle mais c'est aussi le rappel de la bataille
de Waterloo.
-----Le 13
mai c'est la poutche en 58 à Alger mais c'est aussi la barouffa
des étudiants à Paris en 1968.
-----Le 6
février 1936 c'est le Front populaire hein ? C'est aussi le
front impopulaire de Guy Mollet à Alger, à la journée
des tomates. Je sais, c'est très controversé.
-----En tout
cas, avec Paul Dahan qu'on était à la banque ensemble avec
Robert Guastavino qu'on a fait toute l'école dans les mêmes
classes et passé le brevet en même temps, avec des tapées
de copains que je pourrais vous donner les noms, on a assisté à
tout, y a des témoins.
-----Alger
était en délire depuis quat'jours pasque Soustelle (que
Guy Mollet y voulait remplacer par le général Catroux à
cause de Mendès-France) (pas Mendès-Algérie, vous
remarquez la nuance ?), Soustelle, ému comme tout de partir, y
traversait la ville.
-----Nous
autes on riait, on pleurait, on envoyait des baisers, on tapait des bras
d'honneur, on criait
"Mendès... dans l'Aurès ! Catroux... dans un trou !"
-----Ah !
Guy Mollet y croyait qu'il avait qu'à lever le petit doigt, nous
autes on allait baisser les bras ?
-----Le matin,
les anciens combattants y z'avaient défilé dignes, en silence
réprobateur, reproche muet et vivant, dans une ville vide, grève
générale des commerçants, pas d'enfants dans les
écoles, fenêtres des maisons fermées, j'allais dire
closes, la putain !
-----L'atmosphère,
glaciale, ça tombait bien, le temps justement il avait décidé
de battre froid lui aussi ce jour-là.
-----Un peu
plus tard, à l'aérodrome de Maison-Blanche, l'avion de Guy
Mollet y prend Alger de haut et total, il atterrit dans un désert,
ma parole, qui c'est qui l'attend à part trois pelés officiels,
un tondu ?
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-----A quatre,y
se tenaient !
Guy Mollet y voit le climat, y tord la bouche, discrètement sarcastique,
y descend de l'avion, y monte dans la voiture officielle, allez, plateau
des Glières ! Là, c'était pas le désert.
-----Alger
la Blanche, noire de monde elle était.
Joseph Ortiz il était là, Biaggi il était là,
qui y avait encore ?
-----Nous
tous et Vidal, qu'il était venu tranquille, innocent de son marché
de Bab-el-oued, avec sa charrette pleine de cageots de tomates.
------ 0 Vidal,
tu viens faire l'étude de marché ?
-----Comment
qu'on lui a liquidé son stock, purée
Que si il a travaillé tous les jours comme ça depuis qu'il
a été rapatrié, aujourd'hui, de tout le marché
commun agricole, c'est lui qu'y doit exporter le pluss !Mais
peu importe.
-----A ce moment-là (y faisait exprès
ou quoi ?) rien qu'y criait avec la voix pleurarde qu'on lui tapait ses
tomates mais qui c'est qui l'entendait
-----Tout le monde y criait encore pluss,
ou qu'y lançaient des tomates ou qu'y les recevaient.
-----Le jus, quel gâchis ! y coulait
partout, y giclait, y s'étalait, y rendait encore plus vif le rouge
de la confusion générale.
-----Que les CRS y voient rouge, c'est normal,
vous allez pas leur jeter la pierre, non ?
-----Et ben, vous auriez pas dû pasqu'y
z' auraient peut-être pas lancé des bombes lacrymogènes,
alors maintenent allez pleurer chez vot'mère ! Le service d'ordre
et le service d'horde, qu'est-ce qu'y se rendaient comme services !
-----Donnant, donnant.
-----D'un côté comme de l'aute,
on sarrachait des cris, le paletot, les grilles d'arbre.
-----Pendant ce temps, les officiels et Guy
immolé, qu'est-ce qu'y faisaient, y s'essuyaient ?
-----Non, y z'en ont pas reçu une,
y paraît, ils l'ont dit après coup.
-----Y déposaient la gerbe au Monument
aux Morts, flegmatiques, imperturbables, froids, raides, mécaniques.
-----Parfaits aux tomates.
Roland Bacri
"La légende des siestes", chez
Balland
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