L'Étranger
Texte de Roland Bacri
pnha n°47 juin 1994
sur site le 20/02/2002

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-------Chaque fois que je passe devant l'Élysée, ma parole je me vois à la place du gouvernement, tranquille, en train d'aller, venir, rien faire... Quand je suis à Jasmin, j'ai envie de rentrer sous terre pour pas penser à toutes ces petites fleurs blanches qu'on se mettait en collier autour du cou et que Zorah elle nous rapportait du Frais-Vallon.
-------Quelle comparaison d'odeur vous pouvez faire avec le métro, franchement ?
-------Quand je passe rue de la Saïda, les souvenirs qui me reviennent, c'est terrible !
-------Et le bois de Boulogne ! Pour les Parisiens, c'est tout près de la porte Maillot mais pour nous autres, Maillot, c'était pas la porte à côté, c'était un hôpital, tout à fait, tout à fait à l'opposé complètement !
Et not'bois de Boulogne, c'était autre chose, hein ! Un air!
-------Comment vous voulez que je vous explique, ça se sont ces choses-là. C'est comme quand je me trouve tout d'un coup à la porte d'Italie. En fermant les yeux, je vois, là-bas, la Méditerranée... je les rouvre, le long des quais, qu'est-ce je vois ? Purée, et vous voulez que je sois en train ?
-------A l'époque, au moment des évènements, j'étais pas du tout de leur avis, c'est vrai, mais maintenant, je me dis que dans les mots, y z'avaient pas tellement tort, tort, ceux qu'y disaient
-------"Alger n'est pas Paris". Le pied-noir en France, c'est comme Camus : l'Étranger.
-------Camus, prix Nobel, comment pourquoi, son style comme écrivain ou comme goal au RUA, le Racing Universitaire Algérois, une équipe de football terrible, sa philosophie et l'absurde, sa querelle avec Sartre (l'existence ça précède l'essence ou c'est pas une existence de pas être porté sur l'essence ?), Camus, nos rencontres, nos échanges de vues, la correspondance littéraire qu'on s'est tapée, vous voulez que j'en parle ?
Je peux, comme tout le monde, même si je l'ai jamais rencontré, ni parlé au téléphone, ni écrit !
-------Albert Camus, on est pas parents, ni du côté de ma mère, les Boumendil et les Durand, ni du côté de mon père, les Miguérès, mais Camus, il est de ma famille.
 

-------C'est ça l'absurde, chez lui.
-------Vous montez, vous redescendez, comme dans "Le Mythe de Sisyphe", c'est comme ça !
-------La vie on la porte sur son dos, comme un rocher ; nous autres, on portera not' fardeau tout le temps, c'est pas la peine qu'on attend l'instant des Sisyphe !
-------C'est comme faute, dans l'émission que Michel Polac y faisait à la télé, je me rappelle plus qui, tellement y m'avait énervé, il avait dit que Albert Camus il était mort en petit bourgeois à 180 km à l'heure dans une voiture de sport !
-------Moi ça m'a dépassé, qu'est-ce vous voulez !
Et où on va mourir, nous autes, si c'est pas sur les routes de France ou dans des maisons sans balcons et sans terrasses ?
-------Quand dans "L'Étranger" y racontait que son héros y tuait un Arabe à cause du soleil, c'était pour faire son ultra ou pour nous avertir que ça allait être ça, le drame algérien ?
-------Et qu'y préfère sa mère à la patrie, c'est pas bien ? C'est très bien, moi je trouve !
-------La patrie c'est ma mère, d'accord mais on emporte pas sa mère à la semelle de ses souliers.
-------Et je trouve absurde qu'on nous appelle des rapatriés ! Un rapatrié, c'est çuilà heureux qui comme Ulysse y fait un beau voyage, y revient dans sa douceur angevine où il est né ou chez les Grecs. Nous autes, où on a fait un beau voyage ? Où on reviendra à nos moutons ? L'Étranger, je vous dis ! "L'Été" ici, avec la pluie qui tombe, c'est "L'Été" ou c'est "La Chute" ? -------Dans la chambre d'hôtel des vacances, c'est pas "L'État de siège", franchement ? C'est ça l'absurde, "Les Noces" et "La Peste", "L'Envers et l'Endroit". Et le pataouète et le français naturel, c'est "L'Exil et le Royaume", oilà.

Roland Bacri