-le port d'Alger, : En bas le port
Paul Achard
pnha n°67, avril 1996
sur site le 19/10/2002

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-----Le port d'Alger est peut-être unique au monde : militaire, touristique, commercial, il est divisé en zones ayant chacune son pittoresque. Dans la darse de l'Amirauté, c'est toujours le va-et-vient des torpilleurs de la Défense Mobile ; souvent un invité, croiseur ou cuirassé, apporte une allure de bataille navale aux évolutions d'entrée, de sortie et de pilotage. Et la baie elle-même est fréquemment le champ de manoeuvre d'une escadre entière. Puis la flotte change de caractère, voici les embarcations de plaisance, yachts, voiliers de course, canots et pasteras, alignés le long du quai du Sport Nautique. On se montre les plus connus de ces petits bateaux effilés et gracieux : ceux des fils Hanin et des fils Rajasseur. Plus loin, les entrepôts de charbon, la douane, les hangars de la Transatlantique et des autres compagnies de navigation, offrent le spectacle classique des ports méditerranéens, sales, surchauffés, grouillants ; à bord des Sitgès-Hermanos, les amateurs de courses de taureaux s'embarquent chaque année pour gagner l'Andalousie. De grands trois-mâts viennent d'Amérique ; et les peintres s'attachent à fixer sur leurs toiles la forêt voguante, sautillante, la palette aux cent teintes, chatoyant aux flancs des tartanes, des balancelles, des felouques turques, et de tout ce qui, venant d'Espagne, d'Italie, de Marseille, de Corse et de l'Orient, est capable de danser sans couler sur cette eau verte où flottent les tranches de melons, les bouchons, les bouteilles, les babouches et les excréments, dans un joyeux clapotis.
-----«Tu viens en bas le port ?»
-----La phrase représente, pour les petits Algérois, toutes les joies maritimes : olfactives, visuelles, tactiles, sportives : c'est le marinier napolitain qui manoeuvre à la godille son "Santa-Maria", le bahari ottoman, à demi saoul de Kif, qui tient la barre du "Djinn" ; le Marseillais qui conduit "l'Hirondelle" et le Mayorquin qui gouverne " El Rey Alfonso", le calfat, le charbonnier ruisselant de sueur, les pêcheurs qui, entre les chalands, "tirent" des mulets friands de pourriture. Tous les pavillons, tous les drapeaux : Angleterre, Suède, Japon, Brésil, Russie, Allemagne, Turquie, Chine... flottent aux mâts des steamers et des cargos, à la poupe des gros navires de lignes et des long-courriers. Alger est mieux qu'un abri. C'est un passage. Le fret, en outre, y est avantageux. La vie y est pour rien.
-----Le port fait le maximum, tous les jours. Cent mille tonneaux de vin y sont alignés en permanence, emportés et renouvelés, les grues grincent, les sirènes mugissent, les portefaix s'engueulent et les vauriens se hèlent à pleine voix : «Ou-aîlliounes !»

Paul Achard
Salaouetches chez Balland