mise sur site le 22-01-2004
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Alger, des hôtels
Aletti et Saint-George
--Le Saint-George et l'Aletti, comment les raconter ? Remarquons, d'entrée, qu'il n'y avait pas de " s " à George, qu'au fronton de l'hôtel le saint terrassait - of course! - le dragon. Ici, l'hôtellerie se voulait d'influence britannique. Tout y fut conçu, au départ, pour faire se pâmer d'aise, dans un cadre oriental, sur les hauteurs de la ville, les voyageurs anglais. A l'époque où les cartes postales invitaient aux couchers de soleil sur la baie et aux paradis sahariens deux chameaux dédaigneux, ...
Marie Elbe
Extraits de Historia magazine, n°221/28, 27 mars 1972
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Les jardins du Saint-George, jardins de rêve.Palmes, roses,
cinéraires et capucines, dans un désordre d'Éden.Entre les clameurs, les convulsions d'Alger et les portes blanches du
Saint-George, il y a toujours eu le silence des jardins, comme un ultime privilège. Ici, certains matins, on pouvait encore croire au miracle. Quand on n'entendait plus que le bruit de l'eau sur les feuilles, le rebondissement des balles dans un tennis tout proche...

-------Le Saint-George et l'Aletti, comment les raconter ? Remarquons, d'entrée, qu'il n'y avait pas de " s " à George, qu'au fronton de l'hôtel le saint terrassait - of course! - le dragon. Ici, l'hôtellerie se voulait d'influence britannique. Tout y fut conçu, au départ, pour faire se pâmer d'aise, dans un cadre oriental, sur les hauteurs de la ville, les voyageurs anglais. http://perso.wanadoo.fr/bernard.venis. A l'époque où les cartes postales invitaient aux couchers de soleil sur la baie et aux paradis sahariens deux chameaux dédaigneux, au pied d'un bouquet de palmes, sur fond de dunes couleur tango. Bref, le tourisme de daddy dans l'Algérie de papa.
-------Sous les fenêtres du Saint-George, la brise agitait les cimes d'une flore tropicale. Contre les murs blancs, des bougainvillées retombaient en masses flamboyantes. En juin, on assistait à la floraison bleue des jacarandas. Les soirées se prolongeaient alors sur la terrasse, face aux profondeurs des jardins, auxquels des lumières indirectes donnaient pour quelques heures l'allure de quelque gigantesque toile du Douanier Rousseau. Au loin, la mer. Et cette calme rumeur-là qui venait de la ville. Ce n'est pas tout, mais nous y reviendrons.

Guillaume et Thomas

-------La ville. Au coeur de la ville, du chahut, les sonneries aigres des tramways, les cris des yaouleds (les sciuscias d'Alger), les sirènes du port, et l'Aletti... Une façade sur la mer, l'autre rue Alfred-Lelluch. " Une ville dans la ville ", c'est ainsi qu'on l'appelait.

-------L'Aletti, dont une des façades donne sur le port et l'autre sur une rue qui portait le nom d'Alfred Lelluch. Une des rues les plus bruyantes et les plus animées d'Alger. L'Aletti, c'était le grand caravansérail de luxe, l'hôtel favori des colons.

-------Franchies les plates-bandes de l'hôtel et grimpées les quatre marches du perron, on se faisait avaler par la porte-tambour, puis rejeter dans le hall, où quelques bachaghas rêveurs, quelques voyageurs en attente, vous regardaient distraitement déboucher. Avant de faire le tour des deux cinémas, du cabaret, du salon de thé, de la boîte de nuit, du club privé, du salon de coiffure, des boutiques et de la salle de jeu, il faut aller au " Cintra ". C'est le bar de l'Aletti, le rendez-vous de l'Alger qui fait des affaires, qui cherche des informations, des aventures, des copains, ou tout simplement qui cherche à tuer le temps. Décor de plantes vertes et de salle à manger de paquebot. Au bar, Guillaume. Un Italien. L'accent de De Sica (quand il parle français), la démarche de Groucho Marx, l'oeil en berne de Marguerite Moréno et la moustache d'Adolphe Menjou. http://perso.wanadoo.fr/bernard.venis.Une cravate verte, invariablement verte, sombrement verte, légionnairement verte. Les soirs de Camerone, Guillaume offrait le champagne. En souvenir du temps où il était " képi blanc ". Il lui arrivait de se pencher par-dessus son comptoir
-------- L'autre, là-haut, comment il va?
-------" L'autre ", c'était le barman du Saint-George. Il roulait les " r " et s'appelait Thomas. Un Arménien. Il tutoyait ceux qu'il aimait bien, oubliait parfois de servir ceux qu'il aimait moins, buvait sec et tenait le coup. A l'heure des confidences, quand Thomas avait éteint la moitié des lumières du bar, il racontait comment sa famille avait fui devant les Turcs, quand il avait six ans, que Charles
Aznavour - un compatriote - s'appelait en réalité Aznavourian, que tous les Arméniens réussissent dans la vie car, quand ils n'ont pas la bosse du commerce, ils ont celle des arts.
-------- Et souvent, ils ont les deux, ajoutait Thomas, jamais avare, en rangeant ses bouteilles.
-------Quand il avait un peu trop bu, son visage devenait aussi gris que ses cheveux. Alors, il donnait de grands coups de poing dans le comptoir en livrant sa tendance
-------- Les Arabes, c'est pire que les Turcs! Un pied-noir, ça vaut dix Arabes!
-------Pour lâcher ça, il attendait que la nuée de jeunes musulmans qui le secondaient au bar du Saint-George fussent allés se coucher.
-------Il lui arrivait aussi de se pencher pardessus son comptoir
-------- Et l'autre, en bas, qu'est-ce qu'il f... ?
-------- Guillaume? Il va bien.

-------- Y'a du monde?
-------- Un monde fou...
-------Thomas haussait les épaules
-------- Quel monde? Du monde comme ça, moi, j'en voudrais pas chez moi!
-------Son " chez moi ", c'était le bar du Saint-George. Thomas le couvait du regard : pétroliers, journalistes, officiers en permission, hauts fonctionnaires du G.G. Ceux-là mêmes qui avaient sansdoute pris un whisky, le matin,-à l'Aletti. Dans un coin, sous un guennour impressionnant, le cheikh Ben Tikkouk, chef religieux musulman, devant sa limonade. Une barbe teinte en noir et tout un harnachement dont le style semblait dater de la prise de la smalah d'Abd el-Kader baudrier et bottes soutachées d'argent, multiples burnous. Il allait si bien dans ce décor de mosaïques, d'arcades et de vieux cuivres qu'on en arrivait à se demander si la direction du Saint-George ne
l'invitait pas à séjourner, pour ajouter au pittoresque de l'hôtel. http://perso.wanadoo.fr/bernard.venis.Le cheikh méditait en lissant sa barbe d'une main blanche et grasse. En réalité, le Saint-George lui convenait. On ne le voyait jamais à l'Aletti.

------ La façade sud, toujours éclaboussée de soleil. Avec ses cascades de bougainvillées et ses assauts de chèvrefeuille.
------Au-dessus des palmes du Saint-George, la baie d'Alger, où se penchaient des voiles. Le style de la façade? On ne savait plus très bien. Tant d'ailes y furent ajoutées...

------L'Aletti, c'était le rêve des colons. 1l y a très peu de jours, une jeune femme qui vécut dans une ferme, près de Miliana, dont le mari et le fils furent assassinés par une bande rebelle, un soir de décembre 1959, me parlait de son bonheur avant la tourmente. Ce qu'elle avait fait, aimé, souhaité dans sa ferme, au milieu des vignes. Brusquement, elle m'a dit:
-------« Nous nous étions tellement promis d'aller passer un réveillon de Noël à l'Aletti! Moi, en robe longue... Il faut savoir ce que l'Aletti représentait, pour ceux du bled, quand ils voulaient s'offrir deux ou trois jours à Alger, sans compter, après la solitude des fermes et l'âpreté des paysages. Les vitrines du hall, pleines de parfums, de dentelles, d' " articles de Paris ". Marcher sur de la moquette, accompagné par des effluves de musique douce, prendre un ascenseur qui vous emmenait au salon de coiffure ou au cinéma, ou bien encore au restaurant Chantecler ou à la salle de jeu. L'air sentait le parfum cher et on n'y entendait pas forcément l'accent pied-noir.

Le mois des congrès

-------Qui aurait osé craindre pour l'avenir, en écoutant chanter Gloria Lasso, au cabaret, en jouant au badminton au club privé de l'Aletti, présidé par Laurent Schiaffino, en dégustant son thé, le mardi, dans les éclairages tamisés où ces dames de la vanité algéroise rivalisaient de chapeaux, de toilettes et de potins?
1951, ce fut l'année des congrès. À l'Aletti, les congrès se succédaient : il faut ouvrir le petit journal de l'hôtel, en date du 15 mai 1951!
-------Notre ami Robert de La Perrière, maire de l'Arba, nous avait annoncé le congrès des maires de France, à l'organisation duquel il participa fort heureusement. Ce fut le seul pour lequel il n'y eut aucune bousculade. Les maires vinrent bien dîner au Chantecler (Restaurant "chic" de 1'Aletti), à l'effectif de cent cinquante à la fois; mais c'était prévu. On décongestionna la ville, et " la ville dans la ville ", en les faisant voyager. Ils visitèrent le Constantinois et l'Oranie et eurent un dîner de quatre cents couverts, à l'Aletti.
-------Là-dessus, les "pédiatres" s'étaient émus. On avait dû leur dire que leurs questions
ne pouvaient se traiter à Alger qu'au mois de mai, l'époque des congrès. Les pédiatres furent charmants... et leur banquet de trois cents couverts dans le hall du Casino ( Immense salle attenant à la salle de jeu.) ne manqua ni de jolies femmes ni d'esprit.
------Les médecins ne nous quittèrent qu'à la dernière extrémité et, au même moment, les notaires nous tombèrent dessus. Cette fois c'était sérieux. Ils étaient sept cents qui arrivaient, le kodak en bandoulière, la serviette sous le bras et... le sourire laissé sur le quai, pour ceux dont le logement n'était pas prévu. Il y eut des séances un peu orageuses au Studio (un des cinémas de l'Aletti), devenu, le matin, salle de conférences. Mais un banquet de sept cents couverts réconcilia tout le monde, après une soirée dansante où ce fut une joie de voir les arrivants de France donner l'exemple de " s'habiller ". Il y eut une soirée au Cabaret (le salon de thé, cabaret le soir), où le plus sérieux des notaires, Me Chardonnet, se déchaîna au point d'écrire une très amusante chanson composée à l'occasion du congrès.

 

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-------Dans ce même petit journal de bord, une journée de l'hôtel Aletti, ce même mois de mai 1951
-------À 7 heures, le hall est plein. A 8 heures, on cherche déjà refuge au Cintra. A heures, le Studio-cinéma est plein de monde qui écoute des discours, ou fait semblant. A 10 heures, la circulation est déjà difficile au carrefour du bar de " la Frégate ". A midi, les gens prudents déjeunent déjà au Chantecler. A 13 heures, les imprudents y cherchent une table. A 14 heures, les moins pressés arrivent, pour s'y trouver à l'aise. Lorsque le Baccara ouvre, à 16 heures, il en est qui déjeunent encore à côté. Des gens sortent du cinéma, ou bien s'y rendent. Puis cela va s'aggravant, vers le soir. La marine américaine, dont on voit, en rade, un porte-avions, un croiseur et plusieurs torpilleurs, doit donner à ses équipages le conseil d'occuper le " Cintra ". Régime sec à bord et champagne à l'Aletti. Au Club, on trouve un peu de paix. Mais au cabaret, George-Henri Martin vous montre combien elle est provisoire et déchaîne les rires et des tempêtes d'applaudissements. A côté, les boutiques font recette...

------Le hall d'entrée. Scène insolite, pas tout à fait touristique la nuit où le putsch d'Alger a échoué, une fusillade éclate devant l'Aletti. Dans l'hôtel même, il y a des blessés. Une civière passe, sous l'ail à peine étonné des clients. A l'heure du putsch, Alger avait fait son apprentissage de la violence. Derrière le comptoir de la réception, une trousse, pour les soins de première urgence.

----Derrière ses frondaisons, le Saint-George, un peu replié sur son passé, attend les grands tournants de l'Histoire pour faire le plein. Le débarquement allié lui amena des hôtes illustres. http://perso.wanadoo.fr/ bernard.venis.Des plaques de cuivre bien briquées apprennent au voyageur que dans telle ou telle chambre dormit le général Dwight David Eisenhower ou le général Henry Maitland Wilson, chefs du corps expéditionnaire anglo-américain en A.F.N.

-------Au fil des années et des événements, des nuées
de parlementaires et de journalistes, des groupes de colonels, des hauts fonctionnaires et des apprentis comploteurs fréquentèrent le bar du Saint-George.
-------Des personnalités célèbres traversèrent ses salons en enfilade, Camus, Valéry, Colette...
-------En novembre 1942, le débarquement des forces alliées amena au Saint-George des hôtes illustres, dont le général Dwight David Eisenhower.

Chambre 95 ou 97 ?

-------La guerre d'Algérie y déversera ses cargaisons de correspondants de presse, d'officiers, d'informateurs, de comploteurs. Au moment de l'affaire du bazooka, à l'heure où les noms de Kovacs et du général Cogny étaient sur toutes les lèvres, un garçon d'étage du Saint-George vous glissait sous le manteau le plan d'une certaine chambre (95 ou 97?) où les conjurés se seraient rencontrés.
-------Mais, entre les guerres, le Saint-George somnole.
-------Si, le dimanche, une clientèle un peu compassée vient y déjeuner, face à de superbes mosaïques, en revanche, il n'y a pas foule dans les salons. L'hôtel retrouve son agitation les soirs de réveillon, pour le bal de l'X ou pour un grand mariage. Puis tout retombe à plat.
-------- Moi, pour un empire, j'y monterais pas! assurait Guillaume, le barman de l'Aletti.
-------En fait, il y montait parfois, les soirs où il ne travaillait pas. Blazer bleu marine et cravate toujours verte, il rendait visite à son vieux rival Thomas. Mais, cette fois, c'était en client qu'il venait.

Marie ELBE


Remarquons, d'entrée, qu'il n'y avait pas de " s " à George, qu'au fronton de l'hôtel le saint terrassait - of course! - le dragon.
couverture journal aletti
Document Marie Elbe/historiamagazine 221/28
Très " tango argentin " ou " Une nuit à Monte-Carlo ";
bref, très " vie à grandes guides ", champagne,
fume-cigarette, smoking et bananier, devant
le scintillement d'un clair de lune, c'est la couverture
du journal de l'Aletti, 15 mai 1951. La belle époque.

menu saint-george
Menu, bristol 236 x 150, éditions Henri Dormoy
Diner
Crême d'orge
Ombrine grillée, sauce tartare
Cuisseau(1) de veau étuvé au Chablis, maïs au beurre
endive flamande
Pudding soufflé Singapour, sauce au rhum
Corbeille de fruits

(1) alors que, bizarrerie de la langue française: cuissot, pour sanglier, chevreuil, cerf