Alger - Bab-el-Oued,
|
6 Ko
|
------Du 12/04/1907(
carte écrite): « Cela paraît,
comme je l'ai écrit à quelqu'un, plutôt un paradis
terrestre qu'un asile de souffrance.» Michèle SALLES-MANIVIT Correspondance d'un poète inconnu L'Hôpital du Dey au début du siècle dernier
12-04-1907 Chers parents Etant à court de nouvelles intéressantes je vous adresse quelques cartes que je viens de dénicher. Elles vous montreront ce qu'est l'hopital du Dey dont il est difficile de se faire une idée par simples racontars. C'est un immense établissement qui occuipe un vaste coin de Bab el Oued. On l'embrasse bien du regard et on ne se rend bien compte de sa disposition générale que du haut de Sidi Ben Nour ou encore accroché aux flancs rocheux de la Bouzaréah (Carte n°1). La partie la plus remarquable pour le touriste et pour l'artiste est, sans contredit le pavillon du Dey. Ce bâtiment est actuellement réservé aux officiers malades et occupé par les bureaux du médecin chef, du matériel (où je suis actuellement), les salles de garde (médecins et officiers d'administration), la bactériologie etc.. (Carte n°2). Il y a aussi des magasins dans des obscurs cachots
On y trouve deux cours mauresques différentes l'une de l'autre, mais toutes deux agréables : l'une, celle du bas, avec ses frises bleu de mer, ses portes multicolores, ses orangers couverts de fleurs comme maintenant, ou chargés de fruits d'émeraude à l'automne, et d'or en hiver, repose la vue et flatte l'odorat de subtils parfums ; l'autre à laquelle on accède par des escaliers tournant à angles droits et tout émaillés de faiences peintes, éblouit l'oeil par ses vives couleurs où dominent harmonieusement le vert et le jaune. Ici moins d'arbres et plus de plantes. Comme dans la première, les petits oiseaux peuvent venir se désaltérer dans les vasques d'une fontaine centrale. Un mince filet d'eau y jaillit, et là, vous incite à la rêverie et vous invite à goûter les voluptés d'un dolent farniente. Le doux murmure des goutelettes, qui, filtrant à travers la mousse envahissante, retombent de vasque en vasque pour arroser les plantes aquatiques aux larges feuilles parmi lesquelles de jolis poissons rouges dorment au fond du bassin, tandis que les libellules et moustiques se jouent dans les airs, caressés par les brulants rayons d'un brillant soleil. Tout à l'entour de cette cour supérieure à laquelle il n'en est que peu de comparable dans Alger se répartissent les chambres des officiers en traitement ; une galerie couverte avec balustrade ajourée en ferme le cadre au premier étage (carte n°3)
J'ai visité la pluspart des appartements de pavillon ; ce ne sont que plafonds harmonieusement courbes, colonnes torses, colonnes en marbre blanc, faîence peintes, fresques murales, glaces, etc... Partout des couleurs ou vives ou douces, des lignes charmantes, une architecture exotiquement délicieuse, une ornementation très complexe mais toujours agréable. En somme ce pavillon n'est si joli que parce qu'il n'a pas été construit par des Français. C'est toutefois la maison de plaisance du Dey Baba Hassan qui la fit construire de 1791 à 1799. Elle était alors entourée d'immenses et magnifiques jardins qui ont diminué peu à peu d'étendue poue être remplacés par de vastes salles de malades. Les restes en sont encore superbes et renferment de fort beaux arbres; palmiers, poivriers, bambous, eucalyptus, cèdres, sapins, cyprès etc... (carte n°4)
Je continuerai ces cartes plus tard pour le récit d'une promenade à travers l'hôpital... Devant ces descriptions si précises et si poétiques, je n'ai pu résister à continuer moi aussi à lire la correspondance de ce jeune soldat, venu d'un petit village de la métropole, et qui faisait participer sa famille à sa vie en Algérie en 1906 et 1907. Cette entrée de l'hôpital ne dit rien, n'annonce nullement le merveilleux établissement qui se trouva à l'intérieur (carte n°5) Mais quelques annotations pleines de charme nous situent bien l'Hôpital du Dey:
"
C'est ici le Boulevard de Champagne. En le remontant dans le sens marqué
par la flèche, environ deux ou 300 mètres (la longueur du bourg de Pleury),
on arrive à la maison où j'occupe une chambre. Cette rue est tout au long
bordée d'arbres que je crois être des ficus (caoutchouc) comme à gauche
(carte n°5) Suivons le marin de la carte (carte n°6), à droite des bananiers aux larges feuilles s'intercallant entre des orangers tous blancs de fleurs largement épanouies et agréablement parfumées ; à gauche, un terrain rocailleux et inculte soutenu par des pans de rocher ou un mur que masquent des plantes grimpantes (ronces, lierre, rosiers, etc...) et que décorent des pilastres en brique supportant chacune un vase en terre cuite dans lequel pousse un aloès cultivé (jaune et vert)....
Le fumoir
(carte n°7) L'Hôpital
est en amphitéâtre : une allée de bambous et de palmiers au milieu
des jardins, un escalier monumental aboutissant à une vaste cour fermée
de bâtiments ; au fond, la chapelle de la terrasse de laquelle on
domine l'ensemble et l'infini de la mer (cartes n°8 et 8bis) Cela paraît, comme je l'ai écrit à quelqu'un, plutôt un paradis terrestre qu'un asile de souffrance.
C'est pourtant ce qu'a été l'Hôpital du Dey à sa création en 1832 : Neufs baraques construites dans les jardins autour du pavillon du Dey, rapidement remplacées par des constructions en dur. Dès 1833, Baudens jeune chirurgien militaire de 26 ans, réussit à l'organiser en "Hôpital Militaire d'Instruction", persuadé du rôle de l'enseignement médical autant à l'usage de l'Armée d'Afrique que l'Action civilisatrice de la France auprès des populations locales (il n'existait en France d'Hôpitaux d'Instruction militaires qu'à Paris, Metz, Strasbourg et Lille). Mais l'Hôpital d'instruction n'eut qu'une brève existence, avec sa suppression par Clauzel en 1836 et sa transformation en simple hôpital militaire et de peuplement. La nécessité d'organiser recrutement et formation de médecins et pharmaciens s'avérant de plus en plus nécessaire, le Maréchal Randon confia en 1852 cette tâche expériementale à Bertherand, lui aussi médecin à l'Hôpital du Dey. L'Ecole préparatoire de Médecine et Pharmacie est créée en 1857. C'est aussi à l'Hôpital du Dey qu'en 1891 fut fondé le premier laboratoire de bactériologie de l'Armée (Cf correspondance et carte n°2) par le médecin aide-major H. Vincent. Il étudia sur place la fièvre typhoïde (fléau ravageant l'Algérie à cette époque), ,et aussi les méthodes d'analyse des eaux de boisson, les mesures de colimétrie et l'action des anti-septiques. Ces recherches aboutirent à la mise au point d'un vaccin contre la typhoïde et à la découverte étiologique de la classique angine "de...Vincent". Devenu par la suite Hôpital Maillot, du nom d'un chirurgien militaire qui y exerça, c'est sous ce nom que nous l'avons connu. Le sigle "H. Du Dey" figurait toutefois encore dans les années 1950, sur les T.A. comme indication d'un des terminus de leur ligne.. On retrouve dans les dernières CPSM de cet article l'architecture qui faisait réver notre héros : plafonds, faïences, colonnes de marbre blanc et entrée.
Michèle SALLES-MANIVIT
Bibliographie
Appel à tous Si vous possédez d'autres cartes ou cartes photos de l'Hôpital
du Dey écrites avec une petite écritue élégante et le style que vous reconnaitrez :
prêtez-les moi. |