-----HÉLIOPOLIS
! Ce nom grec (POLIS, ville, HELIOS, du soleil), sonne gaiement comme
une fanfare, la fanfare du soleil dans les grands arbres peuplés
d'oiseaux sous lesquels le village abrite modestement les toits en tuiles
de ses rustiques maisons, dans les vertes prairies où serpentent,
jaseurs, sous leurs humides écailles imbriquées de gemmes
et d'étincelles irisées, les petits canaux dérivés
de l'Hammam-Berda qui vont porter partout, à travers la campagne,
avec la vie, la fraîcheur et la fécondité, la puissance
de leurs eaux, capables de faire mouvoir plusieurs moulins sur leur parcours.
-----Et c'est un charme à nul autre pareil, au sortir des
vastes espaces, où le lentisque, à la tige arborescente,
abondamment feuillue, l'asphodèle, aux petites étoiles blanches
pointillées de jaune, le myrte, les ronces enfin de toute espèces
s'enchevêtrent, s'enlacent à qui mieux mieux comme pour barrer
le passage au colon artisan du progrès, c'est un plaisir bien doux
et réconfortant que d'arrêter ses yeux sur l'oasis formée,
au haut d'une colline, au beau travers de la route uniformément
blanche et poussiéreuse de Guelma à Bône, par le village
le plus réputé des environs de Guelma en le bel écrin
de velours vert, où il semble avoir été posé
par la main magicienne d'une fée pour être le joyau, petit,
mais si précieux ! de toute la magnifique vallée de la Seybouse.
EN SOUVENIR DE KLÉBER
-----Héliopolis
! Ce nom résonne aussi comme un bruit de fanfare guerrière,
car il fut destiné - ironique flatterie d'alors - au moment de
la fondation du village, en 1848, à rappeler au neveu cette merveilleuse
épopée de la campagne de l'oncle en Egypte où, près
du temple d'Héliopolis, Kléber, dans tout l'éclat
de sa naissante gloire, décimait, vers l'an 1800, un corps entier
de mamelucks.
-----Héliopolis, les Pyramides, le Caire, Alexandrie ont
trouvé en ce coin verdoyant de nature un cadre doré fait
à souhait pour rehausser le souvenir des exploits accomplis par
l'armée française sous le brûlant soleil d'Afrique.
Le village en est fier aussi, puisqu'il a donné à certaines
de ses rues quelques?uns des noms de ces beaux faits d'armes français,
pour bien prouver que l'âme de la patrie vibre toujours en ces colons,
éloignés, mais qui se souviennent.
-----Mollement étendu sur le penchant d'un coteau avec ses
maisons, soit alignées sur les bords de la grande route départementale
de Bône à Guelma qui le traverse au bas du coteau sur toute
sa longueur, soit égrenées çà et là
le long des rues parallèles ou perpendiculaires à cette
route, par des ressauts de terrain pittoresques et rustiques autour des
jardins, qui déploient leur magnificence à l'extrémité
orientale du village, celui-ci, au milieu de sa splendide végétation,
du murmure continu des eaux coulant au travers, à gros bouillons
comme si elles avaient hâte d'accomplir leur oeuvre de fécondité,
rappelerait à s'y méprendre un de ces bons gros village
du Midi de la France, n'était par ci, par là, la présence
d'un burnous indigène piquant de sa blancheur exotique le vert
cru des prés, tandis que la teinte vermeille, dorée et violette
à la fois du clair obscur des ombrages, provoque une sensation
suave de fraîcheur quand on songe surtout quel dur pays de soif
et de soleil vous enserre de toutes parts au?delà des limites étroites
de ce ravissant séjour.
-----Mais, chut ! n'entendez-vous pas ? . , ne sommes-nous pas
en Suisse ? Voici que l'on corne au lointain comme un mélancolique
"ranz" des vaches ainsi qu'aux cantons légendaires où
Tell mourut pour la liberté. C'est l'appel des troupeaux ; et boeufs
et vaches de dévaler en foule de tous les coins du village, aux
sons de la corne, flanqués de leurs veaux comme les chèvres
de leurs cabris, les uns trottinant drôlement à pas menus,
les autres gambadant en agitant leur soupçon de queue, car c'est
l'heure du pâturage, et tout le bétail des habitants s'y
rend sous la conduite de quelques bergers communaux.
-----Les troupeaux partis, les colons s'en vont aux champs, qui
cultiver sa terre, qui soigner sa vigne, les autres à leurs jardins,
tous entretenus avec un soin jaloux par une population laborieuse et persévérante
qui a réussi, à force d'efforts intelligents, par une irrigation
sagement comprise, à obtenir de ce terrain, si inculte avant l'occupation
française, des produits vraiment remarquables, comme entre autres,
les fraises, d'un revenu annuel moyen de 8 000 francs au bas mot, sans
compter les autres fruits et légumes dont les qualités,
supérieures pour l'Algérie, sont particulièrement
appréciées à Constantine ainsi qu'à Bône
et à Guelma, où les colons vont les vendre.
GRÂCE À
L'IRRIGATION
-----L'irrigation
! voilà tout le secret de la fécondité exceptionnelle
de cette terre de contexture géologique analogue cependant à
celle de tout le reste du bassin de la Seybouse, de la rive gauche de
laquelle Héliopolis est éloigné de deux kilomètres
à peine.
Elle a accompli des merveilles, cette irrigation, en ce coin de nature
vraiment surprenant, lorsqu'on arrive surtout de l'intérieur du
département, où peu de centres de colonisation ont aussi
vite et aussi bien prospéré.
-----En 1848, un simple miroitier, M. François-Marc Lavie,
venu de Belfort pour installer son industrie en Algérie, et dont
la nombreuse et honorable famille détient aujourd'hui une des plus
importantes industries algériennes, conçut l'idée
éminemment pratique d'utiliser les eaux de la source d'Hammam-Berda
(bains du bât) au point où celles-ci, quand elles sourdent,
en bouillonnant presque, des entrailles de la terre, vont emprunter le
lit de l'oued-Sba et se mélangent à ce ruisseau pour descendre
la côte qui les sépare de la Seybouse, où les deux
cours d'eaux réunis vont se jeter.
-----Ce qu'un de ses frères, plus heureux, réalisa
plus facilement en utilisant les chutes naturelles du Rhummel, à
Constantine, M. François Lavie, par son intelligence, son labeur,
son opiniâtreté, le mena à bonne fin aussi à
Héliopolis en pratiquant un canal de 1 500 mètres destiné
à amener les eaux de la source chaude d'Hammam-Berda à travers
sa propriété, acquise en 1855, jusqu'aux usines construites
par lui et qui se subdivisent encore aujourd'hui en trois groupes principaux
de bâtiments : le "Moulin Neuf" ; actionné par
une chute de 50 à 60 mètres et fournissant un débit
de 80 litres à la seconde environ suffisant pour entraîner
une roue de 7 à 8 mètres de diamètre mettant en mouvement
les paires de meules et toutes les nombreuses machines qui trient, lavent,
concassent, préparent enfin le grain avant qu'il ne passe sous
les meules, au blutoir et dans tous les appareils d'où le grain
de blé dur primitif sort à l'état de son, de gruau,
de semoules de finesses diverses et de farines de qualités aussi
variées. Un peu plus loin s'élève le "Moulin
Vieux", le premier construit, au milieu d'un paysage charmant, entouré,
vers le ravin de l'Oued-Sba, par de ravissants bocages où, sous
une douce lumière, agréablement tamisée par d'épais
feuillages, lianes, convolvulus, liserons s'élancent d'un tronc
d'arbre à l'autre en tressant de vertes escarpolettes enguirlandées
de fleurs et de feuilles, où se balance toute la gent ailée
qui fait retentir l'air embaumé de son ramage. Enfin, dans un encaissement
du ravin, adorablement tait pour y goûter les joies rustiques de
la campagne, à 300 mètres environ en contre-bas du village,
se trouve le troisième moulir destiné à la mouture
arabe et qui, lui, est actionné par une roue comme le premier,
tandis que le second l'est par une turbine. En y ajoutant un moulin à
huile, situé un peu plus loin dans la campagne, nous aurons énuméré
tous les moulins de la minoterie Lavie, la plus importante du bassin de
la Seybouse. La plupart de ces moulins sont installés pour marcher
à la vapeur en prévision des années de sécheresse,
où l'eau peut tout juste suffire à la consommation locale.
-----Outre
les moulins Lavie, déjà nombreux comme on voit, le canal
de dérivation du Hammam-Berda, après avoir traversé
le village et les jardins dont chaque propriétaire, à jours
fixes et conformément à un règlement, utilise les
eaux, ce canal s'en va, plus bas, au-dessous du village, du côté
de Guelma, mettre en mouvement les moulins à huile et à
façon des frères Guiraud qui exploitent, sur une superficie
de plus de 200 hectares, un des plus importants domaines de la contrée
en vignes, céréales, vergers et potagers, dont le créateur,
M. Guiraud père, un ancien capitaine de vaisseau, occupa, dans
la régence de Tunis, d'importantes fonctions aux premiers temps
de la conquête de l'Algérie. A un kilomètre du village,
toujours sur la rive gauche de la Seybouse, se trouve en dernier lieu
l'ancien moulin Devaux, devenu aujourd'hui la propriété
de M. Chuchana, banquier à Guelma.
-----Tous ces moulins placés sur les rives de l'Oued-Sba
canalisé sont reliés, de l'une à l'autre rive, par
des ponts, soit en pierre, soit en fer ou en bois. Ils ne contribuent
pas peu, par le nombreux personnel qu'ils emploient, surtout les moulins
Lavie, à communiquer partout ici un mouvement, inusité pour
un village, d'activité et d'industrie. C'est à juste titre
aussi qu'on les considère comme une des providences de cette région
privilégiée, si favorisée déjà par
la nature.
-----Les eaux du Hammam-Berda n'ont pas d'ailleurs, pour unique
fonction, d'entretenir la richesse et la prospérité d'Héliopolis
par l'utilisation de leur puissance et par leurs fécondes irrigations,
elles ont aussi des propriétés thérapeutiques qui,
de tout temps, les ont fait estimer aussi bien des indigènes, qu'on
voit fréquemment s'y baigner, que des anciens et pratiques dominateurs
du pays, les Romains, qui ont laissé, par de nombreux vestiges
de bassins, piscines, ruines diverses éparses çà
et là dans la campagne, des traces indéniables de leur établissement.
-----Riches en carbonates et quelque peu alcalines et ferrugineuses,
quoique n'ayant pas les propriétés incrustantes des eaux
d'Hammam-Meskoutine, elles sourdent cependant à une température
déjà assez élevée (30 à 35°) à
laquelle elles doivent, en hiver, de répandre de légères
buées sur tout leur parcours. A leur origine, en contrebas de la
route de Guelma à Bône, à deux kilomètres en
amont du village, on les voit sortir à petits bouillons dans un
vaste bassin circulaire de 20 mètres de diamètre de construction
romaine, sous les ombrages frais et rustiques d'oliviers centenaires qui
le ceinturent de leur feuillage argenté, où lierres et viomes
s'entrelacent pittoresquement en de gracieuses courtines de verdure. On
prétend que cette source a des communications souterraines avec
Hammam-Meskoutine ; mais rien n'est moins certain avec les bizarreries
dont la nature est parfois coutumière. Quoi qu'il en soit, les
eaux d'Hammam-Berda, par leurs qualités intrinsèques comme
la beauté du site enchanteur où la nature les a placées,
justifieraient la création d'une station thermale à Héliopolis,
si, depuis longtemps, les ruines romaines relevées dans les environs
ne suffisaient à prouver la vogue et la renommée dont ce
petit pays devait à coup sûr jouir dans l'Antiquité.
-----Nous l'avons dit, la richesse d'Héliopolis ne se borne
pas à son industrie meunière. Les pampres vermeils, qui
recouvrent ses coteaux sur une grande étendue du territoire de
sa commune, dont la superficie totale de 7 200 hectares contient 500 hectares
de vignes, produisent un excellent vin, très réputé
même en France, atteignant une production annuelle de 15 000 hectolitres
vendus, année moyenne, de 25 à 30 francs et, bonne année,
de 35 à 40 francs l'hecto.
-----Si nous y ajoutons les céréales qui occupent
825 hectares, les prairies naturelles et les quelques essais de prairies
artificielles qui figurent pour 945 hectares, ainsi que les forêts
enfin, dont la superficie n'est pas inférieure à 4 830 hectares
et où pourraient être exploités des chênes-lièges
et zéens, on aura une certaine idée des ressources naturelles
qu'offre encore à la colonisation ce beau pays, dont la population
totale s'élève à 2 578 habitants, parmi lesquels
les Français sont au nombre de 484, les étrangers de 115,
et les indigènes de 1979 individus.
-----Parmi les exploitations agricoles les mieux entretenues et
les plus importantes on peut citer celles de MM. Berbach, Besson, Boujol,
Burine, veuve Baux, Catala, Chabannes, Duché, veuve Dumont, Gaudou,
Graf, Génisson, Larène, Nicolas, Perrin, Piquemal, Puech,
Saurat, Serres, Pierre Sereno, Valette, Valibouze.
-----Sur la route de Guelma, la Seybouse, qui sépare la
commune d'Héliopolis de celle de Guelma au sud, à deux kilomètres
du village, éloigné de son chef-lieu d'arrondissement de
sept kilomètres, est franchie par un pont métallique très
solide.
-----A l'industrie meunière on doit joindre l'industrie
vinicole qui a établi, dans le village même quelques caves,
dont la plus importante et la mieux outillée, suivant les progrès
de la science oenologique moderne, est sans conteste la cave du domaine
Cocquebet et Cie, de Paris.
-----Nous aurons presque tout dit enfin en signalant les gîtes
métallifères de plomb argentifère du Bou-Zitoun,
une petite montagne de la commune, dont la compagnie de la Vieille-Montagne
s'est fait concéder le droit d'exploitation.
-----Au-dessus du village, après avoir franchi une petite
tranchée située à l'extrémité de la
rue des Pyramides, derrière l'église, un admirable panorama
se déroule embrassant toute la campagne d'Héliopolis, de
Guelma et de Kellermann, jusqu'aux cimes abruptes du Djebel-Debbah, du
Taya et de la Mahouna qui festonnent l'horizon d'arabesques originales
ou de groupes suggérant des dos de bêtes ou de monstres,
tandis que, plus près, les vignes, les oliviers, les cactus, avec
leurs raquettes épineuses, les aloès, avec leurs glauques
panoplies de lames de sabre érigées vers le ciel, jettent
une agréable diversité sur la monotone et vaste étendue
des terres cultivées ou en friche. Eclairé de teintes variant
depuis les tendres nuances de l'aurore, en passant par l'éblouissant
prestige du soleil de midi, jusqu'aux si mélancoliques clartés,
que le crépuscule a vite fait ici de dissiper dans le velours noir
paré de gemmes de la nuit, il n'est pas de tableau comparable pour
charmer en même temps l'oeil et l'imagination, et c'est à
regret que l'on voit la nuit étendre son uniforme manteau sur toutes
ces beautés, si harmonieuses encore en leur diversité.
Yvette Martinez-Borg
Association Guelma 89
Rue a.B. Lulli
66350 Toulouges
Tél 68 56 42 28
L'Association regroupe les familles de Guelma et villages environnants
(Petit,Millesimo, Kellerman, Héliopolis, Ain Régada, Oued
Zenati, Gounod, Duvivier, Sedrata). Beaucoup de souvenirs ont été
collectés pour notre Mémoire collective. N'hésitez
pas à nous contacter.
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