La hausse sans précédent des hydrocarbures,
la flambée du prix du baril de pétrole m'a incité
(note du site: Jean-Marc LABOULBENE, président de l'association)
à écrire une petite histoire non technique du pétrole
français, accessible à tous.
Dès 1952, les promesses d'hydrocarbures gazeux s'annoncèrent
au M'ZAB et se transformeront en réalité à HASSI-R'MEL,
gigantesque réservoir de gaz naturel. En plein SAHARA, en 1954,
BERGA laissa échapper son gaz un peu lointain pour être exploité
immédiatement. Enfin, en 1956, coup sur coup, ce fut le pétrole
d'HASSI - MESSAOUD et celui d'EDJELEH. Triomphe posthume du géologue
CONRAD KILIAN, que la presse découvrit tout à coup. Ces
découvertes en pleine guerre d'Algérie donnèrent
un aspect différent au combat et eurent un retentissement mondial.
Elles causèrent une vive inquiétude aux pétroliers
américains redoutant de voir un marché pétrolier
à la porte de l'Europe Occidentale qui la soustrairait aux importations
de leurs sociétés. Parallèlement, l'Union Soviétique
bâtissait une stratégie arabo-pétrolière depuis
1954 avec l'aide de l'Egypte, évadée de la tutelle britanique.
Le CANAL DE SUEZ enlevé au contrôle anglais, les pipe-lines
transdésertiques du Moyen Orient aux mains des amis musulmans de
l'Egypte, une évidence s'installait dans des cerveaux réalistes
: si l'Europe Occidentale sur-motorisée, dépendante à
plus de 95 % du pétrole arabe, voyait son ravitaillement en pétrole
coupé, elle pouvait être vaincue sans tirer un coup de fusil.
Pas de pétrole, moteurs inertes, usines fermées, chômage,
troubles sociaux ... Avec le pétrole saharien qui eût permis
à l'Europe d'échapper à l'exclusivité des
fournisseurs du Moyen Orient et d'Amérique, tout le plan soviéto-arabe
risquait de devenir caduc.
Alors, l'aide soviétique aux rebelles algériens s'amplifia
pour prolonger le tentacule moyen-oriental vers l'Afrique du Nord. Pour
des causes différentes et prenant des prétextes sensibilisant
l'opinion (la décolonisation), la rébellion bénéficia
des appuis américain et soviétique. Le détail n'entre
pas dans notre narration, mais des presssions scandaleuses s'exercèrent
sur le gouvernement français pour faire admettre la STANDARD OIL
sur les périmètres de recherches sahariens.
L'aventure saharienne a fait naître autour des puits une nouvelle
race d'hommes : les pétroliers. Des hommes rudes, enthousiastes,
fiers de leur métier et qui ont un peu le sentiment d'être
des héros. Les gars du pétrole ont découvert ce qui
manque souvent à la jeunesse pour lui permettre de s'accomplir
: une grande et noble tâche.
Triés sur le volet pour leur compétence mais aussi pour
leur résistance physique, leur valeur morale, les pétroliers
savent résister aux épreuves de la solitude et de la vie
communautaire. Moyenne d'âge des pétroliers : vingt cinq
ans. A HASSI-MESSAOUD un centralien de vingt neuf ans est le patron de
la zone dévolue à la S.N. REPAL. Un homme de quarante ans
" sur le plus grand chantier du monde " est presque un phénomène
que l'on montre du doigt.
Très vite, HASSI-MESSAOUD et ses abords deviennent, à cinq
heures de Paris, un nouveau FAR WEST, c'est le miracle.
Sur le site d'HASSI-MESSAOUD, la sonde attaque d'abord, entre la côte
0 et - 250 mètres, des sables et du gravier. Puis, plus bas, elle
pénètre dans des calcaires francs avant d'aborder une formation
gréseuse et gréso-argileuse qui recèle le réservoir
aquifère principal du Sahara, le fameux " Albien " des
hydrauliciens, dont nous venons de parler.
Jour après jour, semaine après semaine, mois après
mois, la progression se poursuit au travers des diverses qualités
des couches du sol rencontrés : -1800 mètres, - 2000 mètres,
rien, on ne rencontre rien. Jusqu'à -2700 mètres, l'outil
traverse la jurassique composé en majeure partie de calcaire et
de dolomie. Puis il aborde une couche de sel de 700 à 800 mètres
d'épaisseur. Les gars de la REPAL ne le savent pas encore, mais
touchent au but à HASSI-MESSAOUD. Cette couche de sel, c'est le
toit du réservoir Pétrolier qu'ils recherchent, la "
couverture " pour employer le terme technique. Il est temps. Le découragement,
la lassitude ont gagné les foreurs. Mieux la décision d'abandonner
l'emplacement vient d'être prise. " Il me reste encore trente
mètres de tiges. Je vais encore les balancer au fond. Après
on stoppera ", décide le chef de poste. Bien lui en prend.
Le drain destiné à saigner la ruche pétrolifère
s'enfonce un peu plus profond. Et bientôt, on sort du puit une carotte
prometteuse.
Le " carottage " est une des opérations les plus importantes
du forage. De la carotte que l'on vient de remonter et que le géologue
examine, se dégage l'odeur âcre et délicieuse de l'huile
convoitée.
Jamais encore un test aussi intéressant n'avait
été obtenu en Afrique du Nord. A la surface, c'est l'euphorie.
La progression se poursuit, jusqu'à ce 15 Juin 1956... Il fait
50 degrés à l'ombre. On procède au troisième
test de " MD1 ". Soudain, une bouffée de gaz monte à
la surface. C'est le " flash ", comme l'appellent les pétroliers.
Un peu l'équivalent du coup de grisou, le chef de poste, torse
nu, Jean RIEMER a eu la présence d'esprit de se précipiter
et d'arrêter le diesel du moteur de sonde, mais il est gravement
brûlé ainsi que les quatre rough-necks qui l'entourent. Quand
l'heure est venue de s'occuper des brûlés, on constate qu'ils
sont atteints au premier degré, mais plus ou moins sévèrement.
Après évacuation sur l'hôpital d'Alger, tandis que
ses camarades se remettent de leurs blessures, l'état de Jean RIEMER
s'aggrave. Bientôt, les médecins désespèrent
de le sauver. Quinze jours après l'accident, il succombe.
A HASSI-MESSAOUD, c'est la consternation. En hommage, à leur camarade
disparu, les gars du pétrole en deuil débaptisent "
MD1 " qui devient le puits " Jean RIEMER ". Les tests qui
suivent confirment l'importance de la découverte d'HASSI-MESSAOUD.
D'autres puits sont forés autour de MD I , au total, en 1961, une
centaine de puits productifs sont exploités par la S.N. REPAL et
par la C.F.P.A. sur le champ d'HASSI-MESSAOUD.
Production : 1 208 000 tonnes en 1959, 6 562 000 tonnes en 1960, 8 200
000 tonnes en 1961.
La deuxième épopée des conquérants du désert
commence le 7 Janvier 1958, au moment précis où les vannes
des citernes de stockage d'HASSI-MESSAOUD s'ouvrent sans cérémonie
: pour la première fois depuis qu'il a jailli des entrailles de
la terre, le pétrole coule dans le pipe-line provisoire qui le
conduira, après un voyage de 180 kilomètres, jusqu'à
TOUGGOURT, lieu de transit pour la métropole. Ainsi le miracle
s'est produit , l'étendue de la nappe délimitée dépasse
déjà 800 km2. Les prévisions raisonnables des techniciens
laissent espérer une production annuelle de 5 millions de tonnes
à la fin de l'année 1959, de 9,5 millions de tonnes en 1960
pour atteindre 14 millions de tonnes en 1962. Mais si tous les forages
se révèlent productifs, c'est un gisement d'une richesse
comparable à ceux du Moyen-Orient que la France aura découvert
dans son désert africain. Certains annonçaient que le milliard
de tonnes pourrait être dépassé ! De quoi satisfaire
les besoins de la métropole jusqu'en 1980 environ...
Pour l'heure, HASSI-MESSAOUD compte 1500 habitants. Un
Père Blanc venu de TOUGGOURT y bâtit une chapelle et douze
commerçants, attendent de s'installer le long de la grande rocade
asphaltée que l'on construit à cadence accélérée
avec des moyens modernes. En attendant celle-ci, par la piste, en partie
goudronnée, les routiers ont amené, en un temps record,
les 700 cabines alimentées qui équipent les bases des deux
sociétés. Les deux quartiers de la ville sont distants d'une
quinzaine de kilomètres.
S.N.REPAL, c'est la série des MD, C.F.P.A., celle des OM. A mi-chemin,
le centre administratif dresse ses bâtiments. Entre le poste de
gendarmerie et la centrale électrique, la section administrative
spécialisée, installée en juillet 1957, fait office
de mairie. Presque chaque jour, un avion se pose sur l'un des deux aérodromes
de l'endroit ou en décolle. Poétiquement, les pétroliers
de la C.F.P.A. ont baptisé leur camp " maison- verte ".
Leur base présente un aspect fini, spectaculaire, qui ne laisse
jamais d'étonner. Maison-verte, village modèle, possède
son jardin public, sa piscine, sa salle de spectacle, ses cafés,
son bureau de poste, son kiosque à journaux.
Ici, on a reconstitué un village de France, avec son dédale
de ruelles, ses boutiques, son bureau des P.T.T., son poste de police,
sa boulangerie équipée d'un four électrique. On mange
du pain frais tous les jours au milieu du désert !...
Mais pour l'heure, dans l'Algérie en guerre, la réussite
c'est d'amener à bon port cet or noir menacé par les fellaghas.
" Le pétrole passera ", à promis le ministre Max
LEJEUNE, mais à quel prix. Le 8 Janvier 1958, à TOUGGOURT,
le ministre saluera le départ vers la côte méditerranéenne
du premier pétrole extrait du SAHARA. La réussite est là
qui étonne et émerveille le monde, déclare-t-il.
Dans quelques années, la France sera la troisième grande
puissance mondiale après les Etats-Unis et l'Union Soviétique.
A la veille de l'indépendance, 20 200 000 tonnes ont été
extraites et évacuées. De plus, le " pipe " HASSI-R'MEL
- ARZEW, près d'Oran, a charrié 138 millions de mètres
cubes de gaz, résultats remarquables. Géologues et soudeurs
ont atteint dans leurs recherches une précision sans précédent.
Les chiffres qui précédent démontrent que les richesses
sahariennes demeurent, à la veille de l'indépendance de
l'Algérie, entre les mains des Français qui les ont fait
surgir. Signés en Mars 1962, les accords d'Evian, qui définissaient
les droits de chacun des partenaires de l'Algérie nouvelle, visaient
à apaiser ceux qui redoutaient que la France ne se trouvât
privée, d'un trait de plume, du fruit des recherches et des efforts
de ses pétroliers. Autour du " pétrole de la concorde
", la France allait donc poursuivre, aux côtés des algériens,
une oeuvre qu'elle avait jusque là menée avec brio.
Mais pouvait-on croire que la jeune Algérie si jalouse de son indépendance
accepterait longtemps le principe de la co-souveraineté sur la
richesse principale ?
Très vite les Algériens demanderont que soient réexaminées
les clauses des accords de 1962 concernant l'or noir du Sahara, sa production,
son écoulement.
En 1965, des nouvelles dispositions amoindrissent la part de la France.
Dès lors, les français vont voir leurs positions se réduire
sous les poussées répétées de leur partenaire
: c'est la fixation par Alger du prix de référence fiscal
applicable pour les exercices 1969 et 1970 ; c'est la notification d'un
redressement pour la même période ; c'est la nationalisation
partielle des actifs de L.E.R.A.P. Les mesures prises unilatéralement
par le régime du Colonel BOUMEDIENE ne peuvent, c'est évident,
que déboucher sur l'algérianisation des richesses pétrolières.
Le pas sera franchi en 1971 quand Alger dénoncera " l'association
coopérative " franco-algérienne en matière de
pétrole et prendra le contrôle majoritaire au sein des compagnies
pétrolières françaises.
Nationalisation partielle qui s'accompagnera d'une nationalisation totale
du réseau des pipe-lines et du gaz.
D'autres hommes, les Algériens formés à l'école
du pétrole français, continueront vaille que vaille à
extraire l'or noir des sables. La plupart de ceux qui ont vécu
la grande aventure des années 50 vont quitter ce morceau de désert
où ils ont passé les plus belles années de leur jeunesse.
Mais à présent, c'est évident, la France va devoir
céder sa place.
Jean-Marc LABOULBENE
Bibliographie
- La France contemporaine " la guerre d'Algérie " Editions
J. Tallandier - 1978
- L'aventure du pétrole français - Pierre Fontaine - Editions
Les sept couleurs - 1967
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