Hassi-Messaoud : Naissance d'une capitale
extrait de AFN-collections, n°56, juillet 2008
Bulletin de liaison de l'amicale des collectionneurs d'Afrique du Nord.


+ à la suite du texte, quelques remarques de Christian Ripoll
sur site le 22-8-2008

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La hausse sans précédent des hydrocarbures, la flambée du prix du baril de pétrole m'a incité (note du site: Jean-Marc LABOULBENE, président de l'association) à écrire une petite histoire non technique du pétrole français, accessible à tous.

Dès 1952, les promesses d'hydrocarbures gazeux s'annoncèrent au M'ZAB et se transformeront en réalité à HASSI-R'MEL, gigantesque réservoir de gaz naturel. En plein SAHARA, en 1954, BERGA laissa échapper son gaz un peu lointain pour être exploité immédiatement. Enfin, en 1956, coup sur coup, ce fut le pétrole d'HASSI - MESSAOUD et celui d'EDJELEH. Triomphe posthume du géologue CONRAD KILIAN, que la presse découvrit tout à coup. Ces découvertes en pleine guerre d'Algérie donnèrent un aspect différent au combat et eurent un retentissement mondial. Elles causèrent une vive inquiétude aux pétroliers américains redoutant de voir un marché pétrolier à la porte de l'Europe Occidentale qui la soustrairait aux importations de leurs sociétés. Parallèlement, l'Union Soviétique bâtissait une stratégie arabo-pétrolière depuis 1954 avec l'aide de l'Egypte, évadée de la tutelle britanique. Le CANAL DE SUEZ enlevé au contrôle anglais, les pipe-lines transdésertiques du Moyen Orient aux mains des amis musulmans de l'Egypte, une évidence s'installait dans des cerveaux réalistes : si l'Europe Occidentale sur-motorisée, dépendante à plus de 95 % du pétrole arabe, voyait son ravitaillement en pétrole coupé, elle pouvait être vaincue sans tirer un coup de fusil. Pas de pétrole, moteurs inertes, usines fermées, chômage, troubles sociaux ... Avec le pétrole saharien qui eût permis à l'Europe d'échapper à l'exclusivité des fournisseurs du Moyen Orient et d'Amérique, tout le plan soviéto-arabe risquait de devenir caduc.

Alors, l'aide soviétique aux rebelles algériens s'amplifia pour prolonger le tentacule moyen-oriental vers l'Afrique du Nord. Pour des causes différentes et prenant des prétextes sensibilisant l'opinion (la décolonisation), la rébellion bénéficia des appuis américain et soviétique. Le détail n'entre pas dans notre narration, mais des presssions scandaleuses s'exercèrent sur le gouvernement français pour faire admettre la STANDARD OIL sur les périmètres de recherches sahariens.


L'aventure saharienne a fait naître autour des puits une nouvelle race d'hommes : les pétroliers. Des hommes rudes, enthousiastes, fiers de leur métier et qui ont un peu le sentiment d'être des héros. Les gars du pétrole ont découvert ce qui manque souvent à la jeunesse pour lui permettre de s'accomplir : une grande et noble tâche.

Triés sur le volet pour leur compétence mais aussi pour leur résistance physique, leur valeur morale, les pétroliers savent résister aux épreuves de la solitude et de la vie communautaire. Moyenne d'âge des pétroliers : vingt cinq ans. A HASSI-MESSAOUD un centralien de vingt neuf ans est le patron de la zone dévolue à la S.N. REPAL. Un homme de quarante ans " sur le plus grand chantier du monde " est presque un phénomène que l'on montre du doigt.

Très vite, HASSI-MESSAOUD et ses abords deviennent, à cinq heures de Paris, un nouveau FAR WEST, c'est le miracle.

Sur le site d'HASSI-MESSAOUD, la sonde attaque d'abord, entre la côte 0 et - 250 mètres, des sables et du gravier. Puis, plus bas, elle pénètre dans des calcaires francs avant d'aborder une formation gréseuse et gréso-argileuse qui recèle le réservoir aquifère principal du Sahara, le fameux " Albien " des hydrauliciens, dont nous venons de parler.

Jour après jour, semaine après semaine, mois après mois, la progression se poursuit au travers des diverses qualités des couches du sol rencontrés : -1800 mètres, - 2000 mètres, rien, on ne rencontre rien. Jusqu'à -2700 mètres, l'outil traverse la jurassique composé en majeure partie de calcaire et de dolomie. Puis il aborde une couche de sel de 700 à 800 mètres d'épaisseur. Les gars de la REPAL ne le savent pas encore, mais touchent au but à HASSI-MESSAOUD. Cette couche de sel, c'est le toit du réservoir Pétrolier qu'ils recherchent, la " couverture " pour employer le terme technique. Il est temps. Le découragement, la lassitude ont gagné les foreurs. Mieux la décision d'abandonner l'emplacement vient d'être prise. " Il me reste encore trente mètres de tiges. Je vais encore les balancer au fond. Après on stoppera ", décide le chef de poste. Bien lui en prend. Le drain destiné à saigner la ruche pétrolifère s'enfonce un peu plus profond. Et bientôt, on sort du puit une carotte prometteuse.

Le " carottage " est une des opérations les plus importantes du forage. De la carotte que l'on vient de remonter et que le géologue examine, se dégage l'odeur âcre et délicieuse de l'huile convoitée.

Jamais encore un test aussi intéressant n'avait été obtenu en Afrique du Nord. A la surface, c'est l'euphorie. La progression se poursuit, jusqu'à ce 15 Juin 1956... Il fait 50 degrés à l'ombre. On procède au troisième test de " MD1 ". Soudain, une bouffée de gaz monte à la surface. C'est le " flash ", comme l'appellent les pétroliers. Un peu l'équivalent du coup de grisou, le chef de poste, torse nu, Jean RIEMER a eu la présence d'esprit de se précipiter et d'arrêter le diesel du moteur de sonde, mais il est gravement brûlé ainsi que les quatre rough-necks qui l'entourent. Quand l'heure est venue de s'occuper des brûlés, on constate qu'ils sont atteints au premier degré, mais plus ou moins sévèrement.

Après évacuation sur l'hôpital d'Alger, tandis que ses camarades se remettent de leurs blessures, l'état de Jean RIEMER s'aggrave. Bientôt, les médecins désespèrent de le sauver. Quinze jours après l'accident, il succombe.

A HASSI-MESSAOUD, c'est la consternation. En hommage, à leur camarade disparu, les gars du pétrole en deuil débaptisent " MD1 " qui devient le puits " Jean RIEMER ". Les tests qui suivent confirment l'importance de la découverte d'HASSI-MESSAOUD. D'autres puits sont forés autour de MD I , au total, en 1961, une centaine de puits productifs sont exploités par la S.N. REPAL et par la C.F.P.A. sur le champ d'HASSI-MESSAOUD.

Production : 1 208 000 tonnes en 1959, 6 562 000 tonnes en 1960, 8 200 000 tonnes en 1961.

La deuxième épopée des conquérants du désert commence le 7 Janvier 1958, au moment précis où les vannes des citernes de stockage d'HASSI-MESSAOUD s'ouvrent sans cérémonie : pour la première fois depuis qu'il a jailli des entrailles de la terre, le pétrole coule dans le pipe-line provisoire qui le conduira, après un voyage de 180 kilomètres, jusqu'à TOUGGOURT, lieu de transit pour la métropole. Ainsi le miracle s'est produit , l'étendue de la nappe délimitée dépasse déjà 800 km2. Les prévisions raisonnables des techniciens laissent espérer une production annuelle de 5 millions de tonnes à la fin de l'année 1959, de 9,5 millions de tonnes en 1960 pour atteindre 14 millions de tonnes en 1962. Mais si tous les forages se révèlent productifs, c'est un gisement d'une richesse comparable à ceux du Moyen-Orient que la France aura découvert dans son désert africain. Certains annonçaient que le milliard de tonnes pourrait être dépassé ! De quoi satisfaire les besoins de la métropole jusqu'en 1980 environ...

Pour l'heure, HASSI-MESSAOUD compte 1500 habitants. Un Père Blanc venu de TOUGGOURT y bâtit une chapelle et douze commerçants, attendent de s'installer le long de la grande rocade asphaltée que l'on construit à cadence accélérée avec des moyens modernes. En attendant celle-ci, par la piste, en partie goudronnée, les routiers ont amené, en un temps record, les 700 cabines alimentées qui équipent les bases des deux sociétés. Les deux quartiers de la ville sont distants d'une quinzaine de kilomètres.

S.N.REPAL, c'est la série des MD, C.F.P.A., celle des OM. A mi-chemin, le centre administratif dresse ses bâtiments. Entre le poste de gendarmerie et la centrale électrique, la section administrative spécialisée, installée en juillet 1957, fait office de mairie. Presque chaque jour, un avion se pose sur l'un des deux aérodromes de l'endroit ou en décolle. Poétiquement, les pétroliers de la C.F.P.A. ont baptisé leur camp " maison- verte ". Leur base présente un aspect fini, spectaculaire, qui ne laisse jamais d'étonner. Maison-verte, village modèle, possède son jardin public, sa piscine, sa salle de spectacle, ses cafés, son bureau de poste, son kiosque à journaux.

Ici, on a reconstitué un village de France, avec son dédale de ruelles, ses boutiques, son bureau des P.T.T., son poste de police, sa boulangerie équipée d'un four électrique. On mange du pain frais tous les jours au milieu du désert !...

Mais pour l'heure, dans l'Algérie en guerre, la réussite c'est d'amener à bon port cet or noir menacé par les fellaghas. " Le pétrole passera ", à promis le ministre Max LEJEUNE, mais à quel prix. Le 8 Janvier 1958, à TOUGGOURT, le ministre saluera le départ vers la côte méditerranéenne du premier pétrole extrait du SAHARA. La réussite est là qui étonne et émerveille le monde, déclare-t-il. Dans quelques années, la France sera la troisième grande puissance mondiale après les Etats-Unis et l'Union Soviétique.

A la veille de l'indépendance, 20 200 000 tonnes ont été extraites et évacuées. De plus, le " pipe " HASSI-R'MEL - ARZEW, près d'Oran, a charrié 138 millions de mètres cubes de gaz, résultats remarquables. Géologues et soudeurs ont atteint dans leurs recherches une précision sans précédent.

Les chiffres qui précédent démontrent que les richesses sahariennes demeurent, à la veille de l'indépendance de l'Algérie, entre les mains des Français qui les ont fait surgir. Signés en Mars 1962, les accords d'Evian, qui définissaient les droits de chacun des partenaires de l'Algérie nouvelle, visaient à apaiser ceux qui redoutaient que la France ne se trouvât privée, d'un trait de plume, du fruit des recherches et des efforts de ses pétroliers. Autour du " pétrole de la concorde ", la France allait donc poursuivre, aux côtés des algériens, une oeuvre qu'elle avait jusque là menée avec brio.

Mais pouvait-on croire que la jeune Algérie si jalouse de son indépendance accepterait longtemps le principe de la co-souveraineté sur la richesse principale ?

Très vite les Algériens demanderont que soient réexaminées les clauses des accords de 1962 concernant l'or noir du Sahara, sa production, son écoulement.

En 1965, des nouvelles dispositions amoindrissent la part de la France.

Dès lors, les français vont voir leurs positions se réduire sous les poussées répétées de leur partenaire : c'est la fixation par Alger du prix de référence fiscal applicable pour les exercices 1969 et 1970 ; c'est la notification d'un redressement pour la même période ; c'est la nationalisation partielle des actifs de L.E.R.A.P. Les mesures prises unilatéralement par le régime du Colonel BOUMEDIENE ne peuvent, c'est évident, que déboucher sur l'algérianisation des richesses pétrolières.

Le pas sera franchi en 1971 quand Alger dénoncera " l'association coopérative " franco-algérienne en matière de pétrole et prendra le contrôle majoritaire au sein des compagnies pétrolières françaises.

Nationalisation partielle qui s'accompagnera d'une nationalisation totale du réseau des pipe-lines et du gaz.

D'autres hommes, les Algériens formés à l'école du pétrole français, continueront vaille que vaille à extraire l'or noir des sables. La plupart de ceux qui ont vécu la grande aventure des années 50 vont quitter ce morceau de désert où ils ont passé les plus belles années de leur jeunesse. Mais à présent, c'est évident, la France va devoir céder sa place.

Jean-Marc LABOULBENE

Bibliographie
- La France contemporaine " la guerre d'Algérie " Editions J. Tallandier - 1978
- L'aventure du pétrole français - Pierre Fontaine - Editions Les sept couleurs - 1967

 
De Christian Ripoll (5-9-2008)

Je lis le texte sur Messaoud. Très bien documenté, l'auteur est certainement un pétrolier, et un pétrolier de la CFPA. Moi aussi je suis pétrolier, mais de la SN REPAL, la rivale ! et néanmoins amie, heureusement. J'ai travaillé en début de carrière à Hassi Messaoud, en 1963. Je voudrais faire quelques petites remarques (pas de fond, l'article est très bien).

1
) La découverte de Hassi Messaoud, MD1, a été faite par la Sn Repal, au moment où elle était prête à déposer son bilan ! La mort de Jean Rimmer, d'après ce qui m'a été dit sur place, est un peu différente de ce qu'écrit Laboulène. Une éruption de gaz s'est en effet produite comme décrite, mais Jean Rimmer n'a pas pu arrêter les diesel. Je rappelle qu'un diesel ne fonctionne pas comme un moteur à essence avec un allumage électrique, qu'il suffit de couper pour stopper le moteur. Les diesel ont aspiré le gaz par les entrées d'air, fournissant aux moteurs un combustible qui leur a permis de continuer à tourner, de façon incontrôlable, de plus en plus vite, jusqu'à éclatement de l'un d'eux. C'est de cet éclatement dont a été victime Jean Rimmer.

Depuis, tout moteur diesel travaillant dans une zone à risque de gaz a son aspiration d'air équipé d'un clapet qui ferme l'air en cas de survitesse.

2) La description de Maison Verte, la base CFPA (Total) est bien fidèle, mais je m'étonne que l'auteur ne cite pas la base de la SN Repal, la base d'Irahra. C'était pourtant une base très importante, sensiblement plus grande et plus luxueuse que Maison Verte. La Sn repal qui venait de découvrir Hassi Messaoud et Hassi R'Mel était riche, et le montrait de façon certes assez tapageuse dans sa base d'Irahra ! Mais on y vivait fort bien ! Avec entre autres grandiloquences, un cinéma climatisé aussi grand et plus beau que l'Empire, par exemple, et une piscine de dimensions olympiques...

L'ingénieur agronome de la Repal avait crée une "foret" d'eucalyptus et avait réussi des cultures d'agrumes à un km de la base !

Enfin, la piste d'aviation de la Repal était plus longue et plus large que celle de la CFP, balisée la nuit, mieux finie, avec tour de contrôle et tous les équipements dignes d'un aéroport. D'ailleurs, c'est cette piste qui a progressivement capté tout le trafic aérien avec MD, et qui doit toujours être en service actuellement.