sur site le 26/11/2002
-Harkis : le règne des Tyranneaux de Guichet.
pnha n°71, septembre 1996

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-----Ma grand-mère maternelle était messine. Sa famille était de celles qui après l'annexion de la Lorraine par l'Allemagne en 1871 étaient restées sur place. Ne fallait-il pas que certaines s'y révoltent afin de conserver secrètement le pays à la France dans l'espoir un peu fou qu'un jour les armes françaises connaitraient un sort plus favorable. Ce jour vint en 1918 et le retour de la Lorraine annexée à la mère patrie fut officialisé par une clause du Traité de Versailles en 1919. A cette époque l'administration commençait déjà à devenir sérieusement paperassière et il fallait donc organiser l'échange des cartes d'identité allemandes détenues par la population contre des papiers français.
-----Une autre clause du traité de Versailles concernait le sort de la Sarre, importante région industrielle qui passait sous administration française pour 15 ans et devrait ensuite choisir par référendum son appartenance à l'un ou à l'autre pays. II y avait alors à Metz un nombre assez important d'habitants originaires de Sarre qui s'y étaient installés durant l'annexion. Bien que ne parlant guère le français et dans tous les cas avec un accent tudesque prononcé, bon nombre de ces Sarrois décidèrent de demander leurs nouveaux papiers. Pour ces Lorrains de fraîche date, l'échange avait lieu dans les mêmes bureaux et sous le contrôle des mêmes fonctionnaires que pour les familles implantées là depuis toujours.

ÊTRE FRANÇAIS

-----Un phénomène étrange est alors apparu : les Sarrois obtenaient leurs papiers français en quelques jours sur présentation de quelques documents simples du genre extrait de naissance et certificat de domicile. Par contre, les Français de souche étaient obligés de multiplier les démarches, se voyant réclamer à chaque fois de nouveaux justificatifs du genre acte de naissance du grand-père ou acte de mariage de l'arrière-grand-mère.
-----Après avoir supporté quelque temps cette comédie, ma grandmère décida que la plaisanterie avait assez duré et demanda une audience aux autorités en la personne non pas d'un préfet mais, d'un Général-Gouverneur installé par la France pour cette période transitoire. Mon grand-père avait une situation suffisamment assise pour que cette requête ne puisse être refusée. Après les quelques phrases courtoises d'usage dans ce genre d'entretien, le Général s'est aimablement enquis du motif de cette visite.
-Général, répondit ma grand-mère, je suis venue vous demander un conseil. Pensez-vous qu'il soit utile... ou nécessaire... ou même indispensable que mes amis et moi-même, Lorrains de souche, allions nous installer pendant quelques semaines ou quelques mois en Sarre pour pouvoir obtenir nos papiers de Français ?
-----Le Général sursauta. Mais comme la plupart des vrais militaires, il avait le sens de l'humour et demanda des explications. Les gouverneurs ont des pouvoirs étendus et les généraux l'habitude d'être obéis. Le Général-Gouverneur en question a vraisemblablement frappé du poing sur la table : les fonctionnaires en cause ont aussitôt mis une sourdine à leurs exigences stupides et tout est rentré dans l'ordre. Peut-être peut-on penser à leur décharge, qu'ils avaient reçu de quelque chien coiffé de ministère, une directive leur enjoignant de traiter avec la plus grande complaisance les demandes formulées par les Sarrois : ne fallait-il pas préparer sans attendre le futur référendum ?

CELA RECOMMENCE EN 1996

-----Trois quarts de siècle sont passés, mais le règne des tyranneaux n'a pas pris fin pour autant. En ce printemps 1996, il semble bien que l'Administration s'ingénie à compliquer la vie de certains français, très exactement de tous ceux qui ont eu la mauvaise idée de naître en pays étranger. Tirant argument de la multiplication des fraudes et n'ayant pas assez d'imagination pour inventer des méthodes propres à les combattre efficacement, elle a obtenu d'un pouvoir politique trop souvent dépassé par les évènements, d'obliger les malheureux Français natifs de Pernambouc ou Saïgon à fournir un certificat de nationalité française pour n'importe quel dossier de requête, même pour leur état de service militaire.
-----Pour corser les choses et augmenter encore les difficultés de
nos compatriotes on a confié aux Greffiers des Tribunaux d'Instance le soin de délivrer ces certificats. Souvent plus prétentieux que compétents en matière de nationalité, ces honnêtes fonctionnaires s'entourent de toutes les précautions possibles et imaginables. Selon le langage familier bien connu, ils ouvrent en grand le parapluie.

-----C'est ainsi qu'à Rouen, un enfant de supplétif rapatrié s'est vu réclamer successivement 9 documents, alors que la Direction de la Population de Rezé indique que la nationalité française "est de plein droit, sous réserve que les enfants soient mineurs au moment de la déclaration recognitive du père et que la filiation avec lui soit bien établie". Il aurait donc suffi de 4 documents pour cela, mais après 15 mois de démarches répétées, l'intéressé est toujours sans papiers et chose plus grave se trouve, de ce fait sans possibilité de travailler pour gagner sa vie. Une employée du Greffe, montrant par là qu'elle n'avait rien compris, ne lui a-t-elle pas demandé pourquoi il ne formulait pas une demande de réintégration à la Préfecture. A côté de cela, un français de fraîche date, un immigré ayant obtenu sa naturalisation depuis quelques années seulement se verra délivrer un certificat de nationalité sans discussion en quelques jours.
-----Tout se passe donc exactement comme à Metz en 1919. Existe-t-il encore quelque "Général-Gouverneur" capable de mettre fin à ces abus ?
-----Pour remédier à un état des choses qui devient insupportable aussi bien pour les rapatriés que pour les coloniaux et les fonctionnaires de tous grades du ministère des Affaires Etrangères, il suffirait probablement de rendre la responsabilité de la délivrance des certificats aux seuls magistrats et d'accorder aux attestations de nationalité établies par la Direction de la Population installée à Rezé la même valeur probante que celle des certificats de nationalité. On peut espérer qu'alors cessera le règne des tyranneaux de guichet.
-----Les Rapatriés d'origine nord-africaine ayant choisi de conserver la nationalité française et leurs enfants s'étonnent de nouvelles dispositions les obligeant à apporter dans de nombreuses démarches la preuve de leur nationalité. Ils constatent avec colère que le Greffe de Rouen emploie dans la rédaction des certificats une terminologie falsifiante laissant entendre qu'ils n'ont pas toujours été français.
-----Ils élèvent une solennelle protestation contre la constante remise en question du choix fait lors de leur rapatriement conduisant les Greffes à interroger systématiquement la Direction de la Population installée à Rezé et ceci sans que, semble-t-il, les moyens de communication informatique nécessaire n'aient été mis en place. Il en résulte des délais insupportables.
-----Ils dénoncent l'attitude de ce même Greffe qui accueille trop
souvent les demandeurs de façon mal-aimable, exige d'eux la présentation de documents sans rapport avec la nationalité, méconnaît et met en doute la validité de certaines pièces produites, et se réfugie derrière la lenteur des réponses de la Direction de la Population pour tenter de justifier des délais inadmissibles.
-----Ils demandent en conséquence à Monsieur le Premier Ministre de dessaisir les Greffes de cette responsabilité dans les délais les plus brefs pour la rendre aux Magistrats.
-----Ils demandent, en outre, que les attestations de nationalité délivrées par la Direction de la Population, détentrice à Rezé de toutes archives utiles, aient même valeur probante que les certificats auprès de toutes les Administrations.
-----Ils requièrent enfin très respectueusement de Monsieur le Premier Président de la Cour d'Appel de Rouen qu'il prenne toutes les dispositions nécessaires pour qu'un terme soit immédiatement mis aux exigences excessives, aux délais inadmissibles et aux erreurs de terminologie du Greffe du Tribunal d'Instance de Rouen.

X.Camillerapp
Président d'AMFRA

Aide aux Musulmans Français

Repliès d'Algérie
Mairie Annexe des Sapins
Place A. de Musset
76000 Rouen Les Sapins