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site le 7/10/2002
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------À
Bias, Fumel, Fuveau, Jouques, Narbonne, Saint-Laurent-des-Arbres, la révolte
des enfants et petits-enfants de harkis à l'automne 1990 puis pendant
l'été 1991 a rouvert le dossier oublié des anciens
supplétifs de l'armée française et assimilés
qui ont dû quitter l'Algérie, il y a trente ans, en raison
de leurs options pro-françaises pendant la guerre franco-algérienne.
Ils ont agi en revendiquant leur condition de "fils de harkis"
: fils d'une histoire occultée, des deux côtés de' la
Méditerranée, pour des raisons peu glorieuses ; fils aussi
de trente années de maldonne politique qui ont transformé
en assistés ou en révoltés les plus démunis
d'entre eux. LA FABRICATION D'UNE IDENTITÉ Qui sont les harkis ? ------Absence d'archives ou accès difficile aux documents, témoignages contradictoires ou partiaux, chiffres hasardeux, silence des statistiques et des administrations: tout concourt à occulter l'histoire de ceux que l'on appelle indifféremment "Français-Musulmans", "rapatriés d'origine nord-africaine" (RONA), " harkis" ou "supplétifs", si ce n'est "Français rapatriés d'origine islamique" ou "rapatriés d'origine maghrébine"(1). On connaît les raisons de ce silence : le souci de l'Algérie de ne pas rappeler certaines pratiques du FLN pendant la guerre et de faire oublier les massacres de harkis commis après l'indépendance (qui auraient fait, selon les sources, de 30 000 à 150 000 morts) ; la volonté aussi de la France de taire un épisode peu glorieux de son histoire, l'abandon par ses autorités de dizaines de milliers d'anciens supplétifs désarmés, puis son échec à intégrer une partie de ceux d'entre eux qui avaient réussi à se réfugier sur son sol. UNE POPULATION DIFFICILE À NOMMER ------Les Harkis sont, selon l'expression de Mohand Hamoumou, " l'ensemble des personnes, de souche arabe ou berbère, qui ont eu un comportement pro-français durant la guerre d'Algérie, en raison duquel elles ont dû quitter le pays lors de son accession à l'indépendance, en optant alors pour la citoyenneté française"(2) ------Quels qu'en soient les termes, les appellations qui désignent ces populations suscitent des réserves. On sait quelle charge de mépris charrie à l'origine le mot "harkis", ? ce "traître mot", dit Mohand Hamoumou - pourtant communément utilisé, ne serait-ce que par commodité euphonique, alors même que lui "colle à la peau" l'image de l'anti-patriote algérien qui a trahi son pays y compris - c'est un comble ! - dans certains secteurs de l'opinion française. On voit bien que l'expression " Français-Musulmans" n'a guère sa place dans un Etat laïc, d'autant qu'elle renvoie à des réalités coloniales et désigne non pas l'ensemble des Français de confession islamique, mais les seuls harkis et leur familles. Le vocable "rapatriés" est-il plus pertinent, alors que la plupart des harkis n'avaient jamais vécu en France avant leur départ d'Algérie, quand encore ils ne travaillaient pas en France et n'ont donc pas eu à quitter l'Algérie au moment de l'indépendance de ce pays ? Reste le mot de "supplétif"- mais les harkis ne sont tous les supplétifs ni les supplétifs tous Français musulmans... ------Aucun terme, à vrai dire, n'est satisfaisant pour désigner ces Français-Musulmans qui ont quitté l'Algérie pour la France et souscrit une option de nationalité"(3) qui a fait d'eux, en droit, des Français à part entière mais dont certains relèvent qu'ils sont, en pratique, restés des "Français entièrement à part". Cela, malgré les politiques spécifiques dont ils ont fait l'objet, ou plutôt "à cause" d'elles, dans la mesure où elles ont fait écran au droit commun. UNE POPULATION DIFFICILE À CERNER ------La confusion sémantique n'a d'égale que la complexité sociologique à laquelle elle renvoie. Car les harkis ne sont pas un bloc, et ne l'ont jamais été. Se retrouvent, sous ce terme - d'anciens supplétifs algériens de l'armée (ou de la police, voire de l'administration) française ou assimilés : harkis proprement dits, c'est-à-dire membres des " harkas" constituées, dans chaque corps d'armée, à l'échelon du "quartier", recrutés par contrats à durée limitée, armés et soldés mais dont le statut - comme celui des moghaznis et des goumiers - reste un statut civil de droit local, que l'armée française charge d'opérations militaires locales ou de tâches de sécurité territoriale ; moghaznis, également recrutés par contrat mais par les chefs des sections d'administration spécialisées (SAS) et en principe affectés à des tâches civiles d'administration (comptables, infirmiers, radios...) mais utilisés en pratique comme supplétifs de l'armée souvent auprès des officiers de renseignement ; goumiers, volontaires appartenant à de petites unités mobiles, menant des opérations militaires ; membres des groupes d'autodéfense (GAD) |
formés de civils algériens résolus
à défendre leurs familles ou leurs villages, faiblement
armés et non soldés, qui ne sont pas vraiment des supplétifs
; effectifs des groupes mobiles de police rurale (GMPR), rebaptisés
ultérieuremement groupes mobiles de sécurité (GMS),
qui sont plutôt des unités de polices privées que
le temps transforme peu ou prou en supplétifs de l'armée
; soldats algériens engagés volontaires ou appelés
sous les drapeaux français ; anciens des maghzens qui sont des
groupements militaires opérationnels, pour certains de grande taille,
agissant souvent de conserve avec des unités de la légion
(dans les Aurès)... Tous ces "sous-produits
de l'armée française" selon la formule du
Bachaga Boualem, vrais ou vrais-faux supplétifs, se distinguent
d'autant plus difficilement que les individus transitent souvent d'une
catégorie de formation à l'autre et que le cours de la guerre
affecte le statut et les emplois de ces divers corps ; Catherine Wihtol de Wenden, Centre d'études et de recherches internationales (CERI). ------Avec l'aimable autorisation de la Documentation Française Regards sur l'actualité" novembre 1991 (1) Michel Roux, les oubliés de l'histoire |