sur site le 1/03/2002
-À la recherche de l'identité harkie
-----Comme tout être humain, le Harki est doté d'une identité : son physique et son comportement. Cette dualité possède des fondements désormais bien connus grâce aux recherches biologiques:
phna n°48 juillet 1994

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--------Comme tout être humain, le Harki est doté d'une identité : son physique et son comportement. Cette dualité possède des fondements désormais bien connus grâce aux recherches biologiques:
---une continuité totale des formes humaines et des tissus qui ne varie que par des "détails",
---une différenciation dans le comportement due au rôle décisif du cerveau de l'homme.
--------Porter une appréciation sur une communauté est audacieux car aux "détails" transmis par héritage et qui sont des réflexes instinctifs s'ajoutent tous les facteurs ambiants qui conditionnent depuis la naissance
---le territoire avec son climat, ses ressources
---l'environnement familial,
---les influences de voisinage.
--------Examiner superficiellement une identité harkie ne permet aucune définition valable, la dispersion géographique les a conduits dans les sites les plus variés, ceux où une occupation leur était fournie comme le Nord et l'Est dans les milieux industriels et le Midi et le Centre dans des régions forestières. Le niveau éducatif a permis à certains d'accéder à des postes importants dans l'administration, l'éducation, l'armée, le sport et les milieux artistiques.
--------Il existe enfin un lot de défavorisés, les oubliés ; ceux qui, n'ayant pu se réinsérer, poursuivent leurs revendications, tombent dans la dépression ou se mêlent aux grèves d'autres laissés pour compte de la société.
La qualification de harki s'applique à une catégorie d'individus nés en Algérie et ayant vécu là bas une histoire particulière qui est tout à leur honneur et dont leurs enfants ne peuvent qu'être fiers. Leur attitude ne peut à aucun titre être noircie par la qualification de traître à la patrie, pas plus que par celle de vaincus.
--------Le terme même de harki n'a pas été attribué au hasard, il est un véritable symbole d'une identité, celle qui se manifeste parle mouvement et faction. Il faut situer celle-ci dans son contexte disparate, celui de la géographie et des coutumes qui caractérisaient ces hommes et ces femmes : la Kabylie, les Aurès, le Tittéri, les monts de Tlemcen et l'Ouarsenis, les territoires du Sud.
--------C'est dans les régions montagneuses qu'en 1954 s'est manifestée l'action subversive terroriste du F.L.N. C'est là, en effet, que la France était la moins présente, qu'elle avait délégué l'administration à des responsables autochtones : il fallait neutraliser ou convaincre les uns; éliminer les autres. Mais c'est aussi dans ces villages et mechtas reculées que s'étaient retirés avec de modestes revenus, les "baroudeurs" qui avaient participé aux campagnes toutes récentes encore du C.E.F. d'Italie et des campagnes de France et d'Allemagne.
--------Ces hommes courageux, évolués par leur séjour en Europe, entourés d'une auréole de gloire, fiers de leurs décorations gagnées au péril de leur vie, étaient d'ardents patriotes français ; ils ne pouvaient que réagir rapidement et vigoureusement aux attentats meurtriers, aux destructions de tout ce qui représentait la civilisation :voies de communication, écoles. Ils allaient entraîner par leur exemple et leur fidélité beaucoup d'adeptes au sein des jeunes générations.
--------Ainsi, lorsque dans les Aurès, un Caïd et deux instituteurs sont assassinés, qu'ailleurs voies ferrées, fermes, écoles sont détruites, ces hommes constituent sans tarder les groupes d'autodéfense. On leur confie avec réticence et solennité des vieux fusils, pas d'habillement ni de solde mais l' élan est tel qu'en quelques jours le territoire, surtout constantinois, se mobilise. L'armée française en 1954 et 1955, pour sa part, reste sur la défensive, ne faisant que de brèves incursions diurnes. Pendant plus de deux ans, elle tente progressivement de mettre à l'abri les mechtas trop exposées et éloignées, en créant, sous la protection d'un camp militaire bien organisé, de véritables villages, les S.A.S.
--------Les harkis sont toujours là, certains bâtissent, soignent, tracent des pistes, d'autres créent les formations de défense, les Maghzens.
--------Mais les exactions se poursuivent, guerre physique et psychologique, attentats et mutilations se multiplient, les villes elles-mêmes sont gagnées par la rébellion.
--------Alors les harkis, entraînés, sont armés pour prendre une part active aux combats qui ont gagné l'Algérie entière.
--------Des groupes mobiles de gendarmerie, des harkas, des commandos de chasse sont constitués avec des engagés dans l'armée et beaucoup de supplétifs, ils atteignent le chiffre de 150.000 hommes. Dès lors, peu à peu, la victoire change de camp en même temps que la bataille d'Alger est menée par Massu et ses "para", en Algérie l'armée poursuit son oeuvre dont le point d'orgue est le plan Chape. La population civile elle-même toute entière se mobilise pour condamner les massacres décidés par le F.L.N. et s'unit fraternellement lorsque les prisonniers français sont exécutés près du barrage tunisien.
--------Le renouveau est exalté par la création des Comités de Salut Public nés le 13 mai 1958. Les chefs militaires et politiques poussent les Harkis à la lutte, les notables également : un immense espoir est né avec certaines affirmations péremptoires : "tous Français de Dunkerque à Tamanrasset" et dans l'élan ainsi lancé naît, en 1958, la Vè République : l'Algérie est bien dans la France.
--------Celle-ci acclame le Général de Gaulle comme elle ovationne les Harkis descendant les Champs Elysées ; le Bachaga Boualem est acclamé à l'Assemblée Nationale. Le F.L.N. faiblit et le tournant décisif pourrait être pris lors de la demande de reddition dans l'honneur de la Wilaya III de Si Salah et l'accord probable de la Il.
--------Mais l'objectif du Général de Gaulle s'est infléchi, ce n'est pas la victoire militaire qui importe mais une solution politique. Un premier discours propose trois solutions dans la sécession, la deuxième évoque l'Algérie Algérienne. L'armée d'Algérie est alors décapitée : Salan, Massu, Challe sont rappelés et remplacés par des fidèles à la politique algérienne qu'approuve un référendum. Les négociations s'ouvrent, elles aboutissent à ce que l'on appelle "les accords d'Evian" du 19 mars 1962. Avec le cessez-le-feu, c'est l'abandon des Harkis dont il n'est pas fait mention sauf par le biais d'une déclaration générale ou des considérations sur les citoyens de statut civil et de droit local.
--------Là en juin 1962 débute l'immense drame qui marquera pour longtemps chaque Harki et crée entre eux un autre aspect de la fraternité, celui de l'abandon collectif, manquement grave à la parole donnée par le chef des années qui avait été leur idole, mépris des services rendus, oubli des sacrifices consentis, fidélité reniée.
--------Harkas et Maghzens sont immédiatement désarmés et regroupés dans des camps. Un exode comparable à celui des Pieds-Noirs est refusé, le souhait de retrouver sa famille, la promesse du pardon condamne la plus grande partie des Harkis à un sort des plus tragiques, bien analysé par des journalistes comme J. Lacouture ("Le Monde" 13 novembre 1962) et dans les livres consacrés aux Harkis (C. Brière, E. Roux, Titraoui, Moinet...). Néanmoins, ceux qui se sont engagés dans l' armée et ceux qui, déjouant l'interdiction, peuvent suivre leurs chefs directs, gagnent la France, ils sont environ 40.000.

 

-------L'accueil en France les conduit dans des camps, sorte de baraquements qui ont servi à des prisonniers nazis, puis F.L.N. Sans aucun aménagement, loin des villages, l'assistance est réduite au minimum vital. -----------------Heureux ceux qui possèdent encore quelques papiers car les autres, après avoir été maltraités ou emprisonnés, sont dépouillés de tout et ne disposent d'aucune pièce d'identité, aucune attestation de leur passé, ils doivent cependant présenter la demande en règle pour être Français.
-------On conçoit leur désarroi, leur dépression ou, au contraire, leurs mouvements de rébellion contre une administration aveugle et tatillonne. Seules, les âmes fortes et les familles bien conseillées parviennent à ne pas sombrer.
-------Ils seront, au bout d'une dizaine d'années, recasés dans des H.L.M. de banlieue et les mieux lotis réaliseront avec le pécule qui leur est alloué l'achat d'un logement dans l'un des lotissements qui se sont construits aux environs des villes et des villages, ils mènent une vie normale dans des camps harkis, des emplois administratifs ou dans l'armée. Mêlés à la population locale, ils feront bénéficier leurs enfants d'études et d'une éducation susceptible de leur ouvrir les portes de la société et des emplois dans les activités libérales, fonctionnaires, sportives.
-------Mais, nous l'avons vu ici encore, existe le lot des défavorisés qui demeurent des aigris, des récriminateurs et des grévistes qui rejoignent tous ceux d'autres ethnies qui se trouvent dans une situation identique de misère et de chômage.
-------Une telle histoire doit être connue, elle ne vise nullement à susciter pitié ou commisération, mais une grande compréhension susceptible d'atténuer les douleurs. Ces Harkis sont des êtres fiers qui ne se confient guère, ils ont été tellement déçus par les promesses faites et les tromperies qui se sont succédées qu'ils redoutent toute sorte de paternalisme orienté ou politisé.
-------Parmi les préoccupations autres que celles de la vie quotidienne et de l'emploi, l'une des plus vives qui touche les enfants de ces Harkis devenus adultes est la recherche de leurs racines, alors même qu'expatriés, ils demeurent évincés de leur terre ancestrale. Ils sont Algériens, certes, mais d'une souche très particulière dont il est important de retracer la filière.
-------L'Afrique du Nord fait partie de l'un des grands berceaux de l'humanité, remaniée dès les temps les plus anciens par des populations migrantes venues d'autres territoires d'Afrique, d'Asie et d'Europe. Ces protoberbères ont créé avant notre ère les grands royaumes Numides et Berbères avec leurs lois, leurs capitales et déjà une vaste campagne guerrière européenne avec Hannibal.
-------Carthage a de plus profondément marqué le pays en y introduisant les connaissances des mondes hébreux, phéniciens et orientaux.
-------Rome, au cours des 6 siècles suivants, a conquis le pays d'abord d'Est en Ouest, puis en profondeur, édifiant communications et aqueducs, villes et administrations. La civilisation hellénique et romaine gagne Aurès et Ouarsenis, une langue internationale s'installe, des implantations gauloises et romaines se créent, des évêques et des prédicateurs de Rome.
-------Après Vandales et Byzantins, voici la chevauchée des Arabes Oméyades, la ténacité religieuse des Abassides, la ferveur des Rostimides et celle des Almphades et Almoravides créant Tlemcen.
-------Durant 12 siècles, la langue arabe, les moeurs orientales et la religion musulmane s'installent principalement dans les Hauts Plateaux, ce territoire de passage des Ksours où fleurissent ribats et écoles coraniques.
-------Aux connaissances arabes, s'ajoutent la culture persane et celle d'Andalousie à partir des califats de Damas, de Bagdad, du Caire ou de Cordoue.
-------La malédiction des Hilaliens marque le début des guerres répétées entre Berbères marocains et ceux de l'Est africain, l'aboutissement étant la création des royaumes Abdelvadide et Hafside sur la terre algérienne.
-------Cette discorde appelle l'intervention des Barberousse qui, devenus vassaux du Sultan, exploitent la capture des chrétiens et leur vente comme source de commerce, laissant le pays à l'abandon. Alors vient la France avec ses alternatives de ralliements et de combats. Le pays est assaini par le travail des colons et le développement des communications, des techniques, les avancées sociales et culturelles sont illustrées par le titre de l'ouvrage du Berbère Ibazizen "Un bond de mille ans en avant".
-------Malheureusement les masses paysannes et le particularisme berbère qui n'utilisent pas l'écriture ni même la langue arabe, ne bénéficient pas totalement de tous ces bienfaits ; leur niveau économique les oblige à s'expatrier temporairement.
-------Pour les montagnards des Aurès, de Kabylie, du Titteri et des Monts de Tlemcen, les conceptions civiques et sociales inhérentes à l'Islam ont été mal acceptées de tout temps, non plus que la supranationalité arabe et son consensus communautaire et autoritaire.
Bien mieux, l'esprit unificateur de la France publiant ses actes officiels en Français et en Arabe ne pouvait que s'aliéner la tradition berbère. En outre, le souci de laïcisme et de libéralisme a curieusement été la source de l'une des difficultés qui ont émaillé l'histoire de l'Algérie française. Pour chercher à respecter le statut juridique et civique, indissociable du religieux dans l'Islam, fut attribué le qualificatif de Français Musulman à tous les non Chrétiens ou Juifs.
-------Ce malaise juridico politique et religieux a engendré divergences dans la population, les uns entraînés par des leaders nationalistes et les autres attachés aux coutumes et au respect des anciens. Cet éclatement a été jusqu'à diviser les frères d'une même famille, l'un devenant Harki, l'autre F.L.N.
-------En 1954, l'immense pays qu'était l'Algérie jusqu'aux confins du Niger, conservait des îlots berbères. En leur sein, se transmettait encore dans les familles la tradition orale et non écrite, celleci définit les racines véritables de l'identité harkie dont la trame est bien décrite par les ethnologues (Servier).
----La soumission aux décisions collégiales patronnées par l'ancien de la région ou du village, mais en même temps, l'indépendance aux injonctions arbitraires venues de l'extérieur (ex. de la Kahena). Cette fierté berbère a conduit de tous temps à la combativité ;
---- l'honneur à l'engagement choisi, c'est un gage de fidélité mais aussi l'attachement viscéral à l'équité et à la moralité dans les rapports sociaux (révolte de Mokrane 1870, décret Crémieux).
-------Et par-dessus tout une large ouverture d'esprit aux progrès et à la technicité.
L
-------'identité harkie s'est bâtie dans la fraternité des armes suivie de l'engagement de la France et de son armée dans une mission patriotique.
-------Ebranlée par le manquement à l'honneur, elle s'est consolidée dans l'adversité d'un accueil réticent.
-------Elle ressuscite grâce à une meilleure connaissance des valeurs foncières dues à un lointain héritage berbère.

Prof. R. Bourgeon
Pdt. du Cercle Algérianiste de Nice