--------Comme tout
être humain, le Harki est doté d'une identité : son
physique et son comportement. Cette dualité possède des
fondements désormais bien connus grâce aux recherches biologiques:
---une continuité totale des formes humaines et des tissus qui
ne varie que par des "détails",
---une différenciation dans le comportement due au rôle décisif
du cerveau de l'homme.
--------Porter
une appréciation sur une communauté est audacieux car aux
"détails" transmis par héritage et qui sont des
réflexes instinctifs s'ajoutent tous les facteurs ambiants qui
conditionnent depuis la naissance
---le territoire avec son climat, ses ressources
---l'environnement familial,
---les influences de voisinage.
--------Examiner
superficiellement une identité harkie ne permet aucune définition
valable, la dispersion géographique les a conduits dans les sites
les plus variés, ceux où une occupation leur était
fournie comme le Nord et l'Est dans les milieux industriels et le Midi
et le Centre dans des régions forestières. Le niveau éducatif
a permis à certains d'accéder à des postes importants
dans l'administration, l'éducation, l'armée, le sport et
les milieux artistiques.
--------Il
existe enfin un lot de défavorisés, les oubliés ;
ceux qui, n'ayant pu se réinsérer, poursuivent leurs revendications,
tombent dans la dépression ou se mêlent aux grèves
d'autres laissés pour compte de la société.
La qualification de harki s'applique à une catégorie d'individus
nés en Algérie et ayant vécu là bas une histoire
particulière qui est tout à leur honneur et dont leurs enfants
ne peuvent qu'être fiers. Leur attitude ne peut à aucun titre
être noircie par la qualification de traître à la patrie,
pas plus que par celle de vaincus.
--------Le
terme même de harki n'a pas été attribué au
hasard, il est un véritable symbole d'une identité, celle
qui se manifeste parle mouvement et faction. Il faut situer celle-ci dans
son contexte disparate, celui de la géographie et des coutumes
qui caractérisaient ces hommes et ces femmes : la Kabylie, les
Aurès, le Tittéri, les monts de Tlemcen et l'Ouarsenis,
les territoires du Sud.
--------C'est
dans les régions montagneuses qu'en 1954 s'est manifestée
l'action subversive terroriste du F.L.N. C'est là, en effet, que
la France était la moins présente, qu'elle avait délégué
l'administration à des responsables autochtones : il fallait neutraliser
ou convaincre les uns; éliminer les autres. Mais c'est aussi dans
ces villages et mechtas reculées que s'étaient retirés
avec de modestes revenus, les "baroudeurs" qui avaient participé
aux campagnes toutes récentes encore du C.E.F. d'Italie et des
campagnes de France et d'Allemagne.
--------Ces
hommes courageux, évolués par leur séjour en Europe,
entourés d'une auréole de gloire, fiers de leurs décorations
gagnées au péril de leur vie, étaient d'ardents patriotes
français ; ils ne pouvaient que réagir rapidement et vigoureusement
aux attentats meurtriers, aux destructions de tout ce qui représentait
la civilisation :voies de communication, écoles. Ils allaient entraîner
par leur exemple et leur fidélité beaucoup d'adeptes au
sein des jeunes générations.
--------Ainsi,
lorsque dans les Aurès, un Caïd et deux instituteurs sont
assassinés, qu'ailleurs voies ferrées, fermes, écoles
sont détruites, ces hommes constituent sans tarder les groupes
d'autodéfense. On leur confie avec réticence et solennité
des vieux fusils, pas d'habillement ni de solde mais l' élan est
tel qu'en quelques jours le territoire, surtout constantinois, se mobilise.
L'armée française en 1954 et 1955, pour sa part, reste sur
la défensive, ne faisant que de brèves incursions diurnes.
Pendant plus de deux ans, elle tente progressivement de mettre à
l'abri les mechtas trop exposées et éloignées, en
créant, sous la protection d'un camp militaire bien organisé,
de véritables villages, les S.A.S.
--------Les
harkis sont toujours là, certains bâtissent, soignent, tracent
des pistes, d'autres créent les formations de défense, les
Maghzens.
--------Mais
les exactions se poursuivent, guerre physique et psychologique, attentats
et mutilations se multiplient, les villes elles-mêmes sont gagnées
par la rébellion.
--------Alors
les harkis, entraînés, sont armés pour prendre une
part active aux combats qui ont gagné l'Algérie entière.
--------Des
groupes mobiles de gendarmerie, des harkas, des commandos de chasse sont
constitués avec des engagés dans l'armée et beaucoup
de supplétifs, ils atteignent le chiffre de 150.000 hommes. Dès
lors, peu à peu, la victoire change de camp en même temps
que la bataille d'Alger est menée par Massu et ses "para",
en Algérie l'armée poursuit son oeuvre dont le point d'orgue
est le plan Chape. La population civile elle-même toute entière
se mobilise pour condamner les massacres décidés par le
F.L.N. et s'unit fraternellement lorsque les prisonniers français
sont exécutés près du barrage tunisien.
--------Le
renouveau est exalté par la création des Comités
de Salut Public nés le 13 mai 1958. Les chefs militaires et politiques
poussent les Harkis à la lutte, les notables également :
un immense espoir est né avec certaines affirmations péremptoires
: "tous Français de Dunkerque à Tamanrasset" et
dans l'élan ainsi lancé naît, en 1958, la Vè
République : l'Algérie est bien dans la France.
--------Celle-ci
acclame le Général de Gaulle comme elle ovationne les Harkis
descendant les Champs Elysées ; le Bachaga Boualem est acclamé
à l'Assemblée Nationale. Le F.L.N. faiblit et le tournant
décisif pourrait être pris lors de la demande de reddition
dans l'honneur de la Wilaya III de Si Salah et l'accord probable de la
Il.
--------Mais
l'objectif du Général de Gaulle s'est infléchi, ce
n'est pas la victoire militaire qui importe mais une solution politique.
Un premier discours propose trois solutions dans la sécession,
la deuxième évoque l'Algérie Algérienne. L'armée
d'Algérie est alors décapitée : Salan, Massu, Challe
sont rappelés et remplacés par des fidèles à
la politique algérienne qu'approuve un référendum.
Les négociations s'ouvrent, elles aboutissent à ce que l'on
appelle "les accords d'Evian" du 19 mars 1962. Avec le cessez-le-feu,
c'est l'abandon des Harkis dont il n'est pas fait mention sauf par le
biais d'une déclaration générale ou des considérations
sur les citoyens de statut civil et de droit local.
--------Là
en juin 1962 débute l'immense drame qui marquera pour longtemps
chaque Harki et crée entre eux un autre aspect de la fraternité,
celui de l'abandon collectif, manquement grave à la parole donnée
par le chef des années qui avait été leur idole,
mépris des services rendus, oubli des sacrifices consentis, fidélité
reniée.
--------Harkas
et Maghzens sont immédiatement désarmés et regroupés
dans des camps. Un exode comparable à celui des Pieds-Noirs est
refusé, le souhait de retrouver sa famille, la promesse du pardon
condamne la plus grande partie des Harkis à un sort des plus tragiques,
bien analysé par des journalistes comme J. Lacouture ("Le
Monde" 13 novembre 1962) et dans les livres consacrés aux
Harkis (C. Brière, E. Roux, Titraoui, Moinet...). Néanmoins,
ceux qui se sont engagés dans l' armée et ceux qui, déjouant
l'interdiction, peuvent suivre leurs chefs directs, gagnent la France,
ils sont environ 40.000.
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-------L'accueil
en France les conduit dans des camps, sorte de baraquements qui ont servi
à des prisonniers nazis, puis F.L.N. Sans aucun aménagement,
loin des villages, l'assistance est réduite au minimum vital. -----------------Heureux
ceux qui possèdent encore quelques papiers car les autres, après
avoir été maltraités ou emprisonnés, sont
dépouillés de tout et ne disposent d'aucune pièce
d'identité, aucune attestation de leur passé, ils doivent
cependant présenter la demande en règle pour être
Français.
-------On
conçoit leur désarroi, leur dépression ou, au contraire,
leurs mouvements de rébellion contre une administration aveugle
et tatillonne. Seules, les âmes fortes et les familles bien conseillées
parviennent à ne pas sombrer.
-------Ils
seront, au bout d'une dizaine d'années, recasés dans des
H.L.M. de banlieue et les mieux lotis réaliseront avec le pécule
qui leur est alloué l'achat d'un logement dans l'un des lotissements
qui se sont construits aux environs des villes et des villages, ils mènent
une vie normale dans des camps harkis, des emplois administratifs ou dans
l'armée. Mêlés à la population locale, ils
feront bénéficier leurs enfants d'études et d'une
éducation susceptible de leur ouvrir les portes de la société
et des emplois dans les activités libérales, fonctionnaires,
sportives.
-------Mais,
nous l'avons vu ici encore, existe le lot des défavorisés
qui demeurent des aigris, des récriminateurs et des grévistes
qui rejoignent tous ceux d'autres ethnies qui se trouvent dans une situation
identique de misère et de chômage.
-------Une
telle histoire doit être connue, elle ne vise nullement à
susciter pitié ou commisération, mais une grande compréhension
susceptible d'atténuer les douleurs. Ces Harkis sont des êtres
fiers qui ne se confient guère, ils ont été tellement
déçus par les promesses faites et les tromperies qui se
sont succédées qu'ils redoutent toute sorte de paternalisme
orienté ou politisé.
-------Parmi
les préoccupations autres que celles de la vie quotidienne et de
l'emploi, l'une des plus vives qui touche les enfants de ces Harkis devenus
adultes est la recherche de leurs racines, alors même qu'expatriés,
ils demeurent évincés de leur terre ancestrale. Ils sont
Algériens, certes, mais d'une souche très particulière
dont il est important de retracer la filière.
-------L'Afrique
du Nord fait partie de l'un des grands berceaux de l'humanité,
remaniée dès les temps les plus anciens par des populations
migrantes venues d'autres territoires d'Afrique, d'Asie et d'Europe. Ces
protoberbères ont créé avant notre ère les
grands royaumes Numides et Berbères avec leurs lois, leurs capitales
et déjà une vaste campagne guerrière européenne
avec Hannibal.
-------Carthage
a de plus profondément marqué le pays en y introduisant
les connaissances des mondes hébreux, phéniciens et orientaux.
-------Rome,
au cours des 6 siècles suivants, a conquis le pays d'abord d'Est
en Ouest, puis en profondeur, édifiant communications et aqueducs,
villes et administrations. La civilisation hellénique et romaine
gagne Aurès et Ouarsenis, une langue internationale s'installe,
des implantations gauloises et romaines se créent, des évêques
et des prédicateurs de Rome.
-------Après
Vandales et Byzantins, voici la chevauchée des Arabes Oméyades,
la ténacité religieuse des Abassides, la ferveur des Rostimides
et celle des Almphades et Almoravides créant Tlemcen.
-------Durant
12 siècles, la langue arabe, les moeurs orientales et la religion
musulmane s'installent principalement dans les Hauts Plateaux, ce territoire
de passage des Ksours où fleurissent ribats et écoles coraniques.
-------Aux
connaissances arabes, s'ajoutent la culture persane et celle d'Andalousie
à partir des califats de Damas, de Bagdad, du Caire ou de Cordoue.
-------La
malédiction des Hilaliens marque le début des guerres répétées
entre Berbères marocains et ceux de l'Est africain, l'aboutissement
étant la création des royaumes Abdelvadide et Hafside sur
la terre algérienne.
-------Cette
discorde appelle l'intervention des Barberousse qui, devenus vassaux du
Sultan, exploitent la capture des chrétiens et leur vente comme
source de commerce, laissant le pays à l'abandon. Alors vient la
France avec ses alternatives de ralliements et de combats. Le pays est
assaini par le travail des colons et le développement des communications,
des techniques, les avancées sociales et culturelles sont illustrées
par le titre de l'ouvrage du Berbère Ibazizen "Un bond de
mille ans en avant".
-------Malheureusement
les masses paysannes et le particularisme berbère qui n'utilisent
pas l'écriture ni même la langue arabe, ne bénéficient
pas totalement de tous ces bienfaits ; leur niveau économique les
oblige à s'expatrier temporairement.
-------Pour
les montagnards des Aurès, de Kabylie, du Titteri et des Monts
de Tlemcen, les conceptions civiques et sociales inhérentes à
l'Islam ont été mal acceptées de tout temps, non
plus que la supranationalité arabe et son consensus communautaire
et autoritaire.
Bien mieux, l'esprit unificateur de la France publiant ses actes officiels
en Français et en Arabe ne pouvait que s'aliéner la tradition
berbère. En outre, le souci de laïcisme et de libéralisme
a curieusement été la source de l'une des difficultés
qui ont émaillé l'histoire de l'Algérie française.
Pour chercher à respecter le statut juridique et civique, indissociable
du religieux dans l'Islam, fut attribué le qualificatif de Français
Musulman à tous les non Chrétiens ou Juifs.
-------Ce
malaise juridico politique et religieux a engendré divergences
dans la population, les uns entraînés par des leaders nationalistes
et les autres attachés aux coutumes et au respect des anciens.
Cet éclatement a été jusqu'à diviser les frères
d'une même famille, l'un devenant Harki, l'autre F.L.N.
-------En
1954, l'immense pays qu'était l'Algérie jusqu'aux confins
du Niger, conservait des îlots berbères. En leur sein, se
transmettait encore dans les familles la tradition orale et non écrite,
celleci définit les racines véritables de l'identité
harkie dont la trame est bien décrite par les ethnologues (Servier).
----La soumission aux décisions collégiales patronnées
par l'ancien de la région ou du village, mais en même temps,
l'indépendance aux injonctions arbitraires venues de l'extérieur
(ex. de la Kahena). Cette fierté berbère a conduit de tous
temps à la combativité ;
---- l'honneur à l'engagement choisi, c'est un gage de fidélité
mais aussi l'attachement viscéral à l'équité
et à la moralité dans les rapports sociaux (révolte
de Mokrane 1870, décret Crémieux).
-------Et
par-dessus tout une large ouverture d'esprit aux progrès et à
la technicité.
L-------'identité
harkie s'est bâtie dans la fraternité des armes suivie de
l'engagement de la France et de son armée dans une mission patriotique.
-------Ebranlée
par le manquement à l'honneur, elle s'est consolidée dans
l'adversité d'un accueil réticent.
-------Elle
ressuscite grâce à une meilleure connaissance des valeurs
foncières dues à un lointain héritage berbère.
Prof. R. Bourgeon
Pdt. du Cercle Algérianiste de Nice
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