sur site le 1/04/2002
-LE DRAME DES HARKIS EN 1962 (n°2 )
Abandon prétendu ou abandon délibéré ?
Colonel Meliani
Réponse ( suite ) au Professeur Charles-Robert Ageron
-L'article intitulé "Le drame des harkis en 1962" paru dans la revue d'histoire "vingtième siècle" - n°42-Avril-Juin- a soulevé une très vive émotion au sein de la communauté Harkis qui a été troublée par des affirmations péromptoires, des approximations et des généralités abusives qui dissimulent en fait de sérieuses défaillances de la connaissance.
pnha n°53 janvier 1995

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(suite de la réponse au professeur Ageron)
Abandon prétendu ou abandon délibéré ''

-------En intitulant le second chapitre de sa thèse "Abandon prétendu des harkis", Agcron donne à croire qu'il n'y a pas eu abandon.
-------Qu'en pensent les différents acteurs et responsables au plus haut niveau de l'état
--- Michel Debré, chef du gouvernement de la France jusqu'au cessez le feu, le plus fidèle des gaullistes, cité par J. Lacouture déclare : "De toutes les humiliations de toutes les lâchetés. il n'en est pas de pire que celles qui sont dues à l'abandon où nous laissons ceux qui nous ont fait confiance".
-------Des documents officiels attestent sans aucun doute possible qu'il y a bien eu un abandon sur ordre.
-------En effet, c'est le plus officiellement du monde, par des directives confidentielles des plus hauts responsables civils et militaires prescrivent avec une rigueur et un zèle extrêmes à l'encontre de ceux qui ont pris les armes pour la France
---que l'on cesse de donner asile dans les camps et enceintes militaires
---que les rapatriements clandestins soient sanctionnés
---que les supplétifs débarqués en métropole en dehors des directives soient refoulés en Algérie.
-------Quelles sont ces directives dont les auteurs portent, sans doute, une lourde responsabilité devant l'histoire, responsabilité qui sera évoquée plus loin.
Directives des responsables civils
--- Directive du Ministre d'Etat Louis Joxe, chargé des affaires algériennes
o le 16 mai 1962, télégramme n° 125/I.G.A.A.ultra secret/confidentiel - Texte : « le ministre d'Etat demande au haut-commissaire rappeler que toutes initiatives individuelles tendant à installer en métropole les Français-musulmans sont strictement interdites. En aviser SAS et commandants unités".
--- Autre directive du ministre Louis Joxe à Christian Fouchet, Haut-commissaire
o "Les nouvelles qui me parviennent sur les rapatriements prématurés de supplétifs indiquent l'existence de véritables réseaux tissés sur l'Algérie et la métropole et dont la partie algérienne a souvent un chef de S.A.S....vous voudrez bien faire rechercher dans l'armée ainsi que dans l'administration les promoteirs et les complices de ces entreprises et faire prendre les sanctions appropriées. Les supplétifs déharqués en métropole seront en principe renvoyés... il conviendra d'éviter de donner la moindre publicité à cette mesure..."
---Le 12 mai 1963 une note officielle du colonel Buis, directeur du cabinet militaire du haut commissaire, adressée à l'Inspecteur général des affaires algériennes, ordonne "...Vous demande de bien vouloir prescrire à tous les cadres placés sous vos ordres de s'abstenir de touteinitiative isolée destinée à provoquer l'installation des Français-musulmans en métropole..."
-------Ces directives seront complétées par celles des autorités militaires
--- 20 octobre 1962 "Général supérieur prescrit qu'à compter du présent ordre tout accueil d'Algériens demandant asile à nos forces devra être soumis à sa décision. En conséquence, tout hébergement accordé dans l'intervalle présentera un caractère révocable stop. L'attention des chefs de corps est attirée de façon pressante sur la nécessité de restreindre au stricte minimum le nombre de cas à soumettre à la décision supérieure et qui les engagent personnellement ainsi que les commandants de division. Signé Général le Ray.
---Note de novembre 1962 - Note personnelle du commandant supérieur des forces Françaises en Algérie a Mr le Vice-amiral d'escadre commandant supérieur de la base logistique de Mers-el-Kébir. Objet protection des ex-supplétifs ayant aidé les forces Françaises. Référence ma note n1920 C.S.F.A.F.A/EMI-To du 24 août 1992.
1. Dans ma note citée en référence, j'ai attiré votre attention sur les difficultés présentées par l'arrivée en France, des ex-supplétifs et je vous demande d'inciter à n'accorder asile que dans les cas exceptionnels...
2. Le ministre m'a, d'autre part, fait savoir que la possibilité d'absorption de la métropole en hiver serait, après les premiers départs, largement saturée. Comme de plus, il est à craindre que le gouvernement algérien prenne rapidement ombrage de nos centres largement ouverts à ses opposants, il est nécessaire que le courant des musulmans menacés qui alimente régulièrement nos camps soit interrompu...
4. Vous voudrez bien en conséquence suspendre dès maintenant toute nouvelle admission dans les
-------Ces deux directives datées d'octobre et novembre 1962 prouvent que le message du 19 septembre de M. Pompidou invitant les ministres responsables à "assurer le transfert en France des supplétifs et à accélérer leur recasemcnt" est sans effet. Le 1° ministre n'est pas obéi.
Témoignages sur un abandon prémédité et responsabilités
---le général de Pouilly commandant de région en Algérie
"Choisissant la discipline. j'ai également choisi "avec la nation Française la honte d'un abandon pour ceux qui. n'ayant pu supporter cette honte, se sont révoltés contre elle, l'histoire dira peutêtre. que leur crime est moins grand que le nôtre".
---le général Cazenave commandant de région en Algérie déclare au journal le Monde, en pleine vague de répression (juillet 1962)
"j'ai, suivant les ordres que je recevais, multiplié les ordres pour engager les éléments musulmans à nos côtés. et les garanties touchant la protection que leur assurait. en toute hypothèse la France. Le 3 juillet 1962. tout ce que j'acatis dit et promis s'est troué définitivement bafoué ou renié. 11 m'en reste une blessure qui m'a enlevéle repos". ?
-- le général Challe, ancien commandant en chef en Algérie, déclare lors de son procès devant le haut tribunal militaire, le 24 mai 1962
"Ces officiers, ceux qui nous ont suivi, ceux qui ne nous ont pas suivis, depuis des anlnées ont dans les yeux et dans les oreilles les regards et les cris de tous ceux que nous avons abandonnés... Ces gens là étaient venu voir des milliers d'officiers et de sous-officiers : ils avaient dit : "nous aimons la France. nous voulons rester à ses côtés.
nous nous ferons tuer pour elle mais protégez-nous ; jurez-nous que vous allez rester avec nous, que vous ne nous abandonnerez pas ni nous ni nos familles. Et nos officiers et sous-officiers ont juré... Et puis, ils ont amené leur drapeau et ils sont partis avec dans les yeux les regards de douleur et de mépris de ceux que nous abandonnions".

-------Plus de trois décennies après. et suite à la parution de l'ouvrage "La France honteuse, le drame des harkis>, paru chez Perrin-Oct 1993- plusieurs centaines de témoignages d'origines multiples et de sensibilités diverses me sont parvenus et qui confirment l'abandon.

Témoignages d'historiens de sensibilités diverses:
Professeur P.Caunu de l'Institut.
-------"ll a une chose que je n'ai jamais pardonnée à De Gaulle, la manière dont les harkis ont été abandonnés. C'est une tâche dans sa vie".
-------"Peut-être aurait-on évité la sortie ensanglantée... pour finalement déboucher sur l'exode d'un peuple, pire encore : l'horreur absolue du lâche abandon des harkis et de leurs familles livrés à la mort dans les pires tortures" (le Figaro littéraire 25 avril 1994).
-----Professeur R. Girardet -Journal le Figaro : "J'ai admiré jadis en lui (De Gaulle) l'homme du refus, mais arljourd'hui, je lui en veux d'avoir fait de moi le citoyen d'une nation qui .s'est déshonorée en livrant à leurs adversaires ceux qu'elle avait armés contre eux".
-------Professeur P. Miquel -auteur du récent livre "la guerre d'Algérie "Éditions Fayard, déclare dans Historia - novembre 1993
«les Français ont abandonné les harkis... il y a eu abandon et ils .sont morts... Pour ma part l'abatndon des harkis me paraît désastreux... C'est un abandon de "l'État-France".
-------La rigueur extrême et inhumaine appliquée à l'encontre du rapatriement des harkis- des familles ayant échappé aux massacres, sitôt débarquées à Marseille, seront refoulées en Algérie où ils seront exécutés par le FLN en présence d'un général Français - contraste avec la libre-circulation accordée aux autres algériens. Benjamin Stora relève que
"Du 1 septembre 1962 au l1 novembre inclus, 91 744 entrées d'algériens sont enregistrées dans l'hexagone". -------Le général Faivre note aussi que "ces entraves au rapatriement contrastent avec la libre circulation des algériens, dont près de 100 000 affluent en France à partir de septembre".

 

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-------La Saint Barthélémy harki : des massacres massifs et systématiques.
-------Dans le dernier paragraphe intitulé " le génocide des harkis", le professeur Ageron soutient avec une obstination rare mais une grande indigence dans les faits, que les chiffres de 150 000 victimes musulmanes et 10 000 européens, relèvent de la légende noire".
-------II retient le chiffre de 10 000 victimes avec l'unique fondement, l'évaluation d'un "porte parole de l'armée" (non identifié) et de l'ambassadeur de France en Algérie.

-------Combien de morts ?
-------Plus de trois décennies après ce drame, les historiens, chercheurs et témoignages dignes de foi situent l'ampleur de ces massacres entre 100 000 et 150 000 victimes
---l'armée Française, par la voix du général Porret, chef du service historique des armées, annonce dans une note en date du 21 août 1979 les chiffres suivants
o Supplétifs disparus ou exécutés par le FLN 150 000 environ.
---- le général Jacquin chef du 2è bureau à Alger retient "comme estimation, la plus fiable celle de
150 000victimes".
---- le colonel Schoen annonçait en 1971 dans une note officielle le même chiffre.
----M. Robert, sous-préfet d'Akbou dont le témoignage est d'une grande valeur historique. car il est présent au moment des massacres et dispose encore de tous les relais d'information, fait état de 2 000 tués en moyenne par arrondissement, soit pour l'ensemble des 72 arrondissements algériens : 150 000 morts environ.
---- l'Association des anciens officiers SAS annonce à la presse en octobre 1962 documents à l'appui, le chiffre de 60 000 exécutions, uniquement durant les semaines qui suivirent l'indépendance. Chiffre qui ne tient pas compte de la seconde vague de répression - 15 octobre/décembre - ordonnée et exécutée, semble t il, par l'armée des frontières.
- Témoignages d'historiens et de chercheurs
---- Gérard Droz, Evelyne Lever - Histoire de la guerre d'Algérie 1954/1962 - Le Seuil.
"Désarmés par les troupes françaises , sans état d'âme les harkis,furent abandonnésà la vindicte de l'A.L.N. Plusieurs dizaines rte milliers d'entre eux payaient de leur vie cette fidélité. Les chiffres oscillent entre 30 000 et 150 000 victimes, la plus plausible gravite autour de 100 000".
----Anne Heinis, auteur du mémoire "Insertion des Français musulmans" suggère une fourchette de 30 000 à 150 000 exécutions.
-------Plus récemment, deux historiens spécialistes de l'Algérie ont écrit ou déclaré
----Pierre Miquel Historia novembre 1993
"le massacre des harkis s'est échelonné sur des mois et aboutit, selon tout vraisemblance à une centaine de milliers de victimes".
----Benjamin Stora - « le drame de l'Algérie »-Reporters sans frontière, estime le nombre des victimes entre entre 50 000 et 100 000 et ce qui est très étonnant révèle que "selon l'historien C.R. Ageron, 57 000 harkis seront tués dans des conditions épouvantables". Hier, 57 000, 10 000 victimes aujourd'hui, voilà des distorsions qui laissent perplexes.
-------A noter également le témoignage de l'historien Xavier Yacono, fondé sur le taux de naissance de la population algérienne. "Nous pensons que les pertes algériennes... n'atteignent pas 300 000 personnes... nous pouvons conclure en même temps qu'il est impossible d'admettre les 150 000 harkis massacrés".
-------"En retranchant des 300 000 les pertes au combat et les disparus des deux camps on arrive à une évaluation de 50 000 à 75 000 français-musulmans disparus après le cessez- le -feu" estime le général Faivre.
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-------Ce serait commettre une injustice et déformer la réalité historique que de sous-estimer voire banaliser l'ampleur des massacres et la cruauté des horreurs.
-------Mais au delà de cette bataille de chiffres, chiffres qui sont et seront toujours discutés, il demeure pour de très nombreux historiens, chercheurs et les survivants que ce massacre, symbole de l'opprobre absolu de la guerre d'Algérie, fut massif et systématique.
-------Au reste, cette querelle comptable est tout à fait dérisoire et pour ceux qui ont vécu cette tragédie, choquante.
-------Aussi ferons-nous volontiers nôtre, cette remarque exemplaire de l'historien Guy Pervillé. " le vrai nombre de victimes est inconnu mais l'horreur de leur mort ne lui est pas proportionnelle" - l'Histoire de janvier 1991.
-------Qui peut nier aujourd'hui que les responsabilité de "l'état-France" d'alors, n'est pas entière
-------Encore moins celle du FLN, dont "le massacre apparaît comme un sombre drame inaugural de la jeune nation Algérienne" (Benjamin Stora)
-------"La responsabilité du gouvernement est tout à fait confirmée par les documents... celle du commandement en Algérie est réelle, avec certaines réticences" note le général Faivre après la consultation des archives de la guerre d'Algérie ouverte au public le 1er juillet 1992.
-------La France a abandonné toute une population qui avait cru en elle, qui l'avait servie et qui lui est restée fidèle jusqu'au bout.
-------La France a sacrifié ses soldats en les désarmant et en les livrant les mains nues à l'adversaire d'hier.
-------La France a laissé se perpétrer, sans intervenir, ce massacre ou plusieurs dizaines de milliers d'hommes, de femmes, d'enfants et vieillards périrent.
-------Plus de trente ans après, les familles des victimes et leurs descendants que le martyre (1) de leur communauté nourrit depuis le berceau. sont en quête de reconnaissance et de vérité sur leur passé et leur mémoire que l'histoire officielle a tenté de gommer.
-------Une vérité que leurs compatriotes Ahmed Kaberseli (2) Mohamed Hamomnou et d'autres à leur suite, avec courage et persévérence, sont en passe de faire triompher sur "la conspiration des silences ourdie tant en Algérie qu'en France, à partir de 1962 avec des motivations différentes mais un zèle égal " Alain Rollat- Le Monde.
-------Mais aussi contre un certain discours passéiste de dinosaures nostalgiques.

Colonel Abd El Aziz Meliani
Officier de la légion d'honneur
Ancien président de la mission nationale de réflexion sur les harkis

(1) Ayant conduit à travers la France la mission nationale de réflexion sur les harkis, j'ai été impressionné par le culte de ce martyre qui paraît profondément ancré dans l'inconscient collectif de toute cette communauté.
(2) "Le chagrin sans la pitié" - 1988
(3) " Et ils sont devenus harkis" 1993