(suite de la réponse au professeur
Ageron)
Abandon prétendu ou abandon délibéré ''
-------En
intitulant le second chapitre de sa thèse "Abandon prétendu
des harkis", Agcron donne à croire qu'il n'y a pas eu abandon.
-------Qu'en
pensent les différents acteurs et responsables au plus haut niveau
de l'état
--- Michel Debré, chef du gouvernement de la France jusqu'au cessez
le feu, le plus fidèle des gaullistes, cité par J. Lacouture
déclare : "De toutes les humiliations
de toutes les lâchetés. il n'en est pas de pire que celles
qui sont dues à l'abandon où nous laissons ceux qui nous
ont fait confiance".
-------Des
documents officiels attestent sans aucun doute possible qu'il y a bien
eu un abandon sur ordre.
-------En
effet, c'est le plus officiellement du monde, par des directives confidentielles
des plus hauts responsables civils et militaires prescrivent avec une
rigueur et un zèle extrêmes à l'encontre de ceux qui
ont pris les armes pour la France
---que l'on cesse de donner asile dans les camps et enceintes militaires
---que les rapatriements clandestins soient sanctionnés
---que les supplétifs débarqués en métropole
en dehors des directives soient refoulés en Algérie.
-------Quelles
sont ces directives dont les auteurs portent, sans doute, une lourde responsabilité
devant l'histoire, responsabilité qui sera évoquée
plus loin.
Directives des responsables civils
--- Directive du Ministre d'Etat Louis Joxe, chargé
des affaires algériennes
o le 16 mai 1962, télégramme
n° 125/I.G.A.A.ultra secret/confidentiel - Texte : « le ministre
d'Etat demande au haut-commissaire rappeler que toutes initiatives individuelles
tendant à installer en métropole les Français-musulmans
sont strictement interdites. En aviser SAS et commandants unités".
--- Autre directive du ministre Louis Joxe
à Christian Fouchet, Haut-commissaire
o "Les nouvelles qui me parviennent
sur les rapatriements prématurés de supplétifs indiquent
l'existence de véritables réseaux tissés sur l'Algérie
et la métropole et dont la partie algérienne a souvent un
chef de S.A.S....vous voudrez bien faire rechercher dans l'armée
ainsi que dans l'administration les promoteirs et les complices de ces
entreprises et faire prendre les sanctions appropriées. Les supplétifs
déharqués en métropole seront en principe renvoyés...
il conviendra d'éviter de donner la moindre publicité à
cette mesure..."
---Le 12 mai 1963 une note officielle du colonel
Buis, directeur du cabinet militaire du haut commissaire, adressée
à l'Inspecteur général des affaires algériennes,
ordonne "...Vous demande de bien vouloir
prescrire à tous les cadres placés sous vos ordres de s'abstenir
de touteinitiative isolée destinée à provoquer l'installation
des Français-musulmans en métropole..."
-------Ces directives seront complétées
par celles des autorités militaires
--- 20 octobre 1962 "Général
supérieur prescrit qu'à compter du présent ordre
tout accueil d'Algériens demandant asile à nos forces devra
être soumis à sa décision. En conséquence,
tout hébergement accordé dans l'intervalle présentera
un caractère révocable stop. L'attention des chefs de corps
est attirée de façon pressante sur la nécessité
de restreindre au stricte minimum le nombre de cas à soumettre
à la décision supérieure et qui les engagent personnellement
ainsi que les commandants de division. Signé Général
le Ray.
---Note de novembre 1962 - Note personnelle
du commandant supérieur des forces Françaises en Algérie
a Mr le Vice-amiral d'escadre commandant supérieur de la base logistique
de Mers-el-Kébir. Objet protection des ex-supplétifs ayant
aidé les forces Françaises. Référence ma note
n1920 C.S.F.A.F.A/EMI-To du 24 août 1992.
1. Dans ma note citée en référence, j'ai attiré
votre attention sur les difficultés présentées par
l'arrivée en France, des ex-supplétifs et je vous demande
d'inciter à n'accorder asile que dans les cas exceptionnels...
2. Le ministre m'a, d'autre part, fait savoir que la possibilité
d'absorption de la métropole en hiver serait, après les
premiers départs, largement saturée. Comme de plus, il est
à craindre que le gouvernement algérien prenne rapidement
ombrage de nos centres largement ouverts à ses opposants, il est
nécessaire que le courant des musulmans menacés qui alimente
régulièrement nos camps soit interrompu...
4. Vous voudrez bien en conséquence suspendre dès maintenant
toute nouvelle admission dans les
-------Ces deux directives datées
d'octobre et novembre 1962 prouvent que le message du 19 septembre de
M. Pompidou invitant les ministres responsables à "assurer
le transfert en France des supplétifs et à accélérer
leur recasemcnt" est sans effet. Le 1° ministre n'est pas obéi.
Témoignages sur un abandon prémédité
et responsabilités
---le général de Pouilly commandant
de région en Algérie
"Choisissant la discipline. j'ai également choisi "avec
la nation Française la honte d'un abandon pour ceux qui. n'ayant
pu supporter cette honte, se sont révoltés contre elle,
l'histoire dira peutêtre. que leur crime est moins grand que le
nôtre".
---le général Cazenave commandant
de région en Algérie déclare au journal le
Monde, en pleine vague de répression (juillet 1962)
"j'ai, suivant les ordres que je recevais,
multiplié les ordres pour engager les éléments musulmans
à nos côtés. et les garanties touchant la protection
que leur assurait. en toute hypothèse la France. Le 3 juillet 1962.
tout ce que j'acatis dit et promis s'est troué définitivement
bafoué ou renié. 11 m'en reste une blessure qui m'a enlevéle
repos". ?
-- le général Challe, ancien commandant
en chef en Algérie, déclare lors de son procès
devant le haut tribunal militaire, le 24 mai 1962
"Ces officiers, ceux qui nous ont suivi,
ceux qui ne nous ont pas suivis, depuis des anlnées ont dans les
yeux et dans les oreilles les regards et les cris de tous ceux que nous
avons abandonnés... Ces gens là étaient venu voir
des milliers d'officiers et de sous-officiers : ils avaient dit : "nous
aimons la France. nous voulons rester à ses côtés.
nous nous ferons tuer pour elle mais protégez-nous ; jurez-nous
que vous allez rester avec nous, que vous ne nous abandonnerez pas ni
nous ni nos familles. Et nos officiers et sous-officiers ont juré...
Et puis, ils ont amené leur drapeau et ils sont partis avec dans
les yeux les regards de douleur et de mépris de ceux que nous abandonnions".
-------Plus de trois décennies après.
et suite à la parution de l'ouvrage "La France honteuse, le
drame des harkis>, paru chez Perrin-Oct 1993- plusieurs centaines de
témoignages d'origines multiples et de sensibilités diverses
me sont parvenus et qui confirment l'abandon.
Témoignages d'historiens de sensibilités diverses:
Professeur P.Caunu de l'Institut.
-------"ll a une chose que je n'ai jamais
pardonnée à De Gaulle, la manière dont les harkis
ont été abandonnés. C'est une tâche dans sa
vie".
-------"Peut-être aurait-on évité
la sortie ensanglantée... pour finalement déboucher sur
l'exode d'un peuple, pire encore : l'horreur absolue du lâche abandon
des harkis et de leurs familles livrés à la mort dans les
pires tortures" (le Figaro littéraire 25 avril 1994).
-----Professeur R.
Girardet -Journal le Figaro : "J'ai admiré jadis en
lui (De Gaulle) l'homme du refus, mais arljourd'hui, je lui en veux d'avoir
fait de moi le citoyen d'une nation qui .s'est déshonorée
en livrant à leurs adversaires ceux qu'elle avait armés
contre eux".
-------Professeur
P. Miquel -auteur du récent livre "la guerre d'Algérie
"Éditions Fayard, déclare dans Historia - novembre
1993
«les Français ont abandonné les harkis... il y a eu
abandon et ils .sont morts... Pour ma part l'abatndon des harkis me paraît
désastreux... C'est un abandon de "l'État-France".
-------La rigueur extrême et inhumaine
appliquée à l'encontre du rapatriement des harkis- des familles
ayant échappé aux massacres, sitôt débarquées
à Marseille, seront refoulées en Algérie où
ils seront exécutés par le FLN en présence d'un général
Français - contraste avec la libre-circulation accordée
aux autres algériens. Benjamin Stora relève que
"Du 1 septembre 1962 au l1 novembre inclus, 91 744 entrées
d'algériens sont enregistrées dans l'hexagone". -------Le
général Faivre note aussi que "ces entraves
au rapatriement contrastent avec la libre circulation des algériens,
dont près de 100 000 affluent en France à partir de septembre".
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-------La
Saint Barthélémy harki : des massacres massifs et systématiques.
-------Dans
le dernier paragraphe intitulé " le génocide des harkis",
le professeur Ageron soutient avec une obstination rare mais une grande
indigence dans les faits, que les chiffres de 150 000 victimes musulmanes
et 10 000 européens, relèvent de la légende noire".
-------II
retient le chiffre de 10 000 victimes avec l'unique fondement, l'évaluation
d'un "porte parole de l'armée" (non identifié)
et de l'ambassadeur de France en Algérie.
-------Combien
de morts ?
-------Plus
de trois décennies après ce drame, les historiens, chercheurs
et témoignages dignes de foi situent l'ampleur de ces massacres
entre 100 000 et 150 000 victimes
---l'armée Française, par la voix du général
Porret, chef du service historique des armées, annonce dans une
note en date du 21 août 1979 les chiffres suivants
o Supplétifs disparus ou exécutés
par le FLN 150 000 environ.
---- le général Jacquin chef du 2è bureau à
Alger retient "comme estimation, la plus fiable celle de
150 000victimes".
---- le colonel Schoen annonçait en 1971 dans une note officielle
le même chiffre.
----M. Robert, sous-préfet d'Akbou dont le témoignage est
d'une grande valeur historique. car il est présent au moment des
massacres et dispose encore de tous les relais d'information, fait état
de 2 000 tués en moyenne par arrondissement, soit pour l'ensemble
des 72 arrondissements algériens : 150 000 morts environ.
---- l'Association des anciens officiers SAS annonce à la presse
en octobre 1962 documents à l'appui, le chiffre de 60 000 exécutions,
uniquement durant les semaines qui suivirent l'indépendance. Chiffre
qui ne tient pas compte de la seconde vague de répression - 15
octobre/décembre - ordonnée et exécutée, semble
t il, par l'armée des frontières.
- Témoignages d'historiens et de chercheurs
---- Gérard Droz, Evelyne Lever - Histoire de la guerre d'Algérie
1954/1962 - Le Seuil.
"Désarmés par les troupes françaises , sans
état d'âme les harkis,furent abandonnésà la
vindicte de l'A.L.N. Plusieurs dizaines rte milliers d'entre eux payaient
de leur vie cette fidélité. Les chiffres oscillent entre
30 000 et 150 000 victimes, la plus plausible gravite autour de 100 000".
----Anne Heinis, auteur du mémoire "Insertion des Français
musulmans" suggère une fourchette de 30 000 à 150 000
exécutions.
-------Plus
récemment, deux historiens spécialistes de l'Algérie
ont écrit ou déclaré
----Pierre Miquel Historia novembre 1993
"le massacre des harkis s'est échelonné sur des mois
et aboutit, selon tout vraisemblance à une centaine de milliers
de victimes".
----Benjamin Stora - « le drame de l'Algérie »-Reporters
sans frontière, estime le nombre des victimes entre entre 50 000
et 100 000 et ce qui est très étonnant révèle
que "selon l'historien C.R. Ageron, 57 000 harkis seront tués
dans des conditions épouvantables". Hier, 57 000, 10 000 victimes
aujourd'hui, voilà des distorsions qui laissent perplexes.
-------A noter
également le témoignage de l'historien Xavier Yacono, fondé
sur le taux de naissance de la population algérienne. "Nous
pensons que les pertes algériennes... n'atteignent pas 300 000
personnes... nous pouvons conclure en même temps qu'il est impossible
d'admettre les 150 000 harkis massacrés".
-------"En
retranchant des 300 000 les pertes au combat et les disparus des deux
camps on arrive à une évaluation de 50 000 à 75 000
français-musulmans disparus après le cessez- le -feu"
estime le général Faivre.
-------
-------Ce serait commettre une injustice
et déformer la réalité historique que de sous-estimer
voire banaliser l'ampleur des massacres et la cruauté des horreurs.
-------Mais
au delà de cette bataille de chiffres, chiffres qui sont et seront
toujours discutés, il demeure pour de très nombreux historiens,
chercheurs et les survivants que ce massacre, symbole de l'opprobre absolu
de la guerre d'Algérie, fut massif et systématique.
-------Au
reste, cette querelle comptable est tout à fait dérisoire
et pour ceux qui ont vécu cette tragédie, choquante.
-------Aussi
ferons-nous volontiers nôtre, cette remarque exemplaire de l'historien
Guy Pervillé. " le vrai nombre de
victimes est inconnu mais l'horreur de leur mort ne lui est pas proportionnelle"
- l'Histoire de janvier 1991.
-------Qui
peut nier aujourd'hui que les responsabilité de "l'état-France"
d'alors, n'est pas entière
-------Encore
moins celle du FLN, dont "le massacre apparaît comme un sombre
drame inaugural de la jeune nation Algérienne" (Benjamin Stora)
-------"La
responsabilité du gouvernement est tout à fait confirmée
par les documents... celle du commandement en Algérie est réelle,
avec certaines réticences" note le général Faivre
après la consultation des archives de la guerre d'Algérie
ouverte au public le 1er juillet 1992.
-------La
France a abandonné toute une population qui avait cru en elle,
qui l'avait servie et qui lui est restée fidèle jusqu'au
bout.
-------La
France a sacrifié ses soldats en les désarmant et en les
livrant les mains nues à l'adversaire d'hier.
-------La
France a laissé se perpétrer, sans intervenir, ce massacre
ou plusieurs dizaines de milliers d'hommes, de femmes, d'enfants et vieillards
périrent.
-------Plus
de trente ans après, les familles des victimes et leurs descendants
que le martyre (1) de leur communauté nourrit depuis le berceau.
sont en quête de reconnaissance et de vérité sur leur
passé et leur mémoire que l'histoire officielle a tenté
de gommer.
-------Une
vérité que leurs compatriotes Ahmed Kaberseli (2) Mohamed
Hamomnou et d'autres à leur suite, avec courage et persévérence,
sont en passe de faire triompher sur "la
conspiration des silences ourdie tant en Algérie qu'en France,
à partir de 1962 avec des motivations différentes mais un
zèle égal " Alain Rollat- Le Monde.
-------Mais
aussi contre un certain discours passéiste de dinosaures nostalgiques.
Colonel Abd El
Aziz Meliani
Officier de la légion d'honneur
Ancien président de la mission nationale de réflexion sur
les harkis
(1) Ayant conduit à travers la France la mission nationale de réflexion
sur les harkis, j'ai été impressionné par le culte
de ce martyre qui paraît profondément ancré dans l'inconscient
collectif de toute cette communauté.
(2) "Le chagrin sans la pitié" - 1988
(3) " Et ils sont devenus harkis" 1993
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