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------A tous ces
nhâqués, ces nègres et ces bougnouls, nos frères
d'armes par le sang versé, qui se sont fidèlement battus
avec nous et pour nous... quand ce n'était pas à notre place.
------Avec son cinquième livre, Lucien
Ruty délaisse un peu la Franche Comté et les rudes paysans
jurassiens, habituels héros de ses romans historiques, pour aborder
un sujet poignant, celui des Harkis.
------Patriote humilié dont l'Algérie
fut véritablement l'Alsace-Lorraine, l'auteur, en usant de la forme
romanesque, réclame justice pour ces soldats - ses frères
d'armes- qui servirent avec constance et abnégation une France
qu'en fait ils dérangeaient.
------Ce livre écrit avec le coeur
devrait toucher tous ceux qui ont porté le deuil de notre Empire
et rappeler ou apprendre aux autres la tragédie vécue par
ces hommes qui, sous notre uniforme, ont perpétué la tradition
de fidélité de leurs pères, héros de Verdun,
du Monte Cassino, et de tant de nos guerres.
------Pour Lucien Ruty
------"L'Etat
a ses raisons que souvent l'Honneur réprouve ! "
------Le 1er juillet 1962, au lâche
soulagement d'une France fatiguée d'avoir jadis été
une grande Nation, l'Algérie -un Etat qui n'avait jamais existé
- accédait à l'indépendance. Sujets français
depuis 130 ans, des centaines de milliers de musulmans fidèles
à ce qu'on leur avait appris à considérer comme leur
patrie, étaient trahis, reniés et abandonnés par
celle-ci.
------Ali le Harki était de ces humbles
parmi lesquels, pendant plus d'un siècle, la France a tiré
ses meilleurs soldats... ceux, en tout cas, dont elle a le moins ménagé
le sang.
------Ali était Français et
ne se concevait aucune autre nationalité. Petits-fils d'un tirailleur
tué à Verdun, seul garçon d'un modeste épicier
engagé volontaire en 1942, le jeune homme était né
d Fort-National dans un milieu kabyle auquel l'idée de nation algérienne
était tout à fait étrangère. Ici, en Kabylie,
on n'était pas Algérien mais Berbère. Les Français,
en 1830, n'avaient fait que remplacer le dominateur truc, lequel n'était
qu'un lointain avatar du très ancien assujettissement du pays par
les Arabes. Ali avait même appris à l'école qu'avant
les Arabes il y avait eu les Romains. Mais comme il avait mal saisi comment
et pourquoi des Romains d'Orient avaient remplacé des Romains d'Occident,
il en était resté aux Arabes. Il était même
vaguement reconnaissant à ceux-ci d'avoir introduit l'islam qui
- pour ce qu'il voyait des pratiques religieuses des Européens
- lui paraissait moins contraignant que le christianisme, pourtant religion
de ses ancêtres d'avant la conquête de l'Afrique du Nord par
ces cavaliers arabes qui étaient sortis de leurs lointains déserts
en brandissant l'étendard vert du Prophète.
Quand la rébellion avait éclaté, le père d'Ali
lui avait expliqué qu'une éventuelle indépendance
de l'Algérie ne pouvait rien rapporter aux Kabyles :
-Autant vaut la France, mon fils, qu'un Etat algérien aux mains
des seuls Arabes. Ils ont islamisé notre peuple et ne tarderaient
pas à nous priver de notre langue et de nos coutumes ancestrales...
domaines dans lesquels la France n'est jamais intervenue. Puis, après
un temps de réflexion, il avait ajouté
- Tu vois, mon fils, les Frankaoui sont inconstants et ne savent jamais
trop comment s'y prendre avec nous, ce sont des bavards et ils n'ont pas
toujours la force d'appliquer ici ce qu'ils ont décidé à
Paris, mais ils sont justes et ce sont de bons frères d'armes.-
--Le père
était reconnaissant à la France de lui verser une pension
militaire, encore que celle-ci ne fùt que la juste compensation
du temps passé sous l'uniforme et des blessures reçues tant
au Monte-Cassino qu'en Alsace. Il savait que Pierre Aubry, son voisin
et ami, engagé et démobilisé en même temps
que lui et, comme lui, deux fois blessé, percevait la même
pension, Dans cette légitime identité de traitement, il
voyait surtout l'esprit de justice d'un pays qui récompensait tous
ses fils également quelle que soit leur origine. Cette certitude
était confirmée et renforcée tous les mois quand
il se rencontrait à la poste de Fort-National, avec les autres
anciens combattants, tant de souche métropolitaine qu'algérienne,
qui venaient percevoir leur pension. Le tutoiement naturel en Afrique
du Nord et la fraternité d'armes aidant, les hommes qui faisaient
la queue en se poussant du coude et en échangeant de grosses plaisanteries
faisaient penser à des écoliers espiègles. La tradition
voulait que, pension en poche, tous se retrouvassent à la terrasse
du Café des Sports pour boire ensemble la sacro?sainte anisette
à laquelle même les musulmans sacrifiaient, quitte à
cacher leur verre dans leur main pour ne pas offusquer quelques vieux
de leur religion qui les épiaient en hochant la tête avec
réprobation. Au souvenir de ce rendez?vous rituel des anciens soldats,
Ali sourit.
------Le jeune homme soupira. A quand remontait
la dernière fête ? Combien de ceux qui y avaient assisté
étaient-ils encore de ce monde ? Soit que -pour quelques-uns d'entre
eux - ils aient été tués dans les rangs de la rébellion,
soit que-pour un plus grand nombre - ils aient été massacrés
à cause de leur fidélité à la France, des
dizaines d'hommes et de femmes, parents ou alliés de sa famille,
avaient abreuvé de leur sang le sol âpre et chaleureux de
l'Algérie, Dans ce pays où il faisait bon vivre, où
régnaient l'harmonie et la tolérance entre des hommes de
races, de langues, de moeurs et de croyances différentes tout avait
basculé d'un seul coup. Le sang avait insulté jusqu'à
la face du soleil. Des amis d'enfance ne se connaissaient plus, chacun
suspectait son voisin, se méfiait de ses proches ; des hommes qui
avaient usé leurs fonds de culotte sur les mêmes bancs d'école
s'étaient repliés qui sur ses origines ethniques, qui sur
sa religion Et dans ce cataclysme, la belle terre algérienne n'avait
plus su reconnaitre ses fils parmi ces furieux qui s'entr'égorgeaient
à qui mieux mieux. Ses fils qui l'aimaient tous d'une même
ardeur, qui la voulaient leur mère féconde et qui achevaient
pourtant de détruire la mosaïque fraternelle qu'avait engendrée
son sein généreux. Et aujourd'hui Ali était abattu...
Certitudes, espérances, tout s'écroulait autour de lui.
Le monde tournait à l'envers... L'ennemi d'hier, bien que vaincu
sur le terrain, se retrouvait vainqueur sur le tapis vert d'une honteuse
politique de renoncement et de lâche abandon. Les musulmans fidèles
à une France dont ils étaient nés citoyens, devenaient
des trattres dans une Algérie qui n'avait jamais existé
et qui n'allait naftre que dans quelques jours. Et ceux qui croyaient
l'avoir créée à force de sang versé ne se
rendaient même pas compte qu'ils devaient leur victoire à
la frilosité d'une France qui refusait d'entendre sonner le glas
de sa grandeur tant la préoccupait son confort... Quand ce n'était
pas l'angoissante incertitude du résultat de son tiercé
dominical.
------Puisse ce livre déranger les
esprits forts qui ne voulaient plus d'une Algérie française
et qui accueillent avec une étonnante discrétion l'émergence
d'une Algérie islamiste. -------------Puissent
Ali et ses frères, aujourd'hui encore méprisés, troubler
ce qu'il peut rester de conscience à cette versatile et partisane
intelligentsia.
------Nous vous le recommandons chez l'auteur
: Lucien Ruty 5 rue Bigot 30900 Nimes - 100 F + 20 F de frais d'envoi
ou aux Editions Cabédita BP 16 74500 St Gingolph.
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