sur site le 13/09 /2002
-Chronique d'une honte partagée.
A tous ces nhâqués, ces nègres et ces bougnouls, nos frères d'armes par le sang versé, qui se sont fidèlement battus avec nous et pour nous... quand ce n'était pas à notre place.
pnha n°61, septembre 1995.

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------A tous ces nhâqués, ces nègres et ces bougnouls, nos frères d'armes par le sang versé, qui se sont fidèlement battus avec nous et pour nous... quand ce n'était pas à notre place.
------Avec son cinquième livre, Lucien Ruty délaisse un peu la Franche Comté et les rudes paysans jurassiens, habituels héros de ses romans historiques, pour aborder un sujet poignant, celui des Harkis.
------Patriote humilié dont l'Algérie fut véritablement l'Alsace-Lorraine, l'auteur, en usant de la forme romanesque, réclame justice pour ces soldats - ses frères d'armes- qui servirent avec constance et abnégation une France qu'en fait ils dérangeaient.
------Ce livre écrit avec le coeur devrait toucher tous ceux qui ont porté le deuil de notre Empire et rappeler ou apprendre aux autres la tragédie vécue par ces hommes qui, sous notre uniforme, ont perpétué la tradition de fidélité de leurs pères, héros de Verdun, du Monte Cassino, et de tant de nos guerres.
------Pour Lucien Ruty
------"L'Etat a ses raisons que souvent l'Honneur réprouve ! "
------Le 1er juillet 1962, au lâche soulagement d'une France fatiguée d'avoir jadis été une grande Nation, l'Algérie -un Etat qui n'avait jamais existé - accédait à l'indépendance. Sujets français depuis 130 ans, des centaines de milliers de musulmans fidèles à ce qu'on leur avait appris à considérer comme leur patrie, étaient trahis, reniés et abandonnés par celle-ci.
------Ali le Harki était de ces humbles parmi lesquels, pendant plus d'un siècle, la France a tiré ses meilleurs soldats... ceux, en tout cas, dont elle a le moins ménagé le sang.
------Ali était Français et ne se concevait aucune autre nationalité. Petits-fils d'un tirailleur tué à Verdun, seul garçon d'un modeste épicier engagé volontaire en 1942, le jeune homme était né d Fort-National dans un milieu kabyle auquel l'idée de nation algérienne était tout à fait étrangère. Ici, en Kabylie, on n'était pas Algérien mais Berbère. Les Français, en 1830, n'avaient fait que remplacer le dominateur truc, lequel n'était qu'un lointain avatar du très ancien assujettissement du pays par les Arabes. Ali avait même appris à l'école qu'avant les Arabes il y avait eu les Romains. Mais comme il avait mal saisi comment et pourquoi des Romains d'Orient avaient remplacé des Romains d'Occident, il en était resté aux Arabes. Il était même vaguement reconnaissant à ceux-ci d'avoir introduit l'islam qui - pour ce qu'il voyait des pratiques religieuses des Européens - lui paraissait moins contraignant que le christianisme, pourtant religion de ses ancêtres d'avant la conquête de l'Afrique du Nord par ces cavaliers arabes qui étaient sortis de leurs lointains déserts en brandissant l'étendard vert du Prophète.
Quand la rébellion avait éclaté, le père d'Ali lui avait expliqué qu'une éventuelle indépendance de l'Algérie ne pouvait rien rapporter aux Kabyles :
-Autant vaut la France, mon fils, qu'un Etat algérien aux mains des seuls Arabes. Ils ont islamisé notre peuple et ne tarderaient pas à nous priver de notre langue et de nos coutumes ancestrales... domaines dans lesquels la France n'est jamais intervenue. Puis, après un temps de réflexion, il avait ajouté
- Tu vois, mon fils, les Frankaoui sont inconstants et ne savent jamais trop comment s'y prendre avec nous, ce sont des bavards et ils n'ont pas toujours la force d'appliquer ici ce qu'ils ont décidé à Paris, mais ils sont justes et ce sont de bons frères d'armes.
  ------Le père était reconnaissant à la France de lui verser une pension militaire, encore que celle-ci ne fùt que la juste compensation du temps passé sous l'uniforme et des blessures reçues tant au Monte-Cassino qu'en Alsace. Il savait que Pierre Aubry, son voisin et ami, engagé et démobilisé en même temps que lui et, comme lui, deux fois blessé, percevait la même pension, Dans cette légitime identité de traitement, il voyait surtout l'esprit de justice d'un pays qui récompensait tous ses fils également quelle que soit leur origine. Cette certitude était confirmée et renforcée tous les mois quand il se rencontrait à la poste de Fort-National, avec les autres anciens combattants, tant de souche métropolitaine qu'algérienne, qui venaient percevoir leur pension. Le tutoiement naturel en Afrique du Nord et la fraternité d'armes aidant, les hommes qui faisaient la queue en se poussant du coude et en échangeant de grosses plaisanteries faisaient penser à des écoliers espiègles. La tradition voulait que, pension en poche, tous se retrouvassent à la terrasse du Café des Sports pour boire ensemble la sacro?sainte anisette à laquelle même les musulmans sacrifiaient, quitte à cacher leur verre dans leur main pour ne pas offusquer quelques vieux de leur religion qui les épiaient en hochant la tête avec réprobation. Au souvenir de ce rendez?vous rituel des anciens soldats, Ali sourit.
------Le jeune homme soupira. A quand remontait la dernière fête ? Combien de ceux qui y avaient assisté étaient-ils encore de ce monde ? Soit que -pour quelques-uns d'entre eux - ils aient été tués dans les rangs de la rébellion, soit que-pour un plus grand nombre - ils aient été massacrés à cause de leur fidélité à la France, des dizaines d'hommes et de femmes, parents ou alliés de sa famille, avaient abreuvé de leur sang le sol âpre et chaleureux de l'Algérie, Dans ce pays où il faisait bon vivre, où régnaient l'harmonie et la tolérance entre des hommes de races, de langues, de moeurs et de croyances différentes tout avait basculé d'un seul coup. Le sang avait insulté jusqu'à la face du soleil. Des amis d'enfance ne se connaissaient plus, chacun suspectait son voisin, se méfiait de ses proches ; des hommes qui avaient usé leurs fonds de culotte sur les mêmes bancs d'école s'étaient repliés qui sur ses origines ethniques, qui sur sa religion Et dans ce cataclysme, la belle terre algérienne n'avait plus su reconnaitre ses fils parmi ces furieux qui s'entr'égorgeaient à qui mieux mieux. Ses fils qui l'aimaient tous d'une même ardeur, qui la voulaient leur mère féconde et qui achevaient pourtant de détruire la mosaïque fraternelle qu'avait engendrée son sein généreux. Et aujourd'hui Ali était abattu... Certitudes, espérances, tout s'écroulait autour de lui. Le monde tournait à l'envers... L'ennemi d'hier, bien que vaincu sur le terrain, se retrouvait vainqueur sur le tapis vert d'une honteuse politique de renoncement et de lâche abandon. Les musulmans fidèles à une France dont ils étaient nés citoyens, devenaient des trattres dans une Algérie qui n'avait jamais existé et qui n'allait naftre que dans quelques jours. Et ceux qui croyaient l'avoir créée à force de sang versé ne se rendaient même pas compte qu'ils devaient leur victoire à la frilosité d'une France qui refusait d'entendre sonner le glas de sa grandeur tant la préoccupait son confort... Quand ce n'était pas l'angoissante incertitude du résultat de son tiercé dominical.
------Puisse ce livre déranger les esprits forts qui ne voulaient plus d'une Algérie française et qui accueillent avec une étonnante discrétion l'émergence d'une Algérie islamiste. -------------Puissent Ali et ses frères, aujourd'hui encore méprisés, troubler ce qu'il peut rester de conscience à cette versatile et partisane intelligentsia.
------Nous vous le recommandons chez l'auteur : Lucien Ruty 5 rue Bigot 30900 Nimes - 100 F + 20 F de frais d'envoi ou aux Editions Cabédita BP 16 74500 St Gingolph.