HAMMAM-MESKOUTINE, le bain des maudits...
(entre Constantine et Bône).

HAMMAM-MESKOUTINE
Les eaux les plus chaudes de la terre

LES EAUX THIBILITAINES

Echo d'Alger du 4-2- 1952- Transmis par Francis Rambert
mai 2023

LES EAUX THIBILITAINES

A 300 mètres d°altitude au pied des Alpes numidiques, au centre du triangle Constantine-Philippeville-Bône, à 108 kilomètres de cette dernière, Hammam-Meskoutine fut, Rome régnante, " Aquœ Thibilitana " : les Eaux de Thibilis, ville morte dénommée aujourd'hui Announa, à 8 kilomètres au sud, que nous visiterons bientôt.

Situés sur la grande voie de Carthage à.Sétif, donc intégrés à " l'Africa nova " après l'annexion du royaume de Juba, en 43 avant notre ère, les thermes thibilitains ont certainement bénéficié de ce privilège stratégique qui les rendait d'accès facile aux citadins du voisinage, à ceux notamment de Calama-Guelma, dont 18 kilomètres seulement les séparaient.

Les témoins de cette antique prospérité abondent à Ha.mmam-Meskout1ne, où le parc de l'hôtel thermal, peuplé d'autels votifs aux dieux de Rome et de Carthage, de milliaires, de colonnes, de sarcophages, de mortiers, de caissons funéraires, a l'importance et l'attrait d'un musée lapidaire.

Enfin, des ruines de piscines, situées en amont des émergences actuelles des eaux, ont révélé un luxe rare de mosaïques et de colonnes, et tant elles étaient spacieuses que les archéologues qui les ont étudiées ont évalué à 500, voire à 1.500, le nombre des baigneurs qui pouvaient s'y ébattre ! Il est juste d'ajouter que ceux-ci, selon les mêmes savants, étaient des légionnaires.

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HAMMAM-MESKOUTINE

HAMMAM-MESKOUTINE
Les eaux les plus chaudes de la terre

LES EAUX THIBILITAINES
A 300 mètres d°altitude au pied des Alpes numidiques, au centre du triangle Constantine-Philippeville-Bône, à 108 kilomètres de cette dernière, Hammam-Meskoutine fut, Rome régnante, " Aquœ Thibilitana " : les Eaux de Thibilis, ville morte dénommée aujourd'hui Announa, à 8 kilomètres au sud, que nous visiterons bientôt.
Situés sur la grande voie de Carthage à.Sétif, donc intégrés à " l'Africa nova " après l'annexion du royaume de Juba, en 43 avant notre ère, les thermes thibilitains ont certainement bénéficié de ce privilège stratégique qui les rendait d'accès facile aux citadins du voisinage, à ceux notamment de Calama-Guelma, dont 18 kilomètres seulement les séparaient.

Les témoins de cette antique prospérité abondent à Ha.mmam-Meskout1ne, où le parc de l'hôtel thermal, peuplé d'autels votifs aux dieux de Rome et de Carthage, de milliaires, de colonnes, de sarcophages, de mortiers, de caissons funéraires, a l'importance et l'attrait d'un musée lapidaire.

Enfin, des ruines de piscines, situées en amont des émergences actuelles des eaux, ont révélé un luxe rare de mosaïques et de colonnes, et tant elles étaient spacieuses que les archéologues qui les ont étudiées ont évalué à 500, voire à 1.500, le nombre des baigneurs qui pouvaient s'y ébattre ! Il est juste d'ajouter que ceux-ci, selon les mêmes savants, étaient des légionnaires.

Les eaux les plus chaudes de la terre
Avec leur température de 96 degrés centigrades, les eaux de Meskoutine sont les plus chaudes du monde. On avait cru, jusqu'ici, qu'après Hammam-Meskoutine, Aigues-Chaudes. avec ses 88 degrés, Carlsbad, avec 75, Plombieres. avec 68. battaient le record des maxima thermiques Mais il y a deux ans, le vulcanologue Tazieff a reconnu, au Congo belge, à l'altitude de 1.000 mètres, les Sources-Chaudes de la Rift Valley. lesquelles atteignent 95 degrés, ce qui les range immédiatement après celles de Thibilis. Incrustantes comme celles-ci, ces eaux congolaises créent des vasques, des cascades et des tuyaux par où elles giclent à l'air libre, comme elles fusaient ici avant le tarissement des crevasses et des cônes épars aux environs

Ainsi seuls les geysers, dont la température est de 109 degrés centigrades, surpassent en torridité les eaux de Meskoutine, très vraisemblablement d'origine volcanique, Quant aux laves à l'état fluide (puisque nous parlons de volcans), elles montent à 1.000 et 1.200 degrés, On conçoit qu'Empédocle, s'il s'est véritablement, précipité dans l'Etna, n'en soit pas remonté...
Un autre privilege des eaux thibilitaines, c'est leur débit exceptionnel de 200.000 litres-heure. Amélie-les-Bains la station thermale la plus favorisée d'Europe, ne dispose que de 50.000 litres. Et Hammam-Rhira. Que de 4.200 l.

Quant aux vertus thérapeutiques de ces eaux, qui sont radioactives et sulfurées calciques. voici l'appréciation d'une sommité qualifiée, M. le docteur Giberton, professeur à la faculté de médecine d'Alger : " Des travertins millénaires jaillit l'eau
merveilleuse ; le Diable légendaire qui l'anime est le Soufre. Ses atomes aux aptitudes variées secourent les organes détaillants, renforcent les muqueuses ".

Et le toubib conclut par ce conseil de sagesse : " Curistes, venez en foule en ce lieu enchanteur ! ".

Vertus curatives des eaux
Deux établissements, avec médecin traitant, sont à la disposition des malades, M. le docteur Benabu, membre de la société d'Hydrologie de Paris, sous la direction
duquel j'ai pu les visiter, a bien voulu m'indiquer que l'hôpital thermal reçoit les évacués de tous les hôpitaux du département de Constantine, ainsi que ceux de l'hôpital algérois de Béni-Messous.
Mais tient-il à préciser, il n'accueille que les malades atteints de rhumatismes, à l'exclusion de tous autres.

Malgré cette exclusion, l'hôpital est toujours plein. Un chiffre, à titre d'indication : 429 malades ont été hébergés au cours de la dernière saison, c'est-à.-dire d'octobre àjuin.
Parmi les guérisons les plus intéressantes au point de vue scientifique, dont il a été témoin, le praticien me cite le cas d'un enfant de 13 ans atteint de Chauffart-Still.
L'amélioration fut si inespérée que le garçon fut présenté à la Société des Médecins d'Alger après sa cure de Meskoutine.

Un autre malade, atteint de paralysie flasque des quatre membres, " genre poupée en chiffon ", fut guéri fonctionnellement et rendu à l'état normal.
Enfin, le toubib m'arrête devant une jeune femme clopinant. Venue ici percluse par une coxarthrie double (cuisses et jambes collées) elle déambule aujourd'hui, après un
court traitement, à travers les couloirs, en offrant à son guérisseur sa joie non feinte pour récompense.

Malgré ces résultats vraiment peu ordinaires, loyal et circonspect, le docteur Bénabu n'en tire pas vanité ; il se contente de vanter les vertus curatives des eaux de Meskoutine.

La nature collabore avec la science
Outre cet hôpital, où les mala es sont soignés aux frais de leur commune d'origine, il existe, à Hammam-Meskoutine, un établissement neuf, avec infirmières et infirmiers diplômés et doté de tout l'équipement technique " up to date ". C'est ici, toujours sous la direction du,même docteur Bénabu, que sont traités les curistes résidant à l'hôtel.
Ainsi, dans ce cadre bocager, paisible 'et grandiose, où le non-malade que je suis voudrait l'être,.afin d'avoir une excuse valable de s'attarder, l'hydrothérapie et la science médicale collaborent avec la nature pour réparer les désordres de la santé des hommes et rendre aux déficients vigueur et optimisme.
C'est pourquoi, je voudrais voir dressée à l'entrée du parc en hommage d'action de grâces, la triode des anciens jours : Cybèle, Esculape, Pluton.

Un geyser enchaîné
Chez Pluton. nous y sommes. Toujours conduit par le docteur Bénabu. je visite ce que l'on nomme le geyser. C'est, à. proximité de l'hôtel, un évent au flux souterrain capté sous une coupole chaulée que l'on dirait maraboutique. Mais un mugissement rauque en fait vibrer les murs et tressaillir le sol : ce sont les coups de bélier du courant éruptif contre les madriers qui brisent son jaillissement. Dans ce grondement, régulier et puissant, pareil au beuglement du Minotaure du Labyrinthe. les indigènes locaux, qui donnent un nom à toutes les voix, croient entendre les rugissements d'Iblis et des Djenouns.

Ne rions pas Roumis sceptiques, de cette candeur orientale Ce serait oublier que nos aïeux les Gaulois, voyaient dans le bouillonnement des eaux thermales, la présence de
Bormanus. dieu du feu souterrain, épigone gallo-romain du Pluton hellénistique et éponyme de Bourbon, Bourbonne, Bourboule.
Ne rions pas. Il est trop manifeste que partout, a un même stade d'inculture, a correspondu la même crédulité. Partout les mêmes phénomènes naturels, mêmement interprétés, apparurent aux hommes comme la manifestation d'une puissance mystérieuse, c'est-à-dire redoutable.

D'où la pullulation. aux époques d'inculture, des mystagogues et des mythes Et s'ils sont demeurés si vivaces au Maghreb. c'est parce que l'ignorance s'y est éternisée.

A la source des eaux torrides
Une vapeur sulfureuse, dense et opaque, véritable nuée moite, emplit toute la coupole où l'on accède en rampant pour éviter l'asphyxle et cinq minutes de présence suffisent pour qu'on suffoque. C'est que nous sommes à. la bouche des ruissellements torrides, au seuil du royaume incandescent de Pluton : c'est ici que l'eau bout à. 96 degrés.
Nous respirons l'haleine enflammée de Cocyte.

Et cet air gourd irrespirable, la chaleur du sol sous nos plantes malgré le parquet cimenté, le halètement du flux souterrain, tout conspire à nous faire croire que l'on se trouve sur la margelle d'un cratère en éruption et que ce ruissellement formidable d'en bas, c'est le magma igné de la planète terraquée, dont le ressac bat les parois de la chaudière abyssale...
- C'est ici, m'apprend le docteur Bénabu, que je traite les maladies des voies respiratoires. Qui doutera du succès des inhalations effectuées avec ces vapeurs ardentes ?

Les eaux bougent et décroissent
Il y a quelques lustres (je les ai vues du train vers 1922 et peut-être plus tard) plusieurs geysers fusaient sur le plateau voisin. Et c'était beau, ces fusées d'écume et d'étincelles, de perles et de diamants. dans le soleil et la brise. Aujourd'hui, plus un seul jaillissement à l'air libre. L'ultime, nous l'avons vu, asservi pour servir d'inhalations aux hommes.

Si l'on remonte le cours du temps, à des siècles en arrière, des millénaires sans doute, on demeure confondu par le foisonnement des émergences qui ont dû ruisseler ensemble puisque tous les cônes épars sur le plateau voisin et jusque sur la rive de l'oued en contre-bas, où il en est est d'énormes, - lesquels sont des geysers morts - ont sensiblement la même taille, ce qui doit signifier qu'ils sont contemporains.

Mais le flot. éruptif n'a pas.jailli que par des cônes ou plutôt n'a pas laissé que des " éjecta " conoïdes.

Là-haut en amont de l'oued Chedakra, au lieu dit Ras-el-Ma, où coule une source ferrugineuse à 78 degrés (Aïn-el-Hadid) des dépôts sédimentaires emoncelés par des ruissellement taris, composent une longue muraille rectiligne de 6 à 10 mètres de hauteur, que l'on dirait de pisé, et sur laquelle. Ai-je lu, on a trouvé un autel à Pluton avec une inscription. Ce qu'il fallait prévoir car c'est là que se trouvaient les thermes des Anciens.

Non seulement les émergences des hauteurs sont taries, mais le plateau des cônes, en contrebas de l'hôpital thermal est aujourd'hui presque aride. Sur la gauche de ce meêm plateau, sur la crête de l'oued, une longue murette basse. comme une roche naturelle, mais régulièrement fendue longitudinalement est également un résidu de ruissellements anciens.
Ainsi, non seulement les eaux bougent. mais les eaux diminuent.

Formation des dépôts d'incrustations
Je note, pour ceux de mes lecteurs que ces phénomènes hydrologiques intéressent, que les dépôts d'incrustatlons coniques seraient antérieurs aux murailles, et que les
cônes les plus élevés, produits par une force ascensionnelle plus grenue, seraient les plus anciens. Quant aux formations en dôme, elles dateraient d'une époque intermédiaire et les dépôts mamelonnés seraient les plus récents.

Par ailleurs, toutes les terres circonvoisines de l'immense parc de l'hôtel seraient formées des mêmes dépôts, des mêmes laisses, des mêmes eaux éruptives, qui ont lentement décru en même temps qu'elles se déplaçaient. Et la Grande Cascade, elle-même, merveille de Meskoutine, avec ses ruissellement; de 30 mètres de hauteur, ses colorations et ses vapeurs d'ozone, n'occupe plus aujourd'hui son emplacement d'antan.

Qu'il serait curieux de comparer des photos anciennes à la réalité actuelle ! Ce qui doit être aisé en consultant les publications illustrées du début de notre installation. lorsque le docteur Moreau, en 1858, fonda le premier établissement thermal civil, ou quand avant lui, le docteur Grellois improvisa des piscines militaires…
Un témoignage contemporain de la migration des eaux m'a été fourni " in situ ". Dans la nuit du 19 au 20 juin 1857, la source qui alimente les thermes. cessa brusquement de couler, cependant qu'une autre, à 15 mètres de là, émergeait tout à coup. Puis la source tarie reparut et l'autre disparut. C'était la même sans doute, mais déplacée. Et nul ne sait pourquoi l
Verra-t-on l'assèchement du bassin de Meskoutine ?
Toutes ces constatations ne laissent pas d'être troublantes. Elles ont même laissé entrevoir le possible assèchement de ce bassin thermal. Le docteur Bourguignat, le premier anthropologue qui ait fouillé et décrit les dolmens de Roknia, en 1867, est du nombre de ces imaginatifs audacieux.

Selon lui. qui a fait de Roknia, à 8 kilomètres au Nord, un précédent préhistorique de Meskoutine, cette station est en train de devenir ce qu'est devenu Roknia " que n'ont pas connu les Romains, puis qu'aucune ruine de cette époque ne subsiste ". Et M. Paul Delau, docteur ès-sciences, confirme la présence de travertins déposés par les eaux chaudes à Roknia. .

Pour moi, Saharien, je compare le processus des eaux thibilitaines à celui des courants artésiens de Touggourt qui, eux aussi, bougent et s'épuisent. Et je pose cette question naïve et saugrenue, mais surtout sans réponse : dans combien de millénaires verra-t-on l'assèchement des eaux de Meskoutine ?


HAMMAM-MESKOUTINE

II -Hammam-Meskoutine
Thermale et bucolique

Une merveille botanique
Pour aimer Meskoutine, il n'est pas nécessaire d'éprouver les vertus curatives de ses eaux. Son décor de nature suffit à nous ravir. Ceux qui connaissent Bou-Hanífia apprécieront sans que j'insiste la valeur de ce don.

Et d'abord le parc, écrin vivant de verdure et d'arômes, de citronniers et d'orangers qui enchâsse l'hôtel thermal, et que prolonge un bois d'oliviers séculaires. Un parc plein d'oiseaux - grâce rare en Algérie - et que des pierres antiques phéniciennes et romaines, marquées du " Signe de Tanit " et de la svastika, de dédicaces aux dieux du panthéon latin, transforment - je l'ai dit - en musée lapidaire.

Parmi ces monuments de l'archéologie, un monument botanique impose l'admiration. C'est un faux pistachier appelé aussi térébinthe (" pistacia atlantica "), le bétoum saharien, dont la frondaison recouvre 420 mètres carrés. Avec son tronc énorme dont l'écorce est rugueuse comme un cuir d'éléphant, ses rameaux gigantesques au feuillage si fourni que les midis d'été restent frais à son ombre, il me rappelle son congénère du village de Mercier-Lacombe que le maire du pays obtint de faire classer << monument historique ".

En ce qui me concerne, n'y aurait-il .que ce chef-d'œuvre d'architecture végétale élaboré par les siècles, que je referais volontiers le voyage de Meskoutine, pour admirer sans fin ce que la Nature fait d'un arbre quand l'homme impie et barbare ne la contrarie pas,

Tout voir pour tout dire, doit être la devise du parfait pariégète.

Hélas! Comment tout dire quand la beauté foisonne ? Et comment procéder par élimination quand tout vaut d'être dit ? J'ai beau me répéter le conseil de Boileau:
Qui ne sut se borner ne sut jamais écrire.

Choisir me mécontente comme une mauvaise action, puisque opter pour, c'est opter contre, Je dirai donc ce que j'ai vu dans l'ordre de mes découvertes.

Le ravin des eaux chaudes
Revenons vers la Grande Cascade, qui reste la merveille cardinale du pays. Trois griffons l'alimentent et ses frais coloris, en moins bariolé, rappellent les incrustations de Hammam-bou-Hadjar et les marnes d'Aïn-Ouarka dans l'Oranie.

Haute de trente mètres. comme je crois l'avoir dit, et d'une longueur égale, ses eaux ruissellent en fumant dans des vasques et des gradins modelés par elles au cours des siècles, puis se déversent dans un bassin diapré de réfléchir sa paroi bigarrée.

Quant au trop-plein, il s'évade dans un ravin où roule l'oued Chedakra, lequel, un kilomètre plus bas, devient l'oued Bou-Hamdan qui, melangé à l'oued Cherf près de Medjez-Amar, formera la Seybouse dont l'embouchure est à Bône.

C'est ce ravin feuillu, vrai vallon d'Arcadie,que je vais découvrir ce beau matin d'automne, où les merles et mon cœur ramagent à l'unisson.

Plantes et poissons thermophiles
Que c'est beau ! D'emblée, je suis épris. C'est plus beau que mon rêve, plus beau que mon espoir, plus beau que mon désir.

Tout de suite je sens qu'en moi un grand amour va naître, qu'un nouveau lieu du monde vient de prendre mon cœur et que je souffrirai quand je devrai partir.
J'ai suivi le courant qui roule parmi les pierres embué d'une vapeur blanche, Sur les deux rives, c'est la nature aux allures de forêt vierge : des fourrés de lentisques et d'oliviers sauvages, de lauriers-roses et de genévriers. Tout cela enlacé, escaladé, coiffé de lianes tentaculaires de ronces et de vignes, de chèvrefeuilles, de clématites et de salsepareilles. Et tout cela étincelant de lumière et de vigueur,

L'émerveillant, c'est que des arbustes - des lauriers-roses en fleur - croissent au bord du courant, leurs racines sous ses eaux à 45 degrés !

Il y a même des poissons ! Je ne les ai pas vus. Mais les savants, ai-je lu, justifient la présence de ces barbeaux thermophiles en expliquant que l'eau est moins chaude en ses fonds qu'elle ne l'est en surface.

Flore automnale
Sur le versant nord, dont les parois rocheuses sont couvertes de mousses. toute une flore desséchée par l'été ressuscite : ombellifères et graminées, renonculés et faux narcisses, scilles céruléennes, thyms et fougères. Et aussi, ô merveille qui me fixe sur places, des cyclamens et des colchiques, disséminés en bouquets aux lieux les plus ombreux.

Surprise que ces présences (qui symbolisent l'automne champêtre et forestier) dans un site tellement chaud dès le 1" Juillet que l'hôtel ferme en juin pour ne rouvrir qu'en octobre.

Sur les paroi sd'un cône de geyser refroidi - car jusqu'ici il y en a, certaine même sont jumelés - une touffe de cyclamens est si bien disposée, là. ou un peu d'humus a pu s`agg1omérer. que, prêt, à les cueillir. ma main hésite et retombe. Ils sont trop beaux ! Y toucher serait un sacrilège.

Je n'avais rien vu ! Au sommet d'un autre cône, strictement régulier et lisse comme un pain de sucre - un pain de sucre de huit mètres - dans l'orifice même du jaillissement tari, une gerbe de " soukkoum " (qui est l'asperge sauvage), mais tellement, hérissé que d'abord je l'ai pris pour un genévrier - s'érige et s'ébouriffe. On dirait. exposé là exprès pour la joie du poète, un bouquet dans un vase Et je m'assieds devant pour longtemps l'admirer.

Sus aux profanateurs !
Mais si la Nature est prodigue en beauté, l'homme est un prédateur et rien ne l'intimide. Auprès de ce cône fleuri qui fait mon émerveillement, un autre, le plus élevé, est souillé par un poteau de transport d'énergie implanté à sa pointe.

Il y a pis ! A deux pas de la Grande Cascade, en bordure de la route, les mêmes vandales ont trouvé pareillement " rigolo " de ficher la carcasse d'un pylône métallique sur un amoncellement ancien d'incrustations, qu'à cause de son faciès on appelle " l'éléphant ".

Quelle joie pour le barbare auteur de ce mauvais coup ! Je le vois s'ébaubir et l'entend rigoler ! Et je sais bien, par Pan ! que ces engins sont nécessaires. Mais Je sais également que l'on pourrait les camoufler. Car très rares sont les cas où le faire
est impossible.

Qu'on ne croie pas, surtout, que je suis seul à m'insurger contre ces attentats à. la beauté des sites. A qui le prétendrait je citerais ce distique d'un touriste étranger rencontré à Colomb-Béchar, où les vandales sont rois :
Pas une photo
Sans un poteau !

Un pont qui est un ornement
Poursuivant ma promenade, par un sentier sous branches en bordure du torrent, j'ai atteint le pont où passe la voie ferrée de Constantine-Tunis. Parce qu'il est en pierre, ce viaduc ajoute à. la beauté des lieux qu'il aurait profanée s'il était de métal.

Ses quatre arches majeures composent un polyptyque de Claude Lorrain et de Corot, de Poussin et de Puvis de Chavannes, avec la note exotique d'un bouquet de palmier, de laurier rose et d'orangers.

Ces palmiers sauvages (car ils sont nés de noyaux jetés par des mangeurs de dattes), qu'ils sont beaux, couronnés de leurs fruits immatures, qui luisent dans le soleil comme des grappes de topazes ! Je les regarde, mes frères du sud, à peine dépaysés dans cette lumière radieuse. Et je sens que je les aime comme aucun arbre au monde.

Avifaune
Ce qui ravit encore dans cette ravine agreste, c'est l'abondance des oiseaux. Partout des pépiements et partout des bruits d'ailes.
Un cul-rouille me parait être le plus nombreux. Les merles aussi abondent Ils ne trillent pas, mais lancent ce cri strident, panique et prolongé, que j'appelle un you-you.

Et les rossignols ? Car je suis sûr qu'il y a des " bul-bul ". En sorte que la fête, à la saison des nids, est nocturne et diurne, sans discontinuité : c'est l'unanime épithalame l'universel alléluia !

Je n'oublie pas les moineaux. Ils ont leur habitat sous le tablier du pont, où je les vois s'agripper, piailler, puis disparaître. L'admirable, c'est que deux trains venant à passer ensemble, ils ne s'en inquiètent pas. Placides, indifférents, ils restent au seuil de leurs cavernes, bien que les lourds convois ébranlent les piles massives et emplissent tout le vol d'un fracas de tonnerre.

Entomologie
Pour le retour, je suis une canalisation aménagée au versant de la paroi rocheuse. où l'eau chaude, attiédie par sa course à l'air libre, s'écoule indolemment vers je ne sais quel destin. J'allais méditatif, savourant mon bonheur à la fois grave et chaud, quand je suis arrêté par la rencontre d'un insecte que je manque écraser.
Est-ce une mante religieuse ? Je le croirais s'il était vert comme toutes les mantes que je vis au Sahara et dans le Nord. Mais il est fauve ! Et s'il était posé sur ces gramens flétris au lieu d'être sur ce gazon, il serait invisible et je l'eusse piétiné.

Quand je m'empare de lui, l'animal se convulse, darde vers l'agresseur ses longues pattes articulées, pousse une clameur ténue, pareille à un chuintement assourdi de petit chat, en même temps qu'il exsude une goutte de venin brun, couleur de café clair.

Lorsque je l'abandonne, l'insecte reste là., m'observant, ses longues ailes repliées, très élégantes, telle une traîne d'apparat, ses pattes antérieures jointes dans l'attitude implorante, qui fit donner son nom de " religieuse " à la mante. Mais quand, pour la mieux voir afin de la mieux peindre, je veux la ressaisir, lasse d'être tripotée. la bête m'échappee en vol plané. Et j'admire ses ailes doubles de sauterelle et de libellule, brillantes comme de la nacre.

Maïs soudain, je frissonne. C'est que l'ombre est glacée, Nul doute que, même en août, ce ravin reste frais quand, la-haut, on rissole.

J'évoque. en remontant, mes souvenirs de pèlerin. et je ne trouve d'analogue à cet oued Chedakra que l'oued Zour vers Collo. lorsqu'il roule sous les aulnes, l'oued Bouzina dans l'Aurè, lorsqu'il roule sous les noyers, et l'oued Ifrane au Maroc, lorsqu'il roule sous les saules...