-----Le
décor de la nature étant rugueux et calciné, il
fallait que les eaux de Bou-Hanifia fussent bien riches en vertus curatives
pour que, avant même la fondation de l'établissement moderne,
elles soient les plus connues et les plus fréquentées
de l'Algérie tout entière, voire de l'Afrique du Nord.
On ne venait pas à Bou-Hanifa pour la beauté du site.
C'est l'affluence des malades, et leur publicité après
leur guérison, qui firent sa renommée d'Epidaure africaine.
-----Comme
toutes les eaux similaires, celles de Bou-Hanifia furent exploitées
par les Romains qui eurent ici une agglomération.
-----C'était
"Aquae Sirenses" dont ne subsistent
plus que des vestiges informes, à deux kilomètres au sud.
Mais des piscines antiques furent longtemps utilisées par les
Arabes et les Turcs. Au point de vue géographique le professeur
Dalloni explique ainsi la formation des émergences thermales
: "Un affaissement a créé
la dépression qui sépare la zone bouleversée du
Tell des montagnes jurassiques du massif de Saïda ; elle a été
occupée par un grand lac vers la fin du Pliocène. Plus
tard les calcaires déposés dans le fond de cette cuvette
ont été redressés jusqu'à la verticale par
une accentuation posthume du même effondrement. C'est également
une fracture d'âge quaternaire qui a donné lieu aux sources
de Bou-Hanifia". Les indications générales
des eaux de BouHanifia sont les suivantes : rhumatismes, arthritisme,
goutte, sciatique, gravelle, séquelles de fractures ou de traumatismes
; maladies du système digestif (estomac, foie, intestins) ; maladies
cutanées (cicatrisation rapide des plaies) ; affections gynécologiques
; diabète, asthme, amibiase, etc...
Une cité thermale
-----A
25 kilomètres de Mascara, dont il dépend administrativement,
à 100 d'Oran et à 440 d'Alger, le centre de Bou-Hanifia
était en 1962 en pleine expansion. Bien que le Génie militaire,
aux environs de 1860, eut commencé de créer des piscines
qui servirent aux besoins des malades de l'armée, ce n'est que
beaucoup plus tard, en 1913, lorsque l'agglomération ébauchée
passa de l'Administration militaire des Bureaux arabes à celle
des Communes mixtes que Bou-Hanifia commença de s'organiser.
-----En
1920, le centre industriel était créé et une école,
une mairie, un bureau de poste étaient construits. Ce dernier
fut remplacé récemment par un immeuble moderne dû
à l'Administration des RTT. Pendant la période suivante,
la localité était électrifiée, et une église
et de nombreux hôtels-restaurants s'édifiaient.
-----Une
grande date pour le pays, le 30 janvier 1942, Hammam-Bou-Hanifia ou
Bou-Hanifia-les-Thermes (on n'est pas bien fixé) était
classé station hydrominérale de première catégorie
par la Commission hydro-climatique d'Alger.
-----C'est
qu'en 1938, un grand événement s'était produit
: le Grand Hôtel des Thermes, édifié par la Compagnie
Fermière à laquelle la station fut concédée
en 1935, avait été inauguré. De l'humble village
amorphe, cet événement allait faire un grand centre thermal
- j'ose dire la capitale du thermalisme algérien.
Établissement thermal.
|
Bou-Hanifia sera ce
que les hommes en feront
-----Avant
de parler du Grand Hôtel et des Thermes modernes, lesquels constituent
le pôle attractif du pays et assurent sa prospérité,
je veux faire une description rapide du "centre industriel".
-----En
bref, il se compose de deux rues principales, dont la plus grande, je
le suppose, est une route nationale. Mais elles sont bitumées,
et cette dernière est ombragée de poivriers pleureurs,
dont le feuillage gracile et odoriférant susurre aux moindres
brises et dont les fruits sont des grappes de perles rutilantes : rubis,
grenats, corail... Il y a aussi un essai de jardin public avec des pins
et des casuarinas, le filaos d'Océanie. A proximité s'érige
le kiosque à musique, lieu incontournable en Algérie.
Mais comme on préférerait là une fontaine clapotante,
dans ces zones désertiques ! Je note qu'il a l'avantage d'être
monoptère et coiffé d'un toit plat ; en maçonnerie
enfin, et tout blanc de chaux. Et, par la grâce de ses colonnes
et de sa candeur d'albâtre, on peut s'illusionner et le prendre
à distance pour un temple d'Eros... Dommage que sa base ne soit
pas entourée d'un parterre flamboyant de géraniums, d'amarantes
ou de cannas ou mieux d'une haie de bougainvillées écarlate
qui éclaterait en fanfare sur sa blancheur ardente, pour être
totalement lyrique !
-----A une
dizaine de mètres, une ronde de palmiers farandole autour du
kiosque. Si Dieu leur prête vie (et les hommes) ils composeront
un jour une colonnade circulaire et quels fûts de porphyre, d'onyx
ou de carrare pourraient rivaliser avec ces colonnes vivantes aux chapiteaux
sonores ?
Urbanisme improvisé
-----Poursuivant
ma promenade de découverte, j'arrive en vue des souks composés
de quelques "hanoutes" et d'étals en plein vent. Me
frappent surtout les éventaires des bouchers qui - comme ceux
des oasis - donnent à manger aux mouches... Sur la gauche, un
café maure à la porte duquel un "meddah", debout
et bien en voix, beau comme Mounet-Sully, déclame et psalmodie.
-----De
nombreux garages pour les cars de Bel-Abbés et de Mascara et
les voitures de tourisme. Plus loin, après des boutiques d'alimentation,
la pharmacie et un café roumi, une fontaine publique attire l'oeil
du passant. Edifiée par la Compagnie Fermière des Thermes
à l'usage de la population, elle dut être jolie dans l'harmonie
de sa structure orientale.
-----Un
signe de bon augure pour l'avenir du pays : on bâtit et on plante
partout : ici, un caroubier ; là, un poivrier ; ailleurs un palmier
; plus loin un ficus - car le ficus national n'est pas absent ! Toutes
les essences mêlées et des sujets de tous les âges.
Le Docteur Pernin
-----Quant
au traitement "in situ", afin de ne pas rapporter que des
avis autorisés, je me suis adressé à un idoine
entre tous qualifiés, puisqu'il exerce à Bou-Hanifia depuis
trente-deux ans où il jouit de l'estime, de l'amitié et
de la gratitude de tous ceux qu'il a soignés et conseillés
: Monsieur le docteur Pernin.
-----Accaparé
par sa clientèle, et n'ayant pu, à cause de cela, me recevoir
dans son cabinet de l'établissement thermal, le docteur Pernin
a poussé la courtoisie jusqu'à monter dans mon appartement
du "Grand Hôtel" afin de pouvoir répondre en
toute quiétude d'esprit, aux multiples questions que l'ignorant
que je suis désirait lui poser. Avant d'amorcer notre dialogue
- qui ne fut guère au fond, qu'un monologue, car j'ai surtout
écouté - je tiens à dire que le portrait psychologique
de M. le docteur Pernin peut se résumer en un trait : la modestie.
Une modestie si vraie qu'elle se confond avec l'humilité. Cette
vertu si rare qui est la marque du véritable savant et du sage
authentique : celle de Pasteur, celle de Roux, celle de Nicolle... nous
émeut beaucoup plus que la suffisance, il faudrait dire l'outrecuidance
de la multitude de bluffeurs que nous croisons tous les jours. Personnellement
je renouvelle ici à M. le docteur Pernin ma sincère reconnaissance
pour avoir bien voulu sacrifier une heure de son temps au bénéfice
de nos lecteurs - et du mien.
Action physiologique
et thérapeutique des eaux
------Assis
sur une chaise car il a refusé un fauteuil, le docteur Pernin
parle
------ L'aménagement
et l'exploitation rationnels de la station de Bou-Hanifia devaient tenir
compte de plusieurs faits de nature : emplacements des sources, débits,
climats, analyses, etc... Mais en dernier ressort ce sont les "observations
cliniques" nombreuses et minutieuses qui établissent les
indications et contre-indications des eaux et qui permettent de constituer
la fiche médicale de la station et "d'axer" son équipement
en conséquence.
L'équipement
de la station
-----Position
géographique favorable d'où un climat idéal durant
neuf mois sur douze. (Les trois mois exceptés sont : juin, juillet,
août) Gros débit des sources et disposition favorable des
griffons, étagés sur plusieurs plans. Radioactivité
considérable. Efficacité reconnue.
----- -
Répartis en plusieurs classes, ils mettent la cure à la
portée de toutes les bourses : les bains indigènes (hommes
et femmes, quoique anciens et sommaires, offrent néanmoins de
véritables "hammams" très efficaces. Idem, pour
les bains de troisième classe. Quant au grand établissement,
de fondation récente, on s'est efforcé d'obtenir "un
rendement d'utilisation maximum". Cela connu, on s'étonne
moins d'apprendre que 52 000 curistes (cinquante deux mille) soient
venus, l'an écoulé, lui demander l'allègement de
leurs maux.
----- Ce
chiffre à peine croyable, lorsque l'on sait la vie au ralenti
des autres "hammams" d'Algérie, explique la présence
des 18 hôtels plus ou moins importants qui vivent de l'exploitation
des eaux. Et cela, m'assure-t-on, ne suffit pas toujours à héberger
les curistes : il arrive que beaucoup soient logés chez l'habitant.
-----Si
leurs vertus curatives sont à l'origine de cette ruée
vers "des eaux qui sauvent", il y a tout de suite après,
l'attrait de l'équipement perfectionné des Thermes et
du "Grand Hôtel" attenant. En rendant le séjour
de Bou-Hanifia agréable, celui-ci décide beaucoup de malades
(et de simples touristes) à entreprendre le voyage, lesquels
eussent hésité à se rendre dans ce désert
avant sa création - car tout le monde n'a pas la vocation ascétique...
Un vrai grand hôtel
-----Pour
aller vite je dirai que le "Grand Hôtel" de Bou-Hanifia
est l'homologue des hôtels transatlantiques les mieux aménagés
et les mieux tenus. L'entrée monumentale, que précède
une terrasse, ouvre sur un hall immense qu'éclairent de vastes
baies donnant sur les jardins et la vallée de l'oued, dont la
puissante rumeur se répercute jusqu'ici. Sur la droite, se trouvent
le salon de coiffure et de la manucure, l'ascenseur (trop étroit)
et le large escalier qui mène aux deux étages de chambres.
Sur la gauche, la salle à manger, nef spacieuse, claire et nette,
ouverte sur le parc plein de roses et de palmes.
-----Une
chance pour l'Algérie, c'est que le Grand Hôtel et les
Bains adjacents aient été édifiés avant
la récente guerre, car aujourd'hui personne ne voudrait assumer
une pareille entreprise.
Promenades aux environs
-----Bien
que la région manque d'attraits pittoresques, il est néanmoins
possible de faire aux alentours quelques promenades sans fatigue : à
la carrière d'onyx qui domine le village ; aux ruines d' "Aquae
Sirenses" au bord de l'oued El-Hammam, encore, il faut le dire,
qu'elles ne soient guère spectacuaires ; à l'Aïn-Bou-Chitane
(la source du Père du Diable !) qui est ferrugineuse ;
à l'Aïn-Hamet, qui est sulfureuse
; à celle purgative de Sidi-Abdallah.
-----Cette
énumération démontre la variété des
eaux dont est gorgé le sous-sol de la vallée d'El-Hammam.
Pour ceux qui s'intéressent à la paléontologie,
je signale la couche géologique, récemment prospectée
par leprofesseur Arembourg, où plusieurs squelettes entiers d'hipparions
- mammifères fossiles ancêtres des chevaux actuels - ont
été découverts. Enfin, les curistes qui disposent
d'une voiture peuvent se rendre à Mascara, qui n'est qu'à
25 kilomètres; à Sidi-Bel-Abbès, qui est à
60 ; à Mostaganem qui est à 80.
Le grand barrage
-----J'ai
réservé le barrage, qui se trouve à 5 kilomètres
en amont de l'Oued Et Hammam et qu'il serait infamant de négliger
de voir. Conduit par M. Decaillot, directeur de la Compagnie des Eaux
Thermales. j'y vais cet après-midi.
-----Exécutés
par la Société algérienne des entreprises Léon
Chagnaud, sous la direction de MM. Vergniaud, Drouhin et Arages. les
travaux de construction furent entrepris en 1930 et achevés dix
ans plus tard. Il remplace celui de l'oued Fergoug, situé à
20 kilomètres en aval, lequel a été détruit
en 1927 lors d'une crue évaluée à plus de 5 000
mètres cubes seconde, ce qui est un débit d'une exceptionnelle
violence. Aussi les commissions techniques, qui ont étudié
la construction du nouvel ouvrage, ont prudemment fixé à
6 000 mètres cubes seconde le débit qu'il est capable
d'évacuer.
-----Barrage
d'enrochements arrimés, dont les travaux ont atteint une ampleur
considérable due, pour une grande part aux difficultés
du terrain, il forme dans une boucle de l'oued,un lac de 520 hectares
d'une capacité de 70 millions de mètres cubes et un périmètre
irrigable de 12 000 hectares
Claude-Maurice
Robert
Texte écrit en 1954, quelques mois avant
la rébellion qui allait anéantir tout notre avenir..