--------lLe Maréchal
Soult, vainqueur d'Austerlitz, Duc de Dalmatie et Pair de France, alors
ministre de la Guerre, adresse, le 28 janvier 1843, au Comte Guyot, directeur
civil de l'intérieur à Alger (de 1839 à 1847) des
instructions formelles pour faire explorer le Sahel, d'Alger à
Sidi-Ferruch. Son but est d'y faire construire deux villages de pêcheurs
et d'ouvrir une route littorale, décision prise sur le vu de rapports
concernant la pêche en Algérie : il lui faut briser le monopole
que s'était octroyé les pêcheurs italiens et maltais
en plusieurs points de la côte.
--------lLe
rapport du Comte Guyot, le 10 juin 1844, est on ne peut plus défavorable
: il déconseille au Maréchal de poursuivre cette initiative.
Une première fois, Guyotville semble ne pas devoir naître.
--------lMais
Soult persévère et demande à Guyot de continuer ses
investigations. Deux sources à bon débit sont découvertes
dans la région d'Aïn-Bénian déjà citée,
c'est-à-dire " source des constructions " (romaines anciennes).
--------lGuyotville
doit donc être érigé en contrebas, près du
rivage. Simultanément, la création d'un deuxième
village de pêcheurs est décidée à Sidi-Ferruch.
--------lGuyot,
tenant compte de l'échec des colonies militaires établies
par Bugeaud, conçoit la création de colonies civiles confiées
à des entrepreneurs auxquels l'État accorde une grande concession
et des avantages financiers. M. Gouin est choisi pour Sidi-Ferruch. M.
Tardis, capitaine de la Marine Marchande, ancien directeur d'une entreprise
de pêche au bassin d'Arcachon, pose sa candidature pour Aïn-Bénian,
le 18 février 1845. --------lAprès
instruction de la demande par le Comte Guyot et avis favorable du Conseil
d'administration, le 22 mars 1845, l'arrêté de création
du village d'Aïn-Bénian est signé par le Maréchal
Bugeaud, Duc d'Isly, alors gouverneur de l'Algérie, le 19 avril
1845.
--------lDeux
cents hectares sont alloués au sieur Tardis entre le Cap-Caxine
et la Ras-Acrata, se situant sur le site du village actuel et ses environs
immédiats. http://perso.wanadoo.fr/bernard.venis .M. Tardis s'engage
à construire vingt maisons en maçonnerie, couvertes en tuiles,
avec au moins deux pièces principales ; 50 ares doivent être
allouées pour la culture, à chaque colon. Il reçoit
800 francs par maison et 2.400 francs pour sa demeure personnelle et s'engage
à terminer les travaux fin 1846. En outre, disposant d'une subvention
de 6.000 francs, il doit construire un débarcadère en bois
pour hisser les bateaux à terre, deux corps-morts pour les amarrer,
un parc à huîtres, un atelier de préparation des sardines
et une sécherieà poissons ; une prime de 100 francs est
accordée pour une embarcation de deux à quatre hommes et
200 francs pour toute embarcation supérieure.
--------lPlusieurs
mois s'écoulent, mais l'orientation défavorable de la côte,
sans crique valable, la concurrence des barques étrangères,
la mauvaise situation sanitaire, la mauvaise foi du concessionnaire enfin,
ruinent la tentative.
--------lPour
la seconde fois, Guyotville semble ne devoir pas exister.
--------lLorsque
deux inspecteurs de la colonisation se rendirent à Aïn-Bénian
pour vérifier l'état des travaux, M. Darru, le 31 juillet
1846, et M. Pétrus-Borel, le 20 octobre 1846, les constats furent
stupéfiants : 20 cabanons distants d'une vingtaine de mètres,
formant les trois-quarts d'un carré, en pierres scellées
par de la terre, non carrelés, sans dépendances, avec une
seule pièce, menacent déjà ruine ; les terrains attenants
ne sont pas défrichés. http://perso.wanadoo.fr/ bernard.
venis. Par contre, au sommet du plateau, près des deux sources,
M. Tardis s'est fait construire une coquette maison de style provençal,
entourée de mûriers, que les paysans appelleront " le
château ". Il n'y a pratiquement plus trace de constructions
maritimes, la mer ayant tout emporté. Deux colonies, semble-t-il,
se sont succédées, dévastées par la maladie
qui tue et le désespoir qui fait fuir, certains ayant été
employés à la carrière du Grand-Rocher, à
500 mètres de là.
--------lLes
Inspecteurs de colonisation ne trouvent plus que cinq colons vivant misérablement
du produit de la vente de charbon, fabriqué avec des souches arrachées
et transportées à Chéragas. Des militaires, conduits
peu avant pour s'y établir, ont refusé en raison "
du manque d'eau, de la mauvaise qualité du terrain, de la mauvaise
construction des maisons et de leur insalubrité ", ainsi qu'en
témoigne un rapport du capitaine Lambertin à son supérieur.
--------lLes
deux rapports des Inspecteurs, transmis par le Maréchal Bugeaud,
ne parviennent qu'en avril 1847 au Maréchal Soult : le Comte Guyot
a attendu décembre 1846 pour faire dresser procès-verbal
de la situation, et a remis tardivement le dossier à Bugeaud. Dans
sa réponse du 10 avril 1847 au Duc d'Isly, Soult exprime son mécontentement
et demande l'éviction rapide de M. Tardis. Il prend l'importante
décision de modifier les conditions d'existence des colons en implantant
dans Aïn-Bénian des familles agricoles. Dans la même
lettre, il dit toute sa satisfaction de l'activité de M. Gouin,
qui a parfaitement réussi à Sidi-Ferruch.
--------lPourquoi
le Comte Guyot a tant tardé à transmettre les rapports des
deux inspecteurs? Il semble avoir été tenu par la reconnaissance,
le conduisant à ménager M. Tardis : deux jours après
l'arrêté de création, M. Tardis avait adressé
au Comte Eugène Guyot une demande visant à donner le nom
de Guyot-Ville au premier village maritime algérien. http://perso.wanadoo.fr/
bernard.venis. Le même souhait ayant été formulé
par des propriétaires terriens demeurant avant la Pointe-Pescade,
Guyot proposa son nom pour AïnBénian et son prénom
pour ce qui allait devenir Saint-Eugène. Le Comte Guyot transmit
cette requête au Maréchal Soult qui, par décision
du 4 août 1845, avait notifié la réglementation des
noms à attribuer aux villages d'Algérie.
--------lLe
Maréchal avait donné un avis favorable ; mais, à
son départ du ministère de la Guerre, il fut remplacé
par le Lieutenant-Général Moline de. Saint-Yon, qui opposa
son refus dans une missive au Maréchal Bugeaud, dure pour le Comte
Guyot, qui en ressentit l'affront.
--------lMais,
en 1856, onze années plus tard, Aïn-Bénian prendra
officiellement le nom de Guyotville en même temps qu'il quittera
la tutelle de la commune de Dély-lbrahim, pour être annexé
à la commune de Chéragas.
--------lM.
Tardis, déchu par décision du 26 décembre 1846, conserve
sa maison et 30 hectares : les maisonnettes et terrains d'Aïn-Bénian
reviennent à l'État et, conformément aux directives
du Maréchal Soult, l'administration substitue au village de pêcheurs
un village d'agriculteurs. Vingt familles sont installées, six
hectares distribués par colon. L'arrêté ministériel
du 16 septembre 1847 octroie des primes de défrichement, une fois
les travaux exécutés.
--------lCependant,
Guyotville va végéter pendant cinq années, par manque
d'eau, défaut d'accès pratique vers Chéragas : en
1852, dans l'entourage du nouveau Préfet, M. Lautour-Mézeray,
la question se pose d'abandonner Guyotville.
--------lPour
la troisième fois, le village semble devoir être rayé
de la carte.
|
|
---------lC'est
Lautour-Mézeray qui va sauver Guyotville avec une série
d'importantes mesures.
--------l1.
Il visite les colons en 1852 et promet de payer la prime de défrichement
à raison de 50 francs l'hectare ; une première liste de
subventionnés est insérée sur un arrêté
préfectoral du 29 janvier 1853, dont Jean Calvet, futur maire de
Guyotville, Honoré Mercurin, maire de Chéragas,
Margueritte...
--------l2.
Six hectares sont ajoutés aux six déjà concédés.
--------l3.
De nombreuses fermes isolées sont distribuées sur le plateau
et sur la côte, l'habitation devant être construite sur la
concession : 31 fermes sont créées dans la campagne du plateau,
sur 569 hectares et 8 fermes au bord de la mer, sur 120 hectares. http://perso.wanadoo.fr
/bernard. venis. Les mêmes avantages sont
offerts aux nationaux et aux étrangers : sur 73 concessionnaires,
53 Français, 19 Espagnols et 1 indigène. Les candidats à
la concession doivent pouvoir démontrer leur capacité d'agriculteur
et prouver qu'ils sont en mesure d'affecter à cette concession
la somme de 400 francs par hectare. La commission de répartition,
composée de MM. Tapin, chef du 2è Bureau de la Préfecture
; Toupé, chef du service topographique ; Pélissier, inspecteur
de colonisation ; Roubière, vérificateur des domaines, et
Romain, géomètre, réserve une carrière et
une bande de terre, impropre à la culture, qui doit être
affectée plus tard à la création du chemin littoral
projeté d'Alger à Cherchel..
--------l4.
Le Préfet fait ouvrir une voie de communication bien tracée,
empierrée, vers Chéragas et y fait aboutir les chemins particuliers
conduisant aux concessions.
--------l5.
L'aménagement de la source d'Aïn-Bénian et sa retenue
dans un grand bassin est entreprise.
--------l6.
Pour régulariser le régime hydrographique, une décision
ministérielle du 20 août 1852 crée une importante
réserve forestière de 339 hectares. Le service forestier,
avec une main-d'uvre militaire, commence la plantation de la forêt
de Baïnem, dont beaucoup d'arbres, pins, eucalyptus, casuarinas datent
de cette époque.
--------lNotons
à ce propos que le premier maire, M. Calvet, demandera, le 2 novembre
1879, l'abrogation de ce décret, sans l'obtenir, alléguant
la fréquence des incendies de broussailles dont quelques-uns faillirent
détruire le village, et le fait que " cette
réserve est un refuge pour les bêtes fauves, chacals, hyènes,
sangliers et porc-épies dévastant les récoltes ".
--------lLes
fruits de ces mesures de sauvetage ne tardent pas. http://perso.wanadoo.fr/
bernard.venis En 1853, de retour d'une tournée d'inspection à
Chéragas et Guyotville, M. Lautour-Mézeray écrit
au ministre " à l'aide des primes
accordées pour le défrichement, tous les colons, encouragés
déjà par les les efforts de l'administration, ont pu donner
du pain à leur famille et reprendre l'énergie qui les avait
abandonnés. Je n'ai vu nulle part de gens plus contents, plus travailleurs
et surtout plus reconnaissants ".
--------lEn
1856, 321 hectares sont ensemencés, dont 120 hectares de blé
tendre, 9 hectares d'orge, 6 hectares de maïs, 96 hectares de légumes,
25 hectares de pommes de terre. On essaye la culture du tabac, l'élevage
et, de bonne heure, on plante de la vigne à vin, qui réussit
fort bien.
--------lEn
1859, Guyotville est érigé en paroisse et placé sous
le patronage de saint Roch. A Pâques, une jeune prêtre, l'abbé
Vuillot, qui avait déjà visité les colons, inaugure
officiellement le culte dans la nouvelle paroisse, dans un hangar, sur
l'établi du menuisier. Après quelques mois, une salle plus
convenable sera aménagée dans la maison de M. Berthier.
--------lL'abbé
Vuillot s'adresse alors à la providence du diocèse, les
Trappistes de Staouéli, vaillants pionniers de la colonisation
française : une parenthèse mérite d'être ouverte
ici sur la Trappe.
--------lCréée
par arrêté ministériel du 11 juillet 1843, sur les
instances de la Reine Amélie-Thérèse de Bourbon Siciles
épouse du Roi Louis-Philippe 1er, la Trappe fut bâtie sur
l'emplacement d'une villa romaine, au milieu des champs de bataille de
1830, sur 500 hectares, puis rapidement 1.120 hectares ; les Trappistes
venaient de Lombardie. Inaugurée le 30 août 1845, érigée
en abbaye par le Pape Grégoire XVI, le 1 juillet 1845, le Père
prieur Dom François Régis y porta la 1ère première
mitre. Le rôle de ces moines fut capital dans la région ;
les 120 pères et 250 ouvriers agricoles assainirent cette région
marécageuse par la plantation d'eucalyptus, défrichèrent
des centaines d'hectares de bonne terre ; beaucoup y périrent du
paludisme. Renouant avec la tradition agricole de l'Algérie romaine,
la culture de la vigne à vin sur une grande échelle, mais
aussi du chasselas, pour la première fois sur le Sahel, en fit
une région riche. Mais les Trappistes durent quitter le domaine
en 1904, victimes des lois de Waldeck et de Combes, spoliant les congrégations,
de 1901 à 1904. M. Jules Borgeaud (dont le père, Georges-Henri
Borgeaud était arrivé en Algérie venant de Suisse,
à l'âge de 66 ans), allié par sa femme à une
famille catholique influente d'Alger, put acquérir le domaine pour
la somme modeste de 15.000 francs. Puis, la Trappe revint à son
frère Lucien Borgeaud et, par héritage, à Henri Borgeaud.
--------lComme
Chéragas, Staouéli, Zéralda, Guyotville doit à
l'inépuisable charité des Pères Trappistes la jolie
petite église dont la flèche domine le village. Le 3 mai
1874 eut lieu le baptême des deux cloches, en présence de
Monseigneur Lavigerie, Archevêque d'Alger.
--------lC'est
le même Père Vuillot qui, mort en 1899 (enterré soue
les dalles de la petite chapelle), après quarante années
de sacerdoce, préside à la fondation de l'école libre
Saint-Joseph en 1884.
*****
-------lEn 1874,
vingt années se sont écoulées depuis les premières
tentatives de création du village maritime d'Aïn-Béniar
création dans laquelle la détermination du Maréchal
Soult d'abord, du Préfet Lautour-Mézeray ensuite, a eu un
rôle prépondérant.
--------lDe
nombreuses pétitions de colons demandant la création d'une
commune, indépendante de Chéragas, vont aboutir : le
28 novembre 1874, un décret du Général Chanzy érige
Guyoville en commune de plein exercice.
--------lLe
Conseil municipal sera composé de neuf membre; dont sept Français,
et Antoine Calvet sera le premier maire. La superficie de la commune est
fixée à 1.725 hectares. Mais Guyotville demeurera toujours
sous la dépendance juridique de Chéragas, chef-lieu de canton,
et les Guyotvillois devront se rendre à la justice de paix à
Chéragas.
|