Alger, le Gouvernement Général
Le GOUVERNEMENT GÉNÉRAL "at home"

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Quoi qu'il en soit. l'Algérie est enfin dotée d'une organisation magnifique et digne, en tous points, des grands hommes qui l'ont colonisée.

Jusqu'ici, les services du Gouvernement Général étaient éparpillés en Alger et réfugiés dans des immeubles qui, tout en étant authentiquement historiques, n'en demeuraient pas moins insuffisants, poussiéreux et malsains. Une seule ligne de téléphone, le 0.54, le célèbre 0.54, qui n'eut pas manqué d'inspirer à Colline une de ces chansonnettes malicieuses et sans danger dont il s'est fait, en quelque sorte, le spécialiste, reliait la ville aux différents bureaux. Évidemment, les " embouteillages " ne se comptaient plus. On aurait pu, comme cela se pratique couramment à Paris, faire enregistrer sur un petit disque la voix aigrelette de la demoiselle du Central, à seule fin de lui éviter une fatigue inutile et tous malaises éventuels : le 0.54 n'est pas libre, veuillez rappeler dans un instant... le 0.54 n'est pas libre, veuillez..., etc..

Maintenant les lignes vont être multipliées, le nombre des téléphonistes augmenté sensiblement. Commis et particuliers auront à leur disposition une installation ultra-moderne et plusieurs ascenseurs véhiculeront silencieusement la foule des visiteurs.

Nous avons vu quelque part, dans Métropolis. une réalisation à peu près identique.

Mais avec Métropolis, nous étions en plein domaine de l'utopie, tandis qu'ici c'est une œuvre patiemment élaborée, construite avec un soin méticuleux et probablement immortelle qu'on nous propose.

Une œuvre grandiose qui symbolisera devant l'Éternité l'action généreuse et admirable de la France civilisatrice.

TEXTE SOUS L'IMAGE

Afrique du nord illustrée du 9-9-1933 - Transmis, par Par Francis Rambert.


juin 2021

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Le GOUVERNEMENT GÉNÉRAL "at home"Le Gouvernement Général " at home "

Lorsque, il y a deux ans, la future Cité Administrative de la rue Berthezène apparut aux yeux étonnés des Algérois sous l'aspect d'une énorme carcasse d'acier dont la silhouette se détachait sur le ciel bleu de la capitale comme un immense treillis à la vérité peu élégant, ce fut un tollé général, un tonnerre de sarcasmes et d'imprécations. Et les quelques initiés qui osaient, timidement, prétendre que c'était là la première ébauche, l'esquisse grossière d'une œuvre remarquable appelée à faire sensation dans les milieux compétents, se voyaient immanquablement traités de snobs et de pédants.

C'est à cette époque que nous eûmes le plaisir de rencontrer Le Corbusier dans un hôtel de Mustapha-Supérieur. Obéissant aux exigences de l'actualité, nous lui posâmes immédiatement cette question :
- Que pensez-vous du fameux building ?

Le Corbusier s'étala largement sur son fauteuil, s'étira dans un geste des plus démocratiques et, après une minute de réflexion, nous répondit sans hésiter :
- Je crois que ce sera très beau.
Les prévisions de notre grand urbaniste se sont justifiées. Bousculant les préjugés des esprits pessimistes, opposant à l'opinion publique un superbe démenti, les entrepreneurs viennent de livrer à la collectivité algérienne un ensemble architectural dont on peut dire qu'il est proprement admirable et unique en son genre.

Depuis l'Exposition de 1925, qui fut en soi une véritable révolution - révolution d'ailleurs prévue par Viollet le Duc et préconisée par Hector Herean - la construction française n'a encore rien réalisé d'aussi grand, d'aussi beau, d'aussi vaste. On a réussi là un véritable tour de force. Il faudrait bien pourtant qu'on le sache à l'Étranger et dans la Métropole où l'effort algérien est trop souvent ignoré et injustement méprisé.

Le building du Gouvernement Général de l'Algérie, du point de vue technique, souligne les possibilités de l'acier et du ciment armé qui sont à la base même des tendances actuelles. Les " passéistes " essayeront, mais en vain, de critiquer les résultats acquis. Si les premiers essais, commandés par les nécessités de l'après-guerre, le besoin urgent de reconstruire à bref délai des villes entières et de rétablir au plus tôt l'équilibre de l'économie nationale n'ont pas toujours été heureux ; si l'on a pu reprocher aux architectes de délaisser l'esthétique au profit de la masse, il faut reconnaître qu'aujourd'hui on s'inspire d'une formule à la fois plus souple et plus affinée. Offrant aux constructeurs cet avantage d'être légers et résistants, les matériaux employés peuvent être appliqués à toutes sortes de constructions, permettent de couvrir des espaces et d'atteindre des hauteurs auxquelles fallait renoncer avec la pierre de taille et ouvrent, d'autre part, aux artistes contemporains des horizons insoupçonnés.

C'est ainsi que le bâtiment du Gouvernement Général, imposant par sa ligne - qui évoque irrésistiblement les maquettes américaines ou soviétiques - a été aménagé et décoré avec une profonde originalité.

Sans doute, les lois modernes de la standardisation rationnelle ont-elles été appliquées, mais les organisateurs de cette cité, qui comportera six cents bureaux et devra abriter près de sept cents fonctionnaires, n'en ont pas moins respecté les traditions immuables de l'élégance et du goût français. Chaque bureau, par exemple, sera pourvu d'un mobilier dont la teinte et le bois d'origine seront toujours différents. Au surplus, ces bureaux seront très largement éclairés par des baies vitrées et bénéficieront des derniers perfectionnements. Des lignes téléphoniques, des chaouchs empressés et minutieusement choisis assureront une liaison constante et rapide entre les nombreux services. Quant au salon de réception du Chef de la colonie, il donnera sur la grande cour d'honneur et réservera au visiteur la surprise d'une merveilleuse échappée sur la baie d'Alger.

L'installation des différents " départements " de l'Administration Centrale est prévue pour la fin septembre et déjà les ouvriers s'appliquent à faire la grande toilette de l'immeuble colossal. Cet emménagement s'effectuera progressivement, en commençant par le dernier étage, le septième.

Plusieurs mois seront sans doute nécessaires pour mettre au point les innombrables " rouages " du building et leur assurer un plein rendement. Mais, étant donné le zèle de chacun, la mise en marche de l'énorme machine administrative s'effectuera probablement sans à-coups et avec une parfaite régularité. Toutefois, il y a une ombre au tableau, l'édifice gouvernemental est bâti dans un quartier assez mal desservi et dépourvu de moyens d'accès pratiques. Il faut, en effet, pour l'atteindre, accepter l'épreuve pénible d'une série d'escaliers quelque peu impressionnants ou bien encore s'engager dans un dédale de rues tortueuses qui évoque joliment le labyrinthe de la légende. Évidemment, cette double perspective n'est pas faite pour enchanter un personnel plutôt peu habitué aux exploits sportifs et les protestations affluent chez M. Qui de droit. Pour les particuliers, que leurs occupations obligent à de fréquentes visites officielles, l'ascension du building n'est guère plus tentante. Afin de calmer ces appréhensions, au demeurant fort légitimes, et éviter tant aux cardiaques qu'aux rhumatisants les rigueurs de la " butte Laferrière ", le Gouvernement Général a prévu, paraît-il, l'établissement d'un ascenseur spécial qui assurerait un vaet-vient continu entre la rue Négrier et la rue Berthezène. Cette formule, croyons-nous, est excellente et l'on devrait définitivement s'y arrêter en attendant mieux.

Quoi qu'il en soit. l'Algérie est enfin dotée d'une organisation magnifique et digne, en tous points, des grands hommes qui l'ont colonisée.

Jusqu'ici, les services du Gouvernement Général étaient éparpillés en Alger et réfugiés dans des immeubles qui, tout en étant authentiquement historiques, n'en demeuraient pas moins insuffisants, poussiéreux et malsains. Une seule ligne de téléphone, le 0.54, le célèbre 0.54, qui n'eut pas manqué d'inspirer à Colline une de ces chansonnettes malicieuses et sans danger dont il s'est fait, en quelque sorte, le spécialiste, reliait la ville aux différents bureaux. Évidemment, les " embouteillages " ne se comptaient plus. On aurait pu, comme cela se pratique couramment à Paris, faire enregistrer sur un petit disque la voix aigrelette de la demoiselle du Central, à seule fin de lui éviter une fatigue inutile et tous malaises éventuels : le 0.54 n'est pas libre, veuillez rappeler dans un instant... le 0.54 n'est pas libre, veuillez..., etc..

Maintenant les lignes vont être multipliées, le nombre des téléphonistes augmenté sensiblement. Commis et particuliers auront à leur disposition une installation ultra-moderne et plusieurs ascenseurs véhiculeront silencieusement la foule des visiteurs.
Nous avons vu quelque part, dans Métropolis. une réalisation à peu près identique.

Mais avec Métropolis, nous étions en plein domaine de l'utopie, tandis qu'ici c'est une œuvre patiemment élaborée, construite avec un soin méticuleux et probablement immortelle qu'on nous propose.

Une œuvre grandiose qui symbolisera devant l'Éternité l'action généreuse et admirable de la France civilisatrice.