INAUGURATION D'UNE PLAQUE
COMMÉMORATIVE
AU GOUVERNEMENT GÉNÉRAL
Recueillie, très
simple, émouvante d'un émoi qui ne peut s'user, mais renaît
au contraire incessamment de lui-même, puisque, malgré
la multiplicité de célébrations pareilles, le souvenir
de ceux qui acceptèrent le devoir de mourir échappe à
la grâce d'être banal, s'est déroulée mercredi
dernier, rue du Vieux-Palais, dans les bureaux du Gouvernement général,
la cérémonie, devenue rituelle, d'exalter leur sacrifice
et de confier à leurs noms, en récompense et pour la survie,
l'immortalité écrite dans la pierre. Dans le cercle des
familles, en présence de M. le Gouverneur général,
des directeurs des Services et des hauts fonctionnaires, fut inaugurée
la plaque commémorative des fonctionnaires du Gouvernement général
qui périrent au cours de la guerre. Président de l'Amicale
des Fonctionnaires du Gouvernement général, c'est à
M. Courtaud qu'échut la pieuse tâche de commenter leur
vie et leur mort et de procéder à leur présentation
posthume.
Ils sont morts, dit-il, dans la plénitude de leur force, remplis
d'une espérance que légitimaient grandement leurs hautes
qualités. Ils nous ont donné l'exemple le plus réconfortant
de patriotisme et d'humble abnégation. Les voilà maintenant
entrés dans l'histoire de France et inscrits au livre d'or de
l'héroïsme.
Ce sont des fleurs qui sont tombées, mais leur souvenir restera
impérissable. Le cruel oubli ne doit pas les faire mourir une
seconde fois.
Comme on l'a dit d'autres héros des temps passés, leur
dernier jour a été le triomphe qui a vengé leur
mort et prolonge leur vie dans la mémoire des générations
futures.
Comme les héros de l'Antiquité, ils resteront, dans les
siècles à venir ... " toujours jeunes de gloire et
d'immortalité ! " *
Puis, M. Courtaud procède à la lecture des noms gravés
en lettres d'or sur la plaque de marbre :
Morts de 1914. - Delle (François), Dubujadoux de Costigliole
(Guy), Lemas (Louis).
Morts de 1915. - Boettgenbach (Auguste), Cécile (Fernand), Sicurani
(Tiburce).
Morts de 1916. - Clapot (Hugues), Gérolami (Jules), Gigot (Lucien).
Morts de 1918. - Cornac (Louis), Lambert (Gaston), Serain (Henri).
Morts en 1921 et 1922, des suites de blessures ou de maladies contractées
sur le front. -
-Acquire (Charles), Desideri (François), Weiss (Joseph) ".
A ceux-ci, qui furent particulièrement des nôtres, conclut-il,
nous avons le devoir d'ajouter le nom de Aynard, tué à
Verdun, en 1916, et qui fut successivement directeur du Cabinet de M.
le Gouverneur général Jonnart, directeur des Affaires
indigènes et, en dernier lieu, ministre plénipotentiaire
à Cettigné (Monténégro).
Son nom se trouve inscrit sur la plaque commémorative des fonctionnaires
du Ministère des Affaires étrangères, mais nous
n'oublions pas avec quelle profondeur de vues il a consacré ses
dernières et bonnes pensées à notre Colonie, dans
son bel ouvrage : L'uvre française en Algérie.
En réponse, avec un art parfait qu'il possède d'exprimer
les plus fines nuances psychologiques et de traduire la précision
concrète et lucide les sentiments les plus difficiles, M. Steeg,
gouverneur général, représentant qualifié
qui a charge, au nom du pays et des générations futures,
de recevoir dépôt du monument, prononce un très
émouvant discours dont nous détachons les termes suivants
:
Mort pour la France ! Que pourrais-je ajouter à ces mots de suprême
apothéose ? Comment traduire les sentiments de deuil, d'admiration,
d'orgueil qu'ils éveillent dans nos âmes ? Je ne l'essaierai
pas. Vous m'avez convoqué, Monsieur le Président, au nom
de vos collègues, à cette manifestation de piété
corporative et de patriotique gratitude. J'aurais aimé me laisser
aller, dans le silence, à la gravité profonde de notre
commune émotion ; mais je dois vous remercier de m'avoir permis
d'associer la France et l'Algérie à l'hommage que la grande
famille du Gouvernement général rend à ceux qu'elle
pleure.
Vous, Messieurs, vous les avez tous personnellement connus. En écoutant
les noms appelés, il y a un instant, vous évoquiez des
visages familiers et chers, vous vous souveniez, sans doute, de quelques-uns
de ces incidents qui rapprochent les jeunes hommes dans la carrière
qu'ils parcourent de compagnie. Vous vous représentiez la bonne
humeur railleuse de celui-ci, la timidité de celui-là,
la raideur un peu solennelle de tel autre, la compétence et la
probité professionnelles de tous.
Ceci, très intelligente défense des fonctionnaires que
la légende diffamatoire s'efforce de ridiculiser et qui sont
indispensables à la vie sociale :
On les accusait parfois de formalisme : mais la forme n'est-elle pas
respectable lorsqu'elle devient le rempart de la loi, la sauvegarde
du bien public, lorsqu'elle se dresse contre des exceptions qui risquent
de constituer d'injustifiables privilèges ?
Une malveillance ignorante et systématique leur reprochait de
s'abandonner à la routine, de préférer les précédents
figés dans des dossiers moisis aux exigences impérieuses
de la vie frémissante et mobile. Grief aussi banal qu'injuste.
L'avenir meilleur ne sort pas du néant comme un monde, il naît
des transformations continues du passé, ramassées dans
le présent. Celui qui ne sait pas d'où il vient ne sait
pas où il va.
Vous avez été les confidents de leurs ambitions ou de
leurs rêves. Votre douleur de collègue, de camarade et
d'ami s'avive à la pensée des vieux parents, des enfants,
de l'épouse dont la mort a prématurément brisé
les espoirs et détruit le bonheur.
Quant à moi, personnellement, je n'étais pas ici au poste
que j'occupe aujourd'hui, alors qu'ils partaient pour lutter et pour
mourir, alors que vous parvenait l'écho de leur bravoure, de
leurs souffrances, de leurs exploits.
Je ne les ai pas connus ; cependant, je sais que, mêlés
aux magnifiques troupes algériennes, ils ont été
envoyés partout où se débattait le sort de la France,
le plus souvent aux endroits que l'intensité de la mitraille
ennemie, l'inclémence du climat, rendaient les plus périlleux.
Ils avaient choisi librement une profession qui leur apportait la sécurité
d'un labeur conforme à leurs études et à leurs
goûts. Plus épris de calme et de régularité
que de gloire ou de fortune, ils acceptaient que l'originalité
de leur effort personnel se confondit dans le fonctionnement anonyme
et obscur de la machine administrative...
Puis, après le dernier hommage aux disparus qui surent passer,
sans pusillanimité, du bureau pacifique aux tranchées
sanglantes, au nom même des héros dont le sacrifice ne
doit pas être vain, ni la mémoire oubliée, le droit
affirmé de la vie qui continue, l'exaltation de la patrie de
la race " qui a besoin d'être forte, non pour servir les
autres, mais pour défendre sa propre indépendance ; non
pour satisfaire à d'égoïstes calculs, mais pour défendre
ses droits, le Droit, dont ni l'humanité civilisée, ni
ses grandes associées de la veille, n'ont accepté d'assumer
la décisive sauvegarde ".
Enfin, cette justification en quoi la cérémonie trouve
sa moralité, ces mots qui ne visent à rien d'autre qu'à
demander s'il est possible que tous nos morts soient morts pour rien
:
Envahie, meurtrie, appauvrie, saignante, elle voudrait se détourner
des visions d'horreur qui l'obsèdent. Elle ne le peut pas, elle
ne le doit pas. Les réparations que ni sa modération,
ni sa longanimité n'ont réussi à obtenir de l'Allemagne,
elle les poursuit par tous les moyens dont elle dispose, elle les exige
non seulement parce qu'elles lui sont dues, mais aussi parce qu'elle
croit fermement que toutes les ressources, dont l'ennemi vaincu fera
l'économie en ne payant pas ses dettes, seront employées
à la préparation de nouvelles invasions, de nouveaux ravages,
de nouvelles hécatombes.
Une telle angoisse n'est pas la paix. Or, c'est la paix qu'ont voulue
les jeunes hommes dont nous saluons la mémoire. C'est la paix,
la vraie paix que pour eux, pour nous, pour nos enfants, nous devons
assurer à la France restaurée dans son intégrité,
garantie dans sa sécurité !
L'impression fut profonde : dans chaque la volonté s'imposa que
tel ne soit pas le sort. La volonté et après tout la certitude,
puisqu'en français vouloir c'est pouvoir...