Sahara
GHARDAIA
OULED-NAILS
Afrique illustrée du 1-11-1937 - Transmis par Francis Rambert

OULED-NAILS

On a beaucoup parlé, depuis un siècle, des benat Ouled-Naïls. On a décrit leur aspect extérieur, leurs dansés, leur vie nomade. Guy de Maupassant leur a consacré une de ses pages les plus pittoresques ; Albert Besnard, Dagnan-Bouveret, Etienne Dinet et bien d'autres peintres modernes en ont fait les premiers plans de leurs tableaux ; Théodore Rivière en a sculpté quelques-unes. .

Et pourtant, nous ne savons pas grand chose, de précis sur elles... Que se passe-t-il dans ces têtes couvertes de coiffures monumentales, derrière ces yeux mornes et vagues? Y a-t-il vraiment un cœur dans ces corps agités d'une lourde sensualité ?

Le benat Ouled-Naïls nous restent un mystère parmi tant d'autres que nous rencontrons dans la vie berbère.

Les Ouled-Naïis a proprement parler sont une vaste confédération de tribus disséminées dans le Tell et dans le Sahara les unes à peu près sédentaires, les autres nomades. Ce sont les descendants des Hilaliens qui vinrent se fixer dans la région, au moment des invasions arabes.

Les Ouled-Naïls, aux temps des guerres arabes, étaient des guerriers hardis et courageux, qui aimaient la bataille et le pillage. Depuis que la France s'est installée au Sahara, ils se sont assagis, et leurs tribus ne sont plus guère connues que par les femmes qui se livrent à un négoce spécial où il faut sans doute voir, encore, une survivance de vieux cultes carthaginois. Dans la plupart des tribus Ouled-Naïls, en effet, les femmes se livrent, suivant une tradition ancienne et fidèlement respectée, à la danse et à une prostitution qui présente ce caractère spécial de n'attirer aux Naïlia aucune réprobation de leur milieu : c'est devenu, simplement un commerce comme un autre, peut-être même plus respectable que d'autres. D'ailleurs, la plupart des Naïlia, dès qu'elles ont réuni une somme d'argent suffisante, se retirent dans leur village d'origine, où elles se marient très honorablement.

La tribu qui fournit le plus fort contingent de Naïlia est celle des Ouled Reggad, près de Djelfa.

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OULED-NAILS

OULED-NAILS

On a beaucoup parlé, depuis un siècle, des benat Ouled-Naïls. On a décrit leur aspect extérieur, leurs dansés, leur vie nomade. Guy de Maupassant leur a consacré une de ses pages les plus pittoresques ; Albert Besnard, Dagnan-Bouveret, Etienne Dinet et bien d'autres peintres modernes en ont fait les premiers plans de leurs tableaux ; Théodore Rivière en a sculpté quelques-unes. .
Et pourtant, nous ne savons pas grand chose, de précis sur elles... Que se passe-t-il dans ces têtes couvertes de coiffures monumentales, derrière ces yeux mornes et vagues? Y a-t-il vraiment un cœur dans ces corps agités d'une lourde sensualité ?
Le benat Ouled-Naïls nous restent un mystère parmi tant d'autres que nous rencontrons dans la vie berbère.
Les Ouled-Naïis a proprement parler sont une vaste confédération de tribus disséminées dans le Tell et dans le Sahara les unes à peu près sédentaires, les autres nomades. Ce sont les descendants des Hilaliens qui vinrent se fixer dans la région, au moment des invasions arabes.
Les Ouled-Naïls, aux temps des guerres arabes, étaient des guerriers hardis et courageux, qui aimaient la bataille et le pillage. Depuis que la France s'est installée au Sahara, ils se sont assagis, et leurs tribus ne sont plus guère connues que par les femmes qui se livrent à un négoce spécial où il faut sans doute voir, encore, une survivance de vieux cultes carthaginois. Dans la plupart des tribus Ouled-Naïls, en effet, les femmes se livrent, suivant une tradition ancienne et fidèlement respectée, à la danse et à une prostitution qui présente ce caractère spécial de n'attirer aux Naïlia aucune réprobation de leur milieu : c'est devenu, simplement un commerce comme un autre, peut-être même plus respectable que d'autres. D'ailleurs, la plupart des Naïlia, dès qu'elles ont réuni une somme d'argent suffisante, se retirent dans leur village d'origine, où elles se marient très honorablement.
La tribu qui fournit le plus fort contingent de Naïlia est celle des Ouled Reggad, près de Djelfa.
Il serait d'ailleurs intéressant de rapprocher le cas des danseuses prostituées Ouled-Naïls de celui des danseuses prostituées de l'Inde, de la Chine et du Japon ou encore de l'ancienne Grèce ; là non plus ce commerce n'est pas ou n'était pas considéré comme infamant..
Ajoutons, en passant, que la plupart des tribus berbères n'ont pas exactement les mêmes idées que le monde chrétien sur le mariage, la chasteté et la fidélité. Il y a quelques villages de l'Aurès où parmi les devoirs de l'hospitalité, figure celui d'offrir sa femme à l'hôte de passage - fut-il un européen. On retrouve probablement là encore souvenir des cultes carthaginois hérités par les Berbères.
Les Ouled-Naïls exercent leur négoce dans la région qui est comprise entre Djelfa, Laghouat et Ghardaïa d'une part, et Biskra, Touggourt d'autre part. En général, elles ne demeurent pas longtemps dans le même endroit et voyageant, suivant leur humeur ou celle de leur " manager " d'un centre à l'autre, au fond d'un bassour soigneusement clos, car, non moins que les musulmanes honnêtes, ces prostituées tiennent à conserver leur respectabilité.
D'ordinaire, les Naïlia d'un centre sont réunies dans un même quartier, par exemple à Laghouat, rue Pélissier, ou à Touggourt dans des maisons particulières.
Leurs appartements, deux pièces, quelquefois une seule, ressemblent à toutes les maisons du Sud. Un coin de la chambre est occupé d'ordinaire par un massif de maçonnerie, doukkana de deux mètres de long, sur lequel autrefois, on se couchait sans même une natte : touchante simplicité.
Avec le progrès, les Naïlia ont pris des habitudes de confort et presque toutes recouvrent à présent le doukkana, d'une paillasse et d'une couverture ; quelques-unes installent même un lit cage sur le massif dé maçonnerie. Dans un autre coin, une vagué écuelle et un peu d'eau ; les Ouled-Naïls ne procèdent guère à leur ...toilette qu'une, fois par jour, une petite fois...
La nuit venue elles sortent., de leur chambrette et se rassemblent: sur les bancs de pierre qui garnissent les ruelles du Sud, ou bien s'assoient à terre par deux ou trois.
L'hiver, elles se groupent autour d'un canoun qui envoie ses reflets rouges dans les chevelures teintes au henné et éclaire par taches les rues sombres.
L'habillement de cérémonie d'une Naïlia, n'est pas une petite affaire. Ce qui frappe chez elle, c'est la lourdeur de l'équipement qu'elle revêt, tant robes que coiffure. On admet aisément qu'avec un pareil attirail elle ait pris l'habitude des poses hiératiques et d'une immobilité absente.
Les bijoux d'or et d'argent dont elle est parée contribuent également à lui donner cet aspect d'idole intangible : certaines benat Ouled Naïls de Laghouat portent jusqu'à 75.000 francs de bracelets de diadèmes et de colliers quand elles vont danser, et l'on comprend dans ces conditions que les chefs d'annexe les fassent accompagner par un détachement de tirailleurs lorsqu'elles se rendent à des fêtes officielles.
La prostitution n'est en effet que l'un des arts - si l'on peut dire - des benat Ouled-Naïls ; l'autre est la danse, qu'elles exercent en même temps que le premier.
On a tout dit de cette danse extrêmement curieuse. Les uns l'ont traitée de rite sacré, les autres de déhanchements obscènes. Il y a en effet des deux, et pas mal d'autres choses, dans ces exercices chorégraphiques. En tout cas, un point est acquis, c'est que les Naïlia elles-mêmes n'attachent à leurs danses aucune signification particulière, ni sacrée ni obscène ; elles répètent des gestes qu'on leur a appris lorsqu'elles ont été en âge de le faire et c'est tout.
Une autre chose est certaine, c'est que les non-musulmanes ne comprennent absolument rien à ces danses qui, cependant, transportent les indigènes algériens d'admiration et de sensualité. On peut s'étonner de cette incompréhension européenne, car la plupart des danseuses cubaines, ou mexicaines qu'on exhibe dans les boîtes de nuit du monde entier, ne font rien de plus que les Ouled-Naïls. Toutefois, celles-ci sont lourdement habillées; tandis que les autres sont à peu près nues.
D'ailleurs, ces danses naïlia ne sont pas toutes obscènes, loin de là ; elles ne se ramènent pas uniformément; comme on le croit, à un déhanchement abdominal sur un rythme brutal Certaines sont infiniment gracieuses, telle celle-ci exécutée à deux, sorte de promenade à petits pas, scandée par la cadence sourde des tambourins ; dans cette autre, les Naïlia, presque immobiles d'abord, se mettent à agiter peu à peu l'extrémité des doigt ; cette espèce de lent frisson gagne les avant-bras, puis les bras qui ondulent, alors comme des serpents. Il y a aussi cette curieuse danse de guerre où la Naïlia, les muscles tendus, les bras raidis le long du corps, la tête rejetée en arrière, semble une statue vivante de l'antique énergie guerrière des indomptables tribus berbères.
D'ordinaire, les Ouled-Naïls s'exhibent dans un café maure où elles dansent accompagnées de raïtas et de tambours, en présence, la plupart du temps, d'un public loqueteux, crasseux, sordide, qui les regarde avec une concupiscence extraordinaire. La puissance aphrodisiaque de ces danses pousse les plus misérables des spectateurs à donner les quelques pièces ou les quelques billets qu'ils peuvent avoir, pour posséder bestialement, durant un instant, l'une des danseuses.
Mais les Ouled-Naïls se montrent souvent aussi devant des Européens soit dans de grandes fêtes en plein air, soit dans des m'bita.
Une m'bita (ou n'bita) est une fête de nuit. N'bita vient du verbe arabe beit, passer la nuit et n'bita veut dire proprement : passons la nuit ; on dit aussi sahra (veillée). De fait la n'bita n'a lieu qu'aux lumières, elle est courante dans les villes du Sud, notamment à Laghouat, Ghardaïa, Djelfa, Aflou, Bou-Saâda, Biskra.
La n'bita est offerte d'ordinaire dans le quartier spécial des danseuses prostituées, mais elle peut avoir d'autres cadres moins sordides, un hall d'hôtel ou une place publique illuminée à l'occasion d'une fête locale.
La n'bita peut également être privée, mais dans ce cas, il faut une autorisation des autorités compétentes commissaire de police, ou commandant militaire, pour recruter les danseuses parmi les plus belles, les mieux parées ou les plus renommées.
Les femmes choisies sont en général des Ouled-Naïls, mais il peut y avoir également quelques bonnes danseuses originaires de l'Aurès.
Pour cette cérémonie, les Ouled-Naïls sont presque toutes habillées de longs voiles blancs, cependant quelques-unes sont, revêtues de lourdes robes d'étoffes brochées aux couleurs criardes : jaunes avec des ornements verts, marron, avec des garnitures rouges. Les plus habiles et les plus connues portent au-dessus du front une touffe de plumes noires, retenues par une espèce de diadème fait de plaquettes carrées d'or ciselé, reliées entre elles par des chaînettes.
Lorsqu'une danseuse fameuse paraît ses compagnes poussent des you-you admiratifs et l'applaudissent avec un enthousiasme qu'on ne retrouve certainement pas chez leurs consœurs d'Europe.
La N'bita terminée, toutes ces jeunes femmes, immobiles et silencieuses durant une heure, éclatent en papotages et en rires, semblables à un pensionnat de jeunes européennes lâchées en récréation.
Au cours des différents séjours que j'ai fait au pays des Ouled-Naïls, à Laghouat, et Djelfa, Ouargla, j'ai essayé, après bien d'autres, de trouver un fil conducteur dans l'obscur dédale de ces esprits primitifs.
Je me souviens notamment d'une charmante fille de 16 ans qui, au cours d'une fête, dansait parmi ses compagnes. Je l'avais remarquée parce qu'elle était d'une beauté véritablement extraordinaire, et surtout parce qu'elle n'avait absolument pas le type berbère : si on l'avait habillée à l'européenne, elle aurait ressemblé aussitôt à n'importe quelle lycéenne de France.
Je liai conversation avec elle, ce n'est en général pas très difficile, et je l'interrogeai sur sa vie.
Mais ce sujet ne parut avoir aucun intérêt pour elle ; elle me parla des américaines, je compris qu'il s'agissait des étrangères, et me posa dès questions sur la ville de Bourdou, je pense qu'elle voulait dire Bordeaux, dont elle connaissait le nom par une de ses compagnes qui s'y était rendue, - Dieu sait dans quelles conditions - et dont elle se faisait une idée un peu ahurissante. Elle ne semblait d'ailleurs pas désireuse de faire un semblable voyage et son ambition, si elle en avait une, n'allait pas au delà de la possession d'un bijou en toc pareil à celui que possédait l'une des voisines.
Puérilité ? Inconscience ? Insouciance animale ? On m'a dit qu'il y avait des benat Ouled-Naïls très intelligentes, voire même très artistes : la vérité m'oblige à dire que je n'en ai jamais rencontré de telles.
Qui arrivera à éclairer lé mystère de ces yeux impassibles, de ces fronts fermés, de ces hiératiques prostituées pour qui Baudelaire semble avoir écrit le vers célèbre :
" Comme un bétail pensif sur le sable couché... "