-----Ville singulière, ville haute
en altitude, parmi les plus hautes, elle culmine à 1376 mètres
(carte Taride 1958) et dépasse ainsi Briançon la plus haute
cité d'Europe avec ses 1316 mètres (Guide Michelin). Poste
militaire fondé en 1852, sur ordre du Général Pelissier,
avec la construction d'un fort, par le lieutenant du Génie, futur
Général Segretain.
Plus vaste que la Belgique et le
Luxembourg
-----La lère pierre fut posée
le 25 novembre 1852 et le poste a failli s'appeler Lignyville du nom du
Lieutenant-Colonel Deligny, directeur des Affaires Arabes de la région.
En décembre 1853, alors que les travaux étaient fort avancés
et le lendemain de la prise de Laghouat, le Général Pelissier
dans une lettre au lieutenant Segretain, ordonnait " Je décide
que le poste que vous construisez s'appellera Géryville, et la
Tour détachée se nommera Deligny." Et c'est ainsi
qu'est né Géryville, du nom du Colonel Gery, qui avait fait
une incursion avec une petite colonne en 1843 à El-Bayadh, point
d'eau avec quelques mines de ce qui fut un Ksar. C'était le point
le plus méridional qu'on eut atteint. Après avoir été
Poste, Annexe, Commune Mixte, Commune et sous préfecture en 1962,
El Bayadh est aujourd'hui chef lieu d'une willaya (département).
-----Pays des grands espaces, sa commune
avec ses 50 000 km2 était plus vaste que la Belgique et le Luxembourg
réunis (32 000 km2). Elle s'étendait du Chott Ech Chergui
à l'Erg occidental avec seulement une population rurale de 46 000
nomades d'origine arabe, 7 000 ksouriens berbères et de 7 500 à
10 000 à Géryville centre dont un grand nombre de militaires.
-----Singulière aussi, la ville se
situe à 106 km de sa gare, sise à Bouktoub. Après
la traversée de la mer d'alfa, elle s'étale, enserrée
entre les 2 oueds El-Bayadh Ghabi et El-Bayadh Chergui dont le confluent
forme les " Gorges", point de passage obligé pour y parvenir,
avec son fameux "Pont Cassé", pont emporté par
une crue dans les années trente.
-----Elle est dominée par ses trois
Monts du Djebel Amour de la chaîne Atlas saharien.
- Le Bouderga 1873 m, majestueux par sa masse avec ses vestiges du poste
optique.
- El-Bayadh Ouastani 1878 m, petit frère du grand et altier Ksell
(2008 m) avec tous trois, leur sommet enneigé en hiver et parfois
jusqu'au printemps pour le Ksell.
-----Ses écoles communales avec leurs
cours complémentaires ont donné de brillants résultats
jusqu'au niveau universitaire. Ses hommes ont donné de valeureux
soldats, d'honnêtes gens de toutes catégories sociales et
de tous les corps de métiers.
Trois communautés
-----Enfin et surtout Géryville a
été le creuset où trois communautés ont vécu,
se sont appréciées, estimées, respectées.
Où les peines et les joies se partageaient comme se partageaient
le pain azyme, (rekaka) la Mouna ou la Kesra, où des familles catholiques
faisaient la Zerda, la Ouada, une fois l'an pour le saint Patron Sidi
Cheikh ou Sidi Abd-el-Kader, le salon d'une vieille famille
israélite s'ornait de portraits des grands chefs des Ouled-Sidi-Cheikh
du début du siècle et la fin du siècle dernier. Ces
tableaux se trouvent encore dans cette famille rapatriée en 1962.
-----Les lois de Vichy, ne nous ont pas épargnés.
C'est ainsi que les enfants israélites furent expulsés des
écoles et les fonctionnaires révoqués à la
stupéfaction de toute la population. La solidarité s'est
alors manifestée spontanément un exemple parmi tant d'autres,
un vieil instituteur, chargé de famille, révoqué
s'est trouvé dans la gêne. Aussi, en hiver, des bûches
de bois, du sucre, de l'huile, étaient déposés chaque
soir, par certains de ses élèves. Paradoxe aussi, son fils
est mort pour la France et après le débarquement en Afrique
du Nord, c'est lui qui nous apprit le "God save the King". La
Marseillaise, nous la chantions déjà. Sous Vichy, seul le
couplet " Amour sacré de la patrie" était chanté
tous les lundis matin. Un père de famille fort épicurien
à Géryville, a retrouvé une sagesse inattendue après
1962. Il s'adonna à l'étude rabbinique et ouvrit une modeste
boutique, rue des Rosiers, pour articles et livres religieux. La théière
ronronnait à longueur de journée. C'était le lieu
de rendez-vous des Géryvilois de passage, de là-bas ou de
l'hexagone. A l'annonce du décès d'un membre d'une famille
amie, il récita d'un trait un verset du Coran, verset du Trône
de la Sourate de la Génisse, sublimant la puissance de " l'Éternel"
et la vanité de l'homme. C'était stupéfiant.
Une capitale de l'alfa
-----Les grands stratèges de l'équipement,
à l'époque, ont fait passer la voie ferrée Oran-Béchar,
bien au large de Géryville, effrayés peut-être, par
les Djebels Amours et les monts des Ksours. Cela n'a pas été
une tare, bien au contraire, nous étions, bien, à l'écart.
Grâce à nos conducteurs de diligences, puis de cars et de
camions, nous étions bel et bien reliés au reste du monde.
C'est ainsi que Géryville eut la visite au moins, d'un ministre
de la guerre, Monsieur Etienne vers 1904 ou 1905, d'un Gouverneur Général,
en 1940, L'Amiral Etienne, défenseur de Dunkerque, les camions
et cars Berliet de la croisière Berliet franco-musulmane, avant
la Grande Guerre. L'alfa des hauts plateaux a fait la prospérité
de la cité entre les deux guerres, en effet, elle en fit le centre
alfatier le plus important d'Afrique du Nord. Arrachée avec méthode,
cette plante bien singulière, parce qu'unique, donnait un papier
de qualité de renommée mondiale, fabriqué, hélas
en Angleterre. L'importance de cette ressource alfatière a fait
qu'un exploitant local a eu maille à partir avec un certain Blachette
et un certain Borgeaud, bien connus de la finance dans l'Algérois.
Ils voulaient en avoir le monopole. Notre concitoyen eut gain de cause,
après un long procès, c'était avant guerre.
Bien d'autres richesses
-----Cette mer d'alfa avait aussi une autre
richesse, le mouton, qu'exploitaient les nomades élevant aussi
leurs superbes chevaux, leurs dromadaires indispensables à la transhumance
et les méhara pour les grandes randonnées dans le sud de
l'Atlas Saharien. L'élevage du mouton, a eu sa prospérité
accrue avec l'amélioration de la race et les soins prophylactiques,
c'est ainsi que le mérinos a été introduit dans le
Géryvillois.
-----Il y eut, hélas, aussi des grosses
pertes avec la sécheresse et parfois dans certains points à
cause des intempéries, pluie et crues d'Oued où paissent
les troupeaux et enfin le froid et la neige, les nomades ne connaissant
pas de granges. En 1954, " ce pays de mouton", comptait 600
000 ovins, 200 000 caprins et 20 000 camélidés.
Il y eut, hélas, la révolution agraire, qui a sédentarisé
les populations et les troupeaux. C'est ainsi qu'on a vu des troupeaux
de moutons, dans des enclos, nourris avec du fourrage importé de
Hongrie. C'est ainsi qu'a commencé le déclin de l'élevage,
avec la fuite des troupeaux au Maroc, en contournant le barrage électrifié
au large de Béchar, mais c'est une autre histoire. Le cheptel se
reconstituait après chaque calamité et le dernier moutonnier
a quitté le port de Mostaganem à destination de Marseille
en 1948, avec à son bord des touques métalliques, conservant
le beurre de brebis, spécifique à notre région. Ces
touques métalliques étaient soudées hermétiquement
par le père de notre futur Chevalier de la Légion d'honneur
(cité plus loin). Autre richesse de Géryville, ses tapis
de haute laine du Djebel Amour, rouge et noir avec une croix Svastika
comme motif, venue dans cette contrée on ne sait comment, et des
tapis ras, des coussins, il faut noter que les tapis rouge et noir sont
tissés essentiellement dans la tribu de Stitten par la fraction
des Geramna (pluriel de Germani).A noter qu'en Allemagne existe une ville
Stettin avec son camp militaire dit "la Petite Sibérie"
en raison du froid qui y sévissait. Stitten, Stettin, Geramna,
Germani, mystère ! Un peu plus au sud existe le village Ksar ou
Oasis, portant le nom de Brezina, Berezina, curieux, ce qui fit dire a
un garçon quelque peu espiègle, lors d'un cours d'histoire
sur Napoléon nous avons, nous aussi, notre " Berezina".
C'est bien, à l'école de ce village, que notre agrégé
de l'université de France apprit son alphabet. Il en sera question
un peu plus loin.
-----Nos chevaux de race, agiles, vifs et
de belle robe se distinguaient dans les comices. Ils étaient retenus
pour la remonte et fournissaient l'essentiel des montures de nos régiments
de Spahis. Une fois l'an, le lendemain de ces comices que présidait
le chef d'annexe (officier du grade de Capitaine ancien ou Commandant)
assisté d'officiers de spahis, de médecins et vétérinaires
militaires et juges civils, se disputaient les courses au pied du Bouderga,
au Mrires.
-----Avant la dernière course, apparaissaient
au loin, les méhara blancs, dans la poussière, après
une longue randonnée de plus de quarante kilomètres. Enfin
la journée se terminait par une fantasia que donnait chacune des
vingt tribus après un beau défilé, caïds en
tête, tous anciens officiers ou sous-officiers.
-----Le jeudi se tenait le marché
aux bestiaux, avec ses centaines de moutons et de chèvres, ses
dromadaires, ses méhara, ses mulets et le fidèle bourricot.
Se vendaient aussi les blocs de sel gemme, les dattes pétries dans
les peaux de moutons aromatisées au thym sauvage, aliment préféré
des troupeaux, les dattes sèches rouges et translucides du Gouarara
; les fagots de bois de chauffage, de chêne débité
pour les foyers aisés, de taga pour les classes moyennes et de
brindilles pour les autres, les poteries en argile rouge cuite, tajines,
kanouns, encensoirs, du charbon de bois, du goudron qui en est tiré
et qui servait à imperméabiliser les outres (guerba pour
l'eau) tout en produisant un goût particulier à l'eau transportée.
De plus, très bon désinfectant, ce goudron servait aussi
de remède à la teigne.
-----Et nos nomades, arrivés la veille,
envahissaient la rue commerçante, dite rue de Stitten, en fin de
journée, pour faire leurs emplettes, tissus, café, sucre,
thé et accessoires divers tels que harnais et selles de chevaux,
deux artisans spécialistes se distinguaient par la beauté
de leur travail, broderie or et argent sur cuir rouge, cuir souple et
cousu main. Un passage chez le maréchal-ferrant s'imposait. Enfin,
visite était faite aux bijoutiers de la ville, tous de confession
israélite originaires du Mzab ou du Tafilalet. Les autres commerçants
étaient des mozabites ou des kabyles et de gros commerçants
israélites ou berbères des Ksours mais tous Géryvillois
Nos écoles
-----Ses écoles communales de filles
et de garçons ont vu le jour bien avant le siècle. Le premier
directeur, a eu son fils, enseignant comme lui, tué au champ d'honneur
en 1916. Son portrait existait encore en 1962, accroché au mur
au-dessus de la chaire du maître dans ce qui fut sa dernière
salle de classe.
-----Ses cours complémentaires, existaient
déjà dans les années 20. En sont issus les premiers
instituteurs du cru, un avocat, un agrégé de l'université
de " France" comme il se plaisait à le préciser
un médecin général inspecteur (trois étoiles),
(certificat d'études en 1929) et son frère colonel de cavalerie,
certificat d'études en 1930. D'autres officiers et sous-officiers
suivront, supérieurs et subalternes.
Après guerre, les cours complémentaires ont repris avec
le retour des enseignants et le palmarès s'est encore prolongé
jusqu'en 1962. Nos élèves quittaient ces cours complémentaires
pour le collège de Mascara, le lycée ou l'Ecole Normale
d'Oran et par la suite les universités, les grandes écoles
ou les écoles militaires et même plus tard le CNRS. L'un
des derniers issus de ces cours complémentaires est en activité
comme patron, précisément au CNRS. 3 autres jeunes"
recensés sont universitaires, enseignants ou chercheurs. Un autre
enfant de Géryville est mort à Los Angeles en 1984 lors
des Jeux Olympiques. Il représentait la ville de Paris dont il
était conseiller municipal, arrivé en 1962 avec ses seuls
titres d'enseignant. Du côté algérien, un chercheur,
directeur du CNRS algérien, fut victime de la barbarie il y a deux
ans.
-----Le dernier ambassadeur d'Algérie
à Berlin en RDA fut aussi un Géryvillois, précédemment
consul à Grenoble. Il y rencontra une famille nombreuse repliée
depuis 1962. C'est avec émotion que les retrouvailles furent célébrées.
A noter que cette famille a compté une championne de haut niveau
parmi ses jeunes. El-Bayadh a toujours fourni un fort contingent de hauts
fonctionnaires à l'administration centrale à Alger. C'est
ainsi que deux ministres dont le dernier ministre des affaires étrangères
avant la tourmente, figuraient au palmarès.
L'armée
-----Alors que la conscription n'existait
pas dans les Territoires du Sud, donc à Géryville, bon nombre
d'Escadrons du Régiment de Spahis d'Oranie, comptaient dans leurs
rangs des Gérvvillois du centre ou des ruraux et c'est ainsi qu'on
a vu partir en guerre en 1914 ou 1939 des unités avec leurs officiers,
sous-officiers, spahis et chevaux tous originaires de Géryville.
Et il faut signaler, hélas, un acte de bravoure sans pareil, de
désespoir, un peloton de spahis a chargé sabre au clair,
sur des chars allemands. Cela s'est passé en mai 1940. C'est ainsi,
que partout où les armées françaises furent engagées
et l'armée d'Afrique présente, les Géryvillois payèrent
un lourd tribut comme tant d'autres douars, villages et villes d'Algérie.
Le livre d'or de l'Algérie, édition 1937, fait mention de
40 personnalités, notables ou simplement fonctionnaires, commerçants,
totalisant 10 chevaliers de la Légion d'honneur, 6 Médailles
Militaires et de nombreuses Croix de Guerre, de 14-18 et des expéditions
sahariennes et extérieures. Enfin une anecdote, illustrant bien
le géryvillois. A la reprise de la houillère de Kenadza,
bon nombre de Géryvillois s'exilèrent à Béchar
et Kenadza, dans les années 40. Ils y trouvèrent un emploi,
surtout dans les bureaux. Un candidat se présenta à l'embauche
- Question : Avez-vous votre certificat d'études?
- Réponse : Oui.
- Question : Savez-vous conduire une voiture ?
- Réponse : Non.
- Question : Savez-vous monter à vélo?
- Réponse : Non.
- Question : Alors que savez-vous faire ?
- Réponse : Piloter un planeur et un avion de tourisme."
-----En effet, Géryville possédait
un aéro-club sans aérodrome, mais avec des avions de type
Norecrin et Stamp et des planeurs, avec comme animateur et fondateur,
un Père Blanc, capitaine d'aviation de réserve, héros
de la RAF et des Ailes Françaises à la libération.
Alors que ronronnaient sur notre route nationale n0 6, à peine
goudronnée, les derniers camions à chaîne et le dernier
Lancia, camion italien, récupéré en Tripolitanie,
dans le ciel bleu de Géryville, vrombissait le Spitfire, avion
de combat du pilote Père Blanc, effectuant des loopings, chandelles
et autres rase-mottes. Maudit était ce camion Lancia, par les prisonniers
italiens, il était la cause de leur capture, en raison du temps
qu'il lui fallait pour démarrer le moteur et leur permettre la
fuite.
Un accident, malheureusement, endeuilla le club et toute la cité.
Le plus jeune des adhérents se tua à son premier vol. Nous
n'étions pas à Pavie, mais un quart d'heure avant sa mort,
il était plein de vie, pétillant de santé et de joie,
à l'idée de voler en autonome. Il avait à peine 18
ans . Au moins deux des membres de ce club peuvent arborer l'insigne de
pilote, lors de nos réunions annuelles.., longue vie à eux.
-----Géryville eut, aussi, ses marins,
quatre de ses enfants ont servi dans la " Royale", deux avant
guerre dont l'un fut un grand mutilé dans la brève empoignade
au Levant entre les FFL et les troupes fidèles à Vichy,
et deux après guerre. Une famille comptait 4 frères aviateurs
dans les années 30.
-----Sur le plan sportif, Géryville
n'était pas à la traîne. Nous avions deux équipes
de Football, la Vaga (Vie Au Grand Air) et l'Étoile du Sud. Des
manifestations d'athlétisme se déroulaient avec les élèves
des écoles et leurs maîtres. C'est ainsi qu'un jour, nous
vîmes s'envoler un sauteur au bout d'un long morceau de bois. C'était
le premier saut à la perche dans le sud algérien, réalisé
par un instituteur originaire de Normandie et qui s'est distingué
par la suite en créant les écoles nomades chez les Touareg.
Cela se passait au stade municipal, qui portait le nom de son créateur,
le chef d'annexe. Ce nom avait une forte consonance arabe, il était
pourtant un pur provençal, originaire d'Arles la Romaine et il
avait pour prénom, celui d'un empereur. Sa fille avait comme camarades
de classe, deux de nos mamies encore en bonne forme. Longue vie à
elles.
L'aspect culturel
-----Sur le plan culturel et associatif,
Géryville a eu ses louveteaux, ses scouts et ses routiers. Certains
d'entre eux participèrent au premier Jamboree d'après guerre
à Colombes. Les années scolaires se terminaient par des
représentations théâtrales montées par nos
enseignants et leurs élèves. Tous en gardent un souvenir
ému, n'est-ce pas nos vénérés maîtres?
-----En métropole et aujourd'hui,
existent encore, et Dieu merci, un couple d'enseignants, arrivés
en 1940 à Géryville, retraités paisibles dans leur
Poitou natal. Une fois l'an, ils sont entourés avec affection et
respect de leurs élèves, tous sexagénaires, lors
de leur réunion des Géryvillois dans le Bourbonnais. Ils
sont plus de la centaine avec leur progéniture et la progéniture
de la progéniture et l'ambiance y est. Existe encore et aussi un
Père Blanc, le Père Duvollet, mémoire vivante du
passé de l'Algérie, il en est à son 20ème
volume. Il y était en 1940. Sans oublier un ancien officier des
Affaires Indigènes, le dernier avant le statut de l'Algérie
et l'arrivée des administrateurs civils dont un sous-préfet
replié dans sa belle région d'Alsace. Ces personnalités
représentent les derniers maillons d'une lignée où
l'enseignant dispensait savoir et éducation, dans les classes de
40 à45 élèves dont le français n'était
pas la langue maternelle. Le médecin soignait et arrivait à
éradiquer des maladies telles que le trachome le religieux respectait
les autres croyances. A souligner que seules trois conversions au christianisme
furent enregistrées en plus d'un siècle et une seule juive
à l'Islam, c'était par amour. Une autre idylle, digne du
dernier des Abencérages, eut lieu dans le milieu des années
40. Elle n'eut pour d'autres conséquences que l'exil, dans le Tell,
des 2 amants et le soupir de quelques jeunes témoins d'une aussi
belle histoire d'amour. Les uns et les autres ont accompli un travail
qui fait honneur à leur pays, à leur corps de métier
et qui a amplement mérité la reconnaissance de toute la
population. Autre anecdote pour rendre hommage à nos enseignants,
deux compères, candidats au certificat d'études, révisaient
leur texte de récitation à la veille de l'examen, le soir
au frais dans le jardin public
-----"Heureux qui comme Ulysse..."
Un officier et sa femme témoins de la scène, médusés
applaudirent et encouragèrent le récitant qui enchaîna
"France, mère des Arts, des Armes et des Lois." Du Bellay,
à Géryville, par un soir d'été, dans la bouche
de deux gamins. Le français n'était pas leur langue maternelle,
au cours élémentaire, ils le parlaient déjà
et La Fontaine ne leur était pas inconnu. Au cours moyen 2ème
année, ils avaient, déjà, entendu parler de la Pléiade
et l'imparfait du subjonctif était dans le programme du certificat
d'études primaires, comme dans toutes les classes de France et
de Navarre, à l'époque. Qu'en est-il aujourd'hui, ici et
là-bas? Et quel beau diplôme que ce Certificat d'Etudes Primaires
et plagiant le poète, l'on peut dire que notre certificat était
plus beau que vos diplômes ronflants d'aujourd'hui. Un Géryvillois
s'est vu décerner, il y a moins d'un an, la Légion d'honneur
à titre militaire comme tant d'autres concitoyens, ses anciens
ou ses camarades. il était issu d'un milieu fort modeste et sur
sa poitrine cette haute distinction est bien portée.
Nos personnalités
-----Nous avons eu à déplorer,
récemment, le décès d'un ancien médecin militaire
qui s'était distingué, assisté de ses deux fidèles
infirmiers du cru, lors de l'épidémie de typhus dans les
années noires de guerre, de misère et de froid de l'hiver
43-44. Mention spéciale pour ces deux infirmiers, connus de plusieurs
générations d'enfants des écoles soumis aux soins
prophylactiques contre le trachome.
-----La lettre du diocèse de Laghouat
a relaté l'an dernier, la disparition d'un Géryvillois resté
au pays. Il était l'ami, le soutien des Surs Blanches, les
dernières qui s'y trouvaient. Singulier, ce Géryvillois,
il n'avait qu'un oeil pour conduire un camion, l'autre oeil étant
plus que fatigué. Singulier aussi, parce qu'il était un
virtuose de l'harmonica. En effet Géryville, pendant la guerre,
a été incidemment un haut lieu de cet instrument de musique
les prisonniers de guerre allemands échangeaient leur harmonica
Honer, contre un paquet de cigarettes. C'est ainsi que s'est constitué
un corps de joueurs d'harmonica avec quelques virtuoses pouvant porter
ombrage au trio Ressner. Les morceaux les plus joués étaient
- une fleur de Paris , Étoile des Neiges, la Houlillah, et tant
d'autres.
-----Particulier, aussi était le camp
occupé par les prisonniers de guerre, Italiens et Allemands. Occupants,
ils le créèrent et vaincus, ils l'occupèrent. En
1940, quelques bâtiments étaient réservés dans
la grande caserne à quelques réfugiés venus d'Europe.
En 1941, fut dressée une enceinte de barbelés, pour enfermer
des prisonniers de guerre britanniques. Enfin après le débarquement,
le camp s'est agrandi et y furent internés les prisonniers de la
campagne de Tunisie et de Libye, Allemands et Italiens. Il faut signaler
quelques tentatives d'évasion lamentablement échouées,
en effet, il y avait une prime accordée pour la récupération
de tous prisonniers évadés. C'est ainsi que fut ramené
à la mairie, bien ficelé sur un âne, un géomètre,
en plein labeur vers le Ksel. Au cimetière, reposait un prince
allemand, mort de mort naturelle et rapatrié bien après
guerre sur un vaisseau de la marine allemande.
-----Tous les faits relatés et les
personnages décrits ont bien existé, même notre ancien
et dernier maire adjoint, Bachagha de son état et descendant de
l'illustre Sidi-Cheikh. Il avait le pouvoir de changer dans sa bouche
la gorgée d'anisette bien fraîche en gorgée de petit
lait aussi frais. Si ses adeptes le croyaient, ses amis et tous les Géryvillois
le croyaient aussi. C'était un saint homme.
Et comme il faut de tout pour faire un monde, Géryville eut, aussi,
son gangster de haut vol. Un chanteur auteur-compositeur de renommée
nationale, voire internationale est né de père géryvillois.
-----Et puisqu'il s'agit de progéniture,
parlons en, l'aînée de nos enfants, née à Géryville
est enseignante, d'autres ont suivi. La réussite, la leur, est
due peut-être aux facilités trouvées en France, mais
due surtout aux sacrifices des parents qui tous ne roulaient pas sur l'or
en 62. On y trouve Polytechnique, Normale Sup., une poignée de
doctorats mais curieusement pas en médecine, c'est trop courant
ou tout simplement des artisans, des commerçants, des fonctionnaires.
Le droit du sol étant de rigueur à Géryville, tout
être né, tout être qui a enfanté, tout être
qui a aimé, tout être qui a séjourné en cette
cité est réputé Géryvillois, d'office et de
cur. C'est ainsi que nos "pièces rapportées",
épouses ou époux, en sont tellement persuadées, tellement
imprégnées, qu'elles ne peuvent ignorer ce qui a été
relaté ci-dessus et en rajoutent parfois... au point d'être
plus Géryvillois que les Géryvillois. Ce n'est pas un reproche,
c'est un éloge. Enfin une pensée pour les nôtres qui
sont restés de l'autre côté, amis ou parents vivants
ou disparus. Et ultime pensée, avant de conclure, pour ce qui fut
notre symbole la Mahboula "la folle". Source à l'entrée
de la ville. Captée et aménagée par leur service
du Génie, elle coulait à flot, est-ce son débit,
hors du commun, qui est à l'origine de son appellation ? Eau, limpide
et combien fraîche, elle a servi d'abreuvoir pour les chevaux de
spahis, de lavoir, mais surtout d'eau de consommation en été
dans bon nombre de foyers. Elle ne coule plus de nos jours, et... c'est
ainsi que les Géryvillois naissent et demeurent égaux mais
inégalables, il faut le dire, dut leur modestie en souffrir!
-----Et à tous, présents et
à venir, Salut et Fraternité.
Colonel Boualem LAOUFI
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