La nouvelle gare maritime d'Alger
L'uvre en projet : sa première étape
Le projet de doter le port
d"Alger d''une nouvelle gare maritime n'est pas d'hier. C est en
l37 que fut autorisée, et aussitôt entreprise, dans l'ancien
port, la construction d''un môle devant servir d'assise à
une grande gare maritime, conçue et équipée selon
les techniques moderne.
La première gare de ce genre, celle du môle Al-Djefna,
qui est d'ailleurs encore " la " gare maritime d'Alger, n'avait,
alors que dix ans d'âge ; mais il paraissait manifeste qu'à
la cadence d'accroissement de son trafic, elle s'avérerait bientôt
insuffisante. Aussi bien, n'offrait-elle pas seulement deux postes à
quai, alors que non-pas deux, mais trois compagnies de paquebots desservent
régulièrement notre port !
Le nouveau môle, qui prit plus tard le nom de môle de France,
fut un vaste terre-plein en forme de trapèze, long de 300 mètres,
et d'une largeur comprise entre 230 et 125 mètres. Il ne devait
être terminé qu'en 1941. Dans l'intervalle était
venue la guerre, reléguant en des temps meilleurs, l'édification
de la gare projetée.
Le projet évolue
A quoi répondait ce projet, qui, grâce à la Chambre
de commerce d'Alger, est entré cette année, après
une longue pause, dans une première phase de réalisation
? D'abord à l'idée de grouper les, installations portuaires
de voyageurs et les installations de la gare de chemins de fer d'Alger
en une seule grande gare, maritime et ferroviaire à la fois.
Sur cette idée, s'en greffa une autre : les exportations du port
en primeurs (agrumes, autres fruits, et légumes) venaient d'augmenter
en de telles proportions qu'on décida, en 1938, de doter la future
gare de l'équipement et des locaux spéciaux qu'exigerait
certainement un jour ce commerce en plein essor. Le projet subit toutefois
sa plus importante modification en 1941 lorsque, faute d'un espace suffisant
sur le terre-plein du môle et les quais d'enracinement, l'on décida
d'en dissocier la gare ferroviaire. Seule subsistait la partie proprement
maritime du projet, dont la mission relative aux exportations de primeurs
fut définie à la fin des hostilités. Déjà
la pratique d'un transit " sous froid " avait été
promise en 1942 aux primeurs en provenance de l'intérieur du
département ; on admit en 1945 que la gare maritime devrait,
de plus, offrir la possibilité de " pré-réfrigérer
", c'est-à-dire de soumettre à une première
réfrigération, les primeurs expédiées de
la banlieue algéroise.
Le problème des primeurs...
Ainsi se dessinait l'importance du rôle assigné à
la gare maritime dans le commerce des primeurs et aussi dans ce qu'on
appelle la " chaîne du froid ". La gare assurerait,
en particulier, la correspondance entre la station d'expéditions
" sous froid " construite à Orléansville pour
des transports quotidiens de 50, puis de 200 tonnes de primeurs, et
les cales réfrigérées' dont les compagnies d'armement
ont équipé leurs paquebots et cargos rapides.
L'ampleur à donner à ses installations devait répondre
aux exigences croissantes du trafic. Déjà, dans les années
d'avant-guerre, les exportations du port en primeurs avaient atteint,
ou même dépassé, 150.000 tonnes par an. Remontant
en flèche après la guerre, elles furent de 72.000 tonnes
en 1946, 113.000 en 1947, 200.000 environ en 1948 et en 1949. Elles
seront bien supérieures cette année. C'est donc une sage
prévision qui fixa à plus du double des exportations d'avant-guerre
le trafic que la gare pourrait avoir à assurer. On ne négligeait
pas, ce faisant, la concurrence, d'ailleurs forcément limitée.
de l'avion, et celle d'autres services d'exportation, non spécialisés,
du port lui-même.
Mais l'on tenait un aussi juste compte des capacités de transport
des paquebots et cargos, de plus en plus grands et de plus en plus rapides,
du problème de leur fret de retour dans la métropole,
et surtout du développement marqué des cultures maraîchères
et fruitières du département. Pour les agrumes en particulier,
l'état des plantations assure une augmentation certaine de la
production jusqu'en 1953. Cependant, la prudence ne fut pas exclue du
projet. On se réserva de modifier l'importance des installations
en étendant ou, au contraire, en ajournant certains travaux.
On conserva la possibilité d'affecter telle ou telle partie des
installations réalisées à des marchandises diverses
aussi bien qu'aux primeurs.
...et la solution admise
La comme ailleurs, le débit en période de pointe fut un
élément de calcul déterminant, affecté de
l'indispensable coefficient de sécurité dû aux facteurs
imprévisibles (simultanéité de départs de
paquebots, vague de chaleur excessive, jours chômés répétés,
etc...). Il fut admis en définitive que la gare maritime devrait
être en mesure de recevoir en un jour un maximum de 3 à
4.000 tonnes de primeurs, de traiter " sous froid " et de
stocker la valeur de deux jours d'arrivages, soit une quantité
de 6 à 8.000 tonnes. On admit de même que les apports proviendraient,
en proportions à peu près équivalentes, de la région
algéroise par camions, et de l'intérieur, principalement
de la vallée du Chélif, par wagons. Les surfaces couvertes
nécessaires à la réception furent calculées
en conséquence, et fixées à 'un total de 13.000
mètres carrés. Ainsi largement comprise, la réception
permettra le .reclassement des marchandises à leur déchargement
des wagons et des camions, la constitution, le cas échéant,
de volants utiles à la bonne marche des opérations, et
l'emploi d'appareils de manutention à grande capacité,
convenant aux divers modes d'emballage, cageots, caisses, ou "
containers ".
La " chaîne du froid "
L'évaluation des stockages envisagés conduisit à
prévoir des salles de stockage, réfrigérées
ou non, d'environ 80.000 mètres cubes, correspondant à
une surface couverte de 24.000 mètres carrés. Enfin, le
traitement en " chaîne du froid " fut basé sur
le principe, qui n'est d'ailleurs ni formel ni définitif, de
la conservation des primeurs délicates à + 2°, 'et
des agrumes à + 6°.
En tablant sur la moyenne des différences avec la température
extérieure, et sur diverses données telles que les durées
de " pré-réfrigération ", elles-mêmes
fonction des inerties thermiques, on estima à 7 millions de frigories-heure
et à 5.000 C.V. la production de froid et la puissance de l'équipement
frigorifique dont il serait souhaitable de disposer. Tout ceci ne peut
être qu'approximatif. Le nombre et l'emplacement des chambres
froides sont susceptibles de varier au cours des travaux. L'emploi de
machines frigorifiques à circulation de saumure, qui permet une
distribution facile du froid dans de vastes limites, donnera sur ce
point beaucoup de souplesse. Signalons aussi l'éventualité,
que déterminera l'expérience, de faire concourir l'installation
à des exportations de viande congelée
Le problème des voyageurs
L'autre problème principal auquel s'attaquait le projet, le problème
du transit des voyageurs, n'étaitpas sans offrir de difficultés,
comme, par exemple, celle de ménager un accès direct et
rapide au niveau de la ville.. .
On sait que, malgré la concurrence de l'avion, le nombre de voyageurs
empruntant à Alger la voie maritime augmente toujours. Il faut
en chercher la raison dans le domaine démographique et social
:
accroissement de la population elle-mème. et, aussi, dans l'ensemble
de ses besoins et facilités de déplacement. Il y avait
255.000 voyageurs par mer en 1938, et y en eut 270.000 cn 1949. ce qui
plaça Alger au quatrième rang des ports de France et d'Afrique
du Nord. La caractéristique de ce trafic est l'ampleur des variations
saisonnières : la moitié du mouvement annuel s'effectue
pendant les trois mois d'été, avec des pointes atteignant
2.500 personnes par jour. D'où la nécessité de
spacieuses installations, dotées de surfaces très supérieures
à celles édifiées sur le môle Al-Djefna ,il
y a plus de vingt ans. Une semblable extension fut prévue à
l'égard des bureaux et locaux des deux premières compagnies
de navigation qui assumeront la charge de l'exploitation (partie "
voyageurs ") de la gare maritime : la Cie Gle Transatlantique,
et la Cie de Navigation Mixte. Il est également prévu,
et fort à propos d'ailleurs, que les installations dont ces deux
compagnies disposent aujourd'hui sur le môle Al-Djefna. seront
mises aussitôt au service d'autres compagnies.
Les marchandises diverses
Quant au problème des marchandises diverses, il sera réglé
sur le principe de l'attribution d'un poste à quai sur la partie
ouest (contiguë à l'enracinement) du môle de France
à chacune des deux grandes compagnies exploitantes, et de la
" banalisation ", c'est,-à-dire la mise à la
disposition de tout armement ou agence qui en fera la demande, des deux
postes à quai de la partie Est, à l'extrémité
du môle. De grands hangars à marchandises communiqueront
de plain-pied avec ces quatre postes à quai, et totaliseront
une surface couverte d'environ 15.000 mètres carrés.
Les circuits que devront suivre dans la gare les primeurs, qu'elles
soient incluses ou non dans la chaîne du froid, et les marchandises
diverses, feront l'objet de règles très précises
qui sont encore en cours de mise au point.
Le projet architectural
Telles sont, rapidement esquissées, les principales données
qui serviront de base au projet architectural. Celui-ci devait par ailleurs
se conformer à la topographie et aux règlements d'urbanisme
de la ville d'Alger. Bien que l'on ne disposât que de dimensions
limitées dans le sens de la hauteur, l'on s'attacha à
grouper le maximum d'installations sur le môle lui-même,
afin d'éviter de trop longues manipulations entre les lieux de
déchargement des arrivages et ceux de chargement (par sabords
ou par grues) sur les navires.
Les quatre grands courants de circulation ou de manutention se partageront
trois étages, reliés par ascenseurs ou voies inclinées
: au rez-de-chaussée les marchandises diverses, au premier étage
les primeurs " sous froid ", au second étage les autres
primeurs et le trafic des voyageurs.
Cette conception à abouti à un grand bâtiment qui
épousera la forme trapézoïdale du môle de France,
avec 275 mètres de long et de 90 à 117 mètres de
large. Sur le terre-plein d'enracinement, un autre grand bâtiment
constituera le hall de réception des primeurs sous froid. Pour
permettre la circulation sur le quai, ces deux bâtiments, distants
de 30 mètres, ne seront reliés qu'aux niveaux des étages.
Enfin, le toit du second bâtiment, vaste terrasse où se
présenteront les voyageurs et où parqueront les voitures,
communiquera directement avec le boulevard Carnot, au-dessus d'une autre
route portuaire de 35 mètres, par un ensemble approprié
de rampes et d'escaliers. Ainsi le voyageur, pour s'embarquer, se rendra-t-il
de la ville à la gare maritime sans passer par les quais.
La première étape
Un projet aussi grandiose, à la Lyautey, pourrait-on dire, avec
ce que cela implique de vaste et de pratique à la fois, ne saurait
être réalisé entièrement dans un proche avenir.
Aussi la Chambre de
Commerce a-t-elle prévu, dans l'exécution des travaux,
plusieurs étapes qui échelonneront dans le temps les financements
nécessaires. La première étape comprendra la construction
de la moitié-ouest du bâtiment du môle de France,
construction d'ailleurs réduite au rez-de-chaussée et
au premier étage.
C'est elle que l'on a vu sortir de terre ces derniers mois. Elle sera
terminée dans le courant de 1952.
A cette époque, la nouvelle gare maritime comportera donc les
hangars du rez-de-chaussée dévolus à la Cie Gle
Transatlantique et à la Cie de Navigation Mixte, la moitié
de l'équipement frigorifique afférent au premier étage
construit, ainsi que des installations provisoirement suffisantes pour
les deux compagnies de navigation et leurs services de voyageurs. Les
trains de voyageurs comme de marchandises y auront accès, mais
le passager en provenance de la ville passera encore par les quais,
comme_il le fait aujourd'hui pour aller s'embarquer à la gare
du môle Al-Djefna. Pour limitée qu'elle soit, cette première
étape n'en constituera pas moins une grosse amélioration
de nos moyens portuaires algérois : elle correspond à
des besoins urgents, notamment en surfaces couvertes, et nous savons
que les utilisateurs sont impatients d'en disposer.