L'ECOLE COMMUNALE :
Il est bien présomptueux d'aborder, après
Pagnol, ce sujet. Pourtant, au vu de ce qui se passe de nos jours dans
l'éducation dite nationale, on ne peut que se référer
avec tendresse à cet heureux temps où l'on apprenait simplement
à apprendre.
Dans les petits bourgs, alors, un instituteur (homme ou
femme ne se prévalant pas encore du titre ronflant de " professeur
des écoles ") avait en charge le dégrossissage d'une
trentaine de gamins sur six années d'âge, depuis la classe
de maternelle jusqu'à celle du certificat d'études, examen
qui correspondait à celui d'entrée en 6éme des lycées
et collèges. Certaines années on vit même cet effectif
dépassé et les maîtres, saints laïcs, n'en faisaient
pas une histoire, ne se mettaient pas en grève. C'est tout juste
si, parfois, les maires de village osaient une observation auprès
des rectorats de la ville lointaine. L'image ci-contre en témoigne.
Les choses se passaient simplement. A l'appel de
la cloche, nous rejoignions en rang et dans le calme les trois rangées
de pupitres correspondant à nos âges et à notre avancement
dans les études et entamions les travaux qui nous étaient
distribués.
En cas de besoin, certains des " grands " étaient conviés
à l'honneur de répétiteurs des petits qu'ils aidaient
à ânonner leur b-a, ba, pendant que le maître dirigeait
une dictée ou énonçait un problème d'arithmétique.
Les bons élèves se voyaient accorder une récompense
: sonner la cloche des entrées et sorties de classe, assurer le
service des encriers de pupitres avec une belle encre violette préparée
chaque semaine avec la poudre idoine, l'hiver veiller à charger
pendant la récréation le poêle avec du bois stocké
sous le préau. La journée accomplie, nous sortions en rang,
sans oublier de saluer d'un bonsoir m'dame ou bonsoir m'sieur.
En fait, la journée n'était terminée pour personne.
Le maître avait encore les devoirs des jours précédents
à corriger. Les élèves, après avoir pris leur
goûter et s'être détendus dans des jeux divers, devaient
s'attaquer aux devoirs du jour : page d'écriture pour les petits
(avec pleins et déliés à la plume sergent major),
problèmes de calculs, composition française ou carte de
géographie à reporter sur le " cahier de classe "
pour les plus grands.
En ce temps là, il importait également à nos maîtres
tout autant de nous initier aux disciplines fondamentales que de nous
informer de nos racines. C'est pourquoi histoire et géographie
tenaient une grande place.
Et d'abord l'Algérie. On nous situait sa position privilégiée
sur cette côte d'Afrique, on nous décrivait son relief, ses
cours d'eau, son climat doux sous un soleil brutal. On nous parlait de
sa longue histoire. Oh, nous ne remontions pas trop loin dans le temps,
négligeant peut-être Jugurtha, Juba ou la Kahina, mais on
nous disait ce que nous devions aux berbères, aux phéniciens,
aux romains qui avaient fécondé cette terre difficile. Les
temps modernes n'étaient pas oubliés. Nous savions que la
conquête avait exigé des combats meurtriers dans lesquels
s'étaient illustrés des personnages fabuleux, le duc d'Aumale,
l'émir Abd El Kader, farouche guerrier que la France honora plus
tard quand il se fut rallié à elle. Et n'oublions pas le
père Bugeaud dont la devise " ense et aratro " fut implicitement
celle des premiers colons qui suèrent sang et eau pour faire fructifier
les maigres et parfois insalubres parcelles de terrain qui leur avaient
été concédées.
Mais, bien que vivant du côté sud de la Méditerranée,
nous apprenions aussi notre hexagone par le détail, tous les départements
avec leur chef-lieu, tous les fleuves, les plaines et montagnes, les variations
climatiques (et la douceur angevine), la beauté des paysages, les
richesses agricoles, minières et humaines.
Nous apprenions comment nos ancêtres, depuis les
gaulois jusqu'aux poilus de Verdun avaient, dans l'effort et la douleur,
construit notre nation. La mère patrie était la mère
de nos mères, donc notre mère aussi et nous l'aimions comme
telle. Quelque vingt années plus tard, cette affection, hélas,
fut durement secouée à propos des événements
qui détruisirent notre Algérie natale et changèrent
radicalement notre perception de la " douce France ".
Nous reçûmes donc, pour cet âge, une instruction sérieuse
mais point sévère. Les jeux d'enfants l'égayaient
quotidiennement et nous apprenaient en même temps les règles
de la vie en commun lesquelles, à la base, ne différaient
guère de celles des adultes. A l'école, on nous enseignait
le monde, à la maison, on nous enseignait la vie.Ainsi avancions-nous,
lentement mais sûrement, dans la compréhension du monde et
progressions-nous vers l'univers des adultes, ces titans par la taille,
l'esprit et les connaissances, dont les comportements nous paraissaient
parfois si étranges ou hermétiques.Les grandes questions,
nous nous les poserions plus tard !
Alain COHET
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