LOISIRS AU FIL DES ANS
Alain
COHET évoque
LA SAINT COUFFIN :
C'est ainsi que l'on nommait ce lundi de Pâques où il est
de tradition de déjeuner, s'il fait beau, sur l'herbe, inconfortablement
mais dans le plaisir de quitter l'hiver pour aborder enfin le printemps.
Tradition bien française mais également très suivie
dans notre province d'Afrique du nord si l'on se réfère
aux nombreux ouvrages où nos compatriotes Pieds Noirs reportent
leurs souvenirs des jours heureux.
Dans notre cas, ladite tradition nous portait le plus
souvent vers la baie de Boucheral où l'on trouvait tout à
la fois des pins, du maquis, la mer avec du beau sable blond sur le rivage,
de petits coins rocheux dans lesquels on pouvait s'ébattre et pêcher
crabes et chevrettes.
Beaucoup de monde participait à cette sortie annuelle, sans distinction
de classes sociales lesquelles du reste, dans notre petite campagne, n'offraient
pas un éventail bien large. Donc, plusieurs jours à l'avance,
une grande agitation accompagnait les préparatifs de l'expédition,
car s'en était une dans l'acception de l'époque qui n'était
pas vue comme un simple casse-croûte sur l'herbe. Les ménagères
préparaient saladeries, pizzas, paellas et autres mangeailles qui
seraient généreusement accompagnées de ce vin rosé
qui venait bien et fort sur nos collines ensoleillées et rocailleuses.
Les hommes s'occupaient des cannes à pêche, des boules, des
sièges et des tréteaux pour les tables, des fûts découpés
et armés pour les grillades (on ignorait alors jusqu'au terme de
barbecue mais celui de kanoun nous convenait parfaitement). Comme on peut
s'en douter, si les jeunes et la marmaille posaient volontiers leur séant
à terre, les adultes ne renonçaient pas à un certain
confort, fonction du degré de raideur de leurs membres inférieurs.
Le jour dit, quelques véhicules partaient de bon
matin, chargés du gros du matériel et des fournitures, avec
mission de préparer le terrain. Participants et couffins emplis
du restant des provisions de bouche arrivaient en fin de matinée.
Une telle opération exigeait des volontaires, bien sur, mais aussi
quelques hommes de peine - ainsi qu'il sied dans toute aventure coloniale,
diraient les mauvaises langues - . De notre côté, nous accompagnait
parfois notre fidèle Djelloul, lequel se retrouvait en compagnie
des factotum de nos voisins.
Pendant que les gosses jouaient, se chamaillaient, se baignaient, les
adultes, plus ou moins regroupés par affinités repéraient
les coins les plus plats, les plus à l'ombre et y disposaient leurs
impedimenta.
Les agapes pouvaient commencer, précédées par les
apéritifs dans lesquels la traditionnelle anisette accompagnée
de la non moins coutumière kémia tenait la première
place. Les choses sérieuses suivaient dans le brouhaha, les rires
et les éclats de voix. On le sait, le méditerranéen
est fort en gueule, un peu vulgaire mais bon enfant et sa gaîté
s'exprime au mieux dans un ton élevé.
C'est bien connu, les fêtes prandiales alourdissent assez vite les
corps et les esprits. Lorsque le soleil atteignait son zénith,
une certaine atmosphère d'engourdissement commençait à
se faire sentir : l'heure de la sacro-sainte sieste était venue.
Les enfants y rechignaient et se vengeaient sur les fourmis et les insectes
qui passaient à proximité de leur couche, d'autres, plus
malins, avaient conservé par devers eux leur " taouette ",
décidés à faire sa peau à l'oiseau imprudent
qui se serait aventuré à glaner quelques miettes du festin.
Les jeunes gens tentaient de s'isoler derrière un buisson afin
de s'essayer discrètement aux gammes de l'amour. Mais à
ces jeux-là, le gros lot sortait rarement car, en ces temps où
la pudeur et la morale - sinon la prudence - avaient encore un sens, les
mammas jouissaient toujours de toute leur autorité et veillaient
fermement au grain ! Quant aux adultes, sauf quelques a parte mezzo voce,
c'est par leurs ronflements qu'ils se faisaient entendre.
Nous étions à des siècles de distance de nos rave
parties modernes !
Le temps passait, on se réveillait doucement, des conversations
se nouaient, des jeux s'organisaient. On commençait mollement à
ramasser les restes, à replier le matériel,, bref, à
préparer le retour. Celui-ci, pour certains, sera douloureux car
le réveil de la sieste aura été accompagné
d'une gueule de bois carabinée due au petit rosé consommé
immodérément. Tonton Louis, une certaine fois, en sut quelque
chose qui s'éveilla dans un état plutôt comateux.
Il prétendit s'être couché à l'ombre mais réveillé
la tête au soleil ! Il avait fallu le ramener prématurément
à la maison et l'y coucher car sa condition était inquiétante.
Pour le soulager, une matrone recommanda la pratique du " coup de
soleil ". Ce n'était pas, rassurons-nous, une recette du Kama
Soutra lequel suppose des participants en excellente forme physique, mais
une coutume assez usuelle dans notre pays de lumière où
l'on prenait garde d'exposer son crâne sans protection. En quoi
consistait l'opération ? Je me souviens qu'il y était question
d'une marmite d'eau bouillante dans laquelle on avait, peut-être,
jeté quelques brins d'herbes à vertus particulières
? A quoi servait ensuite le bouillon, à l'ingestion, à un
bain de pieds pour attirer le sang loin de la tête ? En tous cas,
il se produisait autour du patient une agitation assortie de murmures
et gestes cabalistiques sans doute destinés à chasser le
démon qui embrumait son esprit. Toujours est-il que, effet de la
marmite ou du cachet d'aspirine de Grand-mère, tonton Louis se
retrouvait dans sa forme habituelle le lendemain matin !
"Nostalgie d'un paradis d'enfance perdu ":
Qué tchalefs la rabia de quand c'est qu'on
vient vieux !
Re'oir avec le cur c'est mieur qu'avec les yeux.
Et si le bras, à force, bessif y fait tchoufa,
Le cur lui, ma parole, toujours il est soua-soua.
Not' mad'leine à nous, direct c'est la mouna,
Que dès qu'on se la mange, on r'voit Beni Haoua.
Samiz DATTE
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Arlette
et Jean-Luc MONNERET évoquent les années 50/55
:
Les vacances sont pour la jeunesse de Francis l'occasion
de se rencontrer. À ceux qui vivent au village viennent se joindre
les estivants venus d'Alger ou d'Orléansville.Parmi
les jeunes de Francis il y a Guy et Huguette Fons, jeunes frère
et sur du Maire, instituteur qui exerce à l'école
du douar, près de chez le Caïd.
Il y a les enfants Grebet : Alain, Philippe, Geneviève et Colette,
ceux du "Chargé des Affaires Indigènes", Henri
et Marie-Claude Estibal ; Henri deviendra médecin. Il y a également
Gilles et Liliane Raoux, enfants du représentant des Ponts et Chaussées.
Claude Thurotte, dont le père travaillait à La Mine. Et
j'en oublie, qu'ils me le pardonnent
Augusta et Andrée David sont jumelles. Leurs parents habitent depuis
peu au village. Augusta épousera Guy Eck. Nous les retrouverons
à la Cité de l'Enfance à Alger, puis Guy nous fera
venir à Agen lors de l'exil d'Algérie.
Les Eck passent depuis toujours leurs vacances à
Francis-Garnier avec leurs quatre fils : Guy, Henry, Georges et Jean.
Ils habitent Orléansville où leur père Firmin est
géomètre dans l'Administration.
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Ici, Jean et Henry présentent,
radieux, de
superbes ombrines qu'ils ont pêchées
au moulinet...
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Les Mathias Henry viennent aussi aux vacances avec leurs
enfants Pierre, Louis -dit Minou-, Babette ; ils sont plus jeunes qu'Arlette.
Louis et Charlotte Touron, neveux des Henry, sont les enfants d'un officier
qui vient régulièrement ici, comme les petits-enfants de
Monsieur Bortolotti : je pense à Marie-Jacqueline Perre, Geneviève
Troncy, Camille,
Il y a également la très jolie Huguette Orofino. Et les
Bailly, Juliette, Hélène et Jacqueline, filles d'un géomètre-expert
d'Alger, dont le père, Gilbert, ingénieur en chef des services
topo-graphiques , a supervisé l'établissement des lots de
colonisation du village.Toute cette jeunesse se
retrouve le soir à la sortie du village au "Pont des Soupirs",
disent-ils. Les journées se passent sur l'immense plage de galets
qui s'étend de la Mine à Imma Binett.
On y joue, on s'y baigne, on y flirte gentiment. On y vit heureux.
Ces jeunes gens se retrouvent souvent chez les uns ou les autres pour
danser, sous la surveillance plus ou moins attentive des parents.
Lorsque les sorties sont nocturnes - on danse parfois au Foyer
Rural - Papa et Maman accompagnent les filles pour surveiller
avec attention leurs fréquentations, faits et gestes. Ah ces parents
méditerranéens !
Et régulièrement, chaque été,
selon la tradition évoquée plus haut par Alain, tout le
village se réunissait pour un pique-nique à Boucheral, où
régnaient la joie et le bonheur de vivre, dans l'insouciance et
l'amitié.
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