Francis Garnier
LOISIRS AU FIL DES ANS

envoi : Geneviève Bortolotti - Troncy
mise sur site le 5-3-2011

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LOISIRS AU FIL DES ANS

                  Alain COHET évoque

LA SAINT COUFFIN : C'est ainsi que l'on nommait ce lundi de Pâques où il est de tradition de déjeuner, s'il fait beau, sur l'herbe, inconfortablement mais dans le plaisir de quitter l'hiver pour aborder enfin le printemps.

Tradition bien française mais également très suivie dans notre province d'Afrique du nord si l'on se réfère aux nombreux ouvrages où nos compatriotes Pieds Noirs reportent leurs souvenirs des jours heureux.

baie de boucheral

Dans notre cas, ladite tradition nous portait le plus souvent vers la baie de Boucheral où l'on trouvait tout à la fois des pins, du maquis, la mer avec du beau sable blond sur le rivage, de petits coins rocheux dans lesquels on pouvait s'ébattre et pêcher crabes et chevrettes.

Beaucoup de monde participait à cette sortie annuelle, sans distinction de classes sociales lesquelles du reste, dans notre petite campagne, n'offraient pas un éventail bien large. Donc, plusieurs jours à l'avance, une grande agitation accompagnait les préparatifs de l'expédition, car s'en était une dans l'acception de l'époque qui n'était pas vue comme un simple casse-croûte sur l'herbe. Les ménagères préparaient saladeries, pizzas, paellas et autres mangeailles qui seraient généreusement accompagnées de ce vin rosé qui venait bien et fort sur nos collines ensoleillées et rocailleuses. Les hommes s'occupaient des cannes à pêche, des boules, des sièges et des tréteaux pour les tables, des fûts découpés et armés pour les grillades (on ignorait alors jusqu'au terme de barbecue mais celui de kanoun nous convenait parfaitement). Comme on peut s'en douter, si les jeunes et la marmaille posaient volontiers leur séant à terre, les adultes ne renonçaient pas à un certain confort, fonction du degré de raideur de leurs membres inférieurs.


Le jour dit, quelques véhicules partaient de bon matin, chargés du gros du matériel et des fournitures, avec mission de préparer le terrain. Participants et couffins emplis du restant des provisions de bouche arrivaient en fin de matinée.

Une telle opération exigeait des volontaires, bien sur, mais aussi quelques hommes de peine - ainsi qu'il sied dans toute aventure coloniale, diraient les mauvaises langues - . De notre côté, nous accompagnait parfois notre fidèle Djelloul, lequel se retrouvait en compagnie des factotum de nos voisins.

Pendant que les gosses jouaient, se chamaillaient, se baignaient, les adultes, plus ou moins regroupés par affinités repéraient les coins les plus plats, les plus à l'ombre et y disposaient leurs impedimenta.

Les agapes pouvaient commencer, précédées par les apéritifs dans lesquels la traditionnelle anisette accompagnée de la non moins coutumière kémia tenait la première place. Les choses sérieuses suivaient dans le brouhaha, les rires et les éclats de voix. On le sait, le méditerranéen est fort en gueule, un peu vulgaire mais bon enfant et sa gaîté s'exprime au mieux dans un ton élevé.

C'est bien connu, les fêtes prandiales alourdissent assez vite les corps et les esprits. Lorsque le soleil atteignait son zénith, une certaine atmosphère d'engourdissement commençait à se faire sentir : l'heure de la sacro-sainte sieste était venue. Les enfants y rechignaient et se vengeaient sur les fourmis et les insectes qui passaient à proximité de leur couche, d'autres, plus malins, avaient conservé par devers eux leur " taouette ", décidés à faire sa peau à l'oiseau imprudent qui se serait aventuré à glaner quelques miettes du festin. Les jeunes gens tentaient de s'isoler derrière un buisson afin de s'essayer discrètement aux gammes de l'amour. Mais à ces jeux-là, le gros lot sortait rarement car, en ces temps où la pudeur et la morale - sinon la prudence - avaient encore un sens, les mammas jouissaient toujours de toute leur autorité et veillaient fermement au grain ! Quant aux adultes, sauf quelques a parte mezzo voce, c'est par leurs ronflements qu'ils se faisaient entendre.


Nous étions à des siècles de distance de nos rave parties modernes !


Le temps passait, on se réveillait doucement, des conversations se nouaient, des jeux s'organisaient. On commençait mollement à ramasser les restes, à replier le matériel,, bref, à préparer le retour. Celui-ci, pour certains, sera douloureux car le réveil de la sieste aura été accompagné d'une gueule de bois carabinée due au petit rosé consommé immodérément. Tonton Louis, une certaine fois, en sut quelque chose qui s'éveilla dans un état plutôt comateux. Il prétendit s'être couché à l'ombre mais réveillé la tête au soleil ! Il avait fallu le ramener prématurément à la maison et l'y coucher car sa condition était inquiétante. Pour le soulager, une matrone recommanda la pratique du " coup de soleil ". Ce n'était pas, rassurons-nous, une recette du Kama Soutra lequel suppose des participants en excellente forme physique, mais une coutume assez usuelle dans notre pays de lumière où l'on prenait garde d'exposer son crâne sans protection. En quoi consistait l'opération ? Je me souviens qu'il y était question d'une marmite d'eau bouillante dans laquelle on avait, peut-être, jeté quelques brins d'herbes à vertus particulières ? A quoi servait ensuite le bouillon, à l'ingestion, à un bain de pieds pour attirer le sang loin de la tête ? En tous cas, il se produisait autour du patient une agitation assortie de murmures et gestes cabalistiques sans doute destinés à chasser le démon qui embrumait son esprit. Toujours est-il que, effet de la marmite ou du cachet d'aspirine de Grand-mère, tonton Louis se retrouvait dans sa forme habituelle le lendemain matin !

"Nostalgie d'un paradis d'enfance perdu ":

Qué tchalefs la rabia de quand c'est qu'on vient vieux !
Re'oir avec le cœur c'est mieur qu'avec les yeux.
Et si le bras, à force, bessif y fait tchoufa,
Le cœur lui, ma parole, toujours il est soua-soua.
Not' mad'leine à nous, direct c'est la mouna,
Que dès qu'on se la mange, on r'voit Beni Haoua.
Samiz DATTE

                  Arlette et Jean-Luc MONNERET évoquent les années 50/55 :

Les vacances sont pour la jeunesse de Francis l'occasion de se rencontrer. À ceux qui vivent au village viennent se joindre les estivants venus d'Alger ou d'Orléansville.Parmi les jeunes de Francis il y a Guy et Huguette Fons, jeunes frère et sœur du Maire, instituteur qui exerce à l'école du douar, près de chez le Caïd.

Il y a les enfants Grebet : Alain, Philippe, Geneviève et Colette, ceux du "Chargé des Affaires Indigènes", Henri et Marie-Claude Estibal ; Henri deviendra médecin. Il y a également Gilles et Liliane Raoux, enfants du représentant des Ponts et Chaussées. Claude Thurotte, dont le père travaillait à La Mine. Et j'en oublie, qu'ils me le pardonnent…

Augusta et Andrée David sont jumelles. Leurs parents habitent depuis peu au village. Augusta épousera Guy Eck. Nous les retrouverons à la Cité de l'Enfance à Alger, puis Guy nous fera venir à Agen lors de l'exil d'Algérie.

Les Eck passent depuis toujours leurs vacances à Francis-Garnier avec leurs quatre fils : Guy, Henry, Georges et Jean. Ils habitent Orléansville où leur père Firmin est géomètre dans l'Administration.

Ici, Jean et Henry présentent, radieux, de
superbes ombrines qu'ils ont pêchées
au moulinet...

Les Mathias Henry viennent aussi aux vacances avec leurs enfants Pierre, Louis -dit Minou-, Babette ; ils sont plus jeunes qu'Arlette.

Louis et Charlotte Touron, neveux des Henry, sont les enfants d'un officier qui vient régulièrement ici, comme les petits-enfants de Monsieur Bortolotti : je pense à Marie-Jacqueline Perre, Geneviève Troncy, Camille, …

Il y a également la très jolie Huguette Orofino. Et les Bailly, Juliette, Hélène et Jacqueline, filles d'un géomètre-expert d'Alger, dont le père, Gilbert, ingénieur en chef des services topo-graphiques , a supervisé l'établissement des lots de colonisation du village.
Toute cette jeunesse se retrouve le soir à la sortie du village au "Pont des Soupirs", disent-ils. Les journées se passent sur l'immense plage de galets qui s'étend de la Mine à Imma Binett.

On y joue, on s'y baigne, on y flirte gentiment. On y vit heureux.

Ces jeunes gens se retrouvent souvent chez les uns ou les autres pour danser, sous la surveillance plus ou moins attentive des parents.

Lorsque les sorties sont nocturnes - on danse parfois au Foyer Rural - Papa et Maman accompagnent les filles pour surveiller avec attention leurs fréquentations, faits et gestes. Ah ces parents méditerranéens !

Et régulièrement, chaque été, selon la tradition évoquée plus haut par Alain, tout le village se réunissait pour un pique-nique à Boucheral, où régnaient la joie et le bonheur de vivre, dans l'insouciance et l'amitié.