1939 - 1945
Souvenirs d'Alain COHET
1939
: LE CANON
La baie depuis la route
de Ténès
|
Peu de temps après que la France, au mois de septembre
1939 eut déclaré la guerre à l'Allemagne, les autorités,
qui se voulaient compétentes, s'avisèrent que la longueur
des côtes algériennes les rendait vulnérables à
une incursion maritime de la part d'un ennemi, certes lointain, mais dont
le tonus était redoutable (ce que l'on apprécia amplement
quelques mois plus tard).
On se rappela que, lors de la dernière guerre, un commandant de
sous-marins plus primesautier qu'agressif, avait tiré quelques
obus sur les villes côtières de Bône et Philippeville,
histoire de souligner qu'en temps de guerre il était séant
que tous les territoires concernés pussent se prévaloir
de leurs héros et de leurs victimes.
On commença donc par recommander aux populations d'observer un
strict couvre-feu de façon à rendre tout repérage
côtier difficile à un éventuel agresseur venu du large.
Je ne sais si les instructions furent bien observées mais, dans
les coins isolés comme le nôtre, il n'en fut guère
question.
.
Ne disposant pas, à cette époque, des bienfaits de l'électricité,
ce n'étaient pas les lumignons de nos chandelles et de nos lampes
à carbure qui risquaient de constituer des amers valables pour
d'éventuels vaisseaux ennemis.
Cependant Francis Garnier, point de chargement de minerai de fer, fut
considéré comme site stratégique. On était
encore loin de la désolante aventure de Narwick mais il ne s'agissait
pas que la route du fer (la nôtre dans ce cas) nous fût coupée
par quelque audacieux sous-marinier ! Donc il fut décidé
en haut lieu de nous doter d'un canon.
Grand lecteur de Paul Chack et gorgé de la littérature militaire
dont la presse nous abreuvait, j'imaginais une belle pièce de marine
capable d'atteindre un cuirassé au-delà de l'horizon. Las,
je vis arriver un bout de tube sur deux roues, illustration en plus grand
de l'artillerie de mes soldats de plomb ! C'était une pièce
de 90mm datant probablement de la dernière guerre
L'objet de musée fut donc installé en un point certainement
bien choisi s'il avait eu une réelle utilité : un peu au-dessus
de la route côtière, à l'endroit où elle se
retournait à 90° pour redescendre ensuite vers la plaine littorale.
Une vaste plateforme avait été aménagée et
une dalle de béton recevait l'engin qui, dominant la baie d'une
centaine de mètres, pouvait battre l'espace sur un azimut de ¾
de cercle.
Une demi-douzaine de soldats avait été affectée à
son service, commandés par un sergent, peut-être même
pas " chef ". Ils logeaient dans une cabane en dur, aménagée
sans doute par la société des mines soucieuse du confort
de ses défenseurs. L'équipe, composée surtout de
réservistes, avait l'allure martiale que l'on peut imaginer à
nos troupiers de cette " drôle de guerre ". Notre maison,
située en contrebas, n'était pas loin du campement et, bien
que ce ne fût pas recommandé, nous montions souvent, mes
frères, nos copains et moi-même, à l'information.
Ils s'ennuyaient ferme les pauvres, isolés de tout,
peut-être même pas reliés à leur lointain commandement
(Ténès à 40 km) par un téléphone de
campagne, ravitaillés on ne sait par qui ni comment. Ils tournaient
en rond tout le jour, jouaient aux cartes, en tenues négligées
et bien peu militaires. Nous leur étions une distraction et, dans
leurs bavardages, ils nous confiaient qu'à l'exception du chef
peut-être ils ne savaient rien de l'artillerie et encore moins de
ce canon d'un antique modèle.
L'un d'eux m'avait un jour glissé que le caisson qui était
censé contenir les obus était en réalité,
vide ! Pas de regrets, car une arme de ce calibre eût été
inopérante face à un canon de marine venu du large. Et,
dans le cas d'un sous-marin, celui-ci n'eût même pas à
faire surface, il lui eût suffi, sans se montrer, de torpiller tranquillement
un cargo amarré au poste de chargement et l'exploitation minière
de se trouver empêchée pour des années !
Nos braves militaires ne souffrirent donc pas trop longtemps. Juin 1940
arriva vite et ils furent rendus à leur vie civile, chance que
ne connurent pas quelques millions de leurs camarades métropolitains
qui allèrent passer quatre années de vacances forcées
dans les camps allemands.
*******
LES
CASSE-COUS :
J'atteignai ma quinzième année lorsque les premiers G.I
débarquèrent en Afrique du Nord. Avec leur entrain, leur
gaité, leur décontraction, c'étaient de grands frères
qui venaient à moi. Ils roulaient avec une folle insouciance sur
leurs motos, conduisaient leurs jeeps, un pied à moitié
sorti par l'échancrure de la porte. Bref, plutôt que de farouches
guerriers, je les voyais comme de joyeux cow-boys s'efforçant dans
l'arène de mater un bronco rétif lors d'un rodeo dominical.
C'est d'ailleurs un peu sous cet aspect qu'on nous les présente
encore dans les films et les récits de guerre, surtout lors des
opérations aéronavales dans le Pacifique où se déroulaient,
dans toute leur cruauté, des carrousels aériens époustouflants
Et, pour illustrer cet état d'esprit dont me semblait imbibée
cette jeunesse d'Outre Atlantique en cette époque pourtant terrible,
je vais relater un fait divers qui, par un bel après-midi de l'été
1943, me laissa pantois.
Notre maison était posée à flanc
de colline, face au rocher sur lequel était installés les
dispositif de stockage et chargement du minerai de fer provenant de la
mine de Béni Hakil et à la même hauteur que les câbles
transporteurs, soit une quarantaine de mètres au-dessus de l'eau.
J'errais sur notre terrasse, guettant l'arrivée de nos copains
du village pour la baignade du soir, lorsque j'aperçus soudain
à l'horizon du ponant un point noir sortant de la pointe du cap
Ténès juste au dessus de l'eau et grossissant rapidement.
Je le voyais grossir très vite et il venait droit sur nous. Comme
il fallait une minute à un appareil militaire, même filant
à allure modérée, pour franchir les 5000 mètres
séparant le cap de notre Rocher, le choc final paraissait imminent
et nous en étions bien l'objectif !
C'était un Lockheed P38 Lightning au double fuselage, très
caractéristique.
L'angle de la ligne de vol ne se devine pas facilement
sur la vue ci-dessus, mais elle entrait dans un quadrilatère formé
par la paroi du rocher sur la gauche, le premier pylône sur la droite,
le plan d'eau à la partie inférieure, les câbles du
transporteur à la partie supérieure : 100 m de large x 50
de haut. La ligne de vol aboutissait sur notre terrasse et j'étais
en plein milieu de la cible Je voyais déjà à travers
le pare-brise le casque du pilote, je me dis en un éclair que mon
destin s'arrêtait là ! Mais je n'eus même pas la moitié
du quart d'une seconde pour en avoir regret. Le pilote, génial
Icare moderne, à peine l'aplomb du câble supérieur
franchi, manche collé au ventre, pied gauche à fond sur
le palonnier amorçait une furieuse chandelle en même temps
qu'une vrille étourdissante, rasait dans un rugissement d'enfer
le toit de la maison et sautait la crête rocheuse à laquelle
elle était adossée.
Folie criminelle ou exploit que venait de commettre ce gamin à
peine échappé de ses prairies du Far West et que j'imaginais
levant le pouce en signe de satisfaction devant ce tour de c.. parfaitement
réussi ? Il est vrai qu'à cette époque, destructions
et massacres n'étaient qu'événements communs, alors
le poids d'une ou plusieurs vies comptait-il devant la beauté du
geste ?
****************
Un
autre villageois se souvient
:... La nuit venue, très souvent, nous avions comme spectacle des
batailles navales qui illuminaient le ciel à l'horizon. Sûrement
des sous-marins allemands attaquant des convois. Nous avions de magnifiques
grands feux d'artifice devant nous avec une lointaine canonnade...
.Un jour, un avion de chasse britanique est tombé entre Francis
et Ténès, et le pilote a été retrouvé
mort dans l'appareil. Il a été enterré au cimetière
du village. Une équipe de militaires était venue avec une
longue remorque, et a chargé l'avion pour l'emporter vers Alger.
****************
Et
autre souvenir évoqué par Gilbert
Bortolotti et sa soeur Solange :
C'était entre septembre 1940 et août
1941...
Avec son chauffeur Lartigue, de Mostaganem, Gilbert, lieutenant, transportait
la nuit, en camion, du matériel de Transmission, qu'il mettait
à l'abri à la Cave
Le déchargement s'effectuait de la façon suivante : Solange,
cachée sous la bâche du camion prenait les objets, les passait
à Janine qui les plaçait dans un chariot puis ils étaient
rangés sous les cuves ou dans les niches
La soirée
du mariage de Solange ayant lieu à la cave, on avait tendu de grands
draps pour cacher le matériel, et placé d'immenses bouquets
de fleurs partout....
Puis le matériel avait été caché sous les
cuves, les caches fermées à clé, personne ne pouvait
soupçonner ce qu'il y avait là...Dans des roulottes, (qui
venaient de Suez, où elles avaient servi à la construction
du Canal), cachées au fond de la cave, il y avait les codes de
l'Armée Française servant à déchiffrer les
messages, et tout le matériel de transmission, dont les derniers
postes de T.S.F., réservés à l'Armée et à
la Gendarmerie.Mme P..., langue de vipère célèbre
du village, écrivit un jour une lettre à la Gendarmerie,
les dénonçant pour " Marché Noir "
Des gendarmes arrivèrent, sans mandat, pour perquisitionner
Ils rentrèrent malgré tout, ouvrirent des sacs, qu'ils étaient
persuadés être pleins de farine
et se trouvèrent
devant le soufre et le sulfate réservés au travail de la
vigne
La plainte avait été transmise en haut lieu à la
Gendarmerie de Ténès, mais celle-ci était au courant,
et classa l'affaire sans suite, après avoir recommandé à
ces pauvres gendarmes d'aller vers d'autres activités
Et
l'histoire eut le succès que l'on peut imaginer
|