Francis Garnier
Souvenirs : 1939 - 1945

Envoi : Geneviève Bortolotti - Troncy
mise sur site le 16-2-2011...+ le 6-3-2011

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1939 - 1945

Souvenirs d'Alain COHET

           1939 : LE CANON

La baie depuis la route de Ténès
La baie depuis la route de Ténès

Peu de temps après que la France, au mois de septembre 1939 eut déclaré la guerre à l'Allemagne, les autorités, qui se voulaient compétentes, s'avisèrent que la longueur des côtes algériennes les rendait vulnérables à une incursion maritime de la part d'un ennemi, certes lointain, mais dont le tonus était redoutable (ce que l'on apprécia amplement quelques mois plus tard).

On se rappela que, lors de la dernière guerre, un commandant de sous-marins plus primesautier qu'agressif, avait tiré quelques obus sur les villes côtières de Bône et Philippeville, histoire de souligner qu'en temps de guerre il était séant que tous les territoires concernés pussent se prévaloir de leurs héros et de leurs victimes.

On commença donc par recommander aux populations d'observer un strict couvre-feu de façon à rendre tout repérage côtier difficile à un éventuel agresseur venu du large. Je ne sais si les instructions furent bien observées mais, dans les coins isolés comme le nôtre, il n'en fut guère question.
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Ne disposant pas, à cette époque, des bienfaits de l'électricité, ce n'étaient pas les lumignons de nos chandelles et de nos lampes à carbure qui risquaient de constituer des amers valables pour d'éventuels vaisseaux ennemis.

Cependant Francis Garnier, point de chargement de minerai de fer, fut considéré comme site stratégique. On était encore loin de la désolante aventure de Narwick mais il ne s'agissait pas que la route du fer (la nôtre dans ce cas) nous fût coupée par quelque audacieux sous-marinier ! Donc il fut décidé en haut lieu de nous doter d'un canon.

Grand lecteur de Paul Chack et gorgé de la littérature militaire dont la presse nous abreuvait, j'imaginais une belle pièce de marine capable d'atteindre un cuirassé au-delà de l'horizon. Las, je vis arriver un bout de tube sur deux roues, illustration en plus grand de l'artillerie de mes soldats de plomb ! C'était une pièce de 90mm datant probablement de la dernière guerre…

L'objet de musée fut donc installé en un point certainement bien choisi s'il avait eu une réelle utilité : un peu au-dessus de la route côtière, à l'endroit où elle se retournait à 90° pour redescendre ensuite vers la plaine littorale.

Une vaste plateforme avait été aménagée et une dalle de béton recevait l'engin qui, dominant la baie d'une centaine de mètres, pouvait battre l'espace sur un azimut de ¾ de cercle.

Une demi-douzaine de soldats avait été affectée à son service, commandés par un sergent, peut-être même pas " chef ". Ils logeaient dans une cabane en dur, aménagée sans doute par la société des mines soucieuse du confort de ses défenseurs. L'équipe, composée surtout de réservistes, avait l'allure martiale que l'on peut imaginer à nos troupiers de cette " drôle de guerre ". Notre maison, située en contrebas, n'était pas loin du campement et, bien que ce ne fût pas recommandé, nous montions souvent, mes frères, nos copains et moi-même, à l'information.

canon

Ils s'ennuyaient ferme les pauvres, isolés de tout, peut-être même pas reliés à leur lointain commandement (Ténès à 40 km) par un téléphone de campagne, ravitaillés on ne sait par qui ni comment. Ils tournaient en rond tout le jour, jouaient aux cartes, en tenues négligées et bien peu militaires. Nous leur étions une distraction et, dans leurs bavardages, ils nous confiaient qu'à l'exception du chef peut-être ils ne savaient rien de l'artillerie et encore moins de ce canon d'un antique modèle.

L'un d'eux m'avait un jour glissé que le caisson qui était censé contenir les obus était en réalité, vide ! Pas de regrets, car une arme de ce calibre eût été inopérante face à un canon de marine venu du large. Et, dans le cas d'un sous-marin, celui-ci n'eût même pas à faire surface, il lui eût suffi, sans se montrer, de torpiller tranquillement un cargo amarré au poste de chargement et l'exploitation minière de se trouver empêchée pour des années !
Nos braves militaires ne souffrirent donc pas trop longtemps. Juin 1940 arriva vite et ils furent rendus à leur vie civile, chance que ne connurent pas quelques millions de leurs camarades métropolitains qui allèrent passer quatre années de vacances forcées dans les camps allemands.

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           LES CASSE-COUS :

J'atteignai ma quinzième année lorsque les premiers G.I débarquèrent en Afrique du Nord. Avec leur entrain, leur gaité, leur décontraction, c'étaient de grands frères qui venaient à moi. Ils roulaient avec une folle insouciance sur leurs motos, conduisaient leurs jeeps, un pied à moitié sorti par l'échancrure de la porte. Bref, plutôt que de farouches guerriers, je les voyais comme de joyeux cow-boys s'efforçant dans l'arène de mater un bronco rétif lors d'un rodeo dominical.

C'est d'ailleurs un peu sous cet aspect qu'on nous les présente encore dans les films et les récits de guerre, surtout lors des opérations aéronavales dans le Pacifique où se déroulaient, dans toute leur cruauté, des carrousels aériens époustouflants Et, pour illustrer cet état d'esprit dont me semblait imbibée cette jeunesse d'Outre Atlantique en cette époque pourtant terrible, je vais relater un fait divers qui, par un bel après-midi de l'été 1943, me laissa pantois.

Mines de Beni-Hakil
Mines de Beni-Hakil

Notre maison était posée à flanc de colline, face au rocher sur lequel était installés les dispositif de stockage et chargement du minerai de fer provenant de la mine de Béni Hakil et à la même hauteur que les câbles transporteurs, soit une quarantaine de mètres au-dessus de l'eau.

J'errais sur notre terrasse, guettant l'arrivée de nos copains du village pour la baignade du soir, lorsque j'aperçus soudain à l'horizon du ponant un point noir sortant de la pointe du cap Ténès juste au dessus de l'eau et grossissant rapidement. Je le voyais grossir très vite et il venait droit sur nous. Comme il fallait une minute à un appareil militaire, même filant à allure modérée, pour franchir les 5000 mètres séparant le cap de notre Rocher, le choc final paraissait imminent et nous en étions bien l'objectif !

C'était un Lockheed P38 Lightning au double fuselage, très caractéristique.

Lockheed P38 Lightning

L'angle de la ligne de vol ne se devine pas facilement sur la vue ci-dessus, mais elle entrait dans un quadrilatère formé par la paroi du rocher sur la gauche, le premier pylône sur la droite, le plan d'eau à la partie inférieure, les câbles du transporteur à la partie supérieure : 100 m de large x 50 de haut. La ligne de vol aboutissait sur notre terrasse et j'étais en plein milieu de la cible Je voyais déjà à travers le pare-brise le casque du pilote, je me dis en un éclair que mon destin s'arrêtait là ! Mais je n'eus même pas la moitié du quart d'une seconde pour en avoir regret. Le pilote, génial Icare moderne, à peine l'aplomb du câble supérieur franchi, manche collé au ventre, pied gauche à fond sur le palonnier amorçait une furieuse chandelle en même temps qu'une vrille étourdissante, rasait dans un rugissement d'enfer le toit de la maison et sautait la crête rocheuse à laquelle elle était adossée.

Folie criminelle ou exploit que venait de commettre ce gamin à peine échappé de ses prairies du Far West et que j'imaginais levant le pouce en signe de satisfaction devant ce tour de c.. parfaitement réussi ? Il est vrai qu'à cette époque, destructions et massacres n'étaient qu'événements communs, alors le poids d'une ou plusieurs vies comptait-il devant la beauté du geste ?

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           Un autre villageois se souvient

:... La nuit venue, très souvent, nous avions comme spectacle des batailles navales qui illuminaient le ciel à l'horizon. Sûrement des sous-marins allemands attaquant des convois. Nous avions de magnifiques grands feux d'artifice devant nous avec une lointaine canonnade...

.Un jour, un avion de chasse britanique est tombé entre Francis et Ténès, et le pilote a été retrouvé mort dans l'appareil. Il a été enterré au cimetière du village. Une équipe de militaires était venue avec une longue remorque, et a chargé l'avion pour l'emporter vers Alger.

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           Et autre souvenir évoqué par Gilbert Bortolotti et sa soeur Solange :

C'était entre septembre 1940 et août 1941...

Avec son chauffeur Lartigue, de Mostaganem, Gilbert, lieutenant, transportait la nuit, en camion, du matériel de Transmission, qu'il mettait à l'abri à la Cave…

Le déchargement s'effectuait de la façon suivante : Solange, cachée sous la bâche du camion prenait les objets, les passait à Janine qui les plaçait dans un chariot puis ils étaient rangés sous les cuves ou dans les niches …La soirée du mariage de Solange ayant lieu à la cave, on avait tendu de grands draps pour cacher le matériel, et placé d'immenses bouquets de fleurs partout....

Puis le matériel avait été caché sous les cuves, les caches fermées à clé, personne ne pouvait soupçonner ce qu'il y avait là...Dans des roulottes, (qui venaient de Suez, où elles avaient servi à la construction du Canal), cachées au fond de la cave, il y avait les codes de l'Armée Française servant à déchiffrer les messages, et tout le matériel de transmission, dont les derniers postes de T.S.F., réservés à l'Armée et à la Gendarmerie.Mme P..., langue de vipère célèbre du village, écrivit un jour une lettre à la Gendarmerie, les dénonçant pour " Marché Noir "…
Des gendarmes arrivèrent, sans mandat, pour perquisitionner … Ils rentrèrent malgré tout, ouvrirent des sacs, qu'ils étaient persuadés être pleins de farine… et se trouvèrent devant le soufre et le sulfate réservés au travail de la vigne…

La plainte avait été transmise en haut lieu à la Gendarmerie de Ténès, mais celle-ci était au courant, et classa l'affaire sans suite, après avoir recommandé à ces pauvres gendarmes d'aller vers d'autres activités……Et l'histoire eut le succès que l'on peut imaginer…