Souvenirs historiques
Les Tentes
On sait quel rôle important, la tente
joue dans la vie arabe et quel soin est apporté à sa confection
par les Musulmans.
Ce logis d'étoffe est-il destiné à abriter un grand
personnage ? C'est alors une chose vraiment remarquable et par son agencement
pratique et par son luxe.
Aussi les tentes princières dont s'emparèrent les soldats
français au cours de leurs campagnes d'Afrique, comptent-elles
au nombre de leurs plus brillants trophées.
Voici ce que dit, le capitaine Barchou, de la tente de l'Agha Ibrahim,
qui fut prise à Staouëli
par les troupes du général de Bourmont :
"Cette tente fut occupée par l'État-Major de la Première
Division. Elle avait échu en partage au général Berthezène.
Le péristyle ouvert, nous offrit un lieu de repos bien nécessaire
après les rudes fatigues de la journée." ( Cette
tente avait quatorze mètres de long sur sept de large et de cinq
à six mètres de hauteur. L'Agha-Ibrahim possédait
en outre une tente d'agrément, de moindres dimensions, qui était
surmontée de boules d'argent doré et dont il fit hommage
au général Loverdo.)
"Elle était formée de plusieurs compartiments distincts
les uns des autres : c'était un appartement complet où l'on
passait d'une pièce à l'autre en soulevant un coin de tapisserie."
"La première était un immense salon dont la tenture
de drap rouge était toute parsemée d'une profusion de rosaces,
d'ornements, de dessins, de broderies de toutes sortes de couleurs, où
pourtant dominait un vert éclatant. Plus loin, était l'appartement
des femmes, et au-delà de celui-ci, le poste des eunuques."
"La pièce occupée par les femmes ne recevait le jour
que par le premier salon; d'épaisses tentures en dérobaient
les mystères à tous les yeux, à toutes les oreilles.
Elle avait été récemment habitée. Des coussins
et des tapis dont elle avait été encombrée, une forte
odeur de musc qu'elle exhalait, en étaient autant de preuves."
"Imagine-t-on l'esclave favorite, exposée à voir la
mystérieuse draperie soulevée à l'heure du berger,
par quelque officier français, à la place du sultan qu'elle
attendait : l'aventure eut été plaisante."
"La tenture de la premiere pièce était soutenue, de
distance en distance, par de grands piliers de bois peints en vert et
ornés *de sculptures variées : ils imitaient d'élégantes
colonnes et supportaient à diverses hauteurs des armes en trophée."
"Un des petits côtés de la tente dont la forme était
un carré long, se relevait en s'appuyant sur un certain nombre
de piliers semblables à ceux de l'intérieur; on avait alors
un péristyle élégant, une gracieuse colonnade. Là,
l'Agha venait voir manoeuvrer les troupes, donner ses ordres, entendre
les rapports, là, il fumait sa longue pipe en respirant la fraîcheur
du soir et du matin; puis, lorsqu'il avait assez de tout cela, la toile
retombant sur un mot de sa bouche, un signe de main, lui rendait aussitôt
une retraite inaccessible à la chaleur et au bruit."
"Tout autour se trouvaient d'autres tentes de dimensions beaucoup
moindre que celle-là; elles étaient occupées par
des esclaves, les domestiques, ce qu'on pourrait appeler les officiers
de la maison de l'Agha. La civilisation de l'Orient était là,
tout entière."
"Les tentes des Beys de Constantine et de Tittery étaient
construites sur un même modèle. Ce fut sous celle du Bey
de Tittery, que coucha le général en chef. Les autres tentes
du camp étaient d'une blancheur éblouissante; il s'en trouvait
aussi quelques- unes, bariolées de couleurs diverses; les unes,
de forme conique, ressemblaient à de petites pyramides, les autres
étaient oblongues, allongées à la façon de
nos vaisseaux. Le croissant étincelait au sommet des unes; sur
d'autres, c'était un globe doré. Elles étaient de
tailles et de dimensions diverses. Aucun ordre, aucun alignement n'avait
présidé à leur arrangement."
Quelques années plus tard, en 1837, une tente, non moins riche,
fut prise, que possédait le Bey Ahmed de Constantine.
Cette tente, qui échut aux Invalides, mesure treize mètres
de long sur six de large et trois de hauteur. Elle est en drap rouge,
et a sur ses parois, des broderies vertes et bleues. Son sommet, de couleur
verte, présente des ornements violets.
Le 1er mai 1838, jour de la fête du Roi, la tente du Bey Ahmed figura
au bal que donna, à cette occasion, au Palais d'Hiver, le maréchal
Valée. Celle-ci, disent les journaux de l'époque, fit l'admiration
de tous les invités.
Il est une autre tente que possède le Musée des Invalides,
c'est celle du fils de l'Empereur du Maroc, que battit à Isly,
le maréchal Bugeaud. Cette tente, qui pouvait contenir cent personnes,
fut dressée à Alger en 1844, sur l'esplanade Bab-el-Oued
où tous les habitants de la ville vinrent la voir. En 1909, elle
fut à nouveau dressée, cette fois, dans la grande cour des
Invalides où elle demeura quelque temps.
Une courte description en sera donnée à l'article suivant.
Avec ces tentes de l'Histoire, est à citer aussi celle, beaucoup
plus petite il est vrai, dont parla "L'Akhbar", le 14 novembre
1852. Cette tente, qui coûta 3.800 francs, était destinée
à Si Hamza, chef des Ouled-Sidi-Scheikh. Elle fut l'oeuvre d'artisans
israélites.
Sa toile était doublée de drap de plusieurs couleurs, s'illustrant
d'ornements magnifiques.
Les Algérois de ce temps purent également la voir, dressée
sur l'esplanade Bab-elOued.
Esplanade Bab-el-Oued
Collection B.Venis
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Les trophées
d'Isly
Ce fut le colonel Eynard qui rapporta ici,
les trophées d'Isly.
Les drapeaux étaient au nombre de vingt-et-un, presque tous en
soie, quelques- uns, d'une richesse remarquable, avec des broderies d'or
reproduisant des versets du Coran. Un étendard blanc, très
simple, présentait cette inscription :
"Il n'y a de Dieu que Dieu et Mahomet est son prophète. -
Triomphe de la guerre sainte, s'il plaît à Dieu !"
Le parasol était en soie rouge, brodé d'or et d'argent,
avec des franges et des glands de même métal; il était
surmonté d'une pomme d'argent.
Les rideaux du lit du prince marocain accompagnaient ce butin.
Quant à la tente dont nous venons de parler et qui fut exposée
sur l'esplanade Bab-el-Oued, sans ses accessoires, car il eût fallu
au colonel Eynard, quarante mulets pour le transport du tout, et il n'en
avait que vingt-deux - quant à cette tente, elle fut en 1908 "retrouvée"
au Garde-Meuble National.
Elle est en coton doublé de drap. Cent personnes pourraient y loger.
Elle se compose (toujours sans ses accessoires), de deux parties, l'une
intérieure, l'autre extérieure "de sorte que - dit
"L'Akhbar" - du temps de Bugeaud, il règne une espèce
de corridor dans l'intervalle, disposition qui empêche que du dehors,
on puisse rien entendre de ce qui se passe dans la partie centrale. Celle-ci
est partagée en deux vastes pièces.
Dans la plus rapprochée de l'entrée principale, était
sans doute, la salle d'audience. L'autre, qui devait se subdiviser en
plusieurs compartiments, renfermait le logement particulier du prince,
de ses femmes et les pièces nécessaires au service que faisaient
auprès de sa personne de nombreux esclaves et domestiques."
Il se trouvait dans ce palais d'étoffe juqu'à un cabinet
de nécessité.
Il fut un instant question de donner sous cette tente le banquet que la
population algéroise avait décidé d'offrir au vainqueur
d'Isly. Cette idée fut abandonnée. Le banquet qui comprit
cinq cents couverts eut lieu sur la place du Gouvernement, alors place
Royale. Le colonel Marengo, qui était chargé de la décoration,
fit figurer là, sous des feuillages, les drapeaux marocains.
La table en forme de fer à cheval était entourée
de guirlandes auxquelles pendaient des lanternes (le banquet eut lieu
à six heures du soir).
Un bal termina la fête.
Ajoutons que cette tente causa un grand embarras lorsqu'il fallut la dresser
sur l'esplanade Bab-el-Oued. Vingt Marocain réquisitionnés
à cet effet, répondirent que s'ils avaient la pratique du
"guittoun", ils ignoraient
absolument la manoeuvre d'un "outac"
(tente impériale). On eut alors recours à des employés
du campement qui, après bien des tâtonnements, réussirent
enfin à la mettre en place.
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