les feuillets d'El-Djezaïr
Henri Klein

Souvenirs historiques
Les Tentes
Les trophées d'Isly
sur site le 23-6-2009

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Souvenirs historiques
Les Tentes

On sait quel rôle important, la tente joue dans la vie arabe et quel soin est apporté à sa confection par les Musulmans.

Ce logis d'étoffe est-il destiné à abriter un grand personnage ? C'est alors une chose vraiment remarquable et par son agencement pratique et par son luxe.

Aussi les tentes princières dont s'emparèrent les soldats français au cours de leurs campagnes d'Afrique, comptent-elles au nombre de leurs plus brillants trophées.

Voici ce que dit, le capitaine Barchou, de la tente de l'Agha Ibrahim, qui fut prise à Staouëli par les troupes du général de Bourmont :

"Cette tente fut occupée par l'État-Major de la Première Division. Elle avait échu en partage au général Berthezène. Le péristyle ouvert, nous offrit un lieu de repos bien nécessaire après les rudes fatigues de la journée." ( Cette tente avait quatorze mètres de long sur sept de large et de cinq à six mètres de hauteur. L'Agha-Ibrahim possédait en outre une tente d'agrément, de moindres dimensions, qui était surmontée de boules d'argent doré et dont il fit hommage au général Loverdo.)

"Elle était formée de plusieurs compartiments distincts les uns des autres : c'était un appartement complet où l'on passait d'une pièce à l'autre en soulevant un coin de tapisserie."

"La première était un immense salon dont la tenture de drap rouge était toute parsemée d'une profusion de rosaces, d'ornements, de dessins, de broderies de toutes sortes de couleurs, où pourtant dominait un vert éclatant. Plus loin, était l'appartement des femmes, et au-delà de celui-ci, le poste des eunuques."

"La pièce occupée par les femmes ne recevait le jour que par le premier salon; d'épaisses tentures en dérobaient les mystères à tous les yeux, à toutes les oreilles. Elle avait été récemment habitée. Des coussins et des tapis dont elle avait été encombrée, une forte odeur de musc qu'elle exhalait, en étaient autant de preuves."

"Imagine-t-on l'esclave favorite, exposée à voir la mystérieuse draperie soulevée à l'heure du berger, par quelque officier français, à la place du sultan qu'elle attendait : l'aventure eut été plaisante."

"La tenture de la premiere pièce était soutenue, de distance en distance, par de grands piliers de bois peints en vert et ornés *de sculptures variées : ils imitaient d'élégantes colonnes et supportaient à diverses hauteurs des armes en trophée."

"Un des petits côtés de la tente dont la forme était un carré long, se relevait en s'appuyant sur un certain nombre de piliers semblables à ceux de l'intérieur; on avait alors un péristyle élégant, une gracieuse colonnade. Là, l'Agha venait voir manoeuvrer les troupes, donner ses ordres, entendre les rapports, là, il fumait sa longue pipe en respirant la fraîcheur du soir et du matin; puis, lorsqu'il avait assez de tout cela, la toile retombant sur un mot de sa bouche, un signe de main, lui rendait aussitôt une retraite inaccessible à la chaleur et au bruit."

"Tout autour se trouvaient d'autres tentes de dimensions beaucoup moindre que celle-là; elles étaient occupées par des esclaves, les domestiques, ce qu'on pourrait appeler les officiers de la maison de l'Agha. La civilisation de l'Orient était là, tout entière."

"Les tentes des Beys de Constantine et de Tittery étaient construites sur un même modèle. Ce fut sous celle du Bey de Tittery, que coucha le général en chef. Les autres tentes du camp étaient d'une blancheur éblouissante; il s'en trouvait aussi quelques- unes, bariolées de couleurs diverses; les unes, de forme conique, ressemblaient à de petites pyramides, les autres étaient oblongues, allongées à la façon de nos vaisseaux. Le croissant étincelait au sommet des unes; sur d'autres, c'était un globe doré. Elles étaient de tailles et de dimensions diverses. Aucun ordre, aucun alignement n'avait présidé à leur arrangement."

Quelques années plus tard, en 1837, une tente, non moins riche, fut prise, que possédait le Bey Ahmed de Constantine.

Cette tente, qui échut aux Invalides, mesure treize mètres de long sur six de large et trois de hauteur. Elle est en drap rouge, et a sur ses parois, des broderies vertes et bleues. Son sommet, de couleur verte, présente des ornements violets.

Le 1er mai 1838, jour de la fête du Roi, la tente du Bey Ahmed figura au bal que donna, à cette occasion, au Palais d'Hiver, le maréchal Valée. Celle-ci, disent les journaux de l'époque, fit l'admiration de tous les invités.
Il est une autre tente que possède le Musée des Invalides, c'est celle du fils de l'Empereur du Maroc, que battit à Isly, le maréchal Bugeaud. Cette tente, qui pouvait contenir cent personnes, fut dressée à Alger en 1844, sur l'esplanade Bab-el-Oued où tous les habitants de la ville vinrent la voir. En 1909, elle fut à nouveau dressée, cette fois, dans la grande cour des Invalides où elle demeura quelque temps.

Une courte description en sera donnée à l'article suivant.

Avec ces tentes de l'Histoire, est à citer aussi celle, beaucoup plus petite il est vrai, dont parla "L'Akhbar", le 14 novembre 1852. Cette tente, qui coûta 3.800 francs, était destinée à Si Hamza, chef des Ouled-Sidi-Scheikh. Elle fut l'oeuvre d'artisans israélites.

Sa toile était doublée de drap de plusieurs couleurs, s'illustrant d'ornements magnifiques.

Les Algérois de ce temps purent également la voir, dressée sur l'esplanade Bab-elOued.

Esplanade Bab-el-Oued
Esplanade Bab-el-Oued
Collection B.Venis

Les trophées d'Isly

Ce fut le colonel Eynard qui rapporta ici, les trophées d'Isly.

Les drapeaux étaient au nombre de vingt-et-un, presque tous en soie, quelques- uns, d'une richesse remarquable, avec des broderies d'or reproduisant des versets du Coran. Un étendard blanc, très simple, présentait cette inscription :

"Il n'y a de Dieu que Dieu et Mahomet est son prophète. - Triomphe de la guerre sainte, s'il plaît à Dieu !"

Le parasol était en soie rouge, brodé d'or et d'argent, avec des franges et des glands de même métal; il était surmonté d'une pomme d'argent.

Les rideaux du lit du prince marocain accompagnaient ce butin.

Quant à la tente dont nous venons de parler et qui fut exposée sur l'esplanade Bab-el-Oued, sans ses accessoires, car il eût fallu au colonel Eynard, quarante mulets pour le transport du tout, et il n'en avait que vingt-deux - quant à cette tente, elle fut en 1908 "retrouvée" au Garde-Meuble National.

Elle est en coton doublé de drap. Cent personnes pourraient y loger. Elle se compose (toujours sans ses accessoires), de deux parties, l'une intérieure, l'autre extérieure "de sorte que - dit "L'Akhbar" - du temps de Bugeaud, il règne une espèce de corridor dans l'intervalle, disposition qui empêche que du dehors, on puisse rien entendre de ce qui se passe dans la partie centrale. Celle-ci est partagée en deux vastes pièces.
Dans la plus rapprochée de l'entrée principale, était sans doute, la salle d'audience. L'autre, qui devait se subdiviser en plusieurs compartiments, renfermait le logement particulier du prince, de ses femmes et les pièces nécessaires au service que faisaient auprès de sa personne de nombreux esclaves et domestiques."

Il se trouvait dans ce palais d'étoffe juqu'à un cabinet de nécessité.

Il fut un instant question de donner sous cette tente le banquet que la population algéroise avait décidé d'offrir au vainqueur d'Isly. Cette idée fut abandonnée. Le banquet qui comprit cinq cents couverts eut lieu sur la place du Gouvernement, alors place Royale. Le colonel Marengo, qui était chargé de la décoration, fit figurer là, sous des feuillages, les drapeaux marocains.

La table en forme de fer à cheval était entourée de guirlandes auxquelles pendaient des lanternes (le banquet eut lieu à six heures du soir).

Un bal termina la fête.

Ajoutons que cette tente causa un grand embarras lorsqu'il fallut la dresser sur l'esplanade Bab-el-Oued. Vingt Marocain réquisitionnés à cet effet, répondirent que s'ils avaient la pratique du "guittoun", ils ignoraient absolument la manoeuvre d'un "outac" (tente impériale). On eut alors recours à des employés du campement qui, après bien des tâtonnements, réussirent enfin à la mettre en place.