LA PROSTITUTION EN ALGERIE
Pierre Caratero
avec l'autorisation de AFN Collections - extrait du bulletin n°46 de janvier 2006 - (J'y suis en photo...)

--------À ALGER, c'est dans le quartier de la CASBAH que furent regroupées les maisons de tolérance, rues BARBEROUSSE, SOPHONISTE, KATTAROUGGIL, de CHARTRES, BAB AZOUN, du CHÊNE, CAFTAN et impasse René CAILLE.
--------(Nota: quelquefois, avec quelques copains, nous nous aventurions dans ces rues. Juste pour entr'apercevoir la porte ou espérer . Le frisson de la chose défendue!)

sur site le 28-1-2006

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------------Au lendemain de la conquête, l'armée se trouva confrontée à d'énormes problèmes sanitaires dus à une importante épidémie de maladies vénériennes qui eut pour effet de décimer ses régiments, officiers et sous officiers compris, qui se traduisit par un engorgement des hôpitaux militaires et des infirmeries régimentaires.

------------Le 12 Juillet 1830 un service de salubrité sera créé à ALGER et le mézouar, charge confiée, moyennant finances, sous les Turcs à un maure généralement douteux descendant de renégat, ayant pour charge l'organisation de la prostitution ne sera pas supprimé.

------------Cette charge lui permettait de recruter dans les tribus les femmes faisant commerce de leurs charmes; il était aidé dans sa tâche par des agents à sa solde pour le recrutement.

------------Dès que l'une d'entre elle était repérée, le mézouar devait apporter la preuve devant le cadi qui l'inscrivait sur un livre à cet effet ; jeunes filles et femmes mariées convaincues d'adultère ou supposées telles, parfois par vengeance ou par connivence étaient recrutées.

------------Le mézouar percevait sur chacune de ses protégées 2 douros d'Alger (7,44 F) par mois et il avait le privilège de pouvoir organiser plusieurs fois par an des " festivités " dont le produit lui revenait intégralement; il avait la possibilité, et il ne s'en privait pas, de vendre des concubines aux musulmans.

------------En 1832, le " fermage " du mézouar fut officiellement alloué pour la somme de 2 046 Francs ce qui laisse à penser que quelques 200 femmes étaient nécessaires pour couvrir la charge.

------------Les résultats laissant à désirer, le 12 Juin 1831 le Lieutenant Général du corps expéditionnaire décida la création d'un dispensaire chargé de la visite médicale des filles publiques, les maladies vénériennes décimant le corps expéditonnaire.

------------La situation sanitaire ne faisant que se détériorer, le 28 Décembre 1835 un nouveau décret abroge le mézouar, fixe les conditions d'inscription des prostitués sur un registre et le nombre de visites mensuelles obligatoires auprès du dispensaire.

------------Il est difficile, à cette époque, d'évaluer l'importance de la prostitution ; si l'officielle ne devait représenter qu'une infime partie, la prostitution sauvage, non contrôlée, se déroulant aussi bien à domicile que dans la rue, se taillait la part du lion.

------------Le 30 juin 1853, la commission municipale d'ALGER décide que la prostitution ne pourra s'exercer uniquement qu'en maisons de tolérance, ce qui aura pour effet de limiter les débordements, la Police Municipale s'étant montrée vigilante.

------------En dehors d'ALGER la situation était plutôt anarchique ; Azriat, danseuses traditionnelles, se livraient au plus vieux métier de monde, les villages Kabyles avaient tous leur gourbi de passage et le visiteur qui venait y passer la nuit était interrogé dès son arrivée: " Tu viens pour la mosquée ou pour la femme ? ".

------------Pour la mosquée, suivant la tradition de l'hospitalité Kabyle, il passait la nuit à la mosquée et était nourri gratuitement au frais du village ; si c'était pour la femme, on lui indiquait le gourbi de passage et tout était à sa charge.

------------Les OULED NAILS, autre tribu du SAHARA, étaient renommées pour leurs danseuses qui monnayaient leurs charmes. A BOU SAADA il existait plusieurs cabarets très prisés des touristes où les danseuses se produisaient, d'abord habillées puis en tenues légères exhibant leurs bijoux, l'orchestre traditionnel qui les accompagnaient jouaient la face au mur y compris le violoniste qui était aveugle, ce qui n'empêchait pas toute la troupe de se retrouver le spectacle terminé dans la même arrière-salle faisant office de vestiaire...

------------A ALGER, c'est dans le quartier de la CASBAH que furent regroupées les maisons de tolérance, rues BARBEROUSSE, SOPHONISTE, KATTAROUGGIL, de CHARTRES, BAB AZOUN, du CHÊNE, CAFTAN et impasse René CAILLE.

------------En 1859 ALGER comptait 14 maisons de tolérance, en 1905, 17 étaient réservées aux indigènes et 15 aux européens ; en 1935, 34 pour les indigènes et 5 pour européens.

------------En 1930 l'Algérie comptait 68 maisons closes tenues par des européens, 22 dans le département d'Alger, 28 dans celui de Constantine et 18 dans celui d'Oran.

------------En 1942, la police des moeurs avait répertorié, 46 bordels, 115 magasins, 79 hôtels, 600 meublés et une centaine de maisons clandestines abritant la prostitution, parmi celles ci, se trouvait le bar de chez COCO, la Taverne des Bas Fonds située près de la rue de la Marine.

------------COCO, un personnage haut en couleur, se pavanait dans sa taverne ; c'était un petit nain déluré, mulâtre au cheveux crépus qui ne passait pas inaperçu.

-----------Dans cette caverne où tout était pacotille, on venait s'encanailler autour du comptoir mais aussi se restaurer, une salle aux tables basses et tabourets vous accueillaient.

------------Quant à la décoration, elle est basée uniquement sur le sexe et le macabre tel ce squelette dont un voile rouge dissimule la partie intime... en érection... ou encore la célèbre esquisse des courses de Boufarik où les montures enfourchent les jockeys et le poteau d'arrivée n'est autre qu'un phallus géant.

------------Cet établissement, très prisé des touristes, des artistes et de la jeunesse algéroise, et des moins jeunes, était le lieu idéal où l'on invitait les jeunes filles naïves, histoire de les dessaler, Coco se faisant le complice idéal faisant admirer son célèbre porte-manteau, son plat de moules, sa collection de godemichés, sa série de photos pornographiques était aux anges quand la demoiselle, rouge comme une pivoine ne savait plus où se mettre.

------------Mais, plus discrètement, il y avait aussi un livre d'or proposant les mérites de certaines femmes habituées de l'établissement et monnayant leurs charmes.

------------La législation en vigueur sur les maisons closes est draconienne à en juger par les règlements : toutes les fenêtres et les volets devaient être clos et cadenassés, la porte pleine donnant accès à l'établissement devant être équipée d'un judas, seul le numéro d'immatriculation devant figurer sur la façade ; les corridors devront être éclairés jour et nuit, les accès aux terrasses fermés à clef et les prostitués ne devront en aucun cas être vues de l'extérieur.

------------Alors qu'en France certaines maisons closes sont de petits palaces, en Algérie c'est tout le contraire : locaux vétustes situés dans des quartiers crasseux aux immeubles dont les façades sont défraîchies, les intérieurs laissent apparaître des décorations de pacotille, l'hygiène plus que sommaire, sans parler des odeurs...

------------Les évènements d'Algérie eurent pour effet d'attirer une nouvelle clientèle composée de militaires. De nombreuses prostituées métropolitaines mais aussi le milieu marseillais qui se porta acquéreur de plusieurs établissements mais il semblerait que le nombre de maisons resta inchangé par rapport à 1942.

------------L'O.A.S, dès 1961, prit pour cible les souteneurs et contribua à l'élimination des proxénètes locaux qui étaient les financiers du F.L.N.

------------Réparties sur tout le territoire les maisons closes se situaient dans les principales villes généralement dans des quartiers à forte population musulmane, leurs noms : La Patte de chat, La Villa des fleurs, La Villa des roses, La Lune, Le Chat noir, Les Palmiers, Le Chabanais, Le Moulin rouge, Le Moulin vert, Le Soleil, Les Andalouses ou encore Le Sphinx se retrouvaient dans tous les départements d'Algérie.

------------A Alger le plus sélect était le Sphinx, n'acceptant que les européens ; la maîtresse de maison, une forte femme trônant derrière le bar confortablement installée dans un fauteuil dirigeait ses filles du doigt et du regard, un sourire aux lèvres et faisait croire à qui voulait l'entendre que son établissement rivalisait avec les palaces parisiens ; son sphinx en carton mâché, au dessus du bar et les quelques décorations de style rococo ne le différenciait guère des autres .

------------Autres établissements tout à fait légaux : les bordels militaires de campagne (B.M.C.) au nombre de 9 suivaient les troupes en campagne et débarquèrent même en Provence à la suite des régiments en 1944. Réservés à l'armée et sous son autorité il y accueillaient aussi les civils dans les régions isolées ; ils ont de nos jours disparu.

------------On ne peut parler de la prostitution en Algérie sans se pencher sur le sort des filles soumises et des conditions de vie dans ces maisons.

------------Dès qu'elles en avaient franchi la porte elle perdaient toute liberté et étaient considérées comme des esclaves : interdiction de sortir seules, toujours accompagnées lors des visites chez le médecin ou au dispensaire pour les visites obligatoires, repas pris en commun à l'intérieur de la maison, rares sorties sur la ter-rasse quand il y en avait une, rémunérées uniquement par les pourboires sans parler des brimades et des coups, surveillées sans cesse par un personnel ignorant l'humanité et régulièrement transférées d'une maison à l'autre dans un but de rentabilité maximum, ainsi peut se résumer le calvaire de ces filles, parait-il,
de joie...

Pierre CARATERO