Orléansville,
Jeudi 9 septembre 1954, 1.07 h le matin
par Christian Ripoll
sur site le 5-9-2005

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-----------Comme d'habitude, je passais mes vacances d'été dans la ferme de mon oncle, entre Cherchell et Novi, en bordure de la forêt Affaïne. J'avais 17 ans.

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La ferme, une grande bâtisse d'une cinquantaine de mètres de long sur une quinzaine de large, haute de deux étages, bien que seul le haut soit habitable, réparti en deux corps d'habitation séparés par une cour intérieure bordée d'arches sur colonnade à la façon d'un cloître. En bas, tout le bas, une haute cave destinée à la vinification de la production du domaine.

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La construction était déjà ancienne, pas loin d'un siècle, en moellons du pays, ceinturée de tirants d'acier dans tous les sens. Avaient ils été placés dés la construction, ou plus tard constatant la faiblesse de ces hauts murs chargés en hauteur ? Je ne me suis jamais posé la question !
Maison complètement isolée, le premier voisin à 2 ou 3 km., sans électricité ni téléphone, éclairage uniquement à la bougie et à la lampe à pétrole.

-----------Le domaine était géré par Léon. Il habitait là, avec sa mère.

-----------Pour mon oncle, cette ferme était sa résidence secondaire. Il y recevait tous ses amis, à tour de rôle, et souvent en même temps, l'été, lui donnant l'occasion d'organiser des après midi animées et joyeuses qu'il affectionnait particulièrement.


-----------Septembre, la "foule" des invités est repartie, il ne reste que Léon, sa mère, et moi, qui me plait, même seul, dans cette campagne isolée. C'est une fin d'été, la chaleur est moins intense, mais soleil et ciel bleu sont toujours là. Je suis seul dans une des immenses chambres, mon lit le long d'un mur, entre 2 fenêtres.

-----------En cette nuit du 9 septembre, dans mon premier et profond sommeil, je rêve que quelqu'un me secoue. Mais les secousses sont si violentes que je prends confusément conscience que ce n'est pas un rêve, mais un tremblement de terre. Je savais qu'il y en avait dans la région, de temps en temps, légers. Dans mon esprit endormi, je me dis, sans raison, qu'il faut, par sécurité, me plaquer contre le mur. Mais je ne peux pas, le mur me repousse ! Là, je me réveille complètement et à la lumière de la pleine lune je vois distinctement l'embrasure de la fenêtre vibrer avec une amplitude de 5 cm. Cinq centimètres, j'en suis sûr, je n'exagère pas. Le bruit est terrible, un grondement assourdissant amplifié par la peur, ça tinte, ça claque et ça craque de partout, le plancher tressaute sous les pieds. Je réalise enfin que la seule chose à faire est de vite sortir de la maison, de fuir à toutes jambes, d'aller me mettre en sécurité dehors !

-----------En arrivant à la porte, le séisme cesse, enfin. Quelque soit sa durée, j'avais vécu une impression de sans fin !
La maison a résisté. Sur la terrasse, éclairée par la lune d'une lumière blanc-froid plutôt sinistre, je retrouve Léon et sa mère. Nous sommes tous les trois livides et tremblants d'émotion et de peur. On se dit des choses qui n'ont pas beaucoup de sens, probablement pour se convaincre que nous sommes bien vivants, et se réjouir de ne pas être sous les décombres de la maison ! On discute, on arrive même à plaisanter, des plaisanteries bien pales, pour se moquer de nous-même, en réalité nous essayons d'expulser notre peur encore accrochée à nous. On se fait un café bien arrosé de rhum, on respire l'air frais de la nuit, on se détend et deux heures plus tard, nous nous recouchons.

-----------Je retourne à mon lit, à la lueur de la lune. Il est plein de gravats tombés du plafond, la secousse a vraiment été forte. Je me contente de le balayer sommairement à main nue. Je ne peux pas apprécier davantage la situation, je n'allume pas ma bougie, j'ai hâte de me recoucher.

-----------Dans mes draps râpeux de gravats restants, je suis encore sous le coup de la peur et de l'émotion, je ressens encore des tremblements " nerveux ". Une fois, deux fois, trois fois, et cette fois quelque chose tinte dans la pièce en même temps que moi…Constat terrible ! Ce n'est donc pas moi qui tremble, ce ne sont pas mes nerfs, c'est encore la terre ! Cette fois, c'est la panique, je ne peux plus rester là. Je prends une couverture et m'en vais coucher dehors, pas sur la terrasse, mais en bas, dans la cour, à même la terre, au pied du palmier.

 

-----------Nous faisions connaissance avec les "répliques" du séisme.

-----------Au lever du jour nous pouvons faire l'inspection de la maison. Des plafonds sont fissurés, des plaques de plâtre se sont détachées laissant le lattis à nu, des cloisons sont fendues du haut en bas. Les colonnes de la terrasse se sont déplacées, elles ne sont plus centrées sous leur chapiteaux. La pendule s'est arrêtée vers 1.10 h. Rien de plus, c'est une grande chance, la vieille battisse avec ses moellons dont on peut douter de leur cohésion a bien résisté. Ou alors, c'est justement la souplesse de ces moellons qui a évité le pire ?

-----------Les ceinturages d'acier dans tous les sens ont certainement été déterminants pour sa sauvegarde. Et la notre !
-----------Et dans la journée, les secousses ont continué, dont certaines violentes, sans toutefois jamais atteindre l'intensité de la première. Nous subissions les répliques du séisme. Avant chacune d'elle, nous étions avertis par chiens et chats qui s'enfuyaient à toutes pattes, mais sans pouvoir mettre à profit l'avertissement, le temps de comprendre, la secousse était là.

-----------C'était parfaitement angoissant. On ne vivait plus que dans l'attente de la prochaine secousse, en priant pour qu'elle ne soit pas plus forte, car cette fois, la maison ne résisterait pas, nous en étions convaincus.

-----------La nuit suivante, nous avons tous couché dehors, les ouvriers de la ferme et nous. Et aussi la nuit suivante.

-----------Nous avons attendu trois jours avant que le premier signe de vie extérieur se manifeste, en la personne de mon oncle qui venait apprécier la situation. Il nous a trouvé pales et défaits… C'était bien le moins, avec la frayeur que nous avions vécue, la peur de ma vie, courte de 17 ans ! (j'ai eu l'occasion d'avoir encore plus peur plus tard, en avion…). A Alger, la secousse avait aussi été ressentie, mais atténuée. A Cherchell, nous n'étions qu'à 80 km de l'épicentre, et l'architecture et l'âge du bâtiment avaient amplifié le phénomène.

-----------C'est avec un grand soulagement que je suis revenu vers Alger.

-----------L'épicentre de ce séisme était à Orléanville qui fut détruite à 90%, faisant 1500 morts, 14000 blessés et 300.000 sinistrés. La secousse s'était produite à 1.07 h, elle était de magnitude supérieure à 7, et avait duré 12 secondes.

 

Note du site: j'ai relevé ce qui suit pour Orléansville


-----------Séisme Le sixième séisme depuis 1954
22 décembre 1999 : Un séisme de 5,8 degrés sur l'échelle de Richter fait 28 morts et 175 blessés dans la région d'Ain Témouchent, au nord-ouest du pays.

-----------18 août 1994 : 172 morts et 288 blessés dans la région de Mascara, dans l'ouest de l'Algérie, lors d'une secousse d'une magnitude de 5,6 degrés sur l'échelle de Richter.

-----------29 octobre 1989 : Une trentaine de morts, plus de 400 blessés et 50 000 sans-abri, à environ 70 km à l'ouest d'Alger, dans la région de Tipaza (6 degrés sur l'échelle Richter).

-----------10 octobre 1980 : El-Asnam (ex-Orléansville) est de nouveau détruit par une violente secousse tellurique qui fait 3 000 morts, 8 000 blessés et 400 000 sinistrés (7,5 sur l'échelle de Richter). La ville est reconstruite et rebaptisée Chlef.

-----------9 et 16 septembre 1954 : 1 400 morts, 14 000 blessés et 300 000 sinistrés au cours de deux tremblements de terre espacés d'une semaine à Orléansville. La ville est rasée et rebaptisée El-Asnam après la reconstruction.