-----------Comme
d'habitude, je passais mes vacances d'été dans la ferme
de mon oncle, entre Cherchell et Novi, en bordure de la forêt Affaïne.
J'avais 17 ans.
-----------La ferme, une grande bâtisse d'une
cinquantaine de mètres de long sur une quinzaine de large, haute
de deux étages, bien que seul le haut soit habitable, réparti
en deux corps d'habitation séparés par une cour intérieure
bordée d'arches sur colonnade à la façon d'un cloître.
En bas, tout le bas, une haute cave destinée à la vinification
de la production du domaine.
-----------La construction était déjà
ancienne, pas loin d'un siècle, en moellons du pays, ceinturée
de tirants d'acier dans tous les sens. Avaient ils été placés
dés la construction, ou plus tard constatant la faiblesse de ces
hauts murs chargés en hauteur ? Je ne me suis jamais posé
la question !
Maison complètement isolée, le premier voisin à 2
ou 3 km., sans électricité ni téléphone, éclairage
uniquement à la bougie et à la lampe à pétrole.
-----------Le domaine
était géré par Léon. Il habitait là,
avec sa mère.
-----------Pour
mon oncle, cette ferme était sa résidence secondaire. Il
y recevait tous ses amis, à tour de rôle, et souvent en même
temps, l'été, lui donnant l'occasion d'organiser des après
midi animées et joyeuses qu'il affectionnait particulièrement.
-----------Septembre,
la "foule" des invités est repartie, il ne reste que
Léon, sa mère, et moi, qui me plait, même seul, dans
cette campagne isolée. C'est une fin d'été, la chaleur
est moins intense, mais soleil et ciel bleu sont toujours là. Je
suis seul dans une des immenses chambres, mon lit le long d'un mur, entre
2 fenêtres.
-----------En cette
nuit du 9 septembre, dans mon premier et profond sommeil, je rêve
que quelqu'un me secoue. Mais les secousses sont si violentes que je prends
confusément conscience que ce n'est pas un rêve, mais un
tremblement de terre. Je savais qu'il y en avait dans la région,
de temps en temps, légers. Dans mon esprit endormi, je me dis,
sans raison, qu'il faut, par sécurité, me plaquer contre
le mur. Mais je ne peux pas, le mur me repousse ! Là, je me réveille
complètement et à la lumière de la pleine lune je
vois distinctement l'embrasure de la fenêtre vibrer avec une amplitude
de 5 cm. Cinq centimètres, j'en suis sûr, je n'exagère
pas. Le bruit est terrible, un grondement assourdissant amplifié
par la peur, ça tinte, ça claque et ça craque de
partout, le plancher tressaute sous les pieds. Je réalise enfin
que la seule chose à faire est de vite sortir de la maison, de
fuir à toutes jambes, d'aller me mettre en sécurité
dehors !
-----------En
arrivant à la porte, le séisme cesse, enfin. Quelque soit
sa durée, j'avais vécu une impression de sans fin !
La maison a résisté. Sur la terrasse, éclairée
par la lune d'une lumière blanc-froid plutôt sinistre, je
retrouve Léon et sa mère. Nous sommes tous les trois livides
et tremblants d'émotion et de peur. On se dit des choses qui n'ont
pas beaucoup de sens, probablement pour se convaincre que nous sommes
bien vivants, et se réjouir de ne pas être sous les décombres
de la maison ! On discute, on arrive même à plaisanter, des
plaisanteries bien pales, pour se moquer de nous-même, en réalité
nous essayons d'expulser notre peur encore accrochée à nous.
On se fait un café bien arrosé de rhum, on respire l'air
frais de la nuit, on se détend et deux heures plus tard, nous nous
recouchons.
-----------Je
retourne à mon lit, à la lueur de la lune. Il est plein
de gravats tombés du plafond, la secousse a vraiment été
forte. Je me contente de le balayer sommairement à main nue. Je
ne peux pas apprécier davantage la situation, je n'allume pas ma
bougie, j'ai hâte de me recoucher.
-----------Dans
mes draps râpeux de gravats restants, je suis encore sous le coup
de la peur et de l'émotion, je ressens encore des tremblements
" nerveux ". Une fois, deux fois, trois fois, et cette fois
quelque chose tinte dans la pièce en même temps que moi
Constat
terrible ! Ce n'est donc pas moi qui tremble, ce ne sont pas mes nerfs,
c'est encore la terre ! Cette fois, c'est la panique, je ne peux plus
rester là. Je prends une couverture et m'en vais coucher dehors,
pas sur la terrasse, mais en bas, dans la cour, à même la
terre, au pied du palmier.
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-----------Nous
faisions connaissance avec les "répliques" du séisme.
-----------Au
lever du jour nous pouvons faire l'inspection de la maison. Des plafonds
sont fissurés, des plaques de plâtre se sont détachées
laissant le lattis à nu, des cloisons sont fendues du haut en bas.
Les colonnes de la terrasse se sont déplacées, elles ne
sont plus centrées sous leur chapiteaux. La pendule s'est arrêtée
vers 1.10 h. Rien de plus, c'est une grande chance, la vieille battisse
avec ses moellons dont on peut douter de leur cohésion a bien résisté.
Ou alors, c'est justement la souplesse de ces moellons qui a évité
le pire ?
-----------Les
ceinturages d'acier dans tous les sens ont certainement été
déterminants pour sa sauvegarde. Et la notre !
-----------Et
dans la journée, les secousses ont continué, dont certaines
violentes, sans toutefois jamais atteindre l'intensité de la première.
Nous subissions les répliques du séisme. Avant chacune d'elle,
nous étions avertis par chiens et chats qui s'enfuyaient à
toutes pattes, mais sans pouvoir mettre à profit l'avertissement,
le temps de comprendre, la secousse était là.
-----------C'était
parfaitement angoissant. On ne vivait plus que dans l'attente de la prochaine
secousse, en priant pour qu'elle ne soit pas plus forte, car cette fois,
la maison ne résisterait pas, nous en étions convaincus.
-----------La
nuit suivante, nous avons tous couché dehors, les ouvriers de la
ferme et nous. Et aussi la nuit suivante.
-----------Nous
avons attendu trois jours avant que le premier signe de vie extérieur
se manifeste, en la personne de mon oncle qui venait apprécier
la situation. Il nous a trouvé pales et défaits
C'était
bien le moins, avec la frayeur que nous avions vécue, la peur de
ma vie, courte de 17 ans ! (j'ai eu l'occasion d'avoir encore plus peur
plus tard, en avion
). A Alger, la secousse avait aussi été
ressentie, mais atténuée. A Cherchell, nous n'étions
qu'à 80 km de l'épicentre, et l'architecture et l'âge
du bâtiment avaient amplifié le phénomène.
-----------C'est
avec un grand soulagement que je suis revenu vers Alger.
-----------L'épicentre
de ce séisme était à Orléanville qui fut détruite
à 90%, faisant 1500 morts, 14000 blessés et 300.000 sinistrés.
La secousse s'était produite à 1.07 h, elle était
de magnitude supérieure à 7, et avait duré 12 secondes.
Note du site: j'ai relevé
ce qui suit pour Orléansville
-----------Séisme
Le sixième séisme depuis 1954
22 décembre 1999 : Un séisme de 5,8 degrés sur l'échelle
de Richter fait 28 morts et 175 blessés dans la région d'Ain
Témouchent, au nord-ouest du pays.
-----------18
août 1994 : 172 morts et 288 blessés dans la région
de Mascara, dans l'ouest de l'Algérie, lors d'une secousse d'une
magnitude de 5,6 degrés sur l'échelle de Richter.
-----------29
octobre 1989 : Une trentaine de morts, plus de 400 blessés et 50
000 sans-abri, à environ 70 km à l'ouest d'Alger, dans la
région de Tipaza (6 degrés sur l'échelle Richter).
-----------10
octobre 1980 : El-Asnam (ex-Orléansville) est de nouveau détruit
par une violente secousse tellurique qui fait 3 000 morts, 8 000 blessés
et 400 000 sinistrés (7,5 sur l'échelle de Richter). La
ville est reconstruite et rebaptisée Chlef.
-----------9
et 16 septembre 1954 : 1 400 morts, 14 000 blessés et 300 000 sinistrés
au cours de deux tremblements de terre espacés d'une semaine à
Orléansville. La ville est rasée et rebaptisée El-Asnam
après la reconstruction.
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