Une classe musulmane à Alger.
(Note du site: mais, serait-il en train de copier?)
|
Les services de l'Éducation Nationale en Algérie
sont, dans leur presque totalité, " rattachés "
et directement administrés par le Ministère de l'Éducation
Nationale. La rupture des relations entre l'Algérie et la Métropole,
qui s'est prolongée pendant près de deux ans, a eu, dans
le domaine de l'enseignement, des effets qui se font encore sentir. Le
recrutement métropolitain, d'où provient la presque totalité
des professeurs des Facultés et des lycées et collèges,
a été tari; les livres, les manuels, le matériel
scolaire ont disparu pour un temps; les nécessités militaires
ont imposé de dures réquisitions; une grande partie du personnel
a été mobilisé. Il a fallu fermer des écoles
et des établissements, recourir a des écourtements de programmes,
accepter des horaires incomplets, bref imposer un système de restrictions
dont on vient seulement en 1946 de voie la fin.
ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR. -
Les Facultés de l'Université d'Alger ont particulièrement
souffert des événements. Leur importance avait soudainement
grandi; l'Université d'Alger s'est trouvée être la
seule Université libre de France; elle a dû recevoir et enseigner
de nombreux jeunes gens de la Métropole qui avaient pu fuir le
territoire occupé; ses effectifs qui étaient de 2.250 étudiants
en 1938, ont atteint en 1945 le chiffre de 4.130. Par contre le nombre
des professeurs a décru de façon inquiétante; il
y a eu les causes générales de gêne dans le recrutement
universitaire, mais il y a eu aussi qu'on a fait appel largement aux professeurs
pour constituer le personnel dirigeant et le haut personnel administratif
du Gouvernement provisoire de la République. La Faculté
de droit est devenue un squelette, et ce n'est que bien lentement, et
par des mesures qui sont encore de fortune, qu'on parvient à y
reconstituer un enseignement normal, et au minimum. La Faculté
des Lettres a vu aussi plusieurs de ses professeurs appelés en
France; son équipe orientaliste est fortement réduite. On
ne crée pas des spécialistes et des savants en quelques
tournemains; la Métropole, qui connaît elle aussi de grands
embarras, n'a pu encore que peu aider l'Algérie; il faudra quelques
années pour tout remettre en place.
L'accroissement du nombre des étudiants, le rôle plus important
qu'a dû jouer l'Université ont naturellement incité
à reprendre des projets de développement que la guerre avait
obligé de retarder; quelques chaires et quelques cours ont été
créés en 1945. Un grand plan d'extension a été
mis au point en 1946 par le Conseil de l'Université et soumis à
l'approbation de M. le Ministre de l'Éducation Nationale; il prévoit
des créations réparties sur une période de cinq ans.
Si les crédits nécessaires sont accordés régulièrement
pendant cette période, l'Université d'Alger sera enfin équipée
pour remplir son rôle de grande Université africaine.
Un Institut, rattaché à cette Université, va s'ouvrir
en novembre 1946: l'Institut d'études supérieurs musulmanes,
première réalisation d'une Université musulmane au
sein d'une Université française; il recevra, après
un concours, les élèves qui formaient la division supérieure
des Médersas et tous les jeunes gens pourvus d'une culture islamique
suffisante. Le personnel enseignant sera composé de professeurs
de l'Université, de quelques professeurs de la Médersa d'Alger
et de notabilités musulmanes de l'Afrique du Nord et du Proche-Orient,
à qui il sera demandé de venir faire des conférences.
Ses trois sections (traditionnelle, administrative, pédagogique)
permettront de former les magistrats, les personnages religieux, le personnel
administratif, qui, de plus en plus nombreux, sera appelé à
collaborer avec les autorités françaises, ainsi que les
professeurs chargés de donner un enseignement de langue arabe digne
des traditions culturelles de l'Islam africain.
ENSEIGNEMENT SECONDAIRE -
Malgré de grosses difficultés de recrutement, dont la Métropole,
dûment avertie, s'est bien rendu compte et auxquelles elle s'emploie
à mettre fin, nos lycées et collèges ont repris une
activité à peu près normale. Des créations
de postes, qu'on avait dû différer, des ouvertures de nouveaux
établissements (notamment quelques collèges modernes remplaçant
des cours complémentaires devenus insuffisants) sont prévus
au budget de 1947 et à ceux des années suivantes. Les effectifs
scolaires, en progression continue, sont les suivants, en chiffres ronds.
Lycées et collèges classiques : Garçons : i o.000
; Filles : 5.000 Collèges modernes : Garçons : 6.000; Filles
: 4.000. Le nombre des élèves musulmans, qui est actuellement
de 850 environ, augmentera certainement dans les prochaines années,
à mesure que le plan de scolarisation, régulièrement
réalisé, rendra plus nombreux les jeunes algériens
en état d'accéder à la culture secondaire.
Les trois Médersas d'Alger, Constantine et Tlemcen, qui étaient
des espèces de collèges modernes bilingues à temps
court, ont été transformées, en 1945, en établissements
à scolarité normale (six années); la transformation
sera achevée à la rentrée de 1947-1948. C'est là
que l'Institut d'études supérieures musulmanes recrutera
ses étudiants.
ENSEIGNEMENT TECHNIQUE. -
Il est actuellement peu développé en Algérie, faute
de débouchés suffisants. Si " l'industrialisation "
de l'Algérie, qu'on annonce depuis quelque temps, se réalise,
il faudra de nombreuses créations : collèges et sections
techniques, enseignement industriel et commercial, école de métiers,
centres d'apprentissage. L'organisation de l'orientation professionnelle
a été entreprise en 1946, et les organismes centraux créés;
on les met en place actuellement. D'ici peu aussi le service de l'enseignement
technique aura à prendre en charge, en les transformant en sections
techniques à recrutement élargi, les cours complémentaires
d'enseignement professionnel qui fonctionnent avec succès dans
un assez grand nombre d'écoles musulmanes de garçons et
de filles; il faudra les adapter plus exactement aux besoins économiques
du pays.
ENSEIGNEMENT PRIMAIRE. -
Cet enseignement est actuellement en voie de large développement.
Un essor nouveau a été déclenché par les décrets
du 27 novembre 1944, qui ont créé une Direction Générale
de l'Éducation Nationale et dessiné un, grand plan de scolarisation.
Celui-ci prévoit. l'ouverture en vingt ans de 20.000 classes pouvant
recevoir un million d'enfants.
Actuellement cet enseignement est donné dans des classes du type
français, qui recevaient en novembre 1945 (écoles et écoles
maternelles) : 16o.000 élèves, dont 39.000 musulmans, et
en classes spécialement destinées aux petits écoliers
musulmans, qui étaient fréquentées à la même
date, par 83.000 garçons et 12.000 filles. Ces chiffres s'accroissent
rapidement. Le plan de scolarisation pour 1945 prévoyait 400 ouvertures
de classes; il en a été ouvert 499 (50 du type français;
449 pour les musulmans). 400 classes devaient s'ouvrir en 1946; on pourra
ouvrir, pour la rentrée d'octobre 1946 : 55o (toc) du type français;
450 pour les musulmans). La distinction entre ces deux types de classe,
qui, à l'heure actuelle, s'abolit dans les grands centres, doit
disparaître progressivement; partout où la scolarisation
sera assez avancée pour qu'on puisse proclamer l'obligation scolaire
prévue par les décrets de novembre 1944, - et ce sera fait
pour les principaux centres d'ici très peu d'années - l'école
deviendra commune. Il ne subsistera, principalement dans les secteurs
ruraux, à côté de l'école du type normal, que
des classes qu'on pourra appeler d'initiation.
PLAN DE SCOLARISATION
PRÉVISIONS ANNUELLES DE 1944 A 1965
CHAQUE PETIT TABLEAU REPRÉSENTE 200 CLASSES ET 10.000 ÉLÈVES
|
L'enseignement des fillettes musulmanes est trop peu développé;
on s'est heurté longtemps à de dures oppositions, mais la
cause semble gagnée à peu près partout. Un développement
intensif de l'enseignement des filles aurait vite les effets les plus
heureux pour l'amélioration des conditions de vie de la famille
musulmane.
Le recrutement des maîtres, dont beaucoup ont été
appelés de la Métropole, a été assez facile,
grâce surtout à l'institution d'un cadre spécial,
pour lequel on a institué des stages d'initiation à l'enseignement
en milieu musulman. La construction nécessaire d'un grand nombre
de nouvelles classes a été et est encore gênée
par les empêchements de l'industrie du bâtiment. La plupart
des nouvelles classes de 1945 et de 1946 ont fonctionné à
mi-temps, ce qui ne peut être qu'une solution temporaire; ou bien
on a loué des locaux pas toujours satisfaisants, accommodétant
bien que mal des immeubles que rien ne destinait à être une
école. Il faut espérer que dès 1947 des constructions
nombreuses permettront de continuer l'effort commencé au rythme
accéléré qu'on a pu suivre depuis deux ans. Les initiatives
locales faciliteront beaucoup la réalisation de ce programme intensif
de construction. Le service de l'hygiène scolaire, créé
en 1946, a établi, en accord avec la Direction de la Santé
publique, un grand plan pour réaliser un contrôle médical
sérieux dans l'école, à la ville et à la campagne;
une attention particulière sera donnée au dépistage
et à la cure de la tuberculose. Dès 1947 des résultats
considérables pourront vraisemblablement être enregistrés.
Scolarisation des enfants
musulmans en Algérie
|
On voudrait que les nouvelles écoles à ouvrir
sur le territoire algérien puissent répondre aux besoins
principaux de l'heure; les plans-types établis prévoient,
à côté de la classe une salle d'atelier (bois, fer,
travail domestique pour les garçons; enseignement ménager
pour les filles), une cantine scolaire, un local pour l'examen médical,
des douches et au besoin une petite étuve de désinfection.
L'école, ainsi comprise, serait plus qu'un assemblage de salles
où l'on apprend à lire et à compter; ce serait un
véritable petit centre de civilisation; par les enfants, et par
les filles au moins autant que par les garçons, on créerait
en quelques années la possibilité d'assurer à l'Algérie
de meilleures conditions de sécurité sociale.
ENSEIGNEMENT PRIVÉ DES MUSULMANS. -
Cet enseignement, au degré primaire, n'existait pour ainsi dire
pas, il y a quelques années. Il y avait et il y a un grand nombre
d'" écoles coraniques ", écoles de caractère
confessionnel, où l'on enseigne la religion musulmane et les rudiments
de langue arabe nécessaires à l'étude de la religion.
De ces écoles les autorités universitaires n'ont point à
connaître, une fois qu'il est assuré, que le, local répond
à des exigences élémentaires d'hygiène et
que l'enseignement donné n'est point contraire à la Constitution
et aux lois. Depuis quelques années, l'enseignement libre proprement
dit, c'est-à- dire des écoles avec enseignement des matières
primaires, s'est développé; un assez grand nombre d'écoles
se sont ouvertes, à qui on a donné généralement
le nom de Médersas libres. Beaucoup ne méritent point ce
titre et ne sont que des écoles coraniques agrandies. Quelques
dizaines seulement d'écoles libres s'emploient à distribuer
à travers l'Algérie un enseignement primaire, au moins partiel.
Les décrets de novembre 1944 leur ont donné un statut, aussi
rapproché que possible du statut métropolitain. Il est prévu
que quinze heures d'enseignement doivent être données en
français et que les maîtres seront pourvus des titres exigés
en France ou, à défaut, et pendant une période transitoire,
d'un brevet de capacité spécial. L'examen qui avait été
prévu, en conséquence, tenait compte de l'obligation d'assurer
en français une partie de l'enseignement et prévoyait, à
côté des épreuves arabes, quelques épreuves,
très élémentaires, de français. Il est apparu,
à l'expérience, que cet examen était trop difficile;
l'enseignement privé des musulmans ne recrute d'ailleurs , pas
aisément ses maîtres. Le texte créant l'examen de
capacité a donc été modifié ; deux examens
sont institués : a) un pour l'enseignement des matières
arabes (y Compris les matières primaires), dont toutes les épreuves
sont en arabe; b) un pour l'enseignement des matières françaises
dans les écoles libres en général.
Cette division correspond d'ailleurs à un fait nouveau. Tenant
compte de la nécessité d'un enseignement bilingue et des
difficultés de recrutement de l'enseignement libre, l'Académie
d'Alger a pu, en 1946, affecter dans une dizaine de Médersas libres
des instituteurs appartenant
au cadre régulier, et chargés de donner l'enseignement des
matières françaises. Cette initiative paraît avoir
réussi. Il commence à se créer ainsi de véritables
écoles franco-arabes, associant les deux cultures et dont le succès
est souhaitable.
Pierre MARTINO.
|