ESSOR DE L'ALGÉRIE - 1947
5. Enseignement et scolarisation.
5. Enseignement et scolarisation.

Pierre Martino

ici, mars 2016

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Une classe musulmane à Alger
Une classe musulmane à Alger.
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Les services de l'Éducation Nationale en Algérie sont, dans leur presque totalité, " rattachés " et directement administrés par le Ministère de l'Éducation Nationale. La rupture des relations entre l'Algérie et la Métropole, qui s'est prolongée pendant près de deux ans, a eu, dans le domaine de l'enseignement, des effets qui se font encore sentir. Le recrutement métropolitain, d'où provient la presque totalité des professeurs des Facultés et des lycées et collèges, a été tari; les livres, les manuels, le matériel scolaire ont disparu pour un temps; les nécessités militaires ont imposé de dures réquisitions; une grande partie du personnel a été mobilisé. Il a fallu fermer des écoles et des établissements, recourir a des écourtements de programmes, accepter des horaires incomplets, bref imposer un système de restrictions dont on vient seulement en 1946 de voie la fin.

ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR. -

Les Facultés de l'Université d'Alger ont particulièrement souffert des événements. Leur importance avait soudainement grandi; l'Université d'Alger s'est trouvée être la seule Université libre de France; elle a dû recevoir et enseigner de nombreux jeunes gens de la Métropole qui avaient pu fuir le territoire occupé; ses effectifs qui étaient de 2.250 étudiants en 1938, ont atteint en 1945 le chiffre de 4.130. Par contre le nombre des professeurs a décru de façon inquiétante; il y a eu les causes générales de gêne dans le recrutement universitaire, mais il y a eu aussi qu'on a fait appel largement aux professeurs pour constituer le personnel dirigeant et le haut personnel administratif du Gouvernement provisoire de la République. La Faculté de droit est devenue un squelette, et ce n'est que bien lentement, et par des mesures qui sont encore de fortune, qu'on parvient à y reconstituer un enseignement normal, et au minimum. La Faculté des Lettres a vu aussi plusieurs de ses professeurs appelés en France; son équipe orientaliste est fortement réduite. On ne crée pas des spécialistes et des savants en quelques tournemains; la Métropole, qui connaît elle aussi de grands embarras, n'a pu encore que peu aider l'Algérie; il faudra quelques années pour tout remettre en place.

L'accroissement du nombre des étudiants, le rôle plus important qu'a dû jouer l'Université ont naturellement incité à reprendre des projets de développement que la guerre avait obligé de retarder; quelques chaires et quelques cours ont été créés en 1945. Un grand plan d'extension a été mis au point en 1946 par le Conseil de l'Université et soumis à l'approbation de M. le Ministre de l'Éducation Nationale; il prévoit des créations réparties sur une période de cinq ans. Si les crédits nécessaires sont accordés régulièrement pendant cette période, l'Université d'Alger sera enfin équipée pour remplir son rôle de grande Université africaine.

Un Institut, rattaché à cette Université, va s'ouvrir en novembre 1946: l'Institut d'études supérieurs musulmanes, première réalisation d'une Université musulmane au sein d'une Université française; il recevra, après un concours, les élèves qui formaient la division supérieure des Médersas et tous les jeunes gens pourvus d'une culture islamique suffisante. Le personnel enseignant sera composé de professeurs de l'Université, de quelques professeurs de la Médersa d'Alger et de notabilités musulmanes de l'Afrique du Nord et du Proche-Orient, à qui il sera demandé de venir faire des conférences. Ses trois sections (traditionnelle, administrative, pédagogique) permettront de former les magistrats, les personnages religieux, le personnel administratif, qui, de plus en plus nombreux, sera appelé à collaborer avec les autorités françaises, ainsi que les professeurs chargés de donner un enseignement de langue arabe digne des traditions culturelles de l'Islam africain.

ENSEIGNEMENT SECONDAIRE -

Malgré de grosses difficultés de recrutement, dont la Métropole, dûment avertie, s'est bien rendu compte et auxquelles elle s'emploie à mettre fin, nos lycées et collèges ont repris une activité à peu près normale. Des créations de postes, qu'on avait dû différer, des ouvertures de nouveaux établissements (notamment quelques collèges modernes remplaçant des cours complémentaires devenus insuffisants) sont prévus au budget de 1947 et à ceux des années suivantes. Les effectifs scolaires, en progression continue, sont les suivants, en chiffres ronds. Lycées et collèges classiques : Garçons : i o.000 ; Filles : 5.000 Collèges modernes : Garçons : 6.000; Filles : 4.000. Le nombre des élèves musulmans, qui est actuellement de 850 environ, augmentera certainement dans les prochaines années, à mesure que le plan de scolarisation, régulièrement réalisé, rendra plus nombreux les jeunes algériens en état d'accéder à la culture secondaire.

Les trois Médersas d'Alger, Constantine et Tlemcen, qui étaient des espèces de collèges modernes bilingues à temps court, ont été transformées, en 1945, en établissements à scolarité normale (six années); la transformation sera achevée à la rentrée de 1947-1948. C'est là que l'Institut d'études supérieures musulmanes recrutera ses étudiants.

ENSEIGNEMENT TECHNIQUE. -
Il est actuellement peu développé en Algérie, faute de débouchés suffisants. Si " l'industrialisation " de l'Algérie, qu'on annonce depuis quelque temps, se réalise, il faudra de nombreuses créations : collèges et sections techniques, enseignement industriel et commercial, école de métiers, centres d'apprentissage. L'organisation de l'orientation professionnelle a été entreprise en 1946, et les organismes centraux créés; on les met en place actuellement. D'ici peu aussi le service de l'enseignement technique aura à prendre en charge, en les transformant en sections techniques à recrutement élargi, les cours complémentaires d'enseignement professionnel qui fonctionnent avec succès dans un assez grand nombre d'écoles musulmanes de garçons et de filles; il faudra les adapter plus exactement aux besoins économiques du pays.

ENSEIGNEMENT PRIMAIRE. -

Cet enseignement est actuellement en voie de large développement. Un essor nouveau a été déclenché par les décrets du 27 novembre 1944, qui ont créé une Direction Générale de l'Éducation Nationale et dessiné un, grand plan de scolarisation. Celui-ci prévoit. l'ouverture en vingt ans de 20.000 classes pouvant recevoir un million d'enfants.

Actuellement cet enseignement est donné dans des classes du type français, qui recevaient en novembre 1945 (écoles et écoles maternelles) : 16o.000 élèves, dont 39.000 musulmans, et en classes spécialement destinées aux petits écoliers musulmans, qui étaient fréquentées à la même date, par 83.000 garçons et 12.000 filles. Ces chiffres s'accroissent rapidement. Le plan de scolarisation pour 1945 prévoyait 400 ouvertures de classes; il en a été ouvert 499 (50 du type français; 449 pour les musulmans). 400 classes devaient s'ouvrir en 1946; on pourra ouvrir, pour la rentrée d'octobre 1946 : 55o (toc) du type français; 450 pour les musulmans). La distinction entre ces deux types de classe, qui, à l'heure actuelle, s'abolit dans les grands centres, doit disparaître progressivement; partout où la scolarisation sera assez avancée pour qu'on puisse proclamer l'obligation scolaire prévue par les décrets de novembre 1944, - et ce sera fait pour les principaux centres d'ici très peu d'années - l'école deviendra commune. Il ne subsistera, principalement dans les secteurs ruraux, à côté de l'école du type normal, que des classes qu'on pourra appeler d'initiation.

PLAN DE SCOLARISATION
PLAN DE SCOLARISATION
PRÉVISIONS ANNUELLES DE 1944 A 1965
CHAQUE PETIT TABLEAU REPRÉSENTE 200 CLASSES ET 10.000 ÉLÈVES


L'enseignement des fillettes musulmanes est trop peu développé; on s'est heurté longtemps à de dures oppositions, mais la cause semble gagnée à peu près partout. Un développement intensif de l'enseignement des filles aurait vite les effets les plus heureux pour l'amélioration des conditions de vie de la famille musulmane.

Le recrutement des maîtres, dont beaucoup ont été appelés de la Métropole, a été assez facile, grâce surtout à l'institution d'un cadre spécial, pour lequel on a institué des stages d'initiation à l'enseignement en milieu musulman. La construction nécessaire d'un grand nombre de nouvelles classes a été et est encore gênée par les empêchements de l'industrie du bâtiment. La plupart des nouvelles classes de 1945 et de 1946 ont fonctionné à mi-temps, ce qui ne peut être qu'une solution temporaire; ou bien on a loué des locaux pas toujours satisfaisants, accommodétant bien que mal des immeubles que rien ne destinait à être une école. Il faut espérer que dès 1947 des constructions nombreuses permettront de continuer l'effort commencé au rythme accéléré qu'on a pu suivre depuis deux ans. Les initiatives locales faciliteront beaucoup la réalisation de ce programme intensif de construction. Le service de l'hygiène scolaire, créé en 1946, a établi, en accord avec la Direction de la Santé publique, un grand plan pour réaliser un contrôle médical sérieux dans l'école, à la ville et à la campagne; une attention particulière sera donnée au dépistage et à la cure de la tuberculose. Dès 1947 des résultats considérables pourront vraisemblablement être enregistrés.

Scolarisation des enfants musulmans en Algérie
Scolarisation des enfants musulmans en Algérie

On voudrait que les nouvelles écoles à ouvrir sur le territoire algérien puissent répondre aux besoins principaux de l'heure; les plans-types établis prévoient, à côté de la classe une salle d'atelier (bois, fer, travail domestique pour les garçons; enseignement ménager pour les filles), une cantine scolaire, un local pour l'examen médical, des douches et au besoin une petite étuve de désinfection. L'école, ainsi comprise, serait plus qu'un assemblage de salles où l'on apprend à lire et à compter; ce serait un véritable petit centre de civilisation; par les enfants, et par les filles au moins autant que par les garçons, on créerait en quelques années la possibilité d'assurer à l'Algérie de meilleures conditions de sécurité sociale.

ENSEIGNEMENT PRIVÉ DES MUSULMANS. -

Cet enseignement, au degré primaire, n'existait pour ainsi dire pas, il y a quelques années. Il y avait et il y a un grand nombre d'" écoles coraniques ", écoles de caractère confessionnel, où l'on enseigne la religion musulmane et les rudiments de langue arabe nécessaires à l'étude de la religion. De ces écoles les autorités universitaires n'ont point à connaître, une fois qu'il est assuré, que le, local répond à des exigences élémentaires d'hygiène et que l'enseignement donné n'est point contraire à la Constitution et aux lois. Depuis quelques années, l'enseignement libre proprement dit, c'est-à- dire des écoles avec enseignement des matières primaires, s'est développé; un assez grand nombre d'écoles se sont ouvertes, à qui on a donné généralement le nom de Médersas libres. Beaucoup ne méritent point ce titre et ne sont que des écoles coraniques agrandies. Quelques dizaines seulement d'écoles libres s'emploient à distribuer à travers l'Algérie un enseignement primaire, au moins partiel. Les décrets de novembre 1944 leur ont donné un statut, aussi rapproché que possible du statut métropolitain. Il est prévu que quinze heures d'enseignement doivent être données en français et que les maîtres seront pourvus des titres exigés en France ou, à défaut, et pendant une période transitoire, d'un brevet de capacité spécial. L'examen qui avait été prévu, en conséquence, tenait compte de l'obligation d'assurer en français une partie de l'enseignement et prévoyait, à côté des épreuves arabes, quelques épreuves, très élémentaires, de français. Il est apparu, à l'expérience, que cet examen était trop difficile; l'enseignement privé des musulmans ne recrute d'ailleurs , pas aisément ses maîtres. Le texte créant l'examen de capacité a donc été modifié ; deux examens sont institués : a) un pour l'enseignement des matières arabes (y Compris les matières primaires), dont toutes les épreuves sont en arabe; b) un pour l'enseignement des matières françaises dans les écoles libres en général.
Cette division correspond d'ailleurs à un fait nouveau. Tenant compte de la nécessité d'un enseignement bilingue et des difficultés de recrutement de l'enseignement libre, l'Académie d'Alger a pu, en 1946, affecter dans une dizaine de Médersas libres des instituteurs appartenant
au cadre régulier, et chargés de donner l'enseignement des matières françaises. Cette initiative paraît avoir réussi. Il commence à se créer ainsi de véritables écoles franco-arabes, associant les deux cultures et dont le succès est souhaitable.

Pierre MARTINO.