ESSOR DE L'ALGÉRIE - 1947
Destin aéronautique d'Alger
27. - Destin aéronautique d'Alger

Général Pierre WEISS.
ici, mars 2016

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Alger : arrière-port, centre, casbah.
Alger : arrière-port, centre, casbah.

La ville d'Alger est une création de la civilisation française au XIXe siècle et au XXe siècle.

Sa personnalité n'a pas été précoce dans l'histoire. Son originalité et sa prépondérance datent d'hier. Elle. doit tout à la France.

Aux âges puniques, elle s'appelle Ikosim, ce qui signifie l'île aux mouettes. Elle n'est qu'un petit port accroché aux îlots de l'amirauté. Carthage est la lumière historique de l'époque. Ikosim devient Icosium sous les Romains. Icosium déborde quelque peu dans notre actuel quartier de la Marine, mais demeure un village. Césarée (Cherchell), la capitale de Juba, domine de toute sa splendeur : Alger ne compte pas. Au ve siècle, les Vandales, boches orientaux, passent en trombe et cassent tout. (Ils garderont .à travers les millénaires cette tradition bien nationale). .

La nuit descend sur Icosium qui disparaît pendant six siècles. Le Maghreb touche à cette tranche de passé que Gautier, observateur inégalé de l'Afrique du Nord, a justement dénommée " les siècles obscurs ". Elle s'étend du vie au xte siècle, approximativement de l'islamisation du Maghreb aux Almoravides.

Dès le XIe siècle, les chroniqueurs espagnols, portugais, arabes, nous éclairent mieux. Dans la deuxième moitié du Xe siècle, Icosium occupée par la tribu des Beni Mezzanna, renaît sous le nom berbère d'El-Djezaïr. Ibn Hawkal (Xe siècle), El Bekri (1068), Edrisi ( 1150) parlent de ces îlots qui exportent le miel et les figues du Sahel. Mais l'auréole est ailleurs : au front de Tlemcen, de Kairouan, de Fez, de Marrakech.

En 1512, les Turcs entrent en scène. Le cheikh arabe Salim que menacent les Espagnols débarqués au Penon, appelle à son secours le corsaire Aroudj. L'aventurier turc entre à Alger en libérateur, mais ne chasse pas les Espagnols. Par contre, s'étant rendu maître d'El-Djezaïr, il étrangle Salim et prend sa place.

Il récidive à Tlemcen et fait noyer dans le grand bassin des jardins soixante-dix princes de la dynastie d'Abou Hammou, sultan du lieu; il périt enfin, en 1518, coupé en morceaux par les Espagnols à Rio-Salado.

La domination turque sur El-Djezaïr, devenue Alger, n'en était pas moins fondée. Le frère d'Aroudj, Barberousse, lui succédait, en consacrant la suzeraineté de la sublime Porte. Le sultan de Constantinople, la piraterie, le beau temps de la course s'installaient à Alger pour trois siècles. A l'actif du pandour, notons l'édification de la jetée qui mit fin à l'insularité de l'île aux mouettes. L'amirauté d'aujourd'hui restera désormais reliée à la terre ferme et le môle s'lapellera longtemps du vrai nom de Barberousse, la jetée Khair-el-Din.

Quand la flotte de Duperré jette l'ancre à Sidi-Ferruch en 83o, Alger est une casbah, un bagne d'esclaves, un repaire de galères maniées par la chiourme. Le paradoxe absurde de cette fière Berbérie opprimée par les Levantins et les forbans d'Anatolie, se dénoue enfin. Alger, ville sans passé, va monter en flèche. Son développement serait comparable à celui des villes américaines, si le sol avoisinant avait recélé du charbon. On regrette seulement que les urbanistes occidentaux, en aménageant le site, aient sacrifié parfois les pierres vénérables que les architectes de Lyautey ont précieusement conservées au Maroc. A Cherchell, le génie militaire construisit une caserne avec les socles des dieux de Phidias et les dalles de l'amphithéâtre. A Alger, les ouvreurs de rues détruisirent la mosquée Es-Sidia, la mosquée primitive de SidiAbderahman, protecteur de la ville, le palais mauresque de la rue de la Charte qui fut, avant 1830, le consulat anglais.

M. Lespès, le savant historiographe, a fort bien montré,, dans la collection du centenaire, les étapes foudroyanies de l'ascension urbaine d'Alger. Moins de trente mille habitants en 1830; en 1845, quarante trois mille Français ont déjà grossi les effectifs de, la cité. La population indigène croît parallèlement : elle est de quinze mille en 1881 et de 55.000 en 1926. L'ensemble municipal atteint 230.000 en 1926. A la veille de la guerre, il dépasse 300.000. Les recensements de la guerre et de l'après-guerre manquent de précision, mais la ville touchait en 1944, avec sa population flottante et les troupes, au demi-million. Alger est la quatrième ville de France.

Les écrivains qui ont commenté le miracle d'Alger et en particulier le regretté professeur Lespès, aux ouvrages de qui sont empruntés ces chiffres - se sont arrêtés - et pour cause - au destin terrestre de la capitale de l'Algérie. Ils ont écrit avant l'heure. Ils ont à peine entrevu l'immense lever d'aurore qu'était pour la nouvelle Carthage l'aviation, source de vie et d'avenir. Avenir que l'incohérence criminelle du gouvernement de Vichy et de ses séides militaires aurait compromis, si l'aviation ne portait en elle une force irrésistible et si Alger n'était pas un reposoir né pour la navigation mondiale. La nature avait doté Alger d'un terrain naturel, aux portes de la ville : la lande sableuse d'Hussein-Dey, sur laquelle pouvait ê re construite, en dépassant au nord le Caroubier, une piste de trois kilomètres, d'une seule direction il est vrai. Au moment où les progrès techniques permettaient aux avions d'atterrir malgré les vents traversiers,
les services de l'armée de terre ont dévoré ce -.dei"'
no man's land extraordinaire, dont l'utilité et la destination aéronautiques crevaient les yeux.

Nous aurions eu, comme Berlin et Varsovie, un aérodrome presque en plein centre de l'agglomération. A son défaut, Maison-Blanche, à 25 kilomètres d'Alger, a poussé et est donc devenu le grand carrefour aérien. Les efforts magnifiques et conjugués du comité de la Libération et des Alliés, après l'abêtissement de Vichy, ont restauré et fécondé, pour ainsi dire, ce port d'une signification nationale et universelle.

Il y a des points de la mappemonde qui ont une fonction. Le penseur, l'historien le constatent. Aux hommes d'action, aux politiques, de conduire à terme la chrysalide. L'examen de la carte, comme l'expérience de ces dernières années, démontre à quel point Alger est un confluent, notre chef-lieu aérien suprême. Les lignes méridiennes y trouvent, tout contre le rivage, la première gare après la traversée de la Méditerranée; après ravitaillement, elles poursuivent vers tous les points essentiels de l'Union française : Gao, Niamey, Dakar, Abidjan, Douala, Brazzaville, le Tchad, Madagascar, La Réunion. Pour les déplacements en longitude, elle est la plaque tournante de l'Afrique du Nord et de cette trajectoire capitale Casablanca- Tunis, dont le prolongement évident, à l'est et à l'ouest, atteint l'Orient et l'Amérique latine. Toute ligne transversale entre l'Asie et l'Amérique est nord-africaine pour une partie de son itinéraire et touche au nœud de communications d'Alger.

Elle est, enfin, le port nourricier de la mer intérieure saharienne, semée d'oasis, qui baigne les deux rives de l'Afrique française. Alger dessert un champ d'action étagé sur quarante degrés de latitude et de longitude.

La navigation aérienne, infaillible échéance de demain, et Alger sa base centrale, sa clef de routes pour l'ancien continent, rendront à la France plus de services qu'à tout autre pays parce qu'aucun autre pays, même la Rome antique, ne s'est dédoublé comme le nôtre deux fois : sur chaque bord de la Méditerranée et sur chaque bord du Sahara.

Les liaisons aériennes Algérie-Paris sont entrées dans les moeurs à un tel degré que l'embouteillage et l'insuffisance des bureaux de départ sont des faits permanents. La première expérience massive de transbordement par voie des airs date de la Libération. Les avions militaires, sous la direction de la 5me région, réussirent à ramener en France cinquante mille personnes en huit mois. Quel que soit ce bilan, il n'est qu'une faible
image de l'avenir. Une mobilité infiniment plus vaste et plus généralisée pour les passagers et pour le fret de toute nature est réservée aux entreprises de navigation. Avant vingt ans, Alger sera reliée à Paris cinquante fois par jour et la durée du voyage sera d'une heure et demie.

Chaque progrès ést un court moment d'une évolution et le progrès suivant est à quelques pas de nous. Ce qui demeurera sans oscillation c'est la beauté, la magnificence, mor;-eileirenumw-ieneitefflefflio›. la signification mondiale de la position d'Alger, capitale de l'occident méditerranéen.

Général Pierre WEISS.