Alger : arrière-port,
centre, casbah.
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La ville d'Alger est une création
de la civilisation française au XIXe siècle et au XXe siècle.
Sa personnalité n'a pas été précoce dans l'histoire.
Son originalité et sa prépondérance datent d'hier.
Elle. doit tout à la France.
Aux âges puniques, elle s'appelle Ikosim, ce qui signifie l'île
aux mouettes. Elle n'est qu'un petit port accroché aux îlots
de l'amirauté. Carthage est la lumière historique de l'époque.
Ikosim devient Icosium sous les Romains. Icosium déborde quelque
peu dans notre actuel quartier de la Marine, mais demeure un village.
Césarée (Cherchell), la capitale de Juba, domine de toute
sa splendeur : Alger ne compte pas. Au ve siècle, les Vandales,
boches orientaux, passent en trombe et cassent tout. (Ils garderont .à
travers les millénaires cette tradition bien nationale). .
La nuit descend sur Icosium qui disparaît pendant six siècles.
Le Maghreb touche à cette tranche de passé que Gautier,
observateur inégalé de l'Afrique du Nord, a justement dénommée
" les siècles obscurs ". Elle s'étend du vie au
xte siècle, approximativement de l'islamisation du Maghreb aux
Almoravides.
Dès le XIe siècle, les chroniqueurs espagnols, portugais,
arabes, nous éclairent mieux. Dans la deuxième moitié
du Xe siècle, Icosium occupée par la tribu des Beni Mezzanna,
renaît sous le nom berbère d'El-Djezaïr. Ibn Hawkal
(Xe siècle), El Bekri (1068), Edrisi ( 1150) parlent de ces îlots
qui exportent le miel et les figues du Sahel. Mais l'auréole est
ailleurs : au front de Tlemcen, de Kairouan, de Fez, de Marrakech.
En 1512, les Turcs entrent en scène. Le cheikh arabe Salim que
menacent les Espagnols débarqués au Penon, appelle à
son secours le corsaire Aroudj. L'aventurier turc entre à Alger
en libérateur, mais ne chasse pas les Espagnols. Par contre, s'étant
rendu maître d'El-Djezaïr, il étrangle Salim et prend
sa place.
Il récidive à Tlemcen et fait noyer dans le grand bassin
des jardins soixante-dix princes de la dynastie d'Abou Hammou, sultan
du lieu; il périt enfin, en 1518, coupé en morceaux par
les Espagnols à Rio-Salado.
La domination turque sur El-Djezaïr, devenue Alger, n'en était
pas moins fondée. Le frère d'Aroudj, Barberousse, lui succédait,
en consacrant la suzeraineté de la sublime Porte. Le sultan de
Constantinople, la piraterie, le beau temps de la course s'installaient
à Alger pour trois siècles. A l'actif du pandour, notons
l'édification de la jetée qui mit fin à l'insularité
de l'île aux mouettes. L'amirauté d'aujourd'hui restera désormais
reliée à la terre ferme et le môle s'lapellera longtemps
du vrai nom de Barberousse, la jetée Khair-el-Din.
Quand la flotte de Duperré jette l'ancre à Sidi-Ferruch
en 83o, Alger est une casbah, un bagne d'esclaves, un repaire de galères
maniées par la chiourme. Le paradoxe absurde de cette fière
Berbérie opprimée par les Levantins et les forbans d'Anatolie,
se dénoue enfin. Alger, ville sans passé, va monter en flèche.
Son développement serait comparable à celui des villes américaines,
si le sol avoisinant avait recélé du charbon. On regrette
seulement que les urbanistes occidentaux, en aménageant le site,
aient sacrifié parfois les pierres vénérables que
les architectes de Lyautey ont précieusement conservées
au Maroc. A Cherchell, le génie militaire construisit une caserne
avec les socles des dieux de Phidias et les dalles de l'amphithéâtre.
A Alger, les ouvreurs de rues détruisirent la mosquée Es-Sidia,
la mosquée primitive de SidiAbderahman, protecteur de la ville,
le palais mauresque de la rue de la Charte qui fut, avant 1830, le consulat
anglais.
M. Lespès, le savant historiographe, a fort
bien montré,, dans la collection du centenaire, les étapes
foudroyanies de l'ascension urbaine d'Alger. Moins de trente mille habitants
en 1830; en 1845, quarante trois mille Français ont déjà
grossi les effectifs de, la cité. La population indigène
croît parallèlement : elle est de quinze mille en 1881 et
de 55.000 en 1926. L'ensemble municipal atteint 230.000 en 1926. A la
veille de la guerre, il dépasse 300.000. Les recensements de la
guerre et de l'après-guerre manquent de précision, mais
la ville touchait en 1944, avec sa population flottante et les troupes,
au demi-million. Alger est la quatrième ville de France.
Les écrivains qui ont commenté le miracle d'Alger et en
particulier le regretté professeur Lespès, aux ouvrages
de qui sont empruntés ces chiffres - se sont arrêtés
- et pour cause - au destin terrestre de la capitale de l'Algérie.
Ils ont écrit avant l'heure. Ils ont à peine entrevu l'immense
lever d'aurore qu'était pour la nouvelle Carthage l'aviation, source
de vie et d'avenir. Avenir que l'incohérence criminelle du gouvernement
de Vichy et de ses séides militaires aurait compromis, si l'aviation
ne portait en elle une force irrésistible et si Alger n'était
pas un reposoir né pour la navigation mondiale. La nature avait
doté Alger d'un terrain naturel, aux portes de la ville : la lande
sableuse d'Hussein-Dey, sur laquelle pouvait ê re construite, en
dépassant au nord le Caroubier, une piste de trois kilomètres,
d'une seule direction il est vrai. Au moment où les progrès
techniques permettaient aux avions d'atterrir malgré les vents
traversiers, les services de l'armée de terre
ont dévoré ce -.dei"'
no man's land extraordinaire, dont l'utilité et la destination
aéronautiques crevaient les yeux.
Nous aurions eu, comme Berlin et Varsovie, un aérodrome presque
en plein centre de l'agglomération. A son défaut, Maison-Blanche,
à 25 kilomètres d'Alger, a poussé et est donc devenu
le grand carrefour aérien. Les efforts magnifiques et conjugués
du comité de la Libération et des Alliés, après
l'abêtissement de Vichy, ont restauré et fécondé,
pour ainsi dire, ce port d'une signification nationale et universelle.
Il y a des points de la mappemonde qui ont une fonction. Le penseur, l'historien
le constatent. Aux hommes d'action, aux politiques, de conduire à
terme la chrysalide. L'examen de la carte, comme l'expérience de
ces dernières années, démontre à quel point
Alger est un confluent, notre chef-lieu aérien suprême. Les
lignes méridiennes y trouvent, tout contre le rivage, la première
gare après la traversée de la Méditerranée;
après ravitaillement, elles poursuivent vers tous les points essentiels
de l'Union française : Gao, Niamey, Dakar, Abidjan, Douala, Brazzaville,
le Tchad, Madagascar, La Réunion. Pour les déplacements
en longitude, elle est la plaque tournante de l'Afrique du Nord et de
cette trajectoire capitale Casablanca- Tunis, dont le prolongement évident,
à l'est et à l'ouest, atteint l'Orient et l'Amérique
latine. Toute ligne transversale entre l'Asie et l'Amérique est
nord-africaine pour une partie de son itinéraire et touche au nud
de communications d'Alger.
Elle est, enfin, le port nourricier de la mer intérieure saharienne,
semée d'oasis, qui baigne les deux rives de l'Afrique française.
Alger dessert un champ d'action étagé sur quarante degrés
de latitude et de longitude.
La navigation aérienne, infaillible échéance de demain,
et Alger sa base centrale, sa clef de routes pour l'ancien continent,
rendront à la France plus de services qu'à tout autre pays
parce qu'aucun autre pays, même la Rome antique, ne s'est dédoublé
comme le nôtre deux fois : sur chaque bord de la Méditerranée
et sur chaque bord du Sahara.
Les liaisons aériennes Algérie-Paris sont entrées
dans les moeurs à un tel degré que l'embouteillage et l'insuffisance
des bureaux de départ sont des faits permanents. La première
expérience massive de transbordement par voie des airs date de
la Libération. Les avions militaires, sous la direction de la 5me
région, réussirent à ramener en France cinquante
mille personnes en huit mois. Quel que soit ce bilan, il n'est qu'une
faible
image de l'avenir. Une mobilité infiniment plus vaste et plus généralisée
pour les passagers et pour le fret de toute nature est réservée
aux entreprises de navigation. Avant vingt ans, Alger sera reliée
à Paris cinquante fois par jour et la durée du voyage sera
d'une heure et demie.
Chaque progrès ést un court moment d'une évolution
et le progrès suivant est à quelques pas de nous. Ce qui
demeurera sans oscillation c'est la beauté, la magnificence, mor;-eileirenumw-ieneitefflefflio.
la signification mondiale de la position d'Alger, capitale de l'occident
méditerranéen.
Général Pierre WEISS.
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