ESSOR DE L'ALGÉRIE - 1947

l'habitat
14 et 15.- L'habitat

Marcel LATHUILLIERE,
Architecte D.P.L.G.
Architecte Conseil à la Direction des Réformes.

ici, mars 2016

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urbanisme

HABITAT URBAIN

Le problème de l'habitat urbain occupait dans les questions algériennes une place prépondérante car de son développement dépendent étroitement l'évolution rapide des masses musulmanes; l'extension de l'artisanat et surtout l'amélioration des conditions sanitaires d'une fraction importante de la population laborieuse du pays.

L'attraction exercée par la ville sur les campagnes surtout depuis la fin de la guerre 1914-1918, l'arrêt presque complet de la construction depuis 1940, ont empiré d'une façon désastreuse les conditions de logement urbain et l'on assiste à l'entassement d'une nombreuse population, en majorité musulmane, dans la banlieue de la plupart des villes algériennes, autour desquelles tendent à se créer des ". zones " plus malsaines et plus hideuses que toutes celles des grandes agglomérations d'Europe.

Différents systèmes originaux pour améliorer une situation del difficile furent envisagés avant 1939 mais n'ayant jamais reçu de consécration légale, ils furent l'objet de réalisations locales n'ayant aucun caractère général.

Orientés, à cette époque, vers les besoins spécifiques des populations musulmanes rurales et urbaines, ces projets, étant donné l'évolution de leurs bénéficiaires urbains, semblent ne plus devoir faire actuellement l'objet d'une législation spéciale et s'intégrer dans le vaste programme de réalisations prévu par l'organisation de " l'habitat social " en Algérie.

Ce terme nouveau appliqué à un programme nouveau révèle les besoins actuels d'une Algérie en voie d'évolution.

C'est en tenant compte des besoins de l'habitat et à la suite du désir exprimé par les Assemblées Algériennes de participer à la construction d'habitations populaires, qu'un projet de loi instituant "-Phabitat social " a été soumis au Gouvernement. Ce projet, qui se situe en bonne place dans le programme des réformes actuellement en voie de réalisation en Algérie, a pour objet d'instituer une oeuvre sociale susceptible d'apporter dans un avenir immédiat une solution aux problèmes posés par les trop nombreux " bidonvilles " et les quartiers anciens aux appartements étroits et insalubres.

Organisation située à mi-chemin entre la législation des habitations à bon marché et celle anciennement prévue pour l'habitat urbain indigène, l'habitat social bénéficiera sous formes de subven
tions limitées, de l'aide de l'État pour l'édification de logements individuels ou collectifs, tout en exigeant un effort minimum de part des bénéficiaires.

L'accession à la propriété sera ainsi rendue possible, dans certains cas, sans que, pour autant, le régime ainsi institué participe de l'assistance, mais bien de la prévoyance sociale.

Ainsi l'Algérie va se trouver dotée d'un organisme susceptible d'apporter dans le domaine de l'habitat une solution rapide et efficace, et les réalisations fragmentaires actuellement en cours à Alger (Cités El Djenane, El Nador, du Clos Salembier) à Hussein Dey, 'à Rovigo, à Miliana, à Constantine, ainsi que les projets envisagés pour Ménerville, Guyotville, Miliana, Téniet-E1-Hâd, Bône, Mascara, Perrégaux pourront, recevoir une impulsion définitive, toc) millions étant inscrits au budget pour l'habitat rural et le double pour l'habitat urbain.

Tout en préparant cette vaste organisation, l'administration expérimente des maisons types d'un prix de revient serré, de construction facile et utilisant de préférence des matériaux locatix. Les techniciens Y ont une occasion d'exercer leur ingéniosité. Déjà l'emploi du béton de terre stabilisé retient leur attention. Ce mélange dosé d'argile, de sable et de gravillons, employé en France, en U.R.S.S., sera utilisé en Algérie. D'autre part, on prévoit l'usage de la " fusée céramique " qui a déjà donné d'excellents résultats au Maroc.

L'ère des réalisations est venue. Déjà des cités nouvelles se profilent, des villages sociaux entourent les centres industriels et le problème capital de l'habitat s'intègre dans l'oeuvre algérienne, oeuvre harmonieuse, adaptée aux exigences d'éléments techniques divers, oeuvre à laquelle préside avec clairvoyance et énergie M. le Gouverneur Général Yves Chataigneau.

Cité musulmane d'Aïn Bouchekif
Cité musulmane d'Aïn Bouchekif

HABITAT RURAL

La structure géographique de l'Algérie, pays à vastes espaces où alternent les terres de culture et les montagnes ou steppes infertiles, n'a pas permis à la population autochtone de réaliser au cours des âges ces concentrations humaines d'où se dégagent rapidement une organisation du travail et un sens, de la vie commune, bases des civilisations occidentales. Il est donc naturel que la notion d'habitat ne se soit pas imposée sous sa forme usuelle sauf dans quelques régions à caractère partiçulier telle que la Kabylie.

On peut admettre d'ailleurs un mode, de vie pastoral répugnant aux contraintes et aux disciplines, jusqu'au moment où une certaine densité de population exige une .organisation plus complexe. L'Algérie a atteint aujourd'hui ce point critique. La France y a apporté la paix intérieure et une assistance médicale conduisant insensiblement. vers un surpeuplement qui ne laissera bientôt plus aux individus la possibilité de vivre isolés au milieu de la nature. Ces dons précieux contiendraient de redoutables contreparties s'ils n'étaient complétés par une mise en valeur rationnelle des ressources locales.

Les transformations progressives ne sont pas immédiatement perceptibles, C'est pourquoi le mal n'apparaît souvent qu'à la faveur d'événements importants qui rompent brusquement un fragile équilibre. En fait il n'y a pas si longtemps qu'il s'est révélé avec force.

D'immenses efforts ont été faits et se poursuivent pour améliorer le rendement de la terre algérienne. Ils ont débuté par la réalisation d'un équipement hydraulique d'envergure. Cette politique de :l'eau a amené naturellement une politique de paysanat destinée à fixer au sol les populations en leur assurant des moyens d'existence. Et ceci conduit de la même manière à une nouvelle conception d'habitat rural à forme villageoise groupant en un même lieu des travailleurs accomplissant les mêmes tâches et bénéficiant des mêmes avantages.

A l'anarchie individuelle, au charme périmé, succède ainsi une organisâlon colilective ouvrant l'accès à la vie civilisée.

Des expériences ont été tentées peu avant la guerre et dès 1940 des groupes ruraux tels qu'à ïn-Bouchekif prèS de Tiaret dans le département d'Oran, Oum-el-Bouaghi au-delà de Constantine et d'autres encore, fonctionnaient et vivaient malgré les difficultés de l'époque.

Mais ces réalisations he constituent qu'une avant-garde dont les enseignements ajoutés à tous ceux que Jes expériences des administrateurs ont prodigués permettent de dégager maintenant des programmes plus complets,

Les épreuves et les privations consécutives aux hostilités ont revalorisé la terre et ceci a renforcé la thèse de l'eXploitation méthodique du sol avec l'aide de ses habitants. Cette notion économique a redonné à l'équipement rural toute son importance et aujourd'hui s'ouvre une ère nouvelle, celle d'un ruralisme organisé qui affirmera l'attachement de l'homme à la terre.

Si le Gouvernément Général de l'Algérie exerce sa tutelle en subventionnant jusqu'à cinquante pour cent l'exécution des centres ruraux, la commune est le moteur de l'opération, elle a l'initiative de l'action. Celle-ci, si elle est bien comprise, assure le confort et le bien-être des habitants dont les nouvelles ressources enrichissent le pays.

Déjà, avant même que le plan général d'action communal soit mis en oeuvre, des communes aidées par le Gouvernement Général, ont ouvert des chantiers ou présenté des projets. Nous citerons le Hodna avec ses villages d'oléiculteurs déjà tracés et entourés de jeunes oliviers, espoir de cette région jusqu'ici désertique; Tébessa dont le centre de Chéria, où s'élèvent déjà les premières rhorfas (maisons à voûtes légères en briques creuses), sera demain une belle cité-jardin de 100maisons; Hamma-Plaisance qui établit un centre à caractère artisanal, heureusement projeté; Sebdou avec son village des. Ouled Mimoun amorcé, où les agriculteurs musulmans éduqués au contact de nombreux colons européens trouveront demain le logis confortable qui leur faisait défaut; Aïn-Témouchent et son centre des Berkèches. Autant de foyers de civilisation qui naissent. Bientôt, si l'on en juge par l'ampleur de l'initiative communale relevée dans les programmes constructifs présentés à l'Administration supérieure, ces villages se multiplieront malgré les difficultés matérielles et la temporaire insuffisance de production des matériaux.

Les architectes se trouvent en effet en présence de problèmes techniques difficiles à résoudre et doivent faire preuve d'imagination et d'esprit d'initiative. Ils ne peuvent attendre les éléments préfabriqués, d'un prix de revient encore élevé, et doivent utiliser au mieux les produits du sol. Ceci nécessite des études souvent longues et ingrates, mais la variété des moyens de constructions proposés montre que la bonne volonté intelligente supplée dans une certaine mesure à la relative pénurie, conséquence directe de la guerre.

Que sont ces centres ruraux ? Des agglomérations de maisons paysannes proches parentes des maisons campagnardes d'Europe : deux ou trois pièces d'habitation complétées par des écuries et hangars. Ces maisons modestes mais solides et saines sont groupées autour du centre civique, avec écoles, maison commune, bureau de poste, salle de consultations et bien souvent centre de culture ou ferme modèle. L'importance de ces centres varie suivant la richesse de l'exploitation agricole, elle peut aller de 6o à 250 maisons. C'est peu si l'on se réfère aux règles actuelles de l'Urbanisme, c'est considérable si l'on pense qu'il s'agit de réunir des populations éparses accoutumées à vivre en petites collectivités isolées.
L'Algérie était fière de ses riches plaines bien cultivées, héritage des pionniers européens du siècle dernier, grands `défricheurs de marécages, mais demain elle sera tout aussi fière d'avoir fait reculer la lande et le désert et de montrer à leur place des champs et des villages prospères. Cette lutte pour la vie, contre la stérilité et l'abandon est le gage de son avenir; cela suffit à expliquer pourquoi le plan d'action communal a rencontré une pleine compréhension auprès de tous ceux qui, avec foi, croient à la grandeur du destin de la belle province d'outre-mer.

Marcel LATHUILLIERE,
Architecte D.P.L.G.
Architecte Conseil à la Direction des Réformes.