mise sur site le 4-1-2004
-Algérie, Alger : l'enseignement
Nos ancêtres les Gaulois
Georges Campos

Qu'elles fussent à Terni ou à Adjioun, les écoles se ressemblaient, en Algérie. En 1956-1957, un sixième du budget ordinaire de l'Algérie est consacré à l'enseignement. En 1954, la scolarisation portait sur 142 820 Européens et 322 273 musulmans, pour l'école primaire.

Historia magazine n°222/29, 3 avril 1972

15Ko / s
 
retour
 

----------Dans le fin fond du bled, l'instituteur, parfois venu de la lointaine métropole, se trouvait bien souvent être le seul fonctionnaire européen à vivre au milieu des douars, à des dizaines de kilomètres du plus proche village de colonisation, auquel il était relié par un autocar aussi rare que vétuste. Comme ces postes étaient, d'une manière générale, confiés à de jeunes maîtres auxiliaires ou stagiaires, leur maigre traitement leur interdisait, en eussent-ils manifesté le désir, d'acheter l'automobile que leur eût permis des déplacements plus fréquents vers la civilisation.
----------Terni, commune mixte de Sebdou, département de Tlemcen, était un petit hameau de montagne niché au milieu des bouleaux, des hêtres, des trembles et des platanes et il faisait penser à un vrai petit coin de montagne français. Un unique bâtiment administratif comprenait, au centre, le logement de l'instituteur, à gauche, la petite salle de la mairie précédant l'unique classe de l'école et, à droite, la chapelle. Près de l'école, une source captée déversait dans le bassin du lavoir une eau délicieuse, aussi fraîche qu'abondante. Un ruisseau coulait sous les saules dans la vallée et son lit abondait en cresson.

----------Dans le cadre de la pacification, les militaires
suppléeront parfois les instituteurs manquants.
----------Ils ont été parmi les premiers visés par le F.L.N.
Comme un symbole, unes des premières victimes de la rébellion seront un jeune couple de maîtres : les Monnerot

----------Mis à part l'inévitable épicerie arabe, aucun ravitaillement sur place; ni taxi ni automobile privée, l'autocar Sebdou-Tlemcen deux fois par jour, une agence postale et pas de médecin dans un rayon de 15 kilomètres.

Propres comme des sous neufs

----------On accédait à Terni, par la route - en très bon état - qui, après avoir quitté Tlemcen et traversé Mansourah, capitale des cerises, partait à l'assaut du plateau de Lalla-Setti, d'où l'on apercevait au loin la Méditerranée, longeait la colonie de vacances des petits cheminots, puis fonçait vers le sud, laissant sur sa droite le chemin conduisant au barrage des Beni Bahdel, imposant ouvrage d'art alimentant en eau potable la ville d'Oran. Après 15 km, c'était Terni, puis à nouveau la montée du col de Terni à 1 400 m d'altitude, rendez-vous des skieurs de la région.
----------J'emménageai à Terni un jour de novembre 1950 avec ma femme.
----------Je me trouvai donc à la tête d'une classe de douze élèves, tous musulmans. En effet, la population européenne du hameau comptait en tout, y compris le jeune ménage du garde champêtre, vingt-trois personnes, couples de paysans âgés, la plupart d'origine alsacienne, tous très attachés à cette terre ingrate

----------Il n'y a jamais eu de ségrégation scolaire. Simplement des coins où il n'y avait pas un seul Européen, Aurès ou Kabylie. En 1956, le terrorisme ramène le nombre des classes de 11 880 à 11440. Pourtant, la scolarisation se développera.

---------Autour du village vivaient misérablement, sous leurs khaïmas et gourbis en pisé groupés en mechtas, environ 2 000 Arabes dispersés dans la montagne. Un bachagha, bien nanti et propriétaire d'une ferme confortable, était chargé d'administrer (?) tous ces parias, pour qui la nécessité de subsister primait celle de l'éducation de leurs enfants. À ma demande, le caïd recruta quelques élèves, ce qui porta mon effectif à dix-huit, dont deux âgés de plus de quatorze ans.
----------Peu après mon arrivée, je fus convoqué au siège de la commune mixte de Tlemcen, où l'administrateur m'annonça l'ouverture d'une cantine scolaire. On me livra en quantité appréciable légumes secs, couscous, pâtes et figues sèches et l'on m'octroya une petite somme pour acheter les légumes et condiments indispensables, mais pas de viande, vu son prix. Je recrutai sur place une vieille femme arabe, qui se révéla, eu égard aux faibles moyens que je lui offrais, un véritable cordon bleu. Elle cuisinait dans la buanderie sur un feu de bois.

------

----------C'était une aubaine que ces repas pour ces enfants hâves, déguenillés, qui bien souvent ne portaient pas de culotte sous leur misérable djellaba, chaussés d'espadrilles à semelles de caoutchouc passablement trouées et usées. Et pourtant ils étaient là, chaque matin, qu'il plût, neigeât ou ventât, une demi-heure avant l'ouverture de l'école, toujours aimables et souriants lorsque j'apparaissais.
----------Le premier repas fut pour moi la révélation de la sous-alimentation dont souffraient ces petits : ils furent en effet incapables d'absorber plus de la moitié des rations qui leur avaient été préparées, leur estomac étant habitué à la maigre pitance quotidienne constituée d'un quignon de galette d'orge. Un seul parmi eux, Saïd, bambin de huit ans plus miséreux que les autres, se bourra de pâtes à la tomate au point d'en être malade dans l'après-midi. Je dois dire que mes petits pensionnaires s'habituèrent bien vite à leur nouvelle cuisine.
----------Le problème de l'alimentation réglé, je m'attaquai à celui de l'hygiène, qui laissait beaucoup à désirer. J'instaurai la douche hebdomadaire, chaque samedi, à l'aide du chaudron de la buanderie, qui me servait à chauffer l'eau, et d'un arrosoir tenu par l'un de mes deux grands qui versait l'eau tandis que son camarade frottait - je dirai même raclait - les peaux hâlées qui n'avaient sans doute jamais été à pareille fête. Les deux grands procédaient ensuite eux-mêmes à leur toilette. Et à 16 h 30, mes dix-huit gosses sortaient, propres comme des sous neufs, les joues roses, l'estomac garni pour deux jours et allégés de leur crasse.

Les aventures d'Adémaï

----------Souvent nous faisions de longues promenades en montagne au milieu des lentisques, des arbousiers, des chênes-lièges, et les enfants revenaient les bras chargés d'iris, de glaïeuls, de gueules-de-loup et de marguerites qu'ils se faisaient un plaisir d'offrir à ma femme. En cours de route, nous faisions une halte à l'ombre, près d'une source, à la maison forestière.
----------Mes relations avec la population européenne étaient assez limitées mais bonnes.
----------Au cours de cette année de fonction à Terni eurent lieu les élections législatives. Je fis partie, en tant que secrétaire, du bureau de vote du hameau placé sous la présidence de l'adjoint spécial, un modeste
agriculteur du coin. Dès l'ouverture du scrutin, il me dit très franchement et amicalement : " Monsieur Campos, la coutume veut que nous aidions les musulmans du premier collège à voter. Quant à moi, je choisis Quilici (qui était un candidat centriste). Si vous voulez faire voter pour quelqu'un d'autre, nous donnerons alternativement aux électeurs le bulletin de notre choix. "
----------Et c'est ainsi que le socialiste Maurice Rabier, un ancien collègue de mon père aux ateliers C.F.A. de Perregaux, obtint 18 voix, pour la première fois dans les annales électorales du hameau de Terni.
----------J'ajoute qu'un cours d'adultes fonctionnait dans l'école et chaque soir, de 18 heures à 19 h 30, une vingtaine de fellahs venaient s'initier au langage et à la lecture.
----------L'année scolaire s'achevait, mes gosses avaient de belles mines souriantes et ils avaient accompli des progrès sensibles. Au printemps, l'un de mes deux grands, Fetouhi, venait parfois, le jeudi ou le dimanche, apporter à mon épouse des fleurs magnifiques qu'il cueillait dans le djebel.
----------En juillet, une colonie de vacances jociste vint s'installer près de l'école et, un soir, nous eûmes une séance de cinéma parlant offerte par le service cinématographique itinérant du Gouvernement général. ----------Les Aventures d'Ademaï aviateur furent une révélation pour cette populatior et je me souviens de l'émerveillement de facteur (européen), qui n'était pas retourne au cinéma depuis sa démobilisation, à Marseille, à la fin de 1918!...

Georges CAMPOS