Des renseignements que nous avons pu recueillir,
au cours de vingt années de contribution bénévole
à l'enseignement professionnel, il résulte qu'il existe,
en Algérie, un fort déchet dans les établissements
d'enseignement technique scolaires et post-scolaires
Pour une moyenne de 9 années scolaires complètes dans les
sections professionnelles du fer et de l'électricité, nous
avons noté les déchets suivants :
lère année en fin d'année 45,7 %
2ème année en fin d'année 40,9 %
3ème année en fin d'année 16,2
%
et pour une moyenne de 6 années scolaires
complètes dans les écoles professionnelles du bois :
lère année en fin d'année 35,3 %
2ème année en fin d'année 39,5 %
3ème année en fin d'année 26,4 %
4ème année en fin d'année 15,7 %
Ces deux tableaux renseignent sur le déchet propre à chaque
année, calculé par rapport au nombre de présences
au début de chacune d'elle.
Pour faire ressortir la progression du déchet global, à
mesure de l'avancement des élèves dans les études,
nous avons dressé les tableaux suivants. Le coefficient est établi
par rapport au chiffre des inscriptions d'entrée à l'école
professionnelle.
Fer et Electricité :
Fin de première année .. .. 45,7 %
Fin de deuxième année .. .. 67,9 %
Fin de troisième année .. .. 73,2 %
Diplômes délivrés .. .. 26,8 %
Bois :
Fin de première année .. .. 35,3 %
Fin de seconde année .. .. 60,8 %
Fin de troisième année .. .. 71,2 %
Fin de quatrième année .. .. 75,7 %
Diplômes délivrés .. 24,3 %
Des causes.
On voit par ces tableaux comparatifs que le plus grand déchet surgit
au début des études. L'expérience a prouvé
qu'il est surtout dû au manque d'orientation professionnelle et
à l'insuffisance de la préparation des candidats. A ces
motifs principaux s'ajoutent des causes diverses qu'il importe de signaler:
a) l'incompréhension
des parents : les uns, mal renseignés sur le programme
des études, les autres pleins d'illusions sur la valeur et les
dispositions de leurs fils ; d'autres encore incapables de faire acte
d'autorité pour combattre et enrayer un geste de découragement
ou un caprice d'enfant.
b)
l'appât du gain : les jeunes sont éblouis par
l'appât du gain et préfèrent gagner que de s'instruire.
Ce motif d'ordre matériel se rencontre surtout en cours d'études
et à plus forte proportion à mi-chemin qu'en fin de cours.
Mais il y a aussi l'influence de certains patrons qui sont trop souvent
à l'affût d'une main-d'oeuvre à bon marché.
c) Certes, il y
a des cas où les circonstances de famille forcent l'enfant à
aider plus tôt qu'il n'aurait fallu les parents mis dans la gêne
par suite de circonstances imprévues.
d) N'oublions pas
les victimes de l'évolution physiologique due à l'âge
dangereux, et qui ont une répercussion physiologique plus prononcée
chez les uns que chez les autres ; d'où froissements exagérés
lors d'observations parfois un peu rudes des professeurs, froissements
qui ne se résolvent que par des coups de tête si parents
et professeurs n'interviennent pas à temps.
Dans les écoles du soir, ces causes agissent aussi sur la fréquentation
des élèves ; d'autres viennent encore les renforcer, telle
l'heure tardive de la fermeture des ateliers et bureaux, d'où rentrée
tardive au domicile, manque de temps pour revoir les leçons et
faire les exercices pratiques, tel l'accaparement trop exclusif de certains
cercles d'agrément, de sports, d'études diverses et aussi,
disons-le, le climat algérien.
Des inconvénients.
Une telle situation ne peut que créer
de multiples inconvénients d'ordre à la fois moral, technique
et social, qui affectent l'école, la famille, l'industrie et le
pays.
1° Nous
disons l'école d'abord.
En effet, au début, les incapables et les mal orientés sont
un poids lourd qui paralyse l'avancement des études, énerve
les professeurs et attiédit le premier enthousiasme des bons éléments.
Leur départ établit des disproportions entre les sections
qui déséquilibrent le plan d'organisation de la direction
et exigent des remaniements continuels. Si la Direction prend trop en
pitié ces retardataires, elle n'arrive à les pousser qu'en
déformant les programmes et les réglements, aux dépens,
bien souvent, de la valeur de l'école.
2°) Pour la famille :
Il en résulte une perte de temps et d'argent, dont l'enfant sera
d'ailleurs finalement la victime,
3°) En conséquence, l'industrie elle-même
se trouvera devant un déficit en qualité.
4°) Dès lors, le
pays aura chargé son budget d'une dépense improductive
et la générosité privée, là où
elle aide les Pouvoirs Publics, aura fait un vain sacrifice.
C'est une diminution du rendement économique.
Bref, l'enseignement technique risque de manquer son but.
Des remèdes.
Le mal établi, il importe d'essayer de le guérir.
Une guérison ne va pas sans remède. En principe, l'appui
de l'Etat s'impose en pareille matière et l'aide des groupements
professionnels ne pourra qu'influencer favorablement les mesures prises.
Les remèdes dérivent des causes énoncées.
Ils sont d'ordre intellectuel, psychologique et matériel.
Dans l'ordre intellectuel, nous avons cité la préparation
insuffisante. Celle-ci est la conséquence de l'enseignement primaire
trop délayé. Les enfants le quittent vernissés plutôt
qu'instruits. Il conviendrait de le rendre plus concentré et de
donner aux instituteurs la possibilité d'approfondir les matières
principales : français, arithmétique, éléments
de dessin et de géométrie.
En même temps, une réadaptation des programmes de l'enseignement
professionnel paraît s'imposer.
Certains sujets. peu doués intellectuellement, manifestent cependant
de réelles aptitudes techniques. Il ne faut pas leur barrer la
route.
A leur intention, on organiserait avec efficacité
une section d'apprentissage qui comporterait un minimum de théorie
et plus d'enseignement pratique.
Il serait alors possible de maintenir une section moyenne à culture
plus généralisée au profit des éléments
bien doués qui désirent s'élever dans la hiérarchie
sociale.
Il appartient aux Pouvoirs Publics de prendre de telles initiatives.
Mais ces remèdes manqueraient une partie de leur effet s'ils n'étaient
pas aidés dans l'ordre psychologique.
Dans ce domaine, il importe de veiller tout d'abord à la bonne
orientation de l'enfant. Les instituteurs sont particulièrement
bien placés à cet égard. Ils atteindraient ce but,
notamment, par l'établissement d'une fiche sur laquelle seraient
consignées les différentes phases de l'évolution,
des qualités et des aptitudes de l'enfant. Cette fiche serait transmise
aux Centres d'Orientation professionnelle qui, à l'aide de ce document
et des informations complémentaires qu'ils recueilleraient. engageraient
le titulaire vers les métiers pour lesquels ses goûts de
sont développés et ses aptitudes précisées.
Nous estimons aussi qu'il faudrait changer la mentalité des parents,
en organisant en vue de chaque rentrée scolaire des expositions
techniques, des conférences, des visites d'écoles, afin
de faire comprendre aux familles l'importance de la possession d'un métier.
A ces questions relatives à l'enfant et aux familles, il y a lieu
d'ajouter également celles dépendant des professeurs de
l'enseignement professionnel, dont la mission est double : enseigner et
éduquer. Ils doivent donc être bons pédagogues et
bons psychologues. Enfin, les patrons devraient apporter plus de bienveillance
et d'attention aux élèves des écoles professionnelles
et leur accorder leurs préférences lors des embauchages.
Une troisième catégorie de remèdes relève
du domaine matériel. Elle est du ressort des groupements professionnels.
Le désir, justifié chez les uns, capricieux chez les autres,
de gagner plus tôt de l'argent, est une cause de déchet,
qu'il faudrait également enrayer. On pourrait y arriver en multipliant
les bourses d'études et en les proportionnant plus judicieusement
aux besoins bien contrôlés des familles et aux mérites
des candidats.
On pourrait également élargir le système des allocations
familiales en donnant des allocations plus importantes aux familles qui
ont des enfants en cours d'études professionnelles.
Aux élèves munis de leur C.A.P. ou de leur B.E.P., les patrons
devraient donner un salaire un peu plus élevé et accorder
aux élèves des cours du soir toutes facilités d'horaire
et des primes d'assiduité.
N'oublions pas que nous sommes, dans l'évolution économique
de l'Algérie, à la naissance de la courbe où les
ressources ne compensent plus les dépenses. Il faut donc prévoir
une évolution des moyens de paiements et du pouvoir d'achat des
populations musulmanes. Le travail est le plus sûr revenu, mais
le travail ne paie que dans la production et la production ne va pas sans
la qualification professionnelle. D'où la nécessité
de " repenser " les problèmes d'enseignement.
La Municipalité d'Alger doit avoir les mêmes soucis.
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