Algérie, Alger : l'enseignement
Enseignement Technique et Formation Professionnelle
Comment intéresser la jeunesse algérienne à l'enseignement professionnel
par
Paul DELBAUFFE
Conseiller Municipal Délégué
Président du Groupe " Algérie " de l'Union des Ingénieurs et Techniciens Français.
Ancien Inspecteur Départemental de l'Enseignement Technique.

Textes et croquis extraits du bulletin municipal, novembre 1953 - collection Bernard Venis
mise sur site le 6-6-2008

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Quand les jeunes d'Algérie s'exercent au travail du bois
Quand les jeunes d'Algérie s'exercent au travail du bois

Des renseignements que nous avons pu recueillir, au cours de vingt années de contribution bénévole à l'enseignement professionnel, il résulte qu'il existe, en Algérie, un fort déchet dans les établissements d'enseignement technique scolaires et post-scolaires

Pour une moyenne de 9 années scolaires complètes dans les sections professionnelles du fer et de l'électricité, nous avons noté les déchets suivants :
lère année en fin d'année 45,7 %
2ème année en fin d'année 40,9 %
3ème année en fin d'année 16,2 %

et pour une moyenne de 6 années scolaires complètes dans les écoles professionnelles du bois :
lère année en fin d'année 35,3 %
2ème année en fin d'année 39,5 %
3ème année en fin d'année 26,4 %
4ème année en fin d'année 15,7 %

Ces deux tableaux renseignent sur le déchet propre à chaque année, calculé par rapport au nombre de présences au début de chacune d'elle.

Pour faire ressortir la progression du déchet global, à mesure de l'avancement des élèves dans les études, nous avons dressé les tableaux suivants. Le coefficient est établi par rapport au chiffre des inscriptions d'entrée à l'école professionnelle.
Fer et Electricité :
Fin de première année .. .. 45,7 %
Fin de deuxième année .. .. 67,9 %
Fin de troisième année .. .. 73,2 %
Diplômes délivrés .. .. 26,8 %
Bois :
Fin de première année .. .. 35,3 %
Fin de seconde année .. .. 60,8 %
Fin de troisième année .. .. 71,2 %
Fin de quatrième année .. .. 75,7 %
Diplômes délivrés .. 24,3 %

Des causes.
On voit par ces tableaux comparatifs que le plus grand déchet surgit au début des études. L'expérience a prouvé qu'il est surtout dû au manque d'orientation professionnelle et à l'insuffisance de la préparation des candidats. A ces motifs principaux s'ajoutent des causes diverses qu'il importe de signaler:

          a) l'incompréhension des parents : les uns, mal renseignés sur le programme des études, les autres pleins d'illusions sur la valeur et les dispositions de leurs fils ; d'autres encore incapables de faire acte d'autorité pour combattre et enrayer un geste de découragement ou un caprice d'enfant.
          b) l'appât du gain : les jeunes sont éblouis par l'appât du gain et préfèrent gagner que de s'instruire. Ce motif d'ordre matériel se rencontre surtout en cours d'études et à plus forte proportion à mi-chemin qu'en fin de cours. Mais il y a aussi l'influence de certains patrons qui sont trop souvent à l'affût d'une main-d'oeuvre à bon marché.
          c) Certes, il y a des cas où les circonstances de famille forcent l'enfant à aider plus tôt qu'il n'aurait fallu les parents mis dans la gêne par suite de circonstances imprévues.
          d) N'oublions pas les victimes de l'évolution physiologique due à l'âge dangereux, et qui ont une répercussion physiologique plus prononcée chez les uns que chez les autres ; d'où froissements exagérés lors d'observations parfois un peu rudes des professeurs, froissements qui ne se résolvent que par des coups de tête si parents et professeurs n'interviennent pas à temps.

Dans les écoles du soir, ces causes agissent aussi sur la fréquentation des élèves ; d'autres viennent encore les renforcer, telle l'heure tardive de la fermeture des ateliers et bureaux, d'où rentrée tardive au domicile, manque de temps pour revoir les leçons et faire les exercices pratiques, tel l'accaparement trop exclusif de certains cercles d'agrément, de sports, d'études diverses et aussi, disons-le, le climat algérien.

Des inconvénients.

Une telle situation ne peut que créer de multiples inconvénients d'ordre à la fois moral, technique et social, qui affectent l'école, la famille, l'industrie et le pays.
          1° Nous disons l'école d'abord.
En effet, au début, les incapables et les mal orientés sont un poids lourd qui paralyse l'avancement des études, énerve les professeurs et attiédit le premier enthousiasme des bons éléments.

Leur départ établit des disproportions entre les sections qui déséquilibrent le plan d'organisation de la direction et exigent des remaniements continuels. Si la Direction prend trop en pitié ces retardataires, elle n'arrive à les pousser qu'en déformant les programmes et les réglements, aux dépens, bien souvent, de la valeur de l'école.

          2°) Pour la famille :
Il en résulte une perte de temps et d'argent, dont l'enfant sera d'ailleurs finalement la victime,

3°) En conséquence, l'industrie elle-même se trouvera devant un déficit en qualité.

4°) Dès lors, le pays aura chargé son budget d'une dépense improductive et la générosité privée, là où elle aide les Pouvoirs Publics, aura fait un vain sacrifice.
C'est une diminution du rendement économique.
Bref, l'enseignement technique risque de manquer son but.

Des remèdes.


Le mal établi, il importe d'essayer de le guérir.

Une guérison ne va pas sans remède. En principe, l'appui de l'Etat s'impose en pareille matière et l'aide des groupements professionnels ne pourra qu'influencer favorablement les mesures prises.

Les remèdes dérivent des causes énoncées. Ils sont d'ordre intellectuel, psychologique et matériel.
Dans l'ordre intellectuel, nous avons cité la préparation insuffisante. Celle-ci est la conséquence de l'enseignement primaire trop délayé. Les enfants le quittent vernissés plutôt qu'instruits. Il conviendrait de le rendre plus concentré et de donner aux instituteurs la possibilité d'approfondir les matières principales : français, arithmétique, éléments de dessin et de géométrie.

En même temps, une réadaptation des programmes de l'enseignement professionnel paraît s'imposer.

Certains sujets. peu doués intellectuellement, manifestent cependant de réelles aptitudes techniques. Il ne faut pas leur barrer la route.

A leur intention, on organiserait avec efficacité une section d'apprentissage qui comporterait un minimum de théorie et plus d'enseignement pratique.

Il serait alors possible de maintenir une section moyenne à culture plus généralisée au profit des éléments bien doués qui désirent s'élever dans la hiérarchie sociale.

Il appartient aux Pouvoirs Publics de prendre de telles initiatives.

Mais ces remèdes manqueraient une partie de leur effet s'ils n'étaient pas aidés dans l'ordre psychologique.

Dans ce domaine, il importe de veiller tout d'abord à la bonne orientation de l'enfant. Les instituteurs sont particulièrement bien placés à cet égard. Ils atteindraient ce but, notamment, par l'établissement d'une fiche sur laquelle seraient consignées les différentes phases de l'évolution, des qualités et des aptitudes de l'enfant. Cette fiche serait transmise aux Centres d'Orientation professionnelle qui, à l'aide de ce document et des informations complémentaires qu'ils recueilleraient. engageraient le titulaire vers les métiers pour lesquels ses goûts de sont développés et ses aptitudes précisées.

Nous estimons aussi qu'il faudrait changer la mentalité des parents, en organisant en vue de chaque rentrée scolaire des expositions techniques, des conférences, des visites d'écoles, afin de faire comprendre aux familles l'importance de la possession d'un métier.

A ces questions relatives à l'enfant et aux familles, il y a lieu d'ajouter également celles dépendant des professeurs de l'enseignement professionnel, dont la mission est double : enseigner et éduquer. Ils doivent donc être bons pédagogues et bons psychologues. Enfin, les patrons devraient apporter plus de bienveillance et d'attention aux élèves des écoles professionnelles et leur accorder leurs préférences lors des embauchages.

Une troisième catégorie de remèdes relève du domaine matériel. Elle est du ressort des groupements professionnels.

Le désir, justifié chez les uns, capricieux chez les autres, de gagner plus tôt de l'argent, est une cause de déchet, qu'il faudrait également enrayer. On pourrait y arriver en multipliant les bourses d'études et en les proportionnant plus judicieusement aux besoins bien contrôlés des familles et aux mérites des candidats.

On pourrait également élargir le système des allocations familiales en donnant des allocations plus importantes aux familles qui ont des enfants en cours d'études professionnelles.

Aux élèves munis de leur C.A.P. ou de leur B.E.P., les patrons devraient donner un salaire un peu plus élevé et accorder aux élèves des cours du soir toutes facilités d'horaire et des primes d'assiduité.

N'oublions pas que nous sommes, dans l'évolution économique de l'Algérie, à la naissance de la courbe où les ressources ne compensent plus les dépenses. Il faut donc prévoir une évolution des moyens de paiements et du pouvoir d'achat des populations musulmanes. Le travail est le plus sûr revenu, mais le travail ne paie que dans la production et la production ne va pas sans la qualification professionnelle. D'où la nécessité de " repenser " les problèmes d'enseignement.

La Municipalité d'Alger doit avoir les mêmes soucis.