Une page d’Histoire…
Le 20 août 1955 à Philippeville
par Gilbert Attard

sur site le 10-11-2009
extrait de "l'Algérianiste, n°127, septembre 2009

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Ce texte est extrait du Journal de la Commune de Philippeville - Événements d'Algérie pour la seule journée du tragique 20 août 1955.
Le décompte macabre de ces pauvres victimes pour Philippeville et son arrondissement fait état de 72 civils et 12 militaires.

Dans la nuit du 19 au 20 août, tous les hommes de la Carrière Romaine, carrière d'extraction de matériaux située à quelques kilomètres de Philippeville, disparaissent.

Au matin du 20, les ouvriers du domaine Grima " Clos Marie Roger " de Damrémont se mettent en grève et forcent quelques employés fidèles à cesser le travail. Ces meneurs identifiés ont disparu.

Dans le courant de la matinée, tous les taxis de Philippeville, sauf un taxi européen, partent vers la périphérie.

10 h 15 :
Trois agents de la PRG ( Police Renseignements Généraux) se présentent au commissariat central et déclarent qu'ils viennent de faire l'objet, à la Carrière Romaine d'une agression de la part d'une bande de rebelles. Des coups de feu ont été échangés. Une patrouille de gardiens de la paix, d'inspecteurs de la PI, les agents Chelli et Berges de la PRG et des parachutistes se rendent immédiatement sur les lieux sous les ordres du commissaire Filiberti. Cette patrouille est armée d'un fusil-mitrailleur et de pistolets-mitrailleurs.

En cours de route, elle intercepte deux camions, chargés de bombes et de fûts d'essence et transportant des individus qui ouvrent le feu sur les policiers. Les rebelles s'enfuient à travers champs poursuivis par la patrouille. De nombreux rebelles viennent se joindre aux fuyards. Les policiers tiennent environ deux heures, mais menacés de succomber sous le nombre, ils se replient après avoir incendié les deux camions et sans subir de pertes.
Par contre, les hors-la-loi laissent sur le terrain huit morts et emmènent leurs blessés. Un pistolet automatique 6,35 est récupéré sur l'un des tués.

11 h 30 :
Sensiblement au même endroit, un groupe d'une quinzaine d'individus armés tire sur un propriétaire européen mais prend la fuite devant les policiers, parachutistes et CRS revenus sur les lieux avec le commissaire Filiberti. Deux blessés parmi les rebelles réussissent à disparaître dans les vergers.
11 h 55 :

En ville, le calme a régné toute la matinée. La population vaque à ses occupations l'esprit en paix. Dans les bureaux et commerces on se prépare à fermer les portes, quand soudain éclate une action généralisée des hors-la-loi qui semblent prendre à partie tout d'abord les policiers et certains locaux de la police (à noter que les militaires sont consignés depuis le matin dans les cantonnements militaires de l'état-major de la 41e DBP).
Le commissariat du 2e arrondissement et le cantonnement des CRS sont attaqués par une bande rebelle qui est repoussée.

A la même heure quelques coups de feu sont tirés par un individu sur le bâtiment de la PRG; mais le tir du fusil-mitrailleur, placé sur la terrasse du commissariat central, oblige l'agresseur à prendre la fuite.

Au même moment, le quartier indigène, la Cité indigène, le Mamelon Négrier, les rues de la Porte des Aurès et Tissot, les rues Palestro, du Ravin de Paris sont le théâtre d'actes de terrorisme : maisons assaillies par les rebelles qui brisent portes et fenêtres à l'aide de hachettes. Des coups de feu (mitraillettes et fusils de chasse), des explosions de bombes viennent jeter la perturbation dans ces quartiers.

Plusieurs personnes sont atteintes.

Dans le quartier indigène, des coups de feu tirés des fenêtres de certains immeubles occupés par des musulmans atteignent quatre gardiens de la paix MM. Bentz et Benrelem gravement atteints et MM. Gauthier et Blanes, plus légèrement blessés aux mains.

12 h 05 :

Le terrain d'aviation de Philippeville-Valée est attaqué. Le quartier de l'Espérance subit l'assaut des rebelles.

12 h 15 :
Nous apprenons que Saint-Charles et Collo attaqués demandent des renforts. Des rebelles tirent du Skikda sur le C.E.S.

12 h 20 :
Un groupe de hors-la loi décroche du Skikda et contourne le mamelon en se dirigeant vers la gare ou vers le terrain d'aviation.

12 h 30 :
Valée attaqué demande des renforts. Des incendies sont allumés par les hors- la-loi en plusieurs points de la ville.

12 h 35 :
La villa du docteur De Lorgeril, au Beni Melek, 3 km à l'ouest de Philippeville, est assiégée et son propriétaire blessé légèrement. Elle est dégagée par l'armée. Trois rebelles sont abattus.

12 h 37 :

La section de gendarmerie de Philippeville est attaquée. A la même heure nous apprenons que celle d'El-Arrouch l'est également.
Durant ce temps, dans une grande partie de la ville, grenades, bombes et coups de feu. La bataille fait rage entre les rebelles et les forces de l'ordre (armée, police, CRS). Un sous-officier est tué.

13 heures :
La PJ fait connaître que le col des Oliviers attaqué demande des renforts.
Des militaires blessés sont conduits à l'hôpital. Un violent engagement, continue en pleine ville, où un groupe de rebelles s'est retranché dans un café maure de la rue de France, derrière l'Hôtel du Commandant d'armes. Les hors-la-loi résistent jusqu'à l'anéantissement.

13 h 25 :
Des incendies sont signalés à la carrière de marbre et à la mine de pyrite d'ElHalia.

Les victimes

Mine d'El-Halia : Mme Yvonne, Madeleine Napoleone, née Atzéï, 20 ans; MHe Marie-Louise Atzeï, 27 ans; M. Emmanuel Atzeï, 55 ans; M. Sylvain Atzeï, 28 ans; M. Daniel, Emmanuel Napoleone, 8 mois; Mme Conception Scaffardi épouse Emmanuel Atzeï; Mme Vve Noëlie, Antonia, Regina Crepin, née Chapuis, 68 ans; M. Roger, René Crepin, 34 ans; Mme Vve Ernestine, Marthe Clérin, née Crepin, 44 ans; M. Henri Defrino; M. Louis, Nicolas Gaudioso, 50 ans; Mme Clorinde, Caroline Degand, 61 ans; Mme Victorine Pusceddu, née Scaforto, 43 ans; M. Pierre Scaforti; Mme Rose Brandy, née Canavera, 33 ans; M. Roger Brandy, 15 ans; M. Paul Brandy, 40 ans; M. Julien Hundsbitchler, 38 ans; Mue Maryline Monchatre; M. Yves Monchatre; M. Henri Monchatre; M. Julien Marie Menant, 56 ans; Mme Marcelle Menant, née Marqués, 46 ans; Mme Lucrèce Russo, née D'Agro, 49 ans; Mlle Josyane D'Agro, 12 ans; M. Armand Paiou; Olga Pusceddu, 13 ans; M. Julien, Edmond Pusceddu, 20 ans; M. Martial, Joseph, Michel Varo, 25 ans; M. François Rodriguez; Mile Jacqueline Rodriguez; Mlle Marie Rodriguez; M. Henri Rodriguez; M. Armando Pusceddu.

Carrière de marbre du Fil-Fila: M. Joseph Zabatta, 25 ans.

Carrière Romaine: M. Jean Côme Renucci, 50 ans; M. François Renucci, 55 ans; M. Lucrétius Zahra, 56 ans.

Philippeville-ville: M. Jules Graillat.

Décédés des suites de blessures: Mme Monchatre (El-Halia); Mme Victorine Pugliese, née Deniau, 67 ans; Mlle Gisèle, Georgina Michaël, 11 ans (de Lannoy); M. Henri Mengual, 56 ans (de Robertville); Mme Alexandrine Santini, née Montacie (de Robertville); M. Louis Emile Pellier, 57 ans.

Militaires : M. Irénée Duverney-Prêt, brigadier de CRS, 35 ans; sergent-chef Joseph Michel Leste, 1/ler RCP, 27 ans; sergent Jacques Auroy, C.E.S. n° 1, 26 ans; caporal-chef Jacques Guérin, ler RHP, 21 ans; caporal Madani Lebguiret, GMPR; gendarme André Morin de la brigade de Philippeville; gendarme Théophane Nauleau du peloton 9/4 bis de gendarmerie de Philippeville; brigadier Jean-Pierre Bersezio, 1Ce RHP; sergent-chef François Mercuri du 1/18e RIPC; chasseur de 2e classe Jean Schmitt du 1/18e RIPC; brigadier Alberto Gamba du 35e RALP; brigadier-chef Jean Maldomado de la 75e CRD.

Saint-Charles: M. Jean Monti; M. Paul Grima; M. Zammit; M. Georges Schembri; M. Betoulle; M. Haïm Benchetri; Mme Benchetri; deux enfants Benchetri; M. Dimeglio; M. Barbato.

Collo : M. Francis Vitiello.

Lannoy: M. Michaël; Mlle Germaine Catuogno (de Stora).

Robertville: M. Manès, 82 ans; Mme Manès, 72 ans; M. Feller G.

On déplore également un disparu, M. Claude Serra à la mine d'El-Halia, des blessés : MM. Alfred Larrivière, Ergo Capitani, Jean-Pierre Clerin, de Haro, Gaudino, Roland Pusceddu, Mmes D'Agro, Jeanne Brandi née Pusceddu, Mies Aline Clerin, Nicole Brandi, tous d'El-Halia, MM. Jean Maltera de Philippeville, Lucien Teuma, sapeur-pompier, adjudant-chef Maurice Giraud

13 h 40 :
Une bande de 80 rebelles s'infiltre entre l'hospice et la gendarmerie. Quatorze rebelles se retranchent, rue de Paris, dans une maison occupée par des musulmans. Les youyous des femmes stimulent l'ardeur des hors-la-loi. Les militaires et les gardiens de la paix en font le siège pendant plus de quatre heures, faisant usage de gaz lacrymogènes et de grenades. Un militaire est blessé, l'adjudant-chef Maurice Giraud de l'état-major de la 41e DBP.

Tous les rebelles sont abattus.

Venant des djebels environnants, de la Carrière Romaine, de la mechta Zef-Zef par vagues successives, les rebelles se regroupent Porte des Aurès où ils forment des groupes de quinze à vingt hommes qui descendent vers la ville le long des remparts, protégés par une arme automatique (vraisemblablement un PM).

Une véritable bataille de rues est engagée dans le quartier indigène.

13 h 55 :
La gendarmerie prévient que la mine d'El-Halia a été attaquée et qu'il y a de nombreux morts et blessés.

Le garde-forestier d'Oued Ksob signale le cadavre d'une femme européenne sur la route de la mine.

Durant de longues heures, la bataille se poursuit. La fumée des incendies de voitures automobiles plane sur la ville.
Peu à peu les coups de feu s'éteignent.

Vers 19 heures, le calme est revenu. Quelques autos circulent. Les habitants qui étaient bloqués dans certains quartiers regagnent leur domicile. De nombreux groupes de rebelles prisonniers sont conduits au stade Paul Cuttoli.

Les unités de la 41e DBP, consignées à Philippeville ainsi que celles du 2/18e RIPC de Saint-Antoine ont été engagées dès le début de l'action.

Certains groupes rebelles n'ont pu être anéantis qu'au bout de cinq heures de combat.

La population urbaine a été très favorablement impressionnée par la réaction rapide, brutale et efficace des forces du maintien de l'ordre. La satisfaction qu'elle a éprouvée lui a même caché le danger qu'elle avait couru. Il est indéniable, en effet, que l'action des rebelles était bien orchestrée, largement pourvue de moyens en personnel et en matériel, bénéficiant d'une aide massive de la population indigène. Il semble seulement que les actions ont été moins bien commandées qu'elles n'étaient préparées. Dans plusieurs cas - en particulier le " Fort Chabrol " du café Redjem - les exécutants paraissaient sacrifiés et livrés à eux-mêmes.

Mais l'opinion devait déchanter très vite en apprenant les très lourdes pertes subies par la population européenne de la mine d'El-Halia, s'ajoutant à des massacres commis sur les routes et villages de l'arrondissement. La découverte des corps de femmes et d'enfants affreusement mutilés a causé une émotion considérable, gagnant très vite les fermes et centres isolés.

Dans la nuit du 20 au 21 août 1955, seule une ferme de la Carrière Romaine, occupée par dix Européens armés de fusils de chasse, est attaquée par un groupe de rebelles qui se replie en abandonnant un tué et un fusil de chasse.

Le dimanche 21 août 1955 à 14 heures, une nouvelle alerte met en émoi la population. Des coups de feu sont tirés dans les hauts quartiers de la ville et dans le quartier indigène. Des rebelles qui avaient cherché refuge dans certaines habitations occupées par des musulmans essayaient de gagner le maquis. Les points névralgiques furent cernés par les forces de l'ordre qui ripostèrent immédiatement.