Massacre à la Mine dEl-Halia 20 août 1955Credit : L'Algérianiste N° 94 juin 2001
|
Ko
|
Massacre à la Mine dEl-Halia
20 août 1955
TÉMOIGNAGE DE Marie-Jeanne PUSCEDDU Insoutenable horreur barbare. Quelle était la culpabilité des enfants d'El-Halia? Je m'appelle Marie-Jeanne Pusceddu, je suis Pieds-Noirs, née à Philippeville en 1938 de parents français, d'origine italienne. Mes parents étaient des ouvriers; toute ma famille, frères, oncles, cousins, travaillait à la mine d'El-Halia, près de Philippeville. Ce petit village d'El-Halia n'était qu'un village de mineurs, d'artisans qui travaillaient dur dans la mine de fer. Il y avait également des ouvriers arabes avec qui nous partagions, au , moment de nos fêtes respectives, nos pâtisseries et notre amitié. Ils avaient leurs coutumes, différentes des nôtres, nous nous respections. Nous étions heureux. Les "événements d'Algérie" ont commencé en 1954. Mais pour nous, la vie était la même, nous ne nous méfions pas de nos amis arabes. Je me suis mariée le 13 août 1955, nous avons fait une belle fête et tous nos amis étaient là, notamment C..., le chauffeur de taxi arabe que nous connaissions bien... Avec mon mari, nous sommes partis en voyage de noces. Le 19 août 1955, avec mon mari André Brandy (ingénieur des mines employé au Bureau de la recherche minière d'Algérie), nous avons pris le taxi de C... pour rentrer à El-Halia. Pendant le trajet, C... nous dit : "Demain, il y aura une grande fête avec beaucoup de viande". Je lui répondis : "Quelle fête ? Il n'y a pas de fête". Je pensais qu'il plaisantait... Le lendemain, 20 août, tous les hommes étaient
au travail à la mine sauf mon mari. Au même moment, ma belle-soeur Rose, sa petite dernière Bernadette (trois mois) dans les bras arrive, affolée, suivie de ses enfants, Geneviève 8 ans, Jean-Paul 5 ans, Nicole 14 ans, Anne-Marie 4 ans. Son aîné Roger, âgé de 17 ans, était à la mine avec son père. Avec ma mère, mon frère Roland de 8 ans, Suzanne ma soeur de 10 ans, Olga mon autre soeur de 14 ans et mon mari, nous avons compris qu'il se passait quelque chose de grave. Les cris étaient épouvantables. Ils criaient : "Nous voulons les hommes". Je dis à mon mari : "Vite, va te cacher dans la buanderie !". Nous nous sommes enfermés dans la maison, mais les fellaghas ont fait irruption en cassant la porte à coup de hache. À notre grande stupeur, c'était C..., le chauffeur de taxi, "l'ami" qui avait assisté à mon mariage. Je le revois encore comme si c'était hier. Il nous a poursuivis de la chambre à la salle à manger, puis dans la cuisine; nous étions pris au piège. C..., avec son fusil de chasse, nous menaçait. Il a immédiatement tiré sur ma pauvre mère,
en pleine poitrine, elle essayait de protéger mon petit frère
Roland. Elle est morte sur le coup avec Roland dans ses bras, lui aussi
gravement atteint. Ma belle-soeur Rose a été tuée
dans le dos. Elle gardait son bébé contre le mur, ma jeune
soeur Olga s'est jetée, dans une crise d'hystérie, sur le
fusil, il a tiré à bout portant, la blessant salement. Il
nous narguait avec son fusil. J'ai pris les enfants, les ai cachés sous le lit avec moi, mais je souffrais trop et je voulais savoir si mon mari était toujours vivant. Je suis allée dans la buanderie et me suis cachée avec lui derrière la volière. Les fellaghas, les fils de C..., sont revenus. Ils se dirigeaient vers nous en entendant un bruit, mais l'un d'eux a dit en arabe : "C'est rien, c'est les oiseaux". Et nous sommes restés, apeurés, désemparés, sans bouger jusqu'à cinq heures de l'après-midi. Les cris, les youyous stridents, la fumée, le feu, quel cauchemar !... Un avion de tourisme est passé au-dessus du village et a donné l'alerte. L'armée est arrivée à dix-sept heures. Et là, nous sommes rentrés dans la maison pour constater l'horreur. Mon petit frère Roland respirait encore; il est
reste cinq jours dans le coma et nous l'avons sauvé. Puis l'armée nous a regroupés. Ma famille Azeï, tous massacrés au couteau, la soeur de ma mère, son mari, ses deux filles dont l'une était paralysée, l'une des filles qui était en vacances avec son bébé a été, elle aussi assassinée à coups de couteau (c'est la fiancée de son frère, qui s'était cachée, qui a tout vu et nous l'a raconté). Le bébé avait été éclaté contre le mur. Puis, mon cousin a été tué à
coups de fourchette au restaurant de la mine, le frère de ma mère. Mon père, sourd de naissance, blessé à coups de couteau, s'était réfugié dans une galerie abandonnée. Il n'a pas entendu l'armée, on ne l'a retrouvé que quinze jours plus tard, mort à la suite de ses blessures. Il a dû souffrir le martyre. Mon jeune frère Julien a été également massacré. Treize membres de ma famille ont ainsi été martyrisés, massacrés par le F.L.N. Je suis restée à l'hôpital près de trois mois, j'avais fait une hémorragie interne avec infection, car les balles fabriquées étaient bourrées de poils, de bris de lames de rasoir. Nous avions échappé à la mort, mais pas à la souffrance. Mon mari fut muté à Bougie, mais le chantier ayant subi une attaque, il a dû fermer; puis à Ampère, près de Sétif, et finalement au Sahara. Mais les femmes n'étaient pas admises. J'ai été recueillie avec mes deux frères à Lacaune-les-Bains, chez les soeurs de Saint-Vincent-de-Paul, j'y étais déjà venue plus jeune. Le fellagha meurtrier de ma famille a été arrêté, j'ai dû venir témoigner pendant trois ans en Algérie, car j'étais le seul témoin. Mon témoignage fut mis en doute, du moins la façon dont les miens ont été massacrés. Ils ont déterré ma mère pour voir si je disais la vérité, je n'en pouvais plus. On a retiré plusieurs balles et la seule chose de positive dans tout ce cauchemar, c'est le collier qu'elle portait et que l'on m'a remis; collier dont je ne me séparerai jamais. Marie-Jeanne Pusceddu
Point de vue |