-----------Le
2 février 1957, onze joueurs et une demi-douzaine de supporters
prirent l'avion d'Alger pour Toulouse avec le même état d'esprit
qu'une colonie de vacances partant pour un voyage agréable : c'était
le S.C.U.E.B., car à Alger les clubs étaient identifiés
par leurs initiales et le " Skuèb " n'était pas
encore " El Biar ". Pour l'histoire précisons que ces
initiales veulent dire Sporting Club Union El Biar.
-----------Cette
vingtaine de voyageurs était heureuse " d'aller en France
", de quitter pour quelques jours cette triste atmosphère
d'Alger où les attentats se multipliaient et où, pour la
première fois, les stades avaient été visés.
Sur celui du S.C.U.E.B. il y avait eu, justement, des bombes piégées,
des fusillades comme au Stade municipal. Des footballeurs étaient
morts, des dirigeants et aussi des supporters.
-----------Tout
cela on l'oublia dès que l'avion dé-colla et le gardien
de buts, Benoit, donna le signal de la bonne humeur cependant que le joueur-entraîneur
Buffard était le seul à penser au match qui devait être
joué le lendemain avec Reims. Le seul à réfléchir,
car Buffard vivait déjà ce qu'il pensait être son
apothéose personnelle : il allait voir de près ses idoles,
les Rémois.
-----------Buffard
avait fait les beaux jours du Red-Star Algérois, puis l'âge
venant, il s'était consacré aux jeunes d'El Biar, sans posséder
de diplôme, sans d'autre bagage que l'expérience d'une quinzaine
d'années de footballeur. Pour lui, il n'y avait qu'un football
et qu'une équipe : Reims. Il avait été le premier
adhérent à la section de supporters d' " Allez Reims
" et c'est l'insigne rémois qu'il arborait à la boutonnière.
-----------Il
avait obtenu avec son équipe de beaux résultats en éliminant
à Alger, Montpellier puis Aix (après deux matches) et en
se qualifiant ainsi pour les seizièmes de finale.
A Toulouse le soir même, Buffard eut vraiment sa grande soirée
: interview à la Radio toulousaine où Batteux avait déclaré
que ses joueurs ne ridiculiseraient pas les Algérois en longues
heures de bavardage avec l'entraîneur rémois.
Le lendemain, sur le Stadium quasi désert, les joueurs des hauts
d'Alger s'alignèrent, la peur au ventre, chacun pensant : "
Nous allons prendre un carton ".
-----------Or,
après quatre minutes de jeu, El Biar bénéficia d'un
coup franc ; Buffard le tira à travers une défense qui faisait
un mur dérisoire et Reims encaissa son premier but.
-----------Quatorze
minutes après c'était Almadovar qui recevait une longue
transversale de Baéza, se précipait en même temps
que Cicci et la balle fusait hors de portée de Jacquet. El-Biar
menait par 2-0.
-----------Là,
nous nous aperçûmes que cette avance n'était pas pour
rassurer Buffard et ses hommes : " On les a surpris, mais maintenant
ils vont se reprendre. "
-----------Il
fallut que nous donnions de la voix pour les revigorer, leur faire garder
tout espoir et même leur mentir en rapportant des appréciations
qui leur étaient flatteuses et qui n'avaient jamais été
exprimées dans la tribune de presse.
-----------La
seconde mi-temps, nous l'avons passée derrière le but de
Benoit, ce qui nous valut maintes réflexions du fougueux Leblond,
estimant que nous étions trop bavard.
-----------Nous
nous souviendrons toujours de ces 45 minutes où El-Biar écrivit
sa légende. Tout d'abord les Algérois jouèrent comme
en début de match : petites passes, déviations, ouvertures
sur Buffard et Vidal, Taberner et Baéza au centre de l'attaque
importunant souvent Jonquet, Siatka et Penverne.
--Mais au
fur et à mesure des opérations, Reims devenait plus pressant
: Hidalgo, Glovacki, Bliard, Leblond, Vincent, en raids successifs, eurent
souvent le but au bout du pied, mais chaque fois Chakor, le puissant Florit
ou Lapasset intervenaient à l'ultime seconde et quand ils étaient
doublés il y avait Benoit, un gardien qui faisait " la partie
de sa vie ". Tout lui réussissait, dans n'importe quelle position
et celui qui fut surnommé " Le tigre volant " semblait
ne pouvoir être battu. Quinze minutes avant la fin, Buffard crut
au miracle et fit venir en défense Vidal. Pendant ce quart d'heure
Reims domina outrageusement mais il y avait toujours
Benoit à terre, en l'air, dégageant du poing, du pied. Leblond
jurait à haute voix, Jonquet s'en prenait à l'arbitre, Bliard
hurlait sa déconvenue... et il s'en fallut de peu que, sur une
longue balle, Taberner n'aille ajouter un troisième but.
-----------Dans
les tribunes, les quelques supporters pieds noirs " avaient maintenant
avec eux le millier de Toulousains, criant aussi des encouragements à
ces Algérois qui continuaient à se battre.
-----------Exténués,
saoulés de leurs efforts, ne sa-chant plus jouer au ballon, mais
s'acharnant à le renvoyer de leur zone de défense, les El-Biarrois
réussirent tout de même à préserver leur avance.
-----------Dans
le vestiaire ce fut une " fantasia " : on buvait au goulot les
bouteilles offertes par Reims, on s'embrassait, on pleurait, on riait.
Deux heures après, à l'hôtel, ce fut la pluie de télégrammes,
les coups de téléphone, les interviews.
-----------Le
retour à Alger prit des allures de triomphe : la population algéroise
faillit, à l'aérodrome, faire capoter l'avion, chacun voulant
voir de plus près les héros de Toulouse. Le maire Jacques
Chevallier s'était dérangé avec tous les édiles.
-----------Pendant
une semaine Alger oublia tout pour vivre l'épopée d'El Biar.
-----------Même
le terrorisme marqua une trêve et ce fut là aussi et surtout
une des victoires du football.
Eliminé par Lille, au tour suivant, El Biar reprit son rang de
modeste équipe de banlieue, Buffard son poste de correcteur dans
un quotidien. Reims obtint sa revanche, à Alger même, en
gagnant par 6-0. Taberner s'en alla au Havre, Buffard la saison suivante
à Port Saint-Louis puis l'équipe s'émietta au vent
de l'Histoire.
-----------Mais
aujourd'ui dans l'aventure de la Coupe, l'exploit d'El-Biar figure toujours
comme une des pages les plus extraordinaires. N'est-ce pas devenu classique,
pour les plus grands chantres de notre football d'écrire en parlant
d'une surprise possible en Coupe de France : " Rappelons-nous la
victoire d'El-Biar sur Reims ! "
Extrait de " L'histoire illustrée
des sports et de l'éducation physique en Algérie de 1946
à 1962 ", par Louis SIGALA, Inspecteur général
honoraire, ancien Directeur régional de l'Education Physique et
des Sports en Algérie. (Collection Africa Nostra).
le 16-4-2007 :«Monsieur,
travaillant actuellement sur un ouvrage d'histoire de la Coupe de France
de football, j'ai accédé au texte de votre site racontant
le match célèbre entre El Biar et Reims en 1957. Je vous
signale que la référence de ce texte est abusive. En effet,
il s'agit très exactement d'un plagiat d'un texte que le journaliste
algérois de L'Equipe, Tony Arbona a écrit en 1967 pour un
ouvrage édité par Amphora et intitulé "Cinquantenaire
de la Coupe de France de football". Je sais que sur Internet, tout
le monde copie tout le monde, mais ce serait la moindre des choses de
signaler le véritable auteur de ce texte, qui fut un des rares
journalistes - et spectateurs, car ils n'étaient pas nombreux -
à avoir assisté à ce match. Merci pour lui
Didier Braun
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