LA VILLA DES OLIVIERS
ET L'ARTILLERIE DE SIÈGE
La position privilégiée de la villa des
Oliviers 1 fut remarquée en 1830, puisque les assiégeants
y installèrent une batterie d'artillerie lors de l'investissement
de Fort-l'Empereur. La destruction de ce fort, qui détermina la
chute d'Alger, revient à l'artillerie de siège. Cette arme,
placée sous le commandement du général vicomte Ducos
de Lahitte, était parfaitement organisée. Lors de l'attaque,
le général lui-même vint reconnaître les emplacements
des batteries de siège. Il y en avait six. La batterie du roi se
trouvait à 650 mètres au sud-ouest du fort, c'est-à-dire
à proximité immédiate de la villa des Oliviers actuelle.
Elle était commandée par le capitaine Rouvroy qui disposait
de trois officiers et de cent hommes de troupe. C'était la plus
forte batterie du siège ; elle comportait six pièces de
24 dont les projectiles étaient des boulets de fonte de 24 livres,
spécialement utilisés pour ouvrir des brèches dans
les fortifications.
De la position de la batterie, un repli de terrain masquait le pied des
murailles ; mais la partie supérieure en était bien visible
car elles étaient hautes de plus de 10 mètres. L'assise
de pierre avait été très difficile à établir
: sous une faible couche de terre arable se trouve du gneiss, roche très
dure, qui ne permettait pas d'établir la plate-forme des canons,
aussi les épaulements furent faits avec des sacs de terre.
Le 3 juillet au soir, les travaux étaient terminés et il
était convenu que l'ouverture du feu serait annoncée par
un signal de l'état-major, c'est-à-dire de l'ancienne résidence
du consul d'Espagne, à l'entrée d'El-Biar, à l'est,
que le général de Bourmont devait utiliser comme observatoire.
En effet, rappelle M. Philibert, le 4, aux premières lueurs du
jour, une fusée éclata et les vingt-six pièces du
siège tirèrent à la fois. Le feu, d'abord imprécis
à cause du peu de clarté et des fumées qui masquaient
le fort, devint très efficace dès six heures du matin. Les
officiers donnaient l'exemple aux canonniers, ainsi le colonel comte d'Esclaibes,
chef d'état- major de l'artillerie, vint lui-même à
la batterie du Roi pour tirer, il donna des leçons d'adresse aux
pointeurs et fit l'admiration de tous, par son sang-froid et sa précision.
Les assiégés, dont l'artillerie de place avait riposté
dès l'ouverture du feu, continuaient à tirer malgré
une situation intenable. Mais la forteresse était perdue et, après
l'avoir évacuée, les derniers défenseurs se replièrent
sur la Casbah, laissant un homme chargé de mettre le feu aux magasins
à poudre, pour rendre le fort inutilisable et, peut-être,
y ensevelir les nouveaux occupants. L'immense explosion, prématurée
pour atteindre son but, fut impressionnante, la colonne de fumée
fut immense et des débris de toutes sortes furent projetés
à près de 500 mètres.
Lorsque les attaquants eurent compris la cause de l'explosion, les ruines
du fort furent occupées, remises en état à l'aide
de gabions et réarmées en vue de tirer sur la Casbah et
le fort Bab-Azoun.
Il n'y avait plus aucun espoir de sauver la ville, aussi le dey Hussein
envoya en parlementaire son khasnadji, le brave et malheureux défenseur
du fort, puis ce fut le tour de Bouderba. Bref, l'heure de la capitulation
avait sonné et les troupes françaises allaient occuper la
ville.
Les artilleurs, après avoir été à la peine,
furent à l'honneur.
Comme il était d'usage lorsqu'une armée entrait dans une
place dont elle avait fait le siège, la batterie qui avait ouvert
la brèche ou tiré les premiers coups de canon passait en
tête du défilé.
Le lieutenant d'artillerie Eblé, fils du général
qui s'était illustré lors de la retraite de Russie, et le
sous-lieutenant Daru, qui avait été légèrement
blessé dans la nuit du 3 au 4 juillet lors d'une attaque de la
batterie du Dauphin, entrèrent ainsi les premiers dans Alger.
M. Philibert, pour nous donner ces précisions, s'est référé
à un ouvrage très documenté dû au chef de bataillon
Fernel, attaché à l'état-major du général
de l'Armée d' expédition .
Le commandant Fernel, dont le nom restera lié au succès
de la prise du fort de Moulay Hassan, a brossé un tableau extrêmement
précis, non seulement de l'organisation de l'Armée, mais
de l'implantation des batteries.
A propos de Eblé et de Daru, officiers d'artillerie qui entrèrent
les premiers dans la ville assiégée, il est intéressant
de rapporter le témoignage de Victor Hugo qui dans Choses vues
nous rappelle le fait :
----------------Les deux premiers Français qui mirent le pied
dans Alger en 1830, ont été Eblé, autrefois mon camarade
ei Louis le Grand en mathématiques générales et Daru,
aujourd'hui mon collègue ei la Chambre des Pairs.
Eblé, fils du général, était premier lieutenant
et Daru second lieutenant de la batterie qui ouvrit le feu contre la place.
Il est d'usage que, lorsqu'une armée entre dans une ville prise
d'assaut, la batterie qui a ouvert la brèche et tiré le
premier coup de canon, passe en tête et marche avant tout le monde.
C'est ainsi qu'Eblé et Daru entrèrent les premiers dans
Alger.
Il y avait encore, sur la porte où ils passèrent des têtes
de Français fraîchement coupées et reconnaissables
à leurs favoris blonds ou roux et à leurs cheveux. Les Turcs
et les Arabes sont tondus. Le sang de ces têtes ruisselait le long
du mur. Les assiégés n'avaient pas pris la peine de les
enlever. Dernière bravade peut-être.
Les troupes allèrent se ranger sur la place devant la Casbah. Eblé
et Daru y arrivèrent les premiers. Comme ils trouvaient le temps
long, ils obtinrent de leur capitaine, vieux troupier et bonhomme, la
permission d'entrer dans la Casbah en attendant.
La Casbah était déserte. Il n'y avait pas deux heures que
les dernières femmes du dey l'avaient quittée. C'était
un déménagement qui ressemblait à un pillage. Les
meubles, les divans, les boîtes, les écrins ouverts et vides
étaient jetés pêle- mêle au milieu des chambres.
Le palais entier était une collection de niches et de petits compartiments.
Il n'y avait pas trois salles grandes comme une de nos salles à
manger ordinaires.
Une chose frappa Daru et Eblé, c'est la quantité d'étoffe
de Lyon, en pièces, empilées dans les appartements du dey.
E y en avait tant que, le soir, les officiers logés à la
Casbah, les arrangèrent de façon à s'en faire des
matelas et des oreillers...
Pour mémoire, rappelons que la villa des Oliviers s'élevait
dans le quartier Saint-Raphaël, proche des "Deux Entêtés".
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