Jean-Marcel MOREAU
Ingénieur Agricole (ALGER, 1946)
Chef du Laboratoire des Associations Agricoles d'EL-AFFROUN
(ALGER)
Paul POUNY
Auditeur régulier
à l'Institut Agricole d'Algérie (1947)
Chef de service des Associations Agricoles d'EL-AFFROUN (ALGER)
et
Marcel SURZUR
Ingénieur Agricole (RENNES, 1924)
Directeur des Associations Agricoles d'EL-AFFROIJN (ALGER)
Le pays
-----Entre
le Gué du BOU ROUMI et celui de l'OUED DJER, au pied de l'Atlas
Tellien, de basses collines s'avancent sur les alluvions de la plaine.
Elles dominent et surveillent les routes antiques de SUFAZAR (BLIDA)
à Cesarae (CHERCHELL) et la voie romaine d'OUED DJER au CHÉLIFF
par MILIANA et Appidium Novum (AFREVILLE). Point de passage obligatoire
au Sud des marécages du lac Halloula et de la Mitidja, ce tronçon
de route a toujours été le lieu des batailles que livraient
les montagnards avides, encadrés par les Turcs, aux caravanes
et aux voyageurs mal gardés ainsi qu'aux laboureurs de la vallée.
Telle est l'origine du nom " EL-AFFROUN ", c'est-à-dire
" les combats ", d'où est issue la légende du
brigand Affroun, fils du démon Aa'fritt, toujours ressurgissant
de la brousse, éternelle incarnation du coupeur de routes aux
instincts démoniaques.
Ce nom de lieu, transmis par la langue du pays, évoque les plus
terribles réalités: le vol, le pillage, le viol et le
rapt des femmes, la razzia des troupeaux, l'incendie des habitations,
la torture et le meurtre des hommes qui défendaient leurs familles
ou leurs pauvres moyens de subsistance, en un mot, l'oppression c'est
tout cela qu'a fait cesser la pacification française à
partir de 1840.
La colonisation française
-----De
1848 à la fin du XIXè siècle, l'histoire d'EL-AFFROUN
est l'histoire douloureuse de la plupart des villages de colonisation
de la MITIDJA, de leurs débuts souvent tragiques, dans des territoires
infestés de paludisme, avec le typhus, le choléra, la
dysenterie endémiques.Les pionniers de la colonisation agricole
de 1848-1849, suivis des déportés de 1850 et des colons
libres des années suivantes, ont peu à peu transformé
cette " terre infernale " comme on l'appelait alors. Ils n
avaient pas eu la chance de trouver réunis, sous un climat modéré,
un sol facile à exploiter et de l'eau en quantité suffisante
pour les hommes, les animaux et les cultures. Leurs efforts furent rudes,
à la mesure de la nature hostile, et le succès vint lentement.
Cette lenteur d'ailleurs n'est pas seulement imputable aux tâtonnements
et aux erreurs individuelles ou collectives des colons il serait contraire
à la vérité historique d'ignorer les lenteurs de
l'administration de ce temps, qui pesèrent très lourdement
sur l'avenir de cette colonie agricole. Rien n'était fait de
ce qu'elle avait promis: les maisons n'étaient pas construites,
les rues n'étaient marquées que par des piquets fichés
en terre. Les arrivants furent entassés pêle-mêle
dans des baraques où la promiscuité rendait la vie douloureuse.
Les semences annoncées par l'Etat n'arrivaient pas, le matériel
agricole, même l'outillage de jardin, était de qualité
plus que médiocre. La viande, corrompue et irmmangeable, fut
supprimée, puis remplacée par de la morue...Cependant
- les documents historiques en témoignent - les colons de 1848
n'ont pas plus mal réussi que ceux établis par l'État,
en ALGÉRIE, à d'autres époques. S'il y eut des
défaillants, ils furent remplacés au fur et
à mesure. Quand ils eurent surmonté les mille inconvénients
provenant d'un changement de climat et du bouleversement de leur vie,
de leur métier, de leurs habitudes, ils se montrèrent
aussi tenaces, aussi travailleurs, aussi économes que leurs devanciers;
ils ajoutèrent à ces qualités un esprit d'initiative
et d'entreprise qui les conduisit au succès.
-----Les
épreuves ne leur avaient pas été épargnées:
les terribles épidémies causaient l'encombrement des cimetières,
les tremblements de terre qui laissaient toutes les maisons en ruines
et des dizaines de cadavres sous les décombres, les nuages de
sauterelles qui ravageaient les récoltes apportant avec elles
la famine et le typhus: toutes les angoisses et toutes les souffrances;
les pionniers les ont endurées de 1848 à 1870 avec une
ténacité et un courage indomptables.
-----Quand
l'industrie du crin végétal de création récente
dans le Sahel fut transportée, en 1869, à EL-AFFROUN,
le bien-être entra partout: les salaires et les profits améliorèrent
la condition générale. Jusqu'à la grande époque
de la viticulture, on peut dire que les colons de ce pays ont vécu
et prospéré de la production du crin végétal.
Mais le destin d'EL AFFROUN fut définitivement fixé quand
vinrent la vigne et le tabac, cultures riches et sociales.
-----L'esprit
de collaboration, de mutualité et de coopération fut la
force vive et le levier qui donna tout son essor à cette belle
région. Comme dans toutes les autres régions agricoles
de l'Algérie, cet esprit se manifesta par d'importantes réalisations
et créations parmi lesquelles les associations agricoles méritent
la première place.
Les associations agricoles
d'El-Affroun
-----Les
associations agricoles d'EL-AFFROUN se sont attachées à
réaliser une oeuvre double:
- Créer des institutions tendant à l'accroissement de
la richesse générale. c'est-à-dire une amélioration
de la production agricole, en utilisant comme moyen d'action la coopération.
L'ensemble de ces institutions forme ce que l'on peut appeler l'uvre
économique.
- Créer d'autre part des institutions tendant à faire
profiter la population entière de la prospérité
ainsi accrue, en contribuant au mieux-être de tous: c'est là
l'uvre sociale.
1. INSTiTUTiONS ÉCONOMIQUES
LA CAISSE REGIONALE D'EL-AFFROUN
-----La
Caisse Régionale s'est fixée pour but essentiel de faciliter,
par le crédit, la tâche combien difficile des colons et
des fellahs.
En 1955, les prêts consentis se sont élevés à
plus d'un milliard et demi de francs dont furent bénéficiaires
200 sociétaires européens et 450 sociétaires musulmans.
-----Par
ailleurs, administrée de façon très souple. elle
est devenue familière à la majeure partie de la population
de la région qui lui confie toutes ses opérations bancaires
et d'importants dépôts de fonds.
-----Elle
a vraiment été, et reste encore, la base solide sur laquelle
repose tout ce qui existe dans la zone d'EL-AFFROUN en fait d'uvres
mutualistes et sociales dont la création eût été
impossible sans elle.
LE SYNDICAT AGRICOLE D'EL-AFFROUN
-----Son
rôle est de grouper les commandes de ses adhérents, afin
d'obtenir des conditions de prix intéressantes en même
temps que des produits d'une qualité indiscutable.
LA TABACOOP DE LA MITIDJA
-----C'est
certainement l'une des créations dont le succès a été
le plus complet La Tabacoop joue un rôle de premier plan dans
la culture du tabac de la région. en défendant le producteur
et en s'efforçant d'améliorer la culture. Elle groupe
actuellement 849 sociétaires dont 643 Musulmans et 2028 usagers
dont 1837 Musulmans. En 1955, les apports se sont élevés
à près de 40000 quintaux, représentant environ
600 millions de francs.
LA CAVE COOPÉRATIVE D'EL-AFFROUN
-----Comme
toutes les autres Caves Coopératives, si répandues en
ALGÉRIE, elle rend de très gros services aux petits propriétaires
qui ne peuvent pas posséder une cave personnelle.
LA VITICOOP D'EL-AFFROUN
-----Elle
a pour but la distillation des vins. des lies, des mares et la rectification
des alcools ainsi produits. Elle groupe 89 adhérents en grande
majorité d'origine européenne.
LE SYNDICAT D'ÉLEVAGE
-----Ce
syndicat permet aux agriculteurs d'améliorer leur cheptel dans
de bonnes conditions.
EL-AFFROUN ASSURANCE
-----Elle
pratique tous les genres d'assurances agricoles selon la forme mutualiste.
Ses clients sont au nombre de 253 parmi lesquels on compte 106 Musulmans.
-----Ce
rapide exposé, forcément incomplet, suffit à montrer
que, grâce au fervent esprit mutualiste des colons de la région
d'EL-AFFROUN, à l'origine seuls artisans de la coopération,
les conditions de la production agricole ont pu être notablement
améliorées.II.
iNSTiTUTiONS SOCIALES
-----Les
associations agricoles d'EL-AFFROUN auraient jugé qu'elles avaient
incomplètement rempli leur rôle si elles n'avaient pas
prolongé leur oeuvre économique par un ensemble de réalisations
sociales de même envergure. Ici comme là, l'idée
directrice a été d'étendre à tous des bienfaits
réservés à une minorité de privilégiés.
En particulier, les associations agricoles ont fait porter leur effort
sur la population indigène, cherchant à la faire profiter
de leur activité économique et à l'associer à
leur oeuvre.
EL-AFFROUN ASSURANCES SOCIALES
-----Cet
organisme créé en 1949, assure le service de la Sécurité
Sociale dans le secteur agricole de la région. Cette caisse perçoit
les cotisations patronales et ouvrières, constitue les dossiers
éventuels de ses assujettis et paye les prestations correspondant
aux maladies. Elle verse d'autre part un pécule à la naissance
et un capital aux ayants droit de l'assuré social décédé.
EL-AFFROUN Assurances Sociales groupe actuellement 2800 assujettis,
correspondant au personnel des 190 propriétés de sa circonscription.
L'ÉCOLE PROFESSIONNELLE
-----Elle
forme, depuis 1933, des ouvriers spécialistes de la motoculture.
Elle a permis à de nombreux Musulmans d'acquérir une instruction
technique faisant d'eux des ouvriers qualifiés.
LA SOUPE SCOLAIRE ET POPULAIRE
-----Celle-ci
fonctionne, depuis 1927, sous l'autorité de la directrice de
l'école de filles, et distribue des repas chauds aux élèves
nécessiteux et aux indigents de la commune.
L'UVRE DES ENFANTS D'EL-AFFROUN A LA MONTAGNE
-----Cette
oeuvre assure un séjour dans la station d'altitude de CHRÉA
aux enfants dont les parents ne peuvent consentir de tels frais.
LA SOCIÉTÉ D'H.B.M D'EL-AFFROUN
-----Sa
création remonte à 1925. Elle a permis d'édifier
29 logements pour la population européenne, et 100 pour les musulmans.
L'HÔPITAL-DISPENSAIRE
-----Celui-ci,
tout d'abord infirmerie de quelques lits en 1925, est aujourd'hui un
établissement moderne de 118 lits, ayant soigné, en 1955,
791 Musulmans et 90 Européens pour un total de près de
35000 journées de soins.
-----Les
institutions sociales que nous venons d'évoquer succinctement
ont exigé, l'on s'en doute, un gros effort financier; les associations
agricoles ont été et demeurent leur principal soutien:
ce sont elles, d'ailleurs, qui assurent gratuitement la comptabilité
et l'administration de toutes ces oeuvres.
-----Un
aspect caractéristique de l'action menée tant par les
associations agricoles d'EL-AFFROUN que par toutes les associations
agricoles d'ALGÉRIE réside dans la part de plus en plus
importante faite aux populations indigènes et aux problèmes
qui sont les leurs: éducation de l'élément autochtone,
amélioration de son niveau de vie, accélération
de son évolution. Une personnalité métropolitaine
éminente a déclaré, à la suite dune visite
en nos murs «.. Nous pensions, en venant
en ALGÉRIE, vous aider des conseils de mure vieille expérience
dans la voie de la mutualité et de la coopération, mais
nous devons reconnaître en toute sincérité que,
si nous n'avons rien à vous apprendre en cette matière,
nous avons en revanche de riches enseignements à tirer de vos
réalisations sociales et humanitaires."
-----Ainsi,
jusqu'au 1er novembre 1954, date à partir de laquelle le terrorisme
tente de détruire les bienfaits de 114 ans de présence
française, on a pu dire qu'EL-AFFROUN était une heureuse
bourgade où chacun pouvait accéder à une vie libre
de plus en plus large et aisée, avec la possibilité pour
le paysan musulman, comme pour le colon français, de vivre paisiblement
de son travail et d'élever une famille dans la sécurité
du lendemain.
Avec l'aimable collaboration de Raymond
MASSANET,
14 rue des Arcs St Cyprien - App. 15 -
31300 Toulouse