sur site le 14/01/2002
-Médecine et agriculture en Algérie:
UNE OEUVRE HUMAINE ET ÉCONOMIOUE
PNHA n°18, sept 1991

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------Sans la médecine, l'Algérie française et son épopée eussent été mort nées. "Si l'Algérie n'a pas été abandonnée, c'est au médecin militaire MAILLOT que nous le devons" a écrit le docteur Lucien RAYNAUD en 1930 : s'il n'avait pris son audacieuse initiative thérapeutique à Bône, en 1834, il est très vraisemblable que la France, capitulant devant le paludisme, aurait retiré ses troupes. Au cas où elle les y aurait maintenues, malgré d'effroyables pertes par maladies, les premiers colons auraient totalement disparu.
------Une fois cette victoire acquise, les médecins, par leurs découvertes ultérieures, leur labeur acharné, leur dévouement parfois héroïque, ont peu à peu éradiqué les nombreuses maladies locales. Et même certains d'entre eux, notamment les équipes pastoriennes, se sont attaqués avec succès à la pathologie locale du bétail et des végétaux.

La tragédie des premiers colons.
------Reportons-nous, non sans émotion, aux années qui ont suivi la prise d'Alger en 1830.
------Quand nous parcourions, dans nos plaines sublittorales, les vignobles les plus beaux du monde, les orangeraies somptueuses, quant nous circulions à l'ombre des platanes géants des anciens jours, avions-nous un regard assez attentif pour les vieux cimetières des villages, une pensée pour ceux que l'on avait jadis inhumés en hâte hors de leurs murs ?
------C'est plus que jamais un devoir d'évoquer les souffrances inouïes, les hécatombes de ceux qui ont défriché les maquis, drainé les marécages où devaient prospérer par la suite, grâce à leurs sacrifices, les merveilleuses plantations que nous avons contemplées. "La Mitidja, écrivait le général BERTHEZENE, sera le tombeau de ceux qui oseraient l'exploiter". Et en 1841 encore, le général DUVIVIER de renchérir : "L'infecte Mitidja est un foyer de maladies et de mort". Il en était pareillement pour les plaines de Bône, de Philippeville, la vallée de la Soummam...
------N'est-il pas admirable que dans cette Mitidja, des Français terrassés par les fièvres, voyant succomber tant de leurs compagnons, soient parvenus en 1839, à cultiver 9 000 hectares, planter 85 000 mûriers, alors que,la trêve avec ABD EL KADER étant rompue, les belliqueux Hadjoutes déferlaient, coupant des têtes ? Ces malheureux égrotants, déguenillés, mal nourris, couchant sur des grabats dans des buttes, continuaient de travailler, le fusil en bandoulière. L'armée ayant décidé de les évacuer, cette première colonisation fut anéantie, sauf en de rares îlots.
------Une fois refoulés les Hadjoutes, des colons se remirent au travail et les maladies poursuivirent leurs ravages. A Boufarik la mortalité atteignit un sur trois ! Les gens d'Alger reconnaissaient de loin les survivants à leur aspect pitoyable ; "Il a une tête de Boufarik" disaient-ils.
------Même désastre au Fondouk où, en 1845, sur 263 habitants 127 moururent ; à la Trappe de Staouéli : 8 morts sur 38 moines, 47 sur 150 détenus travaillant avec eux ; dans les basses plaines du Constantinois, où, à côté des pionniers français, tentaient de s'enraciner des Italiens ; un peu moindre dans l'Oranie, plus salubre, où prédominaient les Espagnols, autres émigrés de la misère. Dans le Sahel d'Alger lui?même, entre 1831 et 1847, sur un total de 1522 enfants, 705 moururent, (près d'un sur deux...).
------Jusqu'à la fin du siècle, dans certains sites particulièrement malsains, comme Montebello, proche du lac Halloula tardivement asséché, la situation resta tragique. MALLEBAY raconte, dans sa revue "Les Africains"
------"La porte s'ouvre ; une grande femme blême apparaît. Pour nous ouvrir elle s'est levée de son lit où elle gisait tout habillée ; elle claque des dents et a dans ses yeux profonds une tristesse infinie. Nous l'interrogeons: elle a perdu récemment son mari et ses deux enfants. J'irai bientôt les rejoindre, dit-elle simplement ; avant peu tout le village suivra".

--Le fléau des fièvres et les autres maladies algériennes
------Quelle était donc la nature de cette malédiction meurtrière ? Dans l'ignorance de l'époque on l'intitulait globalement"les fièvres". Parmi elles, dominait la malaria, reconnaissable quand elle se bornait à des accès fébriles intermittents de tierce ou de quarte ; mais trop souvent ces immigrés récents, sans accoutumance, étaient emportés par ses formes gravissimes, accès pernicieux, bilieuse, hémoglobinurique.
------Ce terme générique de fièvres recouvrait aussi d'autres maladies infectieuses, dysenterie, typhoïde, parfois typhus.
------Parallèlement, des épidémies de choléra importées dans les ports et les villes, se propageaient aux villages de l'intérieur, véhiculées par les troupes. Et l'Algérie restait un réceptacle d'autres maladies peu fréquentes en Europe l'une des plus répandues dans les régions d'élevage, le kyste hydatique, parasitose des moutons, transmise par les chiens, se développait dans le foie, les poumons et toutes les parties du corps, nécessitant le recours à la chirurgie.
------Dans le sud, la conjonctivite granuleuse - le trachome - très fréquente chez les autochtones, contaminait parfois les Européens.

L'oeuvre considérable des médecins militaires
------En décidant de traiter les paludéens par la quinine à forte dose, François-Clément MAILLOT "a assuré le salut de la colonisation européenne en Algérie. Grâce à lui la race des immigrants a pu faire souche dans une patrie nouvelle" avait écrit Elisée RECLUS dans sa "Géographie Universelle" en 1886, près de 50 ans avant le docteur Lucien RAYNAUD. Peu d'années avant la prise d'Alger, en 1820, deux pharmaciens français, PELLETIER et CAVENTOU avaient isolé de l'écorce de quinquina le sulfate de quinine, découverte providentielle pour l'Algérie.
------En mars 1834, MAILLOT est affecté comme médecin-chef à l'hôpital militaire de Bône ; il n'est âgé que de 30 ans mais, étant passé, les années précédentes, par les hôpitaux d'Ajaccio et d'Alger, il s'est familiarisé avec les fièvres intermittentes. La situation locale est catastrophique, la mortalité des malheureux militaires atteint 1 sur 3. MAILLOT décide de faire absorber par ses malades le sulfate de quinine à haute dose. En moins d'un an la mortalité tombe à 1 sur 20.
Pendant la première phase de son histoire, de 1830 à 1870, administrée par les militaires, l'Algérie rurale bénéficia grandement de leur Service de santé.
------Leurs recherches atteignirent un triomphe avec la découverte par LAVERAN, en 1880, à Constantine, de l'agent du paludisme, l'hématozoaire, dans les globules rouges d'un soldat : événement historique d'un retentissement mondial et qui valut à son auteur le prix Nobel.
------Très tôt avaient été édifiés, partout en Algérie, de solides hôpitaux militaires - au nombre de 38 en 1845 - qui s'ouvrirent aux civils ou même leur furent concédés, comme celui de Douéra en 1847. Après 1870, les médecins de l'armée restaient prépondérants dans les territoires du Sud. Et à l'hôpital du Dey à Alger, (qui devait prendre
le nom d'hôpital MAILLOT) de savants chercheurs continuèrent leur travaux. C'est là, entre autres, que Hyacinthe VINCENT élabora la vaccination antityphoïdique, à une époque où la fièvre typhoïde restait fréquente et meurtrière pour les Européens.

La médecine civile dans le bled.
------Dès 1835 le Dr POUZIN créait une " ambulance" à Boufarik, qui reçut surtout des indigènes et ne survécut pas à la reprise de la guerre contre ABD EL KADER. Mais la même année, l'un des premiers colons, le baron de VIALAR petit-fils du baron PORTAL, fondateur de l'Académie de Médecine, prit l'initiative de faire appel à des religieuses soignantes, les soeurs de Saint-Joseph de l'Apparition sous la conduite de leur fondatrice, sa propre soeur, Emilie de VIALAR (canonisée par l'Eglise). Quelques années plus tard affluèrent des Trinitaires en Oranie, puis dans l'Algérois et le Constantinois les soeurs de Saint?Vincent de Paul et de la Doctrine Chrétienne, non seulement dans les villes mais jusque dans de petits villages, tels que Novi, Meurad, Condé Smendou.
------C'est en 1845 que l'administration recruta des médecins fonctionnaires pour les petits centres européens du Sahel algérois et ceux proches de Philippeville, de Bône, d'Oran. En 1853 fut créé, sous le beau titre de médecins de colonisation, un corps original et admirable, dont la tâche principale fut d'apprivoiser les indigènes aux thérapeutiques occidentales en se dévouant pour eux sans compter ainsi que pour les Européens dispersés dans le bled. En retour, il convient d'insister sur la générosité de ces colons d'autant plus méritoire que bien peu firent fortune. C'est grâce au legs d'un million de francs, en 1853, par l'un d'eux, FORTIN D'IVRY, que put être commencée la construction de l'hôpital de Mustapha. Et plus tard SELTZ finança un hôpital à Boufarik. Pendant la guerre de 1942-45 le sénateur BORGEAUD offrit au service de transfusion sanguine un centre de lyophilisation du plasma édifié sur domaine de la Trappe.

 

L'institut PASTEUR.
------En novembre 1894 un "Institut PASTEUR d'Alger" avait été organisé par deux professeurs de l'École de Médecine, B. TROLARD et H. SOULIÉ, assurant le traitement antirabique et la vaccination antivariolique.
------Six ans plus tard, deux jeunes médecins élèves de l'Institut Pasteur de Paris, les frères Edmond et Étienne SERGENT, étaient envoyés à Alger en "mission permanente", (tous deux étaient nés dans le Constantinois ; leur père officier des affaires musulmanes était devenu administrateur civil de Mila ; leur mère appartenait à la vaste famille MERLE DES ISLES, colons de la région).
------C'est à eux qu'en 1909 le grand gouverneur général JONNART décidait de confier la création d'un "Institut PASTEUR d'Algérie", établissement de recherches pour "l'étude des maladies virulentes et contagieuses de l'homme, des animaux et des plantes". Ce seul intitulé indiquait bien l'ampleur de la tâche.
------Rapidement fut édifié l'établissement principal dans le quartier du Hamma, au-dessus du jardin d'Essai, complété par une annexe rurale à Kouba et plus tard, en 1922, par un laboratoire saharien à Biskra.
------L'objectif fondamental de l'Institut, la lutte antipaludique, en liaison avec les services du Gouvernement Général et la Faculté de Médecine, reposa sur la quininisation préventive, la destruction des moustiques par élimination des eaux stagnantes, épandage de pétrole, ensemencement de gambouses (poissons friands d'anophèles), administration de quinine aux indigènes porteurs de virus, détectés par l'augmentation du volume de leur rate.
------Appliquée rigoureusement, cette stratégie fit la preuve de sa pleine efficacité : plus de cas mortels chez les européens, leurs accès fébriles résiduels jugulés, et les populations indigènes retrouvant vigueur. Résultats d'autant plus remarquables que le paludisme restait ailleurs sur la planète la maladie la plus répandue, responsable encore d'un million de morts par an.
------Contre beaucoup d'autres maladies algériennes, l'action de l'Institut PASTEUR rendit des services irremplaçables, avant l'ère des antibiotiques : sérothérapie du typhus, de la poliomyélite, de la fièvre récurrente, vaccination contre la typhoïde et jusqu'au sérum antiscorpion d'Étienne SERGENT, car des cas mortels n'étaient pas rares dans le Sud. En 1936, 4 000 cas avaient été ainsi soignés en 10 ans.

L'apport des médecins à l'agriculture et l'élevage.
------Plus qu'en d'autres pays et que dans la France métropolitaine, médecins et pharmaciens et non des moindres, à commencer par le fondateur de la chirurgie moderne en Algérie, le professeur Eugène VINCENT ont été liés à la colonisation agricole : certains ont dirigé des domaines parfois importants, d'autres se sont occupés de l'élevage des moutons.
------On doit de salutaires initiatives, entre autres, aux professeurs à l'école de Médecine, TROLARD qui lutta énergiquement pour la défense des forêts, TRABUT qui non seulement introduisit le ficus dans les rues et jardins des villes, mais avait aussi réalisé des levures sélectionnées pour la fermentation des moûts, des ferments lactiques thermophiles pour l'ensilage...
------Conformément aux directives du Dr ROUX, successeur de PASTEUR, l'équipe de l'institut pastorien d'Algérie avait multiplié ses recherches en pathologie végétale et animale. Ainsi avait-il été appelé à combattre en 1921 une épidémie des palmiers très menaçante, originaire de l'oasis de Figuig, le bayoud. SERGENT et BEGUE détectèrent l'agent causal, un champignon se propageant dans le stipe: cette fusariose était insensible à des traitements locaux. Fort heureusement l'on découvrit que certaines espèces de palmiers lui étaient naturellement résistantes ; en les substituant aux palmiers vulnérables, les oasis de l'ouest saharien furent préservées de la destruction. La propagation vers l'est était stoppée.
------Contre les épizooties, l'action de l'Institut PASTEUR d'Algérie fut considérable. Ayant reconnu l'agent de la piroplasmose transmise par les tiques qui frappait les bovins d'ictère, SERGENT, DONATIEN, PARROT et LESTOQUARD proposèrent un vaccin préventif efficace. D'autres vaccins protégèrent chevaux, mulets et ânes contre la lymphangite cryptococcique et les chèvres contre la brucellose (fièvre de Malte des humains).
------Plus importante encore avait été la vaccination contre la clavelée. Bien supportée par les moutons algériens, cette maladie, à laquelle, ceux d'Europe étaient très sensibles, entravait l'exportation en provenance d'Algérie. Elle fut l'Europe. longtemps assurée par l'Institut PASTEUR d'Algérie, fabriquant de 1913 à 1914, 28 millions de doses, dont une partie fut fournie a plusieurs pays étrangers.
Dans le Sud, dès 1902, les frères SERGENT avaient démontré que le debab du dromadaire était provoqué par un hématozoaire et transmis par la piqûre des taons dans le bled, des stomox dans les fondouks. Ils l'avaient combattu avec succès leurs romans. par chimiothérapie et mesures préventives.

Histoire d'une marais algérien.
------Cette vocation agricole de l'Institut PASTEUR d'Algérie s'était concrétisée à partir de 1927 par une démonstration
pratique ayant valeur de symbole.
------"L'histoire d'un marais algérien" écrite par les frères SERGENT est le plus beau des romans. Un domaine de 300 hectares acquis dans un site mitidjien réputé malsain encore, près de Birtouta, aux Ouled Mendil, allait permettre d'appliquer à la lettre les directives du Dr ROUX "prendre une terre inculte rendue inhabitable par le paludisme et montrer que, grâce aux méthodes prophylactiques modernes, on peut d `emblée cultiver ces terres et y vivre en bonne santé".
------On laissa un quart d'hectare en son état primitif comme témoin de ce qu'il y avait avant la colonisation française ; on assainit tout le reste par de judicieux drainages ; on planta 26 000 arbres ; on usa de tous les moyens de défense et de prévention, tant pour les autochtones sur place que les européens venus y résider : les uns et les autres obtinrent des cultures fécondes et un cheptel magnifique.
------Ainsi, ce marais métamorphosé, microcosme de notre agriculture algérienne sur fond de souffrances, de morts, de mines, était-il parvenu au prix d'immenses efforts conjugués, obstinés et intelligents, à un véritable chef d'oeuvre.

Retentissement au-delà de nos frontières.
------Cette épopée de médecins et d'agriculteurs solidaires déborda les limites de notre petite patrie. L'expérience acquise en terre algérienne par des médecins nés sur son sol a été telle que, pendant la première guerre mondiale, les frères SERGENT, en 1917-1918, furent envoyés en Macédoine pour y diriger la lutte antipaludéenne ; en délivrant l'armée d'Orient des désastres subis jadis par l'armée d'Afrique, ils contribuèrent grandement à son offensive décisive.
------Et en 1935 la Société des Nations fit appel à Edmond SERGENT pour présider la commission mondiale du paludisme.
------Au terme de cet aperçu, il importe de souligner, comme
un enseignement exemplaire, la coordination aussi étroite qu'efficace (rarement sans doute réalisée dans le monde à ce degré) quia uni les artisans de l'oeuvre civilisatrice et humaine que fut en réalité la colonisation de l'Algérie.
------II y avait alors, dans cette province française, beaucoup moins de cloisonnements qu'ailleurs entre les différentes catégories professionnelles. Une relative et bénéfique décentralisation permettait d'incessants échanges entre techniciens, administratifs et hommes de terrain. Grâce à quoi la Berbérie demeurée dans un état médiéval a pu, en quelques générations, aligner ses structures sur celles de l'Europe.
------Mais cette situation ne pouvait se maintenir que par une symbiose euro-algérienne. Les Français partis, agriculture et médecine étaient condamnées à dépérir parallèlement
en portent témoignage non seulement les visiteurs venus d'Europe mais aussi ce qu'en écrivent aujourd'hui les Algériens eux-mêmes dans leurs journaux et certains de leurs romans.
------Devant cette involution prévisible, les anciens colons et médecins de l'Algérie française ne peuvent qu'éprouver tristesse, regrets et inquiétudes.

voir:
L'OEUVRE AGRICOLE FRANÇAISE EN ALGERIE 1830 - 1962
Tout ce qui n'a jamais été dit ni écrit à propos de la colonisation. Documentation sur demande -Vente par correspondance
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