| Missions ophtalmologiques 
        dans les Territoires du Sud Répondant à l'appel de M. l'Ambassadeur 
        de France, Gouverneur Général de l'Algérie, Yves 
        Chataigneau, Mlle le Docteur Antoine, médecin des hôpitaux 
        d'Alger, et M. le Dr Legroux, ont effectué, du 21 au 31 décembre 
        1946 et du 22 au 29 mars 1947, une mission ophtalmologique d'une haute 
        portée humanitaire dans les communes de Ghardaïa, 
        Laghouat et Djelfa. Ces praticiens ont consacré leurs 
        vacances de fin d'année et de Pâques au soulagement des malheureux 
        dans des régions où sévissent avec une intensité 
        particulière les maladies des yeux et le trachôme. Plus d'un 
        millier de consultations gratuites ont été données 
        et cent vingt-neuf interventions chirurgicales pratiquées, dont 
        trente ont rendu aux opérés la vision partielle. Les deux 
        spécialistes ont été secondés dans leur tâche 
        par les médecins militaires chargés de l'assistance médico-sociale 
        aux populations civiles, aidés de leur personnel composé 
        de soeurs blanches et d'infirmières et infirmiers européens 
        et musulmans.
 LES MALADIES DES YEUX DANS LES TERRITOIRES DU 
        SUD.
 
 Les affections oculaires, conjonctivites et trachôme, constituent 
        encore l'une des plaies de l'Algérie Dans certaines oasis du Sud, 
        le pourcentage des sujets atteints est de cent pour cent ou voisin de 
        cent. Aussi, chaque médecin doit-il être un peu ophtalmologiste.
 
 La base de la prophylaxie du trachôme et des ophtalmies contagieuses 
        est le traitement curatif des malades : traitement des trachômateux 
        et traitement des conjonctivites aiguës surajoutées au trachôme 
        qu'elles compliquent gravement si souvent. La prophylaxie à l'école 
        est organisée depuis de longues années, grâce à 
        la collaboration des médecins et des instituteurs. Mais cette action 
        est limitée à des enfants déjà grands et qui 
        sont à peu près exclusivement des garçons ; de plus, 
        les écoles sont fermées pendant plusieurs mois en été, 
        à l'époque où les conjonctivites aiguës sont 
        les plus fréquentes.
 
 Le programme de lutte contre les affections oculaires a tendu et tend 
        à multiplier les petits centres de traitement, les " biout 
        el aïnin " (maison des yeux). Chacun des cent onze postes de 
        secours des Territoires du Sud est un petit centre antiophtalmique : dans 
        l'intervalle des visites du médecin, les traitements prescrits 
        sont exécutés par l'infirmier. Ces traitements sont toujours 
        très simples (" dogme " des trois collyres) et si le 
        trachôme, étroitement lié au " modus vivendi 
        " dé l'indigène (contamination familiale dans les tout 
        premiers mois qui suivent la naissance) sévit toujours intensément, 
        les conjonctivites et leurs complications sont efficacement combattues. 
        Pour s'en convaincre, il n'est qu'à souligner la disparition progressive 
        des cas de cécité chez les jeunes, si nombreux autrefois.
 
 Par ailleurs, au cours de leur stage d'ophtalmologiè à Alger, 
        les médecins se familiarisent avec la technique de deux ou trois 
        interventions simples de chirurgie oculaire, si utiles en milieu indigène 
        (trichiasis). Les chiffres de ces interventions, au cours des six dernières 
        années, ont été les suivantes :
 1940         
        512
 1941         
        834
 1942         
        640
 1943         
        1.458
 1944         
        2.262
 1945         
        1.514
 
 LES MISSIONS EFFECTUÉES PAR LE DOCTEUR 
        ANTOINE ET LE DOCTEUR LEGROUX.
 
 Si la lutte contre les maladies des yeux a toujours fait l'objet de l'attention 
        soutenue du Service de Santé, si les essais " d'oculistes 
        en mission qui ne cherchent pas à se substituer au médecin 
        praticien, mais qui lui viennent en aide, ont toujours paru donner des 
        résultats excellents " (  
        Hygiène et pathologie nord-africaines, assistance médicale, 
        Tome I, collection du centenaire.), on peut, cependant, affirmer 
        que jamais une tournée de ce genre n'a pris une telle ampleur. 
        Rassemblés par les médecins et les autorités locales, 
        les malades, venus souvent de fort loin, affluèrent aux consultations, 
        tandis que Mlle le Dr. Antoine visitait à domicile un certain nombre 
        de femmes musulmanes que des principes religieux et des coutumes ancestrales 
        avaient jusqu'ici privées de soins éclairés et de 
        conseils judicieux.
 
 MISSION DU 21 AU 30 DÉCEMBRE 1946.
 
 Séjour 
        à Ghardaïa.
 Arrivés à 13 heures, le 21 décembre, les spécialistes 
        commencent leurs consultations à 15 heures à l'infirmerie. 
        Les malades, rassemblés par le médecin-capitaine de Ghardaïa, 
        sont nombreux, assidus, et certains d'entre eux viennent de Guerrara. 
        Il est procéderà soixante-sept consultations, le plus gros 
        de l'effectif étant constitué par des trachomateux dont 
        20 % environ, et exclusivement des enfants, présentent des complications 
        cornéennes graves : perforations, larges leucomes adhérents, 
        survenues au cours de poussées inflammatoires contemporain es de 
        l'ophtalmie d'automne. Cette ophtalmie d'automne, bénigne dans 
        l'ensemble, n'a guère duré qu' un mois et n'a fait de graves 
        dégâts que parmi les tout jeunes enfants, voire les nourrissons.
 
 Le 22, grâce au concours de l'infirmière et de la soeur soignante, 
        les séances opératoires des deux jours suivants sont organisées.
 
 Le 23 au matin, l'un des spécialistes s'installe à la salle 
        d'opération, tandis que l'autre donne des consultations au dispensaire.
 
 A midi, au cours d'une réception chez le Bachagha Baamara Slimane, 
        le Docteur Legroux examine vingt-trois malades, tandis que le Docteur 
        Antoine se rend au domicile de femmes de notables musulmans. 99 % de ces 
        malades sont des trachomateux. Chez les femmes confinées à 
        la maison et, de ce fait, privées totalement de soins, les complications 
        palpébrales et cornéennes sont de règle dès 
        l'âge de 10 ans. A 30 ans, les patientes se guident à peine, 
        à 50 ans la cécité est presque toujours consommée. 
        Certaines aïeules se trouvent ainsi porteuses de véritables 
        musées ophtalmologiques : trachôme, entropion, trichiasis, 
        dépoli cornéen, dacryocystite par sténose lacrymale 
        granuleuse et cataracte.
 
 L'après-midi, la séance opératoire et les consultations 
        reprennent jusqu'à 19 heures.
 
 Le 24, séances opératoires et consultations contemporaines 
        se poursuivent.
 
 Le 25, après pansement des opérés, les spécialistes 
        prennent le départ en camion pour Laghouat.
 
 Le bilan de ces quatre journées de labeur acharné se traduit 
        par plus dé deux cent cinquante consultations et douze interventions, 
        dont les indications des premiers pansements permettaient d'escompter 
        les résultats les plus satisfaisants.
 
 Séjour 
        à Laghouat.
 
 Le 26 au matin sont organisées les deux équipes qui poursuivront 
        simultanément les séances opératoires et les consultations 
        toujours pléthoriques. Les 26, 27, 28, 29 et 31 décembre, 
        pas moins de quatre cents consultations sont données dans des conditions 
        semi-confortables, grâce à la chambre de radio utilisée 
        comme chambre noire, tandis que cinquante-quatre interventions sont pratiquées. 
        75 % des malades présentent des séquelles de.la conjonctivite 
        blennorragique qui a sévi sur l'oasis du 15 octobre ou 15 décembre, 
        période pendant laquelle le personnel infirmier (trois soeurs missionnaires) 
        ont dû répondre à l'affluence de quatre cents à 
        quatre cent cinquante malades par jour, la plupart étant pansés 
        matin et soir La matinée du 30 décembre est consacrée 
        à une consultation oculaire à l'école- ouvroir d'Aïn-Mandi. 
        Là, il est procédé à l'examen de soixante-dix 
        malades dont 95 % de trachômateux. A cette occasion, le Docteur 
        Mlle Antoine se rend à la zaouïa, auprès de la femme 
        du marabout Sidi ben Ameur, atteinte elle-même, ainsi que la plupart 
        des femmes de son entourage.
 
 La soirée, au Miloch, est consacrée à l'examen d'une 
        quarantaine de nomades rassemblés par les soins du bachagha. Ici, 
        comme à Aïn-Mandi, toutes les directives de traitement sont 
        prises en présence de la Mère Supérieure des Soeurs 
        Blanches, qui se charge d'organiser des soins périodiques par des 
        tournées régulières.
 
 MISSION DU 22 AU 29 MARS SUR LE TERRITOIRE DE 
        GHARDAIA.
 
 Au cours de ces sept jours, où les consultations et les séances 
        opératoires sont organisées à un rythme toujours 
        aussi accéléré, Djelfa, Messad, Aïn- el-Ibel, 
        Laghouat, Guerrara, Ghardaïa, sont tour à tour visitées. 
        Parmi les malades opérés en décembre et examinés 
        à nouveau, aucun n'a présenté de complications graves 
        et beaucoup ont récupéré des visions satisfaisantes. 
        Cinq cent soixante-quinze consultants reçoivent des soins attentifs, 
        tandis que soixante-huit interventions sont pratiquées.
 
 La situation oculaire reste grave dans ces régions, où les 
        affections trachômateuses entrent pour plus de 95 % dans le recrutement 
        des malades : trachômes graves, entropions compliqués tels 
        qu'on en voit rarement dans le Nord, taies étendues, cécité 
        en nombre désolant, s'observent surtout dans les agglomérations 
        où la population est particulièrement dense. L'entassement 
        dans les villes à rues étroites, à maisons surpeuplées, 
        est un facteur évident de propagation du trachôme, comme 
        de toute maladie contagieuse. Les nomades menant une vie plus saine présentent 
        des cas beaucoup moins nombreux.
 
 Et cependant, malgré le nombre impressionnant des malades oculaires 
        dans les Territoires du Sud, il faut reconnaître que le trachôme 
        est actuellement en sérieuse régression dans l'ensemble 
        de l'Algérie. Les statistiques dressées en 1930 par les 
        médecins-inspecteurs Toulant et Trabut pour le département 
        d'Alger, Bonnet et Saccomant pour celui de Constantine, et Jasseron pour 
        l'Oranie, donnaient déjà un pourcentage notablement inférieur 
        à celui qu'indiquaient le Docteur Gaudibert en 1918 et le Docteur 
        Trabut en 1914. Depuis 1930 la situation ne fait que s'améliorer.
 C'est avec un dévouement inlassable et quotidien que médecins, 
        infirmiers et Soeurs Blanches dispensent les soins aux populations atteintes 
        des
 
 Territoires 
        du Sud.
 
 En apportant une aide précieuse aux praticiens ainsi qu'un réconfort 
        moral aux malades qui se pressèrent en masse aux consultations 
        et furent même quelquefois visités à domicile, les 
        missions des Docteurs Antoine et Legroux traduisent, une fois de plus, 
        les voies que la France entend suivre dans ce pays et qui sont celles 
        de la civilisation et du dévouement.
 
 OEuvre éminemment sociale, cette formule de tournées ophtalmologiques 
        qui a maintenant donné ses preuves, sera poursuivie dans d'autres 
        régions des Territoires du Sud par les mêmes spécialistes. 
        En accord avec ces praticiens, l'Administration et le Service de Santé 
        des Territoires du Sud font, actuellement, procéder à l'étude 
        d'un projet de camion opératoire spécialement équipé 
        pour ce genre de mission.
 
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