Aperçus actuels
sur la commercialisation du cheptel algérien et de ses produits
Le cheptel constitue l'un des plus importants
revenus de l'Algérie. Ses aptitudes, il est vrai, sont encore réduites,
et de l'insuffisance des industries de transformation de ses produits
résulte une importation qui atteignait une valeur de 211 millions
de francs en 1929 (en francs de l'époque) et de 286 millions en
1938.
L'examen des statistiques des importations et des exportations permet
de constater que jusqu'en 1939, la balance du commerce extérieur
comportait un excédent bénéficiaire en notre faveur.
C'est ainsi qu'en 1929, nos exportations de cheptel vif et des produits
de l'élevage - laines, peaux, cuirs, boyaux, os, cornes, etc...
- donnaient un total de 390 millions de francs, alors que les importations
correspondantes - cheptel vif, viandes fraîches, fromages, beurres,
laits concentrés ou autres, etc... - s'élevaient comme il
vient d'être dit, à 211 millions, d'où un avantage
de 179 millions de francs en 1929 pour l'Algérie. En 1938, nous
avons encore 286 millions pour les importations et 347 millions pour les
exportations, ce qui laissait un bénéfice de 61 millions
pour l'économie locale.
LES CHEVAUX.
Jusqu'en 1927, l'exportation dés équidés était
supérieure à l'importation. Des éleveurs français
venaient chercher ici des animaux jeunes et bien conformés, mais
surtout, bien des pays étrangers, au nombre desquels la Grèce,
l'Italie, l'Espagne, se disputaient nos chevaux barbes. Les abattoirs
marseillais absorbaient également ceux que la fatigue et l'usure
rendaient inaptes aux travaux ou au charroi léger.
En 1929, la situation change. D'exportatrice, l'Algérie devient
importatrice. En même temps qu'aux chevaux et mulets de gros trait
français, elle fait appel aux étalons de Bretagne et aux
baudets du Poitou et surtout des Pyrénées et d'Espagne.
Pour la traction de ses instruments plus pesants, l'agriculture réclame,
en effet, des animaux plus lourds et plus importants. La propagande entreprise
par le Service de l'Élevage commence à porter ses fruits
: l'utilisation de l'étalon breton comme améliorateur de
la race barbe, par croisement continu surtout, se généralise
de plus en plus. L'industrie mulassière, grâce aux baudets
plus étoffés importés, prend de l'extension.
Après 1929 et jusqu'à la veille de la guerre, le mouvement
commercial change encore de sens. Que s'est-il donc passé ? En
France, la boucherie hippophagique attire un nombre toujours plus grand
de consommateurs. En Espagne, franquistes et républicains ont un
besoin accru de chevaux pour remonter leur cavalerie, et l'Italie est
profondément engagée dans sa guerre d'Éthiopie où
ses effectifs équins fondent littéralement. Les appels aux
chevaux algériens se font de plus en plus pressants. La majorité
des animaux exportés, il est vrai, est constituée de tarés,
d'aveugles, de réformés qui, en l'absence de débouchés
locaux suffisants et en raison de leurs prix relativement bas, attire
le négoce métropolitain. En 1938, l'Algérie expédie
ainsi plus de 16.000 équidés.
Cette saignée ne ralentit pourtant en rien la production, puisque,
dé 1929 à 1938, on enregistre une augmentation constante
du cheptel équin qui, de 164.000 chevaux passe à 208.000,
de 295.000 ânes passe à 348.000 et de 164.000 mulets arrive
à 221.000 en 1939.
Ces chiffres n'ont qu'une valeur statistique, mais ils donnent cependant
des ordres de grandeur assez démonstratifs
Pendant ce temps, le consommateur algérien des grands centres urbains
prend goût, lui aussi, à la viande de cheval, et également
à celle d'âne que des bouchers astucieux lui présentent
sous le nom de poulain. Le chiffre des abattages ne cesse d'augmenter,
pour tripler en quelques années et atteindre 12.651 équidés
en 1938, 18.550 en 1940, 28.908 en 1941, 13.852 en 1943, plus de 23.000
en 1944, près de 36.500 en 1945 et un chiffre presque identique
pour 1946.
Il est, dans ces conditions, permis de supposer que dans les années
à venir, le rythme de nos exportations d'équidés
sera appelé à une légère baisse. Cette diminution
de nos sorties est d'autant plus à prévoir que, pendant
ces années de guerre, l'armée a fait de sérieuses
ponctions qui ne sont pas encore entièrement comblées par
les jeunes, et que la motorisation progressive de l'agriculture réduira
sensiblement nos effectifs d'équins pour les remplacer progressivement
par des bovins.
LES BOVIDÉS.
Parallèlement, comment se présente la situation des bovidés
?
Avant 1914, l'Algérie fournissait à la Métropole
de 20 à 25.000 bovins par an. En 1929, cette exportation tombe
à 6.300 têtes pour ne plus porter, en 1939, que sur 5.000
unités.
Par contre, de 1929 à 1938, nos importations d'origine européenne
augmentent en flèche. Ces entrées comportent surtout des
vaches laitières destinées à concourir à l'alimentation
en lait des grandes villes et également quelques taureaux reproducteurs.
En 1919, les statistiques des sacrifices effectués dans les abattoirs
régulièrement surveillés accusent 114.000 bovins
auxquels il conviendrait d'ajouter les abattages qui se font sur les marchés
volants de l'intérieur et qui ne figurent sur aucun relevé
officiel ni officieux. En 1929, le chiffre de bovins sacrifiés
passe à 167.000, puis à 221.000 en 1938 et 249.000 en 1939.
De 1940 à 1945, ce total baisse sérieusement du fait du
rationnement, pour atteindre, en 1946, une quantité de 230.770.
Or, pendant tout ce temps, l'effectif de notre cheptel bovin demeure pratiquement
stationnaire et oscille officiellement entre 800 et 950.000 têtes.
Nos besoins en viande de boeuf augmentent constamment et nos ressources
en lait, en raison de l'usure de nos laitières d'origine européenne
se sont fortement amenuisées, ce qui laisse supposer que dans un
proche avenir, nous aurons, dans ce domaine, à payer un lourd tribut
à l'importation.
Les éleveurs algériens se trouvent ainsi vigoureusement
sollicités d'augmenter le nombre et surtout les aptitudes de leurs
bovidés, s'ils veulent satisfaire la demande toujours plus grande
du consommateur. D'assez nombreuses tentatives isolées ont été
faites dans ce sens en divers points du territoire, mais leur influence
sur la situation générale du cheptel bovin reste peu sensible
en raison de la carence alimentaire presque permanente dont souffre le
troupeau local. Rien de bien concret ne pourra être obtenu dans
ce compartiment tant que, pendant huit mois de l'année, 90 % du
cheptel d'Algérie sera condamné à se passer de trèfle
ou de luzerne - seul foin de valeur surtout pour la production laitière
- et qu'il devra se contenter des quelques tiges ligneuses qui garnissent
nos pâtures desséchées.
L'élevage, et surtout l'élevage du bovin ne prospérera
que lorsque l'agriculture lui fournira les fourrages verts qui constituent
les éléments essentiels pour son amélioration.
LE MOUTON.
Voyons maintenant le domaine si spécial du mouton qui, en Algérie,
a donné lieu à bien ries suggestions et a déjà
fait l'objet de tentatives les plus diverses d'exploitation et d'amélioration.
Vers 1855, l'Algérie exportait quelque 30.000 têtes d'ovins.
Des voiliers mettaient sept à huit jours, parfois davantage, pour
déposer à Marseille ou à Sète un millier de
têtes à chaque voyage. Un mouton coûtait alors de 15
à 18 francs et le transport valait environ 5 francs. Il fallait
naturellement nourrir et abreuver les animaux pendant une aussi longue
traversée, et les risques de mer dépassaient souvent le
25 %.
Après 1907, les exportations dépassent fréquemment
le million de têtes par an.
A partir de 1927, la consommation intérieure augmente, l'effectif
des ovins se réduit sensiblement en raison de l'amenuisement des
terrains de parcours constamment grignotés par la charrue, et,
de ce fait, les sorties de moutons vivants d'Algérie se font moins
massives.
De telles saignées annuelles de cheptel furent quelquefois considérées
par certains comme préjudiciables pour l'avenir du troupeau. Cette
opinion ne peut retenir sérieusement l'attention, car effectivement,
la majeure partie des animaux d'exportation constituait un excédent
qui aurait dangereusement surchargé le pâturage en augmentant
outre mesure la densité de la population ovine.
C'est, hélas ! ce qu'on a pu observer en 1945, lorsque les éleveurs
musulmans ayant capitalisé tout leur avoir sous forme de moutons
dans la crainte d'une dépréciation de la monnaie, ont vu
leurs troupeaux, alors pléthoriques, fondre comme neige au soleil
parce que les pâturages déficients ne pouvaient plus en supporter
la trop lourde chargé. De 3 à 4 millions d'ovins ont ainsi
disparu en quelques semaines, sens profit pour personne.
Aux exportations sur pieds, il faut ajouter les expéditions
sous forme de carcasses qui, de 1932 à 1939, ont subi une augmentation
constante et ont atteint 17.898 quintaux en 1938.
Enfin, depuis 1927, la consommation intérieure a subi une hausse
sensible. C'est ainsi que si l'on abattait 693.000 moutons en 1919 dans
les abattoirs officiellement contrôlés, on en avait 931.000
en 1929, 1.350.000 en 1938, et, après une très forte baisse
pendant ces dernières années de rationnement, le taux des
sacrifices atteignait 1.393.000 têtes en 1945. Cet te année,
du fait des pertes subies par le cheptel et en raison également
du prix très élevé de la viande, on observe de nouveau
une légère diminution de la consommation qui a atteint 933.759
têtes.
Dans toutes ces évaluations, il n'est évidemment pas tenu
compte des animaux abattus sur les nombreux souks du bled ainsi que de
ceux sacrifiés à domicile à l'occasion des multiples
fêtes rituelles.
Est-ce à dire que notre troupeau d'ovins n'est plus en mesure de
fournir au commerce extérieur un volume important de marchandises
exportables ? Il est pratiquement impossible, dans l'état actuel
de la question, de donner une réponse précise. La sécheresse
prolongée de l'an dernier, les tempêtes de neige du Constantinois
durant l'hiver 1944-1945 ont effectué des coupes sombres et il
faut attendre 1948 pour que soient remplacés les morts de faim,
de soif et de froid.
Que seront les pâturages, dans les années à venir
?
Quelles seront la hauteur des pluies et leur répartition ? Il est
difficile de le prévoir.
D'autre part, depuis juin 1943, la fièvre aphteuse s'est implantée
en Algérie. Ses foyers sont disséminés sur tout le
territoire, et le mouton constitue un excellent vecteur du virus ; aussi,
par un arrêté ministériel du 13 juillet 1945, l'importation
en France de tous les animaux vivants des espèces bovine, ovine
et porcine a été interdite. Malgré les récents
travaux des laboratoires vétérinaires et étrangers,
il est encore prématuré d'envisager la possibilité
d'enrayer aisément les ravages de cette redoutable maladie et d'entrevoir
pour un avenir prochain la réouverture des frontières métropolitaines
aux moutons sur pieds en provenance de l'Afrique du Nord.
Enfin, si les transports des moutons par vapeurs aménagés
ont constitué un sensible progrès sur ceux effectués
par voiliers et ont abaissé les risques de mer au voisinage de
zéro, l'avenir de ce commerce d'exportation ne semble plus orienté
vers les mêmes modalités.
Pourquoi, en effet, laisser perdre, sans profit pour personne, tant de
graisse sur les routes qui mènent des lointains pâturages
au port, et aussi dans les cales et lés entreponts surchauffés
des navires ? Pourquoi laisser s'évaporer au cours de ces marches
épuisantes le " bouquet " du gigot algérien, si
vite remplacé, du fait de la fatigue, par ce goût de suint
particulier qui déplait au consommateur européen ?
La technique frigorifique a fait de trop grands progrès au cours
de ces dernières années pour que l'éleveur de ce
pays n'en tienne pas un plus grand compte. Les transports aériens
d'autre part, sont probablement appelés à devenir de dangereux
concurrents pour le chemin de fer et le navire, et, il est à présumer
que des avions gros porteurs transporteront, sous peu, nos moutons abattus
en quelques heures, depuis les lieux de production jusqu'aux grands centres
de consommation métropolitains et même européens.
Le service algérien de l'Élevage a longuement étudié
puis, dès 1944, jeté les bases essentielles de la chaîne
du froid, que devront à l'avenir emprunter les viandes destinées,
à l'exportation. Quelques-uns des maillons de têtes de cette
chaîne sont déjà en voie d'aménagement. Aussi
pensons-nous que le temps n'est pas loin où l'éleveur et
le négociant moutonnier, directement intéressés à
la production d'une viande de qualité, mettront enfin en application,
parce qu'ils en auront apprécié " de visu " les
heureuses conséquences, les règles zootechniques formelles
qui président à l'obtention d'un meilleur cheptel et, au
moment des abattages, les méthodes de travail de la viande sous
froid.
LES CAPRINS.
Si les moutons ont maintes fois, depuis un siècle, fait l'objet
de la sollicitude des Pouvoirs publics et de l'attention des économistes
de ce pays, les caprins, par contre, du fait qu'ils ne s'exportent ni
sur pieds ni en carcasses, ont toujours été considérés
comme quantité négligeable. Or, il n'en est rien. S'il est
vrai qu'ils ne concourent que très peu à l'amélioration
de notre commerce extérieur ils jouent cependant, dans l'économie
intérieure de l'Algérie, un rôle important. Et tout
d'abord, un troupeau de moutons, même et surtout en zone de transhumance,
ne se conçoit pas sans une certaines proportion de caprins. On
admet généralement que chaque troupeau contient environ
1/5e de chèvres. Ces dernières sont la providence des bergers
et de leur famille qu'elles alimentent en lait, en cabris, en peaux pour
la fabrication des outres et des chaussures, en poils pour la confection
des cordages de tente. Elles sont les mères adoptives des agneaux
orphelins, les guides éclairés du troupeau qu'elles précèdent
toujours et que, d'un sûr instinct, elles entraînent vers
les parages où l'herbe est la plus fournie.
En pays accidenté, les caprins constituent avec le mulet et le
buf de l'Atlas, l'élément essentiel de la population
animale. Utilisateurs par excellence des pâtures les plus ingrats
et les plus inaccessibles, ils sont d'une importance primordiale pour
la vie des tribus montagnardes. Chaque famille abrite sous son toit au
moins une chèvre, que l'on nourrit, pendant les durs mois d'hiver,
avec des feuilles de frênes, de peupliers ou de saules récoltées
à la fin de l'été et des tiges de féveroles
ou de pois chiches.
Depuis 1914, les effectifs restent, bon an mal an, identiques à
eux-mêmes et oscillent, d'après les statistiques officielles,
autour de trois millions de têtes.
En 1944, l'Algérie possédait 3.077.287 caprins. En fan,
un est en droit de considérer, en raison justement du caractère
familial de cet élevage, que ce chiffre est bien inférieur
à la réalité et qu'il y aurait en fait un total assez
impressionnant de plus de 5 millions d'individus.
Pendant les années qui ont précédé 1939, la
moyennedes abattages annuels officiellement contrôlés s'établissait
aux environs de 30.000 têtes. Depuis, leur nombre a assez sérieusement
baissé et, en 1946, ils ont atteint 148.077 unités.
Il est bon de préciser, une fois de plus, que ne figurent pas,
dans ces relevés statistiques, les sacrifices opérés
sur les marchés de l'intérieur ni ceux de caractère
familial.
L'Algérie, contrairement à l'opinion erronée généralement
admise outre Méditerranée, est surtout un pays de reliefs
escarpés. Son troupeau de caprins gardera donc, dans l'avenir,
toute son importance. Il mérite à ce titre de retenir notre
attention. Il est, en effet, susceptible de notables améliorations,
plus particulièrement du point de vue du rendement en lait et de
la qualité du poil qu'on pourrait en retirer. De timides essais
d'introduction d'angoras ont naguère été tentés
mais n'ont pas été suivis. Ils mériteraient peut-être
d'être repris et complétés par des études parallèles
sur la chèvre de cachemire.
LES CHAMEAUX.
Il est une autre espèce animale qui, en Algérie, ne laisse
pas d'être assez déconcertante : il s'agit des camélidés.
On serait tenté, à priori, de conclure à une disparition
prochaine de ces êtres anachroniques, aujourd'hui dominés
par l'écrasante supériorité des moyens mécaniques
de transport, qui sillonnent en tous sens le désert ou le franchissent
à tire d'ailes.
Or, ce serait une erreur. En 1913, en effet, les statistiques nous faisaient
possesseurs de 202.000 camélidés ; en 1930, nous en avions
200.000 et, en 1943, il y en a encore 208.000 unités. Que doit-on
en conclure ?
Tout simplement que les pasteurs grands transhumants, malgré tous
leurs désirs d'évolution n'ont, la plupart du temps, que
faire des moyens de transports modernes qui ne leur sont d'aucune utilité
pour la conduite de leurs moutons. Ces derniers, comme aux temps bibliques,
vont toujours cahin- caha, au gré des fantaisies de la pluie. Que
ces orages s'abattent à des dizaines, de kilomètres plus
au Sud, et voilà les troupeaux qui, tout en broutant, se précipitent
vers les pâturages devenus plus nourriciers, accompagnés
des chiens, des ânes et des chameaux, portant femmes, enfants, outres,
réserves de graines, tentes et bagages. La smala, en marche à
travers les immenses steppes du Sud, franchissant allègrement les
lits d'oueds desséchés, les plateaux caillouteux, les zones
ensablées, serait fort embarrassée par le plus beau des
camions.
On peut prévoir à coup sûr, que tant que persistera
ce mode d'élevage transhumant, c'est-à-dire tant que le
désert ne sera pas totalement transformé et abondamment
irrigué par les efforts persévérants de l'homme,
ce qui n'est pas encore pour demain, le chameau restera l'indispensable
portefaix, l'irremplaçable auxiliaire du berger.
Outre son travail, il donne son lait, sa viande, son cuir, ses poils laineux
qui permettent de tisser des tentes et des burnous imperméables
et de tresser les cordes inusables qui serviront à tirer des puits
l'eau qui étanche la soif des bêtes et des gens, à
assujettir les bagages pendant les longs &placements, à entraver
le cheval, le soir, au campement, à fixer enfin la frêle
demeure au sol et à l'y maintenir, lorsque souffle le vent de sable
brûlant ou la glaciale tempête du Nord-ouest.
Le chiffre des camélidés abattus dans les abattoirs régulièrement
surveillés est ,habituellement de peu d'importance : environ 500
en 1938, avec un maximum de près de 2.000 en 1941 t un retour à
la normale d'un peu plus de 800 têtes pour 1946.
Il n'y a donc, dans ce domaine, aucun espoir de perfectionnement. L'action
même du thérapeute s'y heurte à un assez grand nombre
de difficultés parmi lesquelles l'indifférence des pasteurs
et la rétivité des animaux ne sont
pas les moindres. Au demeurant, le chameau est idéalement conformé
pour l'usage auquel il est destiné et ce serait une erreur monstrueuse
que de vouloir le sortir de son milieu naturel et de ses habitudes, sous
prétexte d'amélioration.
LES PORCINS.
Après avoir ainsi succinctement évoqué l'intérêt
économique des fossiles vivants que sont les camélidés,
passons maintenant à des visions plus modernes. Lorsque l'on parle
de porcins, l'image dantesque des abattoirs industriels du Nord ou du
Sud-Amérique se présente aussitôt à l'esprit
; mais nous n'en sommes pas encore là en Algérie !
De toutes les espèces domestiques, les suidés sont ceux
qui ont subi et qui subissent encore dans une large mesure les effets
les plus nets de la pénurie d'aliments concentrés ou amylacés.
Les fluctuations de ce cheptel ont, de tout temps,. en Algérie,
été considérables. Les années de céréales
abondantes le font se reconstituer avec une extraordinaire et surprenante
rapidité.
Notre pays a toujours été fortement importateur de porcs.
Nos fournisseurs habituels étaient la Tunisie et surtout le Maroc,
pour les porcs charcutiers, et la Métropole pour les géniteurs
améliorés craônais et yorkshire large white de préférence.
Ces importations de porcins vivants n'ont fait que croître depuis
1910 jusqu'en 1939. De 1940 à 1945, chacun des pays du Nord de
l'Afrique a pratiqué une féroce autarcie alimentaire, de
sorte que Tunisiens et Marocains ont gardé leurs porcs pendant
qu'ici nous perdions le goût de leur chair.
Nos effectifs presque entièrement détruits par la pénurie
d'aliments, et, il faut le dire, par les règlements draconiens
et tracassiers qui en codifiaient l'élevage, la circulation et
l'abattage, sont aujourd'hui en bonne voie de reconstitution, du fait
de la prolificité naturelle de cette espèce et de celle
de la race ibérique en particulier qui compose le fond de beaucoup
de porcheries dites familiales.
Cette ascension rapide se maintiendra tant que les cours resteront libres
et rémunérateurs, et aussi tant que l'on pourra trouver
sur le marché les grains, les issues et les tourteaux indispensables.
Grâce aux travaux des savants vétérinaires de l'Institut
Pasteur d'Algérie, la plupart des graves maladies épizootiques
qui prélevaient un si lourd tribut sur cette branche de notre cheptel,
peuvent être aujourd'hui jugulées.
Le traitement rationnel des sous-produits d'abattoirs, de conserveries
de viandes, poissons, fruits et légumes, ainsi que l'orientation
nouvelle que les périmètres irrigués en voie d'aménagement
pourront donner à la culture, doivent permettre de lever la plupart
des obstacles qui s'opposent encore à l'extension d'une production
de qualité, qui soit en mesure de satisfaire les besoins de la
consommation locale, en même temps qu'elle dispensera l'Algérie
des onéreuses importations de produits courants de charcuterie.
En attendant, les abattages officiellement contrôlés ont
baissé de plus de moitié et, alors qu'ils étaient
de 64.000 unités en 1938, ils sont tombés à seulement
25.000 têtes en 1945.
En 1946, ils atteignaient péniblement un chiffre légèrement
supérieur de 30.384 têtes.
Il n'en demeure pas moins que l'exploitation du porc semble, ici, appelée
à un bel avenir. La chaîne du froid, appliquée en
vue de l'exportation des carcasses d'ovin, doit permettre, dans ses tous
premiers maillons, une utilisation du cinquième quartier rationalisée
à l'extrême. Or, pâtés de têtes, terrines
de langues, pour plaire à nos goûts d'Européens, nécessitent
l'addition d'une assez forte proportion de têtes, de couennes, de
lard, de graisse ou de foie de porc. Des conserves de cette nature ne
se fabriqueront donc que si le cheptel porcin peut répondre à
ces nouveaux besoins.
COMMERCIALISATION.
Après cette rapide esquisse des possibilités d'avenir de
notre cheptel, le commerce des produits de l'élevage va être
examiné succinctement.
L'importance de la consommation intérieure de viande est pratiquement
impossible à préciser, en raison du manque total de relevés
statistiques concernant les sacrifices rituels familiaux et ceux opérés
hebdomadairement sur la multitude de petits marchés qui se tiennent
jusque dans les coins les plus reculés du pays, y compris le lointain
Sahara.
L'Algérie a toujours fait figure de pays gros exportateur de viande.
Or, cette réputation est largement surfaite, puisque déjà,
avant 1939, les viandes mortes ou vives qui en sortaient, arrivaient à
peine à contrebalancer les importations de conserves et charcuteries
de la Métropole ou du Maroc et de viandes fraîches de luxe
de France : aloyaux, veaux de France, volailles de Bresse, etc..,
En réalité, et le semi-blocus dans lequel nous avons vécu
depuis 1940 l'a amplement démontré, les ressources en viande
de ce pays sont actuellement insuffisantes pour satisfaire les exigences
de sa consommation intérieure.
L'accroissement des populations des grandes villes, l'amélioration
de la condition sociale des indigènes ruraux et surtout citadins,
due à la hausse des salaires, aux allocations familiales et aux
prix relativement bas des produits agricoles, font que l'offre arrive
difficilement à satisfaire la demande.
Lorsque, toutefois, l'on parviendra à un meilleur équilibre
de notre économie générale et que les conserves de
toutes natures, la charcuterie, les salaisons et notamment la morue, referont
leur apparition sur les marchés à des prix raisonnables
et en abondance, il est permis de penser que la consommation intérieure
de la viande fraîche diminuera sensiblement, ce qui laissera pour
l'exportation un disponible assez important.
LES CORPS GRAS
En ce qui concerne les corps gras, les statistiques révèlent
que nous étions autrefois exportateurs de suifs. Mais nos expéditions
ont diminué progressivement, puis ont fini par cesser au fur et
à mesure qu'augmentait la population autochtone. Les Musulmans,
en effet, ainsi que les Juifs d'ailleurs, pour des raisons confessionnelles,
ne consomment ni saindoux, ni lards, mais uniquement des huiles ou graisses
végétales, des suifs dé bovins et d'ovins et des
beurres de vaches, de chèvres ou de brebis.
Nos importations de matières grasses d'origine animale ont, pour
des raisons parallèles, sérieusement augmenté. En
1929, nous achetions annuellement 22.000 quintaux de beurres, saindoux
et margarines. Pendant les cinq années qui ont précédé
1939, ces achats ont atteint une moyenne de 30.500 quintaux.
Depuis 1939, il n'est plus possible d'établir de comparaison valable
du fait de la pénurie de matières grasses dont souffre le
monde entier, et la France et l'Afrique du Nord en particulier.
Il est à présumer que si des importations dans ce domaine
reprenaient ad libitum, les introductions pourraient aujourd'hui se chiffrer
par le double de ce qu'elles étaient en 1938.
Nous devons donc nous préoccuper de produire davantage de matières
grasses, tant animales que végétales, si nous voulons que
nos besoins alimentaires en lipides soient satisfaits dans toute la mesure
du possible.
Il y a là un impérieux besoin à résoudre.
LES SOUS-PRODUITS.
Parmi les sous-produits de l'élevage qui contribuent à l'amélioration
de notre balance commerciale, les boyaux d'ovins
et de bovins ont toujours figuré en bonne place.
Les tripiers et industriels qui les préparent sont, en général,
installés à proximité immédiate des grands
centres urbains, de sorte que seuls sont traités les boyaux provenant
d'animaux sacrifiés dans les abattoirs de quelque importance. Tous
ceux qui proviennent des abattages effectués dans les petits centres
ou sur les marchés volants de l'intérieur, ne reçoivent
qu'une utilisation imparfaite et très limitée. Ils servent,
en général, et dans une faible proportion, aux charcutiers
locaux, et également à la confection, par les indigènes,
des petites saucisses de mouton, connues sous le nom de "merguèzes".
La majeure partie de la production est, en fait, pratiquement perdue pour
l'économie.
Il convient, cependant, de noter à ce sujet, que les futurs centres
d'abattages, dont l'édification est prévue sur les lieux
de production du mouton, doivent être équipés en vue
de la récupération intégrale et du traitement le
plus poussé possible, des boyaux de moutons et de bufs.
Avant 1929, l'Algérie exportait annuellement de 1.200 à
1.500 quintaux de boyaux surtout salés, sur la Métropole,
la Suisse, l'Allemagne et les États-Unis.
En 1938, les expéditions ont porté sur 1.045 quintaux auxquels
il convient d'ajouter 370 kg de boyaux séchés destinés
à la fabrication du catgut chirurgical et des cordes harmoniques.
Il s'agit là de produits offrant un double intérêt
: leur exportation améliore en effet notre commerce extérieur
mais, de plus, et de tout temps, des transactions régulières
en cette matière s'opéraient avec l'étranger.
Il apparaît donc essentiel d'organiser, dès à présent,
la récupération systématique des boyaux dans l'Algérie
entière, si l'on veut faire bénéficier le pays de
devises étrangères dont le besoin ne se fait que trop sentir.
Il y a là, en tous cas, une question à ne pas perdre de
vue dans l'avenir.
Les os, les cornes, les sabots, les onglons,
faisaient, en 1939 encore, l'objet d'une notable exportation.
Les usines algériennes actuelles paraissent susceptibles d'absorber
la presque intégralité de ces produits. Cependant, les prix
dérisoires qui sont offerts par les équarrisseurs, les fabricants
d'engrais organiques et les usiniers ou artisans susceptibles d'ouvrer
les cornes ou les os (fabrication des boutons, manches de couteaux, peignes,
poudres d'os, etc...) font que, sauf dans les grands abattoirs, ces sous-produits
ne font l'objet d'aucune collecte sérieuse.
Parallèlement, l'huile de pieds de bufs n'est pratiquement
pas récupérée.
Les abattages rituels, partout pratiqués ici, ne permettent pas,
sauf pour le porc, l'utilisation des sangs
pour la consommation humaine.
Au moins, serait-on en droit de supposer qu'ils servent à l'alimentation
animale, ou, à la rigueur, à la fabrication d'engrais azotés
?
Il n'en est rien. Ceci intéressant les sous-produits de l'élevage
mériterait pourtant davantage d'attention de la part des bouchers
qui en seraient les premiers bénéficiaires, et surtout de
la part des autorités qui président aux destinées
économiques de notre pays.
Sauf à Alger, Boufarik, Blida, Oran et Sidi-bel-Abbès, le
sang n'est pas recueilli, pas plus d'ailleurs que les autres débris
animaux en provenance des abattoirs.
D'énormes quantités dé matières fertilisantes
sont ainsi perdues par l'agriculture qui, pour faire face à ses
besoins, est obligée de recourir à des importations organiques
considérables.
Les ateliers d'équarrissage et usines qui pourraient traiter ces
déchets et débris ne le font pas systématiquement
ni intégralement. Cesétablissements sont au demeurant insuffisamment
nombreux et les 9/10 des abattoirs, tanneries, triperies et boyauderies
de quelque importance se voient dans la nécessité de détruire
ou de laisser perdre ces produits.
Les peaux font, par contre, l'objet
d'une collecte active et donnaient lieu à d'importantes transactions,
tant avec la Métropole qu'avec l'étranger.
Les trois départements peuvent fournir annuellement plus de 1.500.000
peaux de moutons, près de 1.000.000 de peaux de chèvres,
300.000 cuirs de bovidés, 40.000 cuirs d'équidés.
Nos peaux de chèvres étaient recherchées des tanneurs
du monde entier, malgré leur préparation pas toujours suffisante
et les défectuosités provenant de l'égorgement rituel.
Les autres cuirs et peaux devraient avoir toutes les qualités réclamées
par la tannerie moderne. Il n'en est malheureusement pas ainsi.
Enfin, l'inhabileté chronique des dépouilleurs fait que
ces produits sont lardés de coutelures ou déchirés,
ce qui en diminue sérieusement la valeur. Faute de sanctions suffisamment
sévères dans les abattoirs, toutes les tentatives d'amélioration
de la dépouille ont toujours été vouées à
l'insuccès.
Par ailleurs, cuirs et peaux étant depuis 1940 agréés
par des collecteurs officiels, à peu près aux mêmes
prix qu'en 1939, les bouchers se préoccupent peu de donner à
ce travail de dépouille toute l'attention et tout le soin désirables.
Enfin, la présence du varron, contre lequel toute lutte systématique
apparaît ici comme à peu près illusoire en raison
de l'absence totale de discipline chez les éleveurs, musulmans
dans les 9/10° des cas, déprécie également les
cuirs de bovins dans de très fortes proportions.
Les besoins de l'industrie locale peuvent, en temps normal, être
estimés à environ le quart de la production. Les excédents
allaient pour les 3/5è en France et les 2/5è à l'étranger.
En 1929, les exportations se sont élevées à 14.376
quintaux de peaux de grand format, 130 quintaux de peau de mouton, 16
quintaux d'agneau, 122 quintaux de chevreau, 17.527 quintaux de chèvre
et 622 quintaux de veau.
En 1939, les exportations sur la France, les pays étrangers et
les colonies françaises se sont élevées à
79 quintaux pour les cuirs et 24.356 quintaux pour les peaux, représentant
une valeur moyenne de : 25.171.000 francs.
I
l est regrettable que les tanneries locales en soient encore restées
à ces procédés si archaïques de traitement,
et qu'elles né se soient pas mises en mesure de ne livrer à
l'exportation que des produits finis.
L'Algérie a, dans ce domaine, un très gros effort à
faire.
LES LAINES
Nos laines sont encore loin d'atteindre la bonne qualité moyenne
exigée par le marché international. Elles sont trop souvent
courtes, jarreuses, chardonnées, souillées, sableuses, parfois
même falsifiées.
Ceux qui ont eu l'occasion d'assister à la tonte en plein vent,
sur une aire sale, couverte de poussière et de sable, au moyen
d'instruments rudimentaires, ne s'étonneront pas des reproches
faits à ce produit de notre élevage.
Mais si les souillures, les falsifications, la tonte, peuvent être
évitées ou améliorées, le défaut essentiel
que constitué la présence de jarre ne disparaîtra
que par une élimination systématique des géniteurs
qui en sont porteurs. Il ne peut s'agir là que d'un effort persévérant,
qui demanderait à être poursuivi pendant au moins deux ou
trois lustres.
La récolte officielle annuelle moyenne des cinq années qui
ont précédé la guerre s'est élevée
à : 68.698 quintaux. Les quantités commercialisées
pendant la même période ont été de 75.178 quintaux
que l'Algérie exportait en majeure partie sur la Métropole.
Ces exportations représentaient une valeur annuelle moyenne de
40.639.000 francs en francs de l'époque. Durant les années
de semi-isolemént que nous venons de subir, les industries locales
des filatures et tissages, de caractère artisanal surtout, ont
fait de très notables progrès et sont maintenant en état
d'absorber la majeure partie de la production.
Il est probable que lorsque l'Algérie recevra de nouveau de la
Métropole ou dé l'étranger des tissus d'habillement
de qualité, nos industries locales devront, pour vivre, se perfectionner
davantage et s'adapter en vue de la fabrication de produits susceptibles,
soit de supporter la comparaison avec les tissus d'importation, soit,
en raison de leur cachet particulier, de trouver preneurs sur les marchés
extérieurs.
Aux laines, il faut ajouter une certaine quantité de crins d'équidés,
et de poils de chameau et surtout de chèvres, qui faisaient l'objet
d'un notable commerce d'exportation. La récolte de ces produits
portait, avant guerre, sur 3.500 à 4.000 quintaux par an.
Il resterait encore à parler de bien d'autres choses, et en particulier
de la récolte des glandes et tissus pouvant servir à la
fabrication des extraits et produits opothérapiques dont la pénurie
s'est si cruellement fait sentir au cours de ces dernières années.
La question du lait et des produits laitiers mériterait aussi un
long développement.
Mais tout cela dépasserait largement le cadre de cette étude.
De cet exposé, il résulte que l'Algérie ne tire pas
du tout le profit qu'elle devrait de son élevage et des produits
qu'il donne, et qu'en ces années de bouleversements économiques,
il reste, là, matière à un effort impérieux
et urgent.
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