Alger, Algérie : documents algériens
Série économique
Aperçus actuels sur la commercialisation du cheptel algérien et de ses produits *
mise sur site le 24-9-2011
* Document n° 34 de la série : Économique - Paru le 10 octobre 1947 - Rubrique ELEVAGE

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Aperçus actuels sur la commercialisation du cheptel algérien et de ses produits

Le cheptel constitue l'un des plus importants revenus de l'Algérie. Ses aptitudes, il est vrai, sont encore réduites, et de l'insuffisance des industries de transformation de ses produits résulte une importation qui atteignait une valeur de 211 millions de francs en 1929 (en francs de l'époque) et de 286 millions en 1938.

L'examen des statistiques des importations et des exportations permet de constater que jusqu'en 1939, la balance du commerce extérieur comportait un excédent bénéficiaire en notre faveur.

C'est ainsi qu'en 1929, nos exportations de cheptel vif et des produits de l'élevage - laines, peaux, cuirs, boyaux, os, cornes, etc... - donnaient un total de 390 millions de francs, alors que les importations correspondantes - cheptel vif, viandes fraîches, fromages, beurres, laits concentrés ou autres, etc... - s'élevaient comme il vient d'être dit, à 211 millions, d'où un avantage de 179 millions de francs en 1929 pour l'Algérie. En 1938, nous avons encore 286 millions pour les importations et 347 millions pour les exportations, ce qui laissait un bénéfice de 61 millions pour l'économie locale.

LES CHEVAUX.

Jusqu'en 1927, l'exportation dés équidés était supérieure à l'importation. Des éleveurs français venaient chercher ici des animaux jeunes et bien conformés, mais surtout, bien des pays étrangers, au nombre desquels la Grèce, l'Italie, l'Espagne, se disputaient nos chevaux barbes. Les abattoirs marseillais absorbaient également ceux que la fatigue et l'usure rendaient inaptes aux travaux ou au charroi léger.

En 1929, la situation change. D'exportatrice, l'Algérie devient importatrice. En même temps qu'aux chevaux et mulets de gros trait français, elle fait appel aux étalons de Bretagne et aux baudets du Poitou et surtout des Pyrénées et d'Espagne. Pour la traction de ses instruments plus pesants, l'agriculture réclame, en effet, des animaux plus lourds et plus importants. La propagande entreprise par le Service de l'Élevage commence à porter ses fruits : l'utilisation de l'étalon breton comme améliorateur de la race barbe, par croisement continu surtout, se généralise de plus en plus. L'industrie mulassière, grâce aux baudets plus étoffés importés, prend de l'extension.

Après 1929 et jusqu'à la veille de la guerre, le mouvement commercial change encore de sens. Que s'est-il donc passé ? En France, la boucherie hippophagique attire un nombre toujours plus grand de consommateurs. En Espagne, franquistes et républicains ont un besoin accru de chevaux pour remonter leur cavalerie, et l'Italie est profondément engagée dans sa guerre d'Éthiopie où ses effectifs équins fondent littéralement. Les appels aux chevaux algériens se font de plus en plus pressants. La majorité des animaux exportés, il est vrai, est constituée de tarés, d'aveugles, de réformés qui, en l'absence de débouchés locaux suffisants et en raison de leurs prix relativement bas, attire le négoce métropolitain. En 1938, l'Algérie expédie ainsi plus de 16.000 équidés.

Cette saignée ne ralentit pourtant en rien la production, puisque, dé 1929 à 1938, on enregistre une augmentation constante du cheptel équin qui, de 164.000 chevaux passe à 208.000, de 295.000 ânes passe à 348.000 et de 164.000 mulets arrive à 221.000 en 1939.

Ces chiffres n'ont qu'une valeur statistique, mais ils donnent cependant des ordres de grandeur assez démonstratifs

Pendant ce temps, le consommateur algérien des grands centres urbains prend goût, lui aussi, à la viande de cheval, et également à celle d'âne que des bouchers astucieux lui présentent sous le nom de poulain. Le chiffre des abattages ne cesse d'augmenter, pour tripler en quelques années et atteindre 12.651 équidés en 1938, 18.550 en 1940, 28.908 en 1941, 13.852 en 1943, plus de 23.000 en 1944, près de 36.500 en 1945 et un chiffre presque identique pour 1946.

Il est, dans ces conditions, permis de supposer que dans les années à venir, le rythme de nos exportations d'équidés sera appelé à une légère baisse. Cette diminution de nos sorties est d'autant plus à prévoir que, pendant ces années de guerre, l'armée a fait de sérieuses ponctions qui ne sont pas encore entièrement comblées par les jeunes, et que la motorisation progressive de l'agriculture réduira sensiblement nos effectifs d'équins pour les remplacer progressivement par des bovins.

LES BOVIDÉS.

Parallèlement, comment se présente la situation des bovidés ?

Avant 1914, l'Algérie fournissait à la Métropole de 20 à 25.000 bovins par an. En 1929, cette exportation tombe à 6.300 têtes pour ne plus porter, en 1939, que sur 5.000 unités.

Par contre, de 1929 à 1938, nos importations d'origine européenne augmentent en flèche. Ces entrées comportent surtout des vaches laitières destinées à concourir à l'alimentation en lait des grandes villes et également quelques taureaux reproducteurs.

En 1919, les statistiques des sacrifices effectués dans les abattoirs régulièrement surveillés accusent 114.000 bovins auxquels il conviendrait d'ajouter les abattages qui se font sur les marchés volants de l'intérieur et qui ne figurent sur aucun relevé officiel ni officieux. En 1929, le chiffre de bovins sacrifiés passe à 167.000, puis à 221.000 en 1938 et 249.000 en 1939. De 1940 à 1945, ce total baisse sérieusement du fait du rationnement, pour atteindre, en 1946, une quantité de 230.770.

Or, pendant tout ce temps, l'effectif de notre cheptel bovin demeure pratiquement stationnaire et oscille officiellement entre 800 et 950.000 têtes.

Nos besoins en viande de boeuf augmentent constamment et nos ressources en lait, en raison de l'usure de nos laitières d'origine européenne se sont fortement amenuisées, ce qui laisse supposer que dans un proche avenir, nous aurons, dans ce domaine, à payer un lourd tribut à l'importation.
Les éleveurs algériens se trouvent ainsi vigoureusement sollicités d'augmenter le nombre et surtout les aptitudes de leurs bovidés, s'ils veulent satisfaire la demande toujours plus grande du consommateur. D'assez nombreuses tentatives isolées ont été faites dans ce sens en divers points du territoire, mais leur influence sur la situation générale du cheptel bovin reste peu sensible en raison de la carence alimentaire presque permanente dont souffre le troupeau local. Rien de bien concret ne pourra être obtenu dans ce compartiment tant que, pendant huit mois de l'année, 90 % du cheptel d'Algérie sera condamné à se passer de trèfle ou de luzerne - seul foin de valeur surtout pour la production laitière - et qu'il devra se contenter des quelques tiges ligneuses qui garnissent nos pâtures desséchées.

L'élevage, et surtout l'élevage du bovin ne prospérera que lorsque l'agriculture lui fournira les fourrages verts qui constituent les éléments essentiels pour son amélioration.

LE MOUTON.


Voyons maintenant le domaine si spécial du mouton qui, en Algérie, a donné lieu à bien ries suggestions et a déjà fait l'objet de tentatives les plus diverses d'exploitation et d'amélioration.

Vers 1855, l'Algérie exportait quelque 30.000 têtes d'ovins. Des voiliers mettaient sept à huit jours, parfois davantage, pour déposer à Marseille ou à Sète un millier de têtes à chaque voyage. Un mouton coûtait alors de 15 à 18 francs et le transport valait environ 5 francs. Il fallait naturellement nourrir et abreuver les animaux pendant une aussi longue traversée, et les risques de mer dépassaient souvent le 25 %.

Après 1907, les exportations dépassent fréquemment le million de têtes par an.

A partir de 1927, la consommation intérieure augmente, l'effectif des ovins se réduit sensiblement en raison de l'amenuisement des terrains de parcours constamment grignotés par la charrue, et, de ce fait, les sorties de moutons vivants d'Algérie se font moins massives.

De telles saignées annuelles de cheptel furent quelquefois considérées par certains comme préjudiciables pour l'avenir du troupeau. Cette opinion ne peut retenir sérieusement l'attention, car effectivement, la majeure partie des animaux d'exportation constituait un excédent qui aurait dangereusement surchargé le pâturage en augmentant outre mesure la densité de la population ovine.

C'est, hélas ! ce qu'on a pu observer en 1945, lorsque les éleveurs musulmans ayant capitalisé tout leur avoir sous forme de moutons dans la crainte d'une dépréciation de la monnaie, ont vu leurs troupeaux, alors pléthoriques, fondre comme neige au soleil parce que les pâturages déficients ne pouvaient plus en supporter la trop lourde chargé. De 3 à 4 millions d'ovins ont ainsi disparu en quelques semaines, sens profit pour personne.

Aux exportations sur pieds, il faut ajouter les expéditions sous forme de carcasses qui, de 1932 à 1939, ont subi une augmentation constante et ont atteint 17.898 quintaux en 1938.

Enfin, depuis 1927, la consommation intérieure a subi une hausse sensible. C'est ainsi que si l'on abattait 693.000 moutons en 1919 dans les abattoirs officiellement contrôlés, on en avait 931.000 en 1929, 1.350.000 en 1938, et, après une très forte baisse pendant ces dernières années de rationnement, le taux des sacrifices atteignait 1.393.000 têtes en 1945. Cet te année, du fait des pertes subies par le cheptel et en raison également du prix très élevé de la viande, on observe de nouveau une légère diminution de la consommation qui a atteint 933.759 têtes.

Dans toutes ces évaluations, il n'est évidemment pas tenu compte des animaux abattus sur les nombreux souks du bled ainsi que de ceux sacrifiés à domicile à l'occasion des multiples fêtes rituelles.

Est-ce à dire que notre troupeau d'ovins n'est plus en mesure de fournir au commerce extérieur un volume important de marchandises exportables ? Il est pratiquement impossible, dans l'état actuel de la question, de donner une réponse précise. La sécheresse prolongée de l'an dernier, les tempêtes de neige du Constantinois durant l'hiver 1944-1945 ont effectué des coupes sombres et il faut attendre 1948 pour que soient remplacés les morts de faim, de soif et de froid.

Que seront les pâturages, dans les années à venir ?

Quelles seront la hauteur des pluies et leur répartition ? Il est difficile de le prévoir.

D'autre part, depuis juin 1943, la fièvre aphteuse s'est implantée en Algérie. Ses foyers sont disséminés sur tout le territoire, et le mouton constitue un excellent vecteur du virus ; aussi, par un arrêté ministériel du 13 juillet 1945, l'importation en France de tous les animaux vivants des espèces bovine, ovine et porcine a été interdite. Malgré les récents travaux des laboratoires vétérinaires et étrangers, il est encore prématuré d'envisager la possibilité d'enrayer aisément les ravages de cette redoutable maladie et d'entrevoir pour un avenir prochain la réouverture des frontières métropolitaines aux moutons sur pieds en provenance de l'Afrique du Nord.

Enfin, si les transports des moutons par vapeurs aménagés ont constitué un sensible progrès sur ceux effectués par voiliers et ont abaissé les risques de mer au voisinage de zéro, l'avenir de ce commerce d'exportation ne semble plus orienté vers les mêmes modalités.

Pourquoi, en effet, laisser perdre, sans profit pour personne, tant de graisse sur les routes qui mènent des lointains pâturages au port, et aussi dans les cales et lés entreponts surchauffés des navires ? Pourquoi laisser s'évaporer au cours de ces marches épuisantes le " bouquet " du gigot algérien, si vite remplacé, du fait de la fatigue, par ce goût de suint particulier qui déplait au consommateur européen ?

La technique frigorifique a fait de trop grands progrès au cours de ces dernières années pour que l'éleveur de ce pays n'en tienne pas un plus grand compte. Les transports aériens d'autre part, sont probablement appelés à devenir de dangereux concurrents pour le chemin de fer et le navire, et, il est à présumer que des avions gros porteurs transporteront, sous peu, nos moutons abattus en quelques heures, depuis les lieux de production jusqu'aux grands centres de consommation métropolitains et même européens.

Le service algérien de l'Élevage a longuement étudié puis, dès 1944, jeté les bases essentielles de la chaîne du froid, que devront à l'avenir emprunter les viandes destinées, à l'exportation. Quelques-uns des maillons de têtes de cette chaîne sont déjà en voie d'aménagement. Aussi pensons-nous que le temps n'est pas loin où l'éleveur et le négociant moutonnier, directement intéressés à la production d'une viande de qualité, mettront enfin en application, parce qu'ils en auront apprécié " de visu " les heureuses conséquences, les règles zootechniques formelles qui président à l'obtention d'un meilleur cheptel et, au moment des abattages, les méthodes de travail de la viande sous froid.

LES CAPRINS.

Si les moutons ont maintes fois, depuis un siècle, fait l'objet de la sollicitude des Pouvoirs publics et de l'attention des économistes de ce pays, les caprins, par contre, du fait qu'ils ne s'exportent ni sur pieds ni en carcasses, ont toujours été considérés comme quantité négligeable. Or, il n'en est rien. S'il est vrai qu'ils ne concourent que très peu à l'amélioration de notre commerce extérieur ils jouent cependant, dans l'économie intérieure de l'Algérie, un rôle important. Et tout d'abord, un troupeau de moutons, même et surtout en zone de transhumance, ne se conçoit pas sans une certaines proportion de caprins. On admet généralement que chaque troupeau contient environ 1/5e de chèvres. Ces dernières sont la providence des bergers et de leur famille qu'elles alimentent en lait, en cabris, en peaux pour la fabrication des outres et des chaussures, en poils pour la confection des cordages de tente. Elles sont les mères adoptives des agneaux orphelins, les guides éclairés du troupeau qu'elles précèdent toujours et que, d'un sûr instinct, elles entraînent vers les parages où l'herbe est la plus fournie.

En pays accidenté, les caprins constituent avec le mulet et le bœuf de l'Atlas, l'élément essentiel de la population animale. Utilisateurs par excellence des pâtures les plus ingrats et les plus inaccessibles, ils sont d'une importance primordiale pour la vie des tribus montagnardes. Chaque famille abrite sous son toit au moins une chèvre, que l'on nourrit, pendant les durs mois d'hiver, avec des feuilles de frênes, de peupliers ou de saules récoltées à la fin de l'été et des tiges de féveroles ou de pois chiches.

Depuis 1914, les effectifs restent, bon an mal an, identiques à eux-mêmes et oscillent, d'après les statistiques officielles, autour de trois millions de têtes.

En 1944, l'Algérie possédait 3.077.287 caprins. En fan, un est en droit de considérer, en raison justement du caractère familial de cet élevage, que ce chiffre est bien inférieur à la réalité et qu'il y aurait en fait un total assez impressionnant de plus de 5 millions d'individus.

Pendant les années qui ont précédé 1939, la moyennedes abattages annuels officiellement contrôlés s'établissait aux environs de 30.000 têtes. Depuis, leur nombre a assez sérieusement baissé et, en 1946, ils ont atteint 148.077 unités.

Il est bon de préciser, une fois de plus, que ne figurent pas, dans ces relevés statistiques, les sacrifices opérés sur les marchés de l'intérieur ni ceux de caractère familial.

L'Algérie, contrairement à l'opinion erronée généralement admise outre Méditerranée, est surtout un pays de reliefs escarpés. Son troupeau de caprins gardera donc, dans l'avenir, toute son importance. Il mérite à ce titre de retenir notre attention. Il est, en effet, susceptible de notables améliorations, plus particulièrement du point de vue du rendement en lait et de la qualité du poil qu'on pourrait en retirer. De timides essais d'introduction d'angoras ont naguère été tentés mais n'ont pas été suivis. Ils mériteraient peut-être d'être repris et complétés par des études parallèles sur la chèvre de cachemire.

LES CHAMEAUX.

Il est une autre espèce animale qui, en Algérie, ne laisse pas d'être assez déconcertante : il s'agit des camélidés.

On serait tenté, à priori, de conclure à une disparition prochaine de ces êtres anachroniques, aujourd'hui dominés par l'écrasante supériorité des moyens mécaniques de transport, qui sillonnent en tous sens le désert ou le franchissent à tire d'ailes.

Or, ce serait une erreur. En 1913, en effet, les statistiques nous faisaient possesseurs de 202.000 camélidés ; en 1930, nous en avions 200.000 et, en 1943, il y en a encore 208.000 unités. Que doit-on en conclure ?

Tout simplement que les pasteurs grands transhumants, malgré tous leurs désirs d'évolution n'ont, la plupart du temps, que faire des moyens de transports modernes qui ne leur sont d'aucune utilité pour la conduite de leurs moutons. Ces derniers, comme aux temps bibliques, vont toujours cahin- caha, au gré des fantaisies de la pluie. Que ces orages s'abattent à des dizaines, de kilomètres plus au Sud, et voilà les troupeaux qui, tout en broutant, se précipitent vers les pâturages devenus plus nourriciers, accompagnés des chiens, des ânes et des chameaux, portant femmes, enfants, outres, réserves de graines, tentes et bagages. La smala, en marche à travers les immenses steppes du Sud, franchissant allègrement les lits d'oueds desséchés, les plateaux caillouteux, les zones ensablées, serait fort embarrassée par le plus beau des camions.

On peut prévoir à coup sûr, que tant que persistera ce mode d'élevage transhumant, c'est-à-dire tant que le désert ne sera pas totalement transformé et abondamment irrigué par les efforts persévérants de l'homme, ce qui n'est pas encore pour demain, le chameau restera l'indispensable portefaix, l'irremplaçable auxiliaire du berger.

Outre son travail, il donne son lait, sa viande, son cuir, ses poils laineux qui permettent de tisser des tentes et des burnous imperméables et de tresser les cordes inusables qui serviront à tirer des puits l'eau qui étanche la soif des bêtes et des gens, à assujettir les bagages pendant les longs &placements, à entraver le cheval, le soir, au campement, à fixer enfin la frêle demeure au sol et à l'y maintenir, lorsque souffle le vent de sable brûlant ou la glaciale tempête du Nord-ouest.

Le chiffre des camélidés abattus dans les abattoirs régulièrement surveillés est ,habituellement de peu d'importance : environ 500 en 1938, avec un maximum de près de 2.000 en 1941 t un retour à la normale d'un peu plus de 800 têtes pour 1946.

Il n'y a donc, dans ce domaine, aucun espoir de perfectionnement. L'action même du thérapeute s'y heurte à un assez grand nombre de difficultés parmi lesquelles l'indifférence des pasteurs et la rétivité
des animaux ne sont pas les moindres. Au demeurant, le chameau est idéalement conformé pour l'usage auquel il est destiné et ce serait une erreur monstrueuse que de vouloir le sortir de son milieu naturel et de ses habitudes, sous prétexte d'amélioration.

LES PORCINS.

Après avoir ainsi succinctement évoqué l'intérêt économique des fossiles vivants que sont les camélidés, passons maintenant à des visions plus modernes. Lorsque l'on parle de porcins, l'image dantesque des abattoirs industriels du Nord ou du Sud-Amérique se présente aussitôt à l'esprit ; mais nous n'en sommes pas encore là en Algérie !

De toutes les espèces domestiques, les suidés sont ceux qui ont subi et qui subissent encore dans une large mesure les effets les plus nets de la pénurie d'aliments concentrés ou amylacés.

Les fluctuations de ce cheptel ont, de tout temps,. en Algérie, été considérables. Les années de céréales abondantes le font se reconstituer avec une extraordinaire et surprenante rapidité.

Notre pays a toujours été fortement importateur de porcs. Nos fournisseurs habituels étaient la Tunisie et surtout le Maroc, pour les porcs charcutiers, et la Métropole pour les géniteurs améliorés craônais et yorkshire large white de préférence.

Ces importations de porcins vivants n'ont fait que croître depuis 1910 jusqu'en 1939. De 1940 à 1945, chacun des pays du Nord de l'Afrique a pratiqué une féroce autarcie alimentaire, de sorte que Tunisiens et Marocains ont gardé leurs porcs pendant qu'ici nous perdions le goût de leur chair.
Nos effectifs presque entièrement détruits par la pénurie d'aliments, et, il faut le dire, par les règlements draconiens et tracassiers qui en codifiaient l'élevage, la circulation et l'abattage, sont aujourd'hui en bonne voie de reconstitution, du fait de la prolificité naturelle de cette espèce et de celle de la race ibérique en particulier qui compose le fond de beaucoup de porcheries dites familiales.

Cette ascension rapide se maintiendra tant que les cours resteront libres et rémunérateurs, et aussi tant que l'on pourra trouver sur le marché les grains, les issues et les tourteaux indispensables.

Grâce aux travaux des savants vétérinaires de l'Institut Pasteur d'Algérie, la plupart des graves maladies épizootiques qui prélevaient un si lourd tribut sur cette branche de notre cheptel, peuvent être aujourd'hui jugulées.

Le traitement rationnel des sous-produits d'abattoirs, de conserveries de viandes, poissons, fruits et légumes, ainsi que l'orientation nouvelle que les périmètres irrigués en voie d'aménagement pourront donner à la culture, doivent permettre de lever la plupart des obstacles qui s'opposent encore à l'extension d'une production de qualité, qui soit en mesure de satisfaire les besoins de la consommation locale, en même temps qu'elle dispensera l'Algérie des onéreuses importations de produits courants de charcuterie.

En attendant, les abattages officiellement contrôlés ont baissé de plus de moitié et, alors qu'ils étaient de 64.000 unités en 1938, ils sont tombés à seulement 25.000 têtes en 1945.

En 1946, ils atteignaient péniblement un chiffre légèrement supérieur de 30.384 têtes.

Il n'en demeure pas moins que l'exploitation du porc semble, ici, appelée à un bel avenir. La chaîne du froid, appliquée en vue de l'exportation des carcasses d'ovin, doit permettre, dans ses tous premiers maillons, une utilisation du cinquième quartier rationalisée à l'extrême. Or, pâtés de têtes, terrines de langues, pour plaire à nos goûts d'Européens, nécessitent l'addition d'une assez forte proportion de têtes, de couennes, de lard, de graisse ou de foie de porc. Des conserves de cette nature ne se fabriqueront donc que si le cheptel porcin peut répondre à ces nouveaux besoins.

COMMERCIALISATION.

Après cette rapide esquisse des possibilités d'avenir de notre cheptel, le commerce des produits de l'élevage va être examiné succinctement.
L'importance de la consommation intérieure de viande est pratiquement impossible à préciser, en raison du manque total de relevés statistiques concernant les sacrifices rituels familiaux et ceux opérés hebdomadairement sur la multitude de petits marchés qui se tiennent jusque dans les coins les plus reculés du pays, y compris le lointain Sahara.

L'Algérie a toujours fait figure de pays gros exportateur de viande. Or, cette réputation est largement surfaite, puisque déjà, avant 1939, les viandes mortes ou vives qui en sortaient, arrivaient à peine à contrebalancer les importations de conserves et charcuteries de la Métropole ou du Maroc et de viandes fraîches de luxe de France : aloyaux, veaux de France, volailles de Bresse, etc..,

En réalité, et le semi-blocus dans lequel nous avons vécu depuis 1940 l'a amplement démontré, les ressources en viande de ce pays sont actuellement insuffisantes pour satisfaire les exigences de sa consommation intérieure.

L'accroissement des populations des grandes villes, l'amélioration de la condition sociale des indigènes ruraux et surtout citadins, due à la hausse des salaires, aux allocations familiales et aux prix relativement bas des produits agricoles, font que l'offre arrive difficilement à satisfaire la demande.

Lorsque, toutefois, l'on parviendra à un meilleur équilibre de notre économie générale et que les conserves de toutes natures, la charcuterie, les salaisons et notamment la morue, referont leur apparition sur les marchés à des prix raisonnables et en abondance, il est permis de penser que la consommation intérieure de la viande fraîche diminuera sensiblement, ce qui laissera pour l'exportation un disponible assez important.

LES CORPS GRAS

En ce qui concerne les corps gras, les statistiques révèlent que nous étions autrefois exportateurs de suifs. Mais nos expéditions ont diminué progressivement, puis ont fini par cesser au fur et à mesure qu'augmentait la population autochtone. Les Musulmans, en effet, ainsi que les Juifs d'ailleurs, pour des raisons confessionnelles, ne consomment ni saindoux, ni lards, mais uniquement des huiles ou graisses végétales, des suifs dé bovins et d'ovins et des beurres de vaches, de chèvres ou de brebis.

Nos importations de matières grasses d'origine animale ont, pour des raisons parallèles, sérieusement augmenté. En 1929, nous achetions annuellement 22.000 quintaux de beurres, saindoux et margarines. Pendant les cinq années qui ont précédé 1939, ces achats ont atteint une moyenne de 30.500 quintaux.

Depuis 1939, il n'est plus possible d'établir de comparaison valable du fait de la pénurie de matières grasses dont souffre le monde entier, et la France et l'Afrique du Nord en particulier.

Il est à présumer que si des importations dans ce domaine reprenaient ad libitum, les introductions pourraient aujourd'hui se chiffrer par le double de ce qu'elles étaient en 1938.

Nous devons donc nous préoccuper de produire davantage de matières grasses, tant animales que végétales, si nous voulons que nos besoins alimentaires en lipides soient satisfaits dans toute la mesure du possible.

Il y a là un impérieux besoin à résoudre.

LES SOUS-PRODUITS.


Parmi les sous-produits de l'élevage qui contribuent à l'amélioration de notre balance commerciale, les boyaux d'ovins et de bovins ont toujours figuré en bonne place.

Les tripiers et industriels qui les préparent sont, en général, installés à proximité immédiate des grands centres urbains, de sorte que seuls sont traités les boyaux provenant d'animaux sacrifiés dans les abattoirs de quelque importance. Tous ceux qui proviennent des abattages effectués dans les petits centres ou sur les marchés volants de l'intérieur, ne reçoivent qu'une utilisation imparfaite et très limitée. Ils servent, en général, et dans une faible proportion, aux charcutiers locaux, et également à la confection, par les indigènes, des petites saucisses de mouton, connues sous le nom de "merguèzes". La majeure partie de la production est, en fait, pratiquement perdue pour l'économie.

Il convient, cependant, de noter à ce sujet, que les futurs centres d'abattages, dont l'édification est prévue sur les lieux de production du mouton, doivent être équipés en vue de la récupération intégrale et du traitement le plus poussé possible, des boyaux de moutons et de bœufs.

Avant 1929, l'Algérie exportait annuellement de 1.200 à 1.500 quintaux de boyaux surtout salés, sur la Métropole, la Suisse, l'Allemagne et les États-Unis.

En 1938, les expéditions ont porté sur 1.045 quintaux auxquels il convient d'ajouter 370 kg de boyaux séchés destinés à la fabrication du catgut chirurgical et des cordes harmoniques.

Il s'agit là de produits offrant un double intérêt : leur exportation améliore en effet notre commerce extérieur mais, de plus, et de tout temps, des transactions régulières en cette matière s'opéraient avec l'étranger.

Il apparaît donc essentiel d'organiser, dès à présent, la récupération systématique des boyaux dans l'Algérie entière, si l'on veut faire bénéficier le pays de devises étrangères dont le besoin ne se fait que trop sentir. Il y a là, en tous cas, une question à ne pas perdre de vue dans l'avenir.


Les os, les cornes, les sabots, les onglons, faisaient, en 1939 encore, l'objet d'une notable exportation.

Les usines algériennes actuelles paraissent susceptibles d'absorber la presque intégralité de ces produits. Cependant, les prix dérisoires qui sont offerts par les équarrisseurs, les fabricants d'engrais organiques et les usiniers ou artisans susceptibles d'ouvrer les cornes ou les os (fabrication des boutons, manches de couteaux, peignes, poudres d'os, etc...) font que, sauf dans les grands abattoirs, ces sous-produits ne font l'objet d'aucune collecte sérieuse.
Parallèlement, l'huile de pieds de bœufs n'est pratiquement pas récupérée.

Les abattages rituels, partout pratiqués ici, ne permettent pas, sauf pour le porc, l'utilisation des sangs pour la consommation humaine.

Au moins, serait-on en droit de supposer qu'ils servent à l'alimentation animale, ou, à la rigueur, à la fabrication d'engrais azotés ?

Il n'en est rien. Ceci intéressant les sous-produits de l'élevage mériterait pourtant davantage d'attention de la part des bouchers qui en seraient les premiers bénéficiaires, et surtout de la part des autorités qui président aux destinées économiques de notre pays.

Sauf à Alger, Boufarik, Blida, Oran et Sidi-bel-Abbès, le sang n'est pas recueilli, pas plus d'ailleurs que les autres débris animaux en provenance des abattoirs.

D'énormes quantités dé matières fertilisantes sont ainsi perdues par l'agriculture qui, pour faire face à ses besoins, est obligée de recourir à des importations organiques considérables.

Les ateliers d'équarrissage et usines qui pourraient traiter ces déchets et débris ne le font pas systématiquement ni intégralement. Cesétablissements sont au demeurant insuffisamment nombreux et les 9/10 des abattoirs, tanneries, triperies et boyauderies de quelque importance se voient dans la nécessité de détruire ou de laisser perdre ces produits.

Les peaux font, par contre, l'objet d'une collecte active et donnaient lieu à d'importantes transactions, tant avec la Métropole qu'avec l'étranger.

Les trois départements peuvent fournir annuellement plus de 1.500.000 peaux de moutons, près de 1.000.000 de peaux de chèvres, 300.000 cuirs de bovidés, 40.000 cuirs d'équidés.

Nos peaux de chèvres étaient recherchées des tanneurs du monde entier, malgré leur préparation pas toujours suffisante et les défectuosités provenant de l'égorgement rituel.

Les autres cuirs et peaux devraient avoir toutes les qualités réclamées par la tannerie moderne. Il n'en est malheureusement pas ainsi.

Enfin, l'inhabileté chronique des dépouilleurs fait que ces produits sont lardés de coutelures ou déchirés, ce qui en diminue sérieusement la valeur. Faute de sanctions suffisamment sévères dans les abattoirs, toutes les tentatives d'amélioration de la dépouille ont toujours été vouées à l'insuccès.

Par ailleurs, cuirs et peaux étant depuis 1940 agréés par des collecteurs officiels, à peu près aux mêmes prix qu'en 1939, les bouchers se préoccupent peu de donner à ce travail de dépouille toute l'attention et tout le soin désirables.

Enfin, la présence du varron, contre lequel toute lutte systématique apparaît ici comme à peu près illusoire en raison de l'absence totale de discipline chez les éleveurs, musulmans dans les 9/10° des cas, déprécie également les cuirs de bovins dans de très fortes proportions.

Les besoins de l'industrie locale peuvent, en temps normal, être estimés à environ le quart de la production. Les excédents allaient pour les 3/5è en France et les 2/5è à l'étranger.

En 1929, les exportations se sont élevées à 14.376 quintaux de peaux de grand format, 130 quintaux de peau de mouton, 16 quintaux d'agneau, 122 quintaux de chevreau, 17.527 quintaux de chèvre et 622 quintaux de veau.

En 1939, les exportations sur la France, les pays étrangers et les colonies françaises se sont élevées à 79 quintaux pour les cuirs et 24.356 quintaux pour les peaux, représentant une valeur moyenne de : 25.171.000 francs.
I
l est regrettable que les tanneries locales en soient encore restées à ces procédés si archaïques de traitement, et qu'elles né se soient pas mises en mesure de ne livrer à l'exportation que des produits finis.

L'Algérie a, dans ce domaine, un très gros effort à faire.

LES LAINES

Nos laines sont encore loin d'atteindre la bonne qualité moyenne exigée par le marché international. Elles sont trop souvent courtes, jarreuses, chardonnées, souillées, sableuses, parfois même falsifiées.


Ceux qui ont eu l'occasion d'assister à la tonte en plein vent, sur une aire sale, couverte de poussière et de sable, au moyen d'instruments rudimentaires, ne s'étonneront pas des reproches faits à ce produit de notre élevage.

Mais si les souillures, les falsifications, la tonte, peuvent être évitées ou améliorées, le défaut essentiel que constitué la présence de jarre ne disparaîtra que par une élimination systématique des géniteurs qui en sont porteurs. Il ne peut s'agir là que d'un effort persévérant, qui demanderait à être poursuivi pendant au moins deux ou trois lustres.

La récolte officielle annuelle moyenne des cinq années qui ont précédé la guerre s'est élevée à : 68.698 quintaux. Les quantités commercialisées pendant la même période ont été de 75.178 quintaux que l'Algérie exportait en majeure partie sur la Métropole. Ces exportations représentaient une valeur annuelle moyenne de 40.639.000 francs en francs de l'époque. Durant les années de semi-isolemént que nous venons de subir, les industries locales des filatures et tissages, de caractère artisanal surtout, ont fait de très notables progrès et sont maintenant en état d'absorber la majeure partie de la production.

Il est probable que lorsque l'Algérie recevra de nouveau de la Métropole ou dé l'étranger des tissus d'habillement de qualité, nos industries locales devront, pour vivre, se perfectionner davantage et s'adapter en vue de la fabrication de produits susceptibles, soit de supporter la comparaison avec les tissus d'importation, soit, en raison de leur cachet particulier, de trouver preneurs sur les marchés extérieurs.
Aux laines, il faut ajouter une certaine quantité de crins d'équidés, et de poils de chameau et surtout de chèvres, qui faisaient l'objet d'un notable commerce d'exportation. La récolte de ces produits portait, avant guerre, sur 3.500 à 4.000 quintaux par an.
Il resterait encore à parler de bien d'autres choses, et en particulier de la récolte des glandes et tissus pouvant servir à la fabrication des extraits et produits opothérapiques dont la pénurie s'est si cruellement fait sentir au cours de ces dernières années. La question du lait et des produits laitiers mériterait aussi un long développement.

Mais tout cela dépasserait largement le cadre de cette étude.

De cet exposé, il résulte que l'Algérie ne tire pas du tout le profit qu'elle devrait de son élevage et des produits qu'il donne, et qu'en ces années de bouleversements économiques, il reste, là, matière à un effort impérieux et urgent.