Caves coopératives
de la région de Mascara
HISTORIQUE
La première coopérative viticole de la région fut
créée à Mascara, en mars 1924, et prit le nom de
cette ville : elle s'inscrivait dans un faisceau d'institutions de mutualité,
dont le syndicat agricole fut, en 1895, la première réalisation
Cette chambre syndicale devint, en 1903, après fusion avec le comice
agricole, le " Syndicat professionnel agricole et viticole de la
région de Mascara " qui porta, tout de suite, aux vignobles
une attention particulière. En 1919, le syndicat participe à
la création de la Caisse locale de crédit agricole mutuel
à Mascara, qui devait devenir l'armature financière de tout
le système coopératif de la région. En 1924, le Syndicat
agricole de la plaine d'Eghriss, après dissolution, s'affilie au
Syndicat agricole et viticole de Mascara. Un laboratoire, pour les besoins
de l'agriculture, et des docks silos sont créés, et, la
même année, la Cave coopérative de Mascara est fondée.
Le mouvement devait s'amplifier et, finalement, doter la région,
au cours de quelque huit ans, de neuf caves coopératives portant
ainsi à dix le chiffre actuel de celles-ci. Il est à remarquer
que la progression s'est faite aux approches de la crise, et pendant celle-ci,
en raison des conditions économiques devenues brusquement plus
difficiles pour les viticulteurs et aussi à cause de l'accroissement
de la production causée par les plantations des années 1924-1925.
La liste des caves coopératives fait ressortir la régularité
de leur extension dans la région du vignoble : Thiersville 1928,
Tizi 1930, Mascara coteaux 1931, Maoussa 1931, Ain-Fekkan 1931, Palikao
1931, Dombasle 1931, Oued-Taria 1931, Mascara-Saint-André 1932,
sans compter la Cave des grands vins de Mascara, dont la destination est
différente.
Depuis 1932, il n'a plus été construit de caves coopératives
et le projet d'installation à Aïn-Farès n'a pas encore
été mis à exécution.
PRINCIPES ET BUTS
Ces caves coopératives sont une intéressante manifestation
du mouvement mutualiste fortement développé dans la région
de Mascara. L'aide financière apportée par la Caisse régionale
à ses adhérents n'était pas suffisante pour pallier
un important inconvénient : la rareté des caves. Seuls,
les viticulteurs les plus importants en possédaient pour la transformation
et la conservation de leurs produits, tandis que la majorité se
contentait de vendre ses raisins au commerce, et se trouvait dans une
situation défavorable vis-à-vis des acheteurs. Cette dépendance
pouvait amener quelque injustice, mais la construction d'une cave exigeant
de gros capitaux dont l'immobilisation ou la rentabilité n'est
pas toujours possible, la meilleure solution était donc de grouper
les intérêts dans une coopérative. Outre qu'elle remédie
à l'impossibilité, pour le petit propriétaire, de
créer sa cave et le protège contre la spéculation,
elle lui offre des avantages techniques d'outillage et d'aménagement
qui sont, généralement, l'apanage de la grosse exploitation.
ORGANISATION ADMINISTRATIVE ET JURIDIQUE
Les caves coopératives sont des sociétés civiles
.particulières de personnes à capital et personnel variables
actuellement régis par un décret du 8 janvier 1947 relatif
au statut juridique de la Coopérative agricole en Algérie.
Elles sont dotées de la personnalité civile et relèvent
de la compétence des tribunaux civils.
La société coopérative doit avoir au moins sept membres.
Pour être sociétaire, il faut être viticulteur et posséder,
dans la circonscription, des intérêts rentrant dans le champ
d'action de cette société ; il faut également souscrire
au moins une part, et en principe, une part par hectare. Il faut, d'autre
part, s'engager à utiliser la coopérative pour tout ou partie
des opérations qui peuvent être effectuées par son
intermédiaire, et en conformité des engagements souscrits
lors de l'adhésion. Cependant, les associations agricoles ayant
leur siège ou leur rayon d'action dans la circonscription peuvent
être sociétaires.
Enfin, les caves admettent des usagers qui participent aux frais de gestion
mais non à la gestion et à l'administration. Au bout de
trois ans, les usagers doivent, en principe, devenir sociétaires
ou se retirer, sauf si ce sont des personnes qui ne remplissent pas les
conditions exigées par le statut pour devenir sociétaires.
L'admission est prononcée par le conseil d'administration sous
réserve des garanties qu'il peut être en droit d'exiger.
Le retrait de l'association joue pratiquement peu et il ne doit pas avoir
pour effet de diminuer le capital social au-dessous d'un certain pourcentage.
L'exclusion peut être encourue par ceux qui ne satisfont pas à
leurs engagements.
Le capital social est constitué par des parts nominatives indivisibles,
souscrites par chacun des sociétaires, d'une valeur nominale qui
ne peut être inférieure à cent francs" et transmissible
seulement par voie de cession, avec l'agrément du conseil d'administration.
Ce capital est réparti entre les sociétaires, proportionnellement
aux opérations qu'ils sont susceptibles d'effectuer avec cette
société. Au moment de la souscription, trois dixièmes
doivent être entièrement versés par les sociétaires,
tandis que les six ou sept dixièmes sont empruntés à
la C.A.C.A.M ; l'Algérie accordait, anciennement, une subvention
de un dixième. L'administration a donc encouragé la création
de ces caves par un jeu d'avances et de subventions qui fut particulièrement
utile ; aujourd'hui, ces avances sont remboursées en presque totalité.
Le capital social peut être augmenté sans limitation par
l'adjonction de nouveaux membres ou la souscription de nouvelles parts
par les sociétaires. Il peut être diminué par suite
de démissions, décès, interdictions, faillites ou
déconfitures d'associés : la société n'est
pas dissoute pour autant mais continue ; la veuve et les héritiers
peuvent succéder aux sociétaires décédés.
Le capital social peut être diminué par les reprises d'apports,
jusqu'à concurrence d'un dixième du capital initial ou augmenté
après remboursement intégral de l'avance faite par la C.A.C.A.M.
Les parts des membres sortants sont annulées et ceux-ci ne peuvent
bénéficier, éventuellement, que d'une indemnité.
L'administration et la gestion de la cave coopérative sont confiées
à une assemblée générale et à un conseil
d'administration : le droit de vote à l'assemblée générale
est égal pour tous ; chaque cave est pourvue d'un conseil d'administration
dont les membres sont des sociétaires nommés par l'assemblée
générale au scrutin secret, compte tenu de certaines incompatibilités,
et pour une période de trois ans ; ils sont révocables et
doivent être propriétaires d'au moins cinq parts, les fonctions
sont gratuites. Le conseil se réunit lorsque l'intérêt
de la société l'exige. Les décisions sont prises
à la majorité des membres présents. Ils disposent
des pouvoirs de gestion et d'administration les plus étendus, sauf
ce qui est expressément réservé par les statuts à
l'assemblée générale. Le conseil peut nommer un directeur
qui ne doit pas être un de ses membres. Il ne doit pas exercer,
individuellement, ou par personne interposée, une activité
industrielle ou commerciale Il ne pourra lui être alloué
aucun pourcentage sur le chiffre des opérations réalisées
par la société. Sa rémunération est fixe.
Les dispositions concernant les commissaires aux comptes et l'assemblée
générale sont sensiblement les mêmes que pour les
sociétés civiles ordinaires. Le conseil d'administration
élabore le règlement intérieur, et prend toutes les
dispositions utiles pour l'organisation et le fonctionnement de la cave
: il fixe, notamment, l'époque et assume la direction des vendanges.
Les coopérateurs sont tenus de se soumettre aux dispositions des
statuts et du règlement intérieur. La comptabilité
est tenue à la Caisse régionale.
ORGANISATION FINANCIÈRE
Un des avantages les plus remarquables des caves coopératives est
l'exonération totale d'impôts pour toutes les opérations
qui entrent dans le cadre de leur activité. Le législateur
a ainsi voulu marquer sa sollicitude à l'égard d'un mouvement
qui vient en aide à des individus dont les moyens économiques
sont faibles.
De plus, une organisation du crédit permet de placer à leur
disposition des facilités financières qu'ils n'obtiendraient
pas sans elle : les coopératives sont sociétaires d'elles-mêmes
de la Caisse régionale de crédit agricole mutuel de Mascara,
qui est en liaison avec la C.A.C.A.M. Trois caisses locales dépendent
de la Caisse régionale et coïncident avec des agences à
Palikao, Montgolfier, Mascara.
Les caves coopératives ne traitent que le raisin de leurs adhérents
; elles ne peuvent, en aucun cas, procéder à l'achat de
vendanges ; des sociétaires ou usagers apportent à la cave
leurs vendanges qui sont transformées par celle-ci et, le cas échéant,
vendues par elle, quoique ce courtage ne soit pas obligatoire ; les coopérateurs
peuvent se réserver le droit de vendre, individuellement, leur
quote-part, ou bien la cave peut conserver pour elle le pourcentage qu'elle
vend ; les statuts sont libres de fixer ces dispositions ; la cave emprunte
à la caisse régionale, pour payer les frais généraux
qui seront récupérés en fin de campagne par un prélèvement
sur la vente ; l'inventaire attribue à chaque viticulteur une quantité
de vin estimée en fonctions de son apport ; on lui retient sur
le produit de la vente une fraction pour le service des annuités
de l'emprunt, les charges de frais généraux, l'amortissement
du matériel ou des immeubles. S'il apparaît, après
tous ces prélèvements, un excédent de recettes, le
conseil d'administration en fixe la répartition. Un prélèvement
est effectué pour les réserves, une somme peut être
retenue pour payer au propriétaire un intérêt
fixé par l'assemblée. S'il existe encore un surplus, l'assemblée
décide de son affectation et peut le répartir entre les
sociétaires, à titre de ristourne proportionnelle aux opérations
faites par eux avec la société. Il est à noter que
les sous-produits servent, dans une grande mesure, à payer les
frais généraux.
Le mécanisme financier de ces caves montre qu'elles se proposent
comme unique but de venir en aide à leurs adhérents, à
l'exclusion de toute considération lucrative que les statuts bannissent
formellement.
POSITION DANS LE MOUVEMENT COOPERATIF
Les coopératives sont sous le contrôle du Gouvernement Général
de l'Algérie. Sont, en outre, sous le contrôle de la C.A.C.A.M.,
celles qui ont reçu des avances de cet organisme ou des prêts
des caisses régionales. Ce contrôle, outre les vérifications
qu'il autorise, peut aller, dans certains cas particulièrement
graves, jusqu'à dissoudre le conseil d'administration et le remplacer
par une commission administrative provisoire.
Les coopératives viticoles sont groupées en unions à
l'échelon départemental (unions régionales) et algérien
(fédération algérienne des coopératives).
Ces fédérations ou unions offrent un certain nombre d'avantages,
dont une meilleure défense des intérêts, un règlement
amiable des différends, notamment le cas de chevauchement des zones,
la mise au service des coopératives, d'experts ou de techniques
susceptibles de faciliter leur organisation ou leur fonctionnement.
ASPECT TECHNIQUE
Le vignoble mascaréen s'étend principalement aux abords
immédiats de Mascara, sur une zone de coteaux d'abord, où
la vigne apparaît comme la seule culture existante et possible,
à Mascara, Saint-André, Saint-Hyppolite, Aïn-Farès,
El-Bordj. Ensuite, sur une zone de hautes plaines, à Sonis, Cacherou,
Dombasle. La plaine d'Eghriss et des îlots avoisinants sont moins
bien partagés par la nature à cet égard. Enfin, le
vignoble s'étend encore dans la région de Oaïda et
dans la vallée de l'Oued-Hammam, à BouHanifia, Dublineau
et Oued-Fergoug. Les terres son t peu productives mais donnent un vin
dont la renommée n'est plus à faire. Seule, la région
d'Uzes-le-Duc est vraiment déshéritée. L' ensemble
de la région de Mascara compte 21.000 hectares qui rapportent en
année normale environ 650.000 hectolitres.
Les principaux cépages de la région sont : le carignan,
le cinsault, le morastel, le grenache, le faranah, l'alicante, le grand
noir, le bouschet, le clairette, le semillon, le valencie, le mattereau.
Ils produisent les vins rouges et blancs de qualité supérieure
; les vins rouges et rosés titrent en moyenne 12 à 13°.
Les blancs vont de 14 à 16°. Tous ces vins sont fortement constitués,
d'une valeur alcoolique très élevée, donc d'un bouquet
charpenté, agréablement fruités, présentant
une analyse parfaite de leurs composés et d'une excellente conservation.
D'ailleurs, les vins de Mascara jouissent d'une réputation méritée
tant sur le marché algérien que métropolitain et
même étranger.
A l'heure actuelle, les caves coopératives groupent plus de 250
adhérents, représentant 3.500 hectares et la capacité
totale des cuves atteint 170.000 hectolitres. L'examen de ces chiffres
montre que ces caves s'adressent presque exclusivement à des petits
cultivateurs. Le maximum de terre que possède un sociétaire
est de 40 ha., mais cet exemple est unique et la majorité se situe
aux alentours de 10 ha En outre, suivant les disponibilités, des
usagers européens et musulmans sont libéralement admis et
les sociétés offrent des facilités plus grandes à
ceux qui se trouvent réellement dans une situation économique
précaire. De même, l'admission au rang de sociétaire
est facilitée à ces derniers s'ils le désirent. On
n'exige même pas toujours d'eux qu'ils achètent une part
par hectare de vigne possédé.
Les conditions particulières de la fermentation des raisins en
Algérie, la teneur élevée en sucre, la faible acidité
et la forte température au moment des vendanges, ainsi que la nécessité
de traiter journellement de grosses quantités de raisins, font
que la préparation du vin est une opération délicate.
Les caves coopératives offrent le moyen de l'effectuer dans d'excellentes
conditions par les procédés les plus modernes et dans le
respect de la discipline syndicale, sous la surveillance d'un spécialiste.
L'outillage des caves coopératives est le même pour toutes
: il comporte d'abord un conquet pour recevoir la vendange, conquet qui
donne accès soit à un fouloir-égrappoir pour les
rouges, soit à un pressoir continu pour les blancs et les rosés
; une fosse à vendange en contrebas contient les appareils mécaniques
de foulage et de pompage. La cuverie où s'effectue la première
fermentation, est composée de plusieurs rangées de cuves
en ciment posées sur piliers avec un réservoirà eau
en surélévation, avec des réfrigérants tubulaires
en cuivre pour maintenir la température des moûts en fermentation,
aux alentours de 30°. Plusieurs pompes à vin, fixes ou mobiles,
servent à effectuer les manipulations. La cave d'achèvement
des fermentations et de logement des vins est à demi-souterraine,
séparée de la cuverie et comprend de grandes amphores en
ciment de 250 à 300 hectolitres. Il faut ajouter des pressoirs
hydrauliques pour extraire le vin contenu dans les marcs fermentés
et qui forment les vins de presse, et la fosse à marcs où
les marcs pressés attendent la vente aux distillateurs. La vinification
est basée sur le principe de la fermentation des moûts en
cuves avec chapeau. Il y a lieu d'ajouter méthodiquement, anhydride
sulfureux, acide citrique et acide tartrique.
CONCLUSION
Le système des caves coopératives de la région de
Mascara apparaît aujourd'hui comme ayant donné des résultats
aussi satisfaisants que complets, et les améliorations ne semblent
devoir porter que sur des points accessoires.
La question du vieillissement des vins se, pose, mais en plus de certains
obstacles techniques comme le manque de bois, la situation économique
actuelle fait préférer la vente immédiate des vins
dans de bonnes conditions, au risque d'un vieillissement toujours délicat
dans ces pays, et susceptible de leur apporter des mécomptes, tant
dans le cas de pertes éventuelles que de fluctuation des cours.
Cependant, en dehors de ces caves coopératives, destinées
à vinifier les produits apportés par les sociétaires,
existe une cave coopérative, " Les Grands Vins de Mascara
". sorte de magasin de vente à l'origine destiné seulement
au vieillissement, aujourd'hui à la vente au détail ou en
demi-gros. Cette cave bénéficie d'une cave annexe pour la
transformation, où les vins sont particulièrement bien soignés
(Cave des Coteaux), mais ce couple est une exception, et ailleurs les
caves servent à la vinification et au logement, sans comptoir de
vente
Cette question de la vente a été longtemps controversée,
et on a hésité entre plusieurs solutions ; celle de la vente
sur offres par la cave semble avoir prévalu. Il y aurait peut-être
intérêt également à ce que tous les viticulteurs
de la région de Mascara se groupent pour monter en France une maison
chargée de la vente de leur produit.
Il serait bon également qu'il existe une distillerie coopérative
dans la région pour pallier ainsi les inconvénients de la
vente des marcs aux distillateurs, et permettre l'utilisation rationnelle
des sous-produits. Le problème pour la distillerie se pose dans
1 es mêmes termes qu'il s'est posé pour les caves et sa solution
offre les mêmes avantages.
D'un autre côté, tous les viticulteurs ne font pas partie
de ces caves, les gros exploitants propriétaires de caves en sont
exclus comme n'y ayant pas d'intérêts. Mais un certain nombre
de petits exploitants n'ont pas voulu profiter de ces avantages, par un
souci d'individualisme. Toutefois, ceux-ci adhérent de plus en
plus au mouvement, soit à titre d'usagers, soit à titre
de coopérateurs et la société leur accorde toutes
facilités à cet égard.
Pour ce qui est du cultivateur musulman, étant donné les
prescriptions coraniques et le fait, d'autre part. que la cave n'est pas
habilitée à acheter d es vendanges, il restait volontairement
à l'écart du système, mais la tendance opposée
.se fait jour actuellement, et semble se développer, tandis que
la création d'une section viticole à la S.I.P. de Palikao
n'a pas donné les résultats escomptés.
On peut se demander s'il ne serait pas intéressant de créer
une cave coopérative spéciale dont l'équipement permettrait
d'empêcher la fermentation des moûts, et leur mise en bouteilles
à l'intention des Musulmans.
En conclusion, dans l'arrondissement de Mascara, l'action coopérative,
manifestation vivante de l'esprit d'entraide indispensable entre producteurs
spécialisés, est en, progrès. Après une lente
et laborieuse élaboration du mouvement, les coopératives
viticoles ont atteint un stade presque définitif, Certes, la chaîne
de création doit continuer avec les méthodes modernes imposées
par les interférences mondiales du commerce international
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