Alger, Algérie : documents algériens
Série économique
Situation de l'Agriculture en Algérie
mise sur site le 30-8-2011
* Document n° 31 de la série : Économique - Paru le 8 janvier 1947 - Rubrique AGRICULTURE

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Situation de l'Agriculture en Algérie

C'est un fait d'évidence qu'en Algérie la plus grande partie de la population vit, directement ou indirectement, du sol. De tout temps, les produits agricoles ou forestiers : vins, céréales, fruits, primeurs, moutons, alfa, liège, etc... ont représenté, avec les phosphates et le minerai de fer, l a presque totalité des exportations.

A l'importation, l'Algérie demandait à la Métropole, aux autres pays de l'Empire ou à l'étranger : du sucre, du riz, des huiles de graines, des produits laitiers, des bois, des huiles minérales et essences, du charbon, des tissus de coton, des vêtements, de la lingerie, des automobiles et des machines de toutes sortes.

ÉVOLUTION DE LA SITUATION DE 1940 A 1942.


Dès le pénible armistice de 1940, les agriculteurs algériens européens et indigènes suivirent les conseils des services techniques de l'Administration algérienne relatifs à l'orientation qu'il convenait de donner à leur activité, dont le but essentiel fut et continue d'être, d'assurer une production maxima de denrées alimentaires de première nécessité, tant pour la satisfaction des besoins propres du pays qu'en vue d'apporter au ravitaillement de la Métropole une contribution qui soit la plus élevée possible.

Pourtant, les difficultés de tous ordres qu'ils rencontrent pour assurer l'exploitation intensive de leurs domaines sont allées s'aggravant, et malgré quelques améliorations récentes des moyens de production (carburants, engrais, produits anticryptogamiques), il faut encore se garder de surestimer les possibilités de l'Algérie, qui doit avant tout s'efforcer d'élever le standing d'existence de sa population autochtone demeuré encore assez bas.
Indépendamment des chutes de rendements dues à la pénurie de certains produits et outillages et notamment du matériel de culture mécanique d'importation dont l'agriculture européenne, très " mécanisée ", fait depuis de nombreuses années un large emploi, certains facteurs naturels limitent l'extension des cultures et les résultats qu'on peut en attendre.

" L'influence décisive du climat saisonnier ne peut permettre de prévoir avec certitude, d'une campagne sur l'autre, l'ordre de grandeur que peut atteindre annuellement la satisfaction des besoins propres à l'Algérie et, à fortiori, la part contributive sur laquelle peut compter la Métropole. La succession caractéristique en dents de scie des graphiques de nos productions et de nos exportations, l'allure symptomatique de nos importations périodiques montrent trop que notre économie est irrégulière, que si notre agriculture connaît des années exceptionnelles et pléthoriques (au cours desquelles nos récoltes excédentaires déséquilibraient les marchés), elle connaît trop souvent des années déficitaires nécessitant des importations massives et pressantes de diverses denrées alimentaires ".

" Par ailleurs, l'espace agricole utile algérien est très limité, représentant à peine 14 % de la surface totale de la colonie (soit 30 500.000 ha.) ; les sols exploitables par la production végétale (forêts comprises) ne s'élèvent qu'à 10.000.000 d'hectares environ, sur lesquels les terres labourables occupent : 5.700.000 ha. à peine, exploités annuellement et utilement dans la proportion de 55 % seulement. Cette proportion relativement faible des terres mises en culture annuellement, qui tient au climat nord-africain et à la nécessité impérieuse de pratiquer, dans les zones arides et semi-arides de la céréaliculture, l'assolement biennal (avec une année de jachère), jointe à l'irrégularité pluviométrique et aux excès météoriques qui influent si fortement sur l'étendue des emblavures et à l'importance des récoltes, marque bien la capacité et les limites exactes de production de l'agriculture algérienne ".

Il est cependant possible, par une technique appropriée, de pallier dans une certaine mesure l'influence souvent fâcheuse du climat. C'est l'application de cette technique, résultat des travaux de laboratoires, des stations de recherches, et des colons évolués qui procure déjà à certains agriculteurs européens dans les conditions de sol et de climat comparables, des rendements moyens, constamment supérieurs à ceux obtenus par la grande majorité des fellahs qui sont restés fidèles aux méthodes ancestrales.

De 1939 à 1942, les difficultés constantes et croissantes du trafic maritime ont perturbé les courants commerciaux traditionnels. Ceux-ci furent influencés, en outre, par les obligations nées de l'armistice. La plupart des importations étrangères furent supprimées.

Lors de l'armistice de 1940, il existait des stocks de céréales importants, reliquat de l'excellente année que fut 1939. Dés prélèvements officiels et surtout officieux, au profit des puissances de "Axe, la diminution des rendements dus tant aux conditions climatiques mauvaises de la campagne 1940 qu'a l'amenuisement progressif des moyens de production, les épuisèrent rapidement.

En 1942, à la veille du débarquement allié, le problème le plus grave était celui des carburants. Une distillation intensive et très onéreuse, des excédents de vins ayant produit jusqu'à 772.000 hl. d'alcool pendant la campagne 1940-1941, la transformation du plus grand nombre possible de moteurs pour la marche au gaz de bois ou de charbon de bois ne suppléèrent que très partiellement à l'insuffisance des carburants d'importation.

Par contre, jusqu'à cette date, malgré la mobilisation de 199, suivie du maintien en captivité d'un nombre important de travailleurs, l'Agriculture ne souffrit pas trop du manque de cadres et de main- d'oeuvre.

DE 1942 A 1946.


Après le débarquement allié, la situation de la production agricole ne fut pas, dans l'ensemble, améliorée, car si dès le début de 1943 les importations de carburants et lubrifiants purent reprendre à une cadence croissante, celles du matériel agricole et des produits divers (engrais, semences, produits anticryptogamiques) ne débutèrent que plus tardivement et restèrent constamment inférieures à celles d'avant-guerre, en même temps qu'une mobilisation -atteignant pour les Européens un taux plus élevé que dans les autres pays en guerre, privait les exploitations, comme les ateliers ruraux, de la majeure partie de leurs cadres et de leurs ouvriers spécialisés. Parallèlement, la main-d'œuvre musulmane, elle-même réduite par les appels sous les drapeaux, attirée par des chantiers militaires alliés ou français, trouvant dans des spéculations diverses des ressources faciles, désertait les champs.

Il était fatal, dans ces conditions, malgré l'esprit d'adaptation et l'ingéniosité incontestable des agriculteurs algériens, malgré les efforts de l'administration et les encouragements résultant de la revalorisation des produits agricoles, que la production des principales denrées aille s'amenuisant.

Il en fut ainsi jusqu'àl'été 1945, et si l'on y ajoute les conditions climatiques particulièrement défavorables de cette campagne, on comprend que la production se soit établie cette année-là spécialement pour les céréales à un niveau très inférieur aux besoins du pays.

Depuis la reprise des relations normales avec la Métropole, l'augmentation sensible du tonnage des carburants une amélioration des importations de matériel, qui restent malgré tout très au-dessous des besoins, la démobilisation des cadres et de la main-d'oeuvre, et pour la campagne qui se termine, un climat plus favorable ont permis d'enregistrer une reprise sensible.

L'examen de ces tableaux souligne les efforts accomplis par les agriculteurs algériens pour compenser, dais le mesure du possible, l'insuffisance des importations traditionnelles.

SITUATION DES DIFFÉRENTS SECTEURS.


En matière de carburants et de lubrifiants, on développe l'emploi de l'alcool et la production du charbon de bois pour l'alimentation des gazogènes et la culture de certains oléagineux (ricin).

Pour les cultures maraîchères, on organisa la production locale de certaines semences. C'est ainsi que pour la pomme de terre la production locale des plants contrôlés, nulle avant-guerre, fut entreprise sur les Hauts-Plateaux, atteignit 60 000 q en 1946 et permit, après la suppression des relations avec la Métropole et concurremment avec certaines importations, de maintenir la production aux 3/4 environ de son niveau d'avant-guerre, pendant les années 1943-1944 et 1945 et d'atteindre et même de dépasser ce niveau dès 1946,

      L'Élevage.
Comme clins les périodes de pénurie de main-d'œuvre, l'élevage connut la faveur des agriculteurs européens et musulmans. Les statistiques n'indiquent qu'imparfaitement cette évolution, car tout porte à croire qu'a': début de l'année 1945, qui devait être catastrophique pour l'élevage algérien, les effectifs réels dépassaient 1 million pour les bovins et atteignaient 8 à 9 millions pour les ovins. Cette surcharge des pacages a d'ailleurs contribué à exagérer les fâcheux effets de la sécheresse de 1946.

Actuellement, les effectifs, bien que réduits par la mortalité élevée constatée durant l'été et l'hiver 1945-1946, sont vraisemblablement voisins de ceux d'avant-guerre pour les différentes espèces, à l'exception des ovins dont le nombre doit pouvoir être estimé entre 4 et 5 millions de têtes.

      Organisation professionnelle.

Parallèlement à ces initiatives techniques, les agriculteurs européens et musulmans d'Algérie perfectionnaient l'organisation professionnelle. Sur le plan général, restés réfractaires à l'application de la loi de décembre 1940 créant la " corporation ", ils accueillirent avec plus d" faveur la Confédération Générale de l'Agriculture dont l'Union Algérienne, associant les divers éléments ethniques de la population est en bonne voie de réalisation.
Sur le p.a. coopératif, la pénurie de matériel motorisé les conduisit à multiplier les coopératives d'outillage mécanique, encouragées, d'autre part, par les Services agricoles sous la forme d'attributions prioritaires de tracteurs.

Sans être redevenue normale, la situation s'est donc améliorée et, sauf pour le vignoble dont le vieillissement prématuré et l'excédent des arrachages sur les replantations (60.000 ha.) depuis 1940, ont réduit de près de 40 % le potentiel de production, on peut espérer retrouver rapidement les niveaux de production antérieurs à la guerre. Ce niveau est même déjà dépassé pour la plupart des cultures maraîchères.

ORIENTATION FUTURE DE L'AGRICULTURE.

On ne peut cependant s'en tenir à cet objectif. La nécessité d'améliorer le standing de vie d'une population qui s'accroît de 120 à 150 000 unités chaque année oblige à mettre en œuvre tous les moyens propres à augmenter la production spécialement pour les denrées vivrières de base. Or, comme il n'existe plus, dans les zones favorables, que des étendues restreintes de terres susceptibles d'être défrichées et mises en valeur, c'est par l'amélioration des techniques appliquées aux terres déjà cultivées que l'on peut atteindre le résultat cherché.

L'effort doit porter essentiellement sur l'agriculture musulmane dont les rendements, même sur les sols de bonne qualité, dans les régions à pluviométrie satisfaisante, restent très inférieurs à ceux des agriculteurs européens.

La prospection méthodique et l'aménagement de toutes les ressources hydrauliques, aussi faibles soient-elles, la généralisation des labours préparatoires ou des méthodes de culture profonde pour la production des céréales, l'amélioration des cultures fruitières, la lutte contre la mortalité par maladie ou disette du cheptel, sont parmi les principaux moyens envisagés.

Leur mise en œuvre est grandement facilitée par l'adoption de formules coopératives qui permettent d'utiliser au mieux les moyens encore limités existants. C'est ainsi, comme nous le signalions plus haut, qu'au cours de ces dernières années de nombreuses coopératives se sont créées pour l'utilisation en commun des tracteurs importés.

Dans les milieux musulmans où il faut vaincre des obstacles divers d'ordre économique : faible étendue des propriétés, état rudimentaire de l'équipement, complexité du statut de la propriété foncière, ou psychologique : fatalisme, manque d'esprit de prévoyance, attachement au statut musulman de la propriété, etc..., la tâche est complexe, et ce sera l'oeuvre des S.A.R. (Secteurs d'amélioration rurale) récemment créés, de rechercher et d'appliquer les formules qui, dans chaque cas, permettront d'intéresser les fellahs, de surmonter ces difficultés et d'obtenir cette augmentation indispensable de la production par quoi la France manifestera son souci d'améliorer toujours davantage la condition matérielle de tous ceux qui vivent à l'ombre de son drapeau.

Parallèlement, des mesures heureuses sont intervenues : création, en septembre 1943, d'un Service d'Expérimentation agricole ; création, en août 1946, d'un Conseil algérien de la Recherche scientifiqueappliquée ; assimilation de l'Institut Agricole d'Algérie aux Écoles nationales d'Agriculture ; réorganisation des Stations expérimentales, création d'une importante Station d'élevage, etc.. , qui donneront à la Recherche et à l'Expérimentation agronomique algérienne les moyens de poursuivre leurs travaux, base des futurs progrès de notre agriculture.

C'est en faisant appel à la science et à la technique que la France compte développer, en Algérie, dans le domaine agricole, une œuvre de civilisation qui compte à son actif de magnifiques réalisations.

M. BARBUT,
Inspecteur général de l'Agriculture
au Gouvernement Général.