Alger, Algérie : documents algériens
Série économique
Secteur d'améliorations rurales de la vallée du Guir *
mise sur site le 11-10-2011
* Document n° 36 de la série : Économique - Paru le 25 octobre 1947 - Rubrique PAYSANAT

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Secteur d'améliorations rurales de la vallée du Guir

Le principe de la création du S.A.R. de la vallée du Guir a été approuvé par le Comité Permanent du Paysanat au cour de sa réunion du 30 mai 1947.
Les délibérations de la Commission Municipale de la Commune Mixte de Colomb-Béchar portant organisation de ce S.A.R. ont été approuvées par la Dépêche Gubernatoriale N° 7172 Sud/4 du 9 juin 1947.

SITUATION GEOGRAPHIQUE.

Les terres que se propose de mettre en valeur le S.A.R. sont situées dans la vallée de l'Oued Guir, de part et d'autre du Poste d'Abadla (95 kms S.O. de Colomb-Béchar sur la piste Colomb-Béchar-Tindouf).

Elles appartiennent à la confédération des Douï-Ménia.

Elles sont desservies par un réseau assez serré de pistes et seront réunies à Colomb-Béchar, dans quelques mois, par la voie ferrée du Méditerranée-Niger, ce qui constitue un élément extrêmement intéressant pour le développement futur de la région ( Le terminus de la voie est actuellement (septembre 1947) à 25 km. au Nord d'Abadie.).

oued guir et colomb-bechar
D'après carte Michelin 172, 1958 (Coll.perso)
Montage de deux "morceaux" de carte

APERÇU HISTORIQUE.

Les conditions économiques particulièrement favorables rencontrées dans la vallée du Guir ont attiré l'homme depuis la. plus haute antiquité ainsi que l'attestent les " tumuli ", les outils et les armes de pierre qui abondent dans la région.

En l'an 45 après J. C., sous le règne de l'Empereur Claude, une colonne commandée par Stetonius Paulinus partie de Volubilis aurait, après avoir fran chi l'Atlas, atteint et descendu le fleuve " Guer " jusqu'à son confluent avec la Zousfana. Pline l'Ancien, qui relate cette expédition, mentionne que dans cette région les éléphants vivaient en grand nombre.

Dans le cours des XVIè et XVIIè sièclés, la région passe des mains des Hamyans dans celles des Chenamas pour tomber, il y a deux siècles environ, dans celles des Douï-Ménia qui y sont encore.

ASPECT DE LA VALLEE.

Le Guir prend sa source dans le Haut Atlas marocain ; il draine ainsi les eaux météoriques recueillies par un immense impluvium et coule, en période de crues sur 450 kms environ. Son lit, formé d'alluvions profondes, est encombré par des tamaris et des genêts épineux qui forment, en certains endroits, un véritable maquis haut de plusieurs mètres et difficilement pénétrable. Dans les clairières, les DouïMéfia sèment de l'orge et du blé.

Seule la vallée inférieure, dénommée par les habitants " Bahariat " (Petites Mers) est intéressante du point de vue agricole, car sur 65 kilomètres, le Guir ralentit son cours et coule en faisant de nombreux méandres dans une plaine d'alluvions extrêmément fertile qui atteint sa plus grande largeur, 20 kilomètres environ, à hauteur du Poste d'Abadla.

C'est donc un ensemble de terres de 100 à 200.000 hectares qu'il est possible de mettre en culture ; terres émi.lemment fertiles et dont la richesse est renouvelée à chaque crue par le limon de ce Nil en réduction (En arrivant sur le Guir, le 11 avril 1870, le général de Wipfen écrivait à M. le Gouverneur Général de l'Algérie :
"
J'ai l'honneur, à la date du 11 avril, de rendre compte à Votre Excellence, de mon passage au Kenatsa. De ce point, j'arriverai en trois jours par l'oued Guir au point nommé Bahariat ou les Petites Mers, parce que c'est la partie la plus large de cette riche vallée dont, depuis deux jours déjà, nous admirons la fertilité due aux crues périodiques d'une rivière qui, petite image du Nil, féconde de ses eaux des surfaces très étendues. Aucune vallée du Tell, même les mieux dotées, ne peut donner une idée des vastes terres de culture qui se déroulent à nos yeux, et que de nombreux canaux rendent propres aux produits les plus divers ".).

Régime des crues.
Les crues qui constituent naturellement un des facteurs essentiels du rendement des récoltes ont, en général, le régime suivant :
      - Crue d'Autome : Octobre, Novembre - Labours et semailles ;
      - Crue de Printemps : Février, Mars - 1 mois avant la récolte ;
      - Crue d'Eté : Juillet, août - Inutilisée jusqu'à présent.

Qui n'a pas vu le Guir en crue, ne peut se faire une idée de l'énorme masse d'eau que roule le fleuve. Lorsque l'oued atteint la cote de 1 m. 90 au radier d'Abadla, son débit égale celui du Rhône en crue et le soleil se mire dans un plan d'eau de 7 km de large.

Mais l'expérience a prouvé que, même sans crue de printemps et pour peu que l'on ait pris le soin d'emmagasiner l'eau en automne par des labours profonds, les rendements sont encore honorables (10 à 15 quintaux à l'hectare). Quand la crue de printemps survient au bon moment, on atteint alors des rendements extrêmement élevés et qui sont de l'ordre de 30 à 35 quintaux malgré des méthodes de culture encore rudimentaires et une utilisation défectueuse de l'eau.

Nature juridique des terres.

Les terres cultivables du Guir, dans lesquelles il faut inclure celles servant à la dépaissance d'un troupeau estimé en 1945 à 19.000 têtes (chameaux, moutons et chèvres) sont actuellement réparties entre les différentes tribus qui le composent. Le tableau ci-après résume la composition des khoums :

DOUI-MENIA
KHOUMS
Tentes
Population
Surface cultivée

Proprements dits

 

Ouled   Youcef

Ouled Youcef

288

1.695

160 Ha

Saïdane

65

450

100 —

Amor  

55

320

60 —

Ouled Bou-Amama

Abadla

264

1.810

150 —

Khodra 

175

970

100 —

Idersa

Idersa

245

1.750

160 —

Ouled Djelloul

Messaada

115

840

85 —

Ouled Rezzag  

95

738

75 —

Ouled Belguiz

Ouled Belguiz  

O.Djabbeur 

578

Mdafra

432

O. Bouziane    

474

Motrane

399

Dans chaque tribu, les terres sont partagées par la Djemaâ en terres de labours et terres de parcours. Les terre

s de labours sont réparties entre les différentes fractions composant la tribu, puis affectées par tirage au sort aux différentes tentes.

Une étude des coutumes pratiquées par les Doui-Ménia fait apparaître la nature collective ou "arche des terres de la vall{e du Guir. Depuis la paix française, les grandes lois tribales tendent à être oubliées par les Doui-Ménia, qui se considèrent propriétaires des terrains dont ils ont la jouissance.
Après défrichement, ils peuvent en disposer comme bon leur semble dans le cadre de la tribu (location, vente, rahniya, habous), les femmes sont admises à hériter. Ces terres ne peuvent être aliénées à un étranger que si la Djemaâ ne s'y oppose pas en exerçant le droit de préemption.

Régime des eaux.


Les eaux utilisées pour la submersion des terres appartiennent à l'ensemble de la tribu. Elles font l'objet d'une réglementation très ancienne et très complexe.

Un réseau compliqué de séguias, sans cesse remanié, toujours imparfait, couvre la plaine des Bahariat, comme un réseau sanguin et, tant bien que mal, réussit à irriguer 20 à 30 000 hectares de terres dont le quart, à peine, est actuellement mis en culture et dans de mauvaises conditions.

Tels sont les hommes et le sol sur lesquels s'implante le S.A.R. de la vallée du Guir

RAISONS DE LA CREATION DU S.A.R.

Elles sont d'ordre social, économique et politique :
      - A. - Améliorer le sort des populations par la mise en oeuvre de techniques modernes permettant des récoltes plus importantes et plus régulières.
      - B. - Mettre à la disposition de l'Algérie un contingent élevé de céréales à la période critique précédant la soudure. Les récoltes ont lieu en effet en avril, à un moment où les emblavures des départements du Nord ne comportent encore que des promesses rendues aléatoires par les conditions climatiques.
      - C. - Fixer et recaser les Douï-Ménia.

Cette confédération, qui compte 25 000 âmes environ, est actuellement éparpillée à Abadla, Kenadsa, Oran, Sidi-bel-Abbès et Marrakech, où dans ces dernières villes, déracinée, elle vit en général misérablement.

Aujourd'hui, un tiers seulement des Douï-Ménia vit dans le Guir.

On peut donc normalement espérer le retour d'une partie de la population et sa fixation au sol où elle trouvera désormais sa subsistance.

ACTIVITES DU S.A.R.

Constitution.

Il est constitué par l'ensemble des terres de la vallée dont certaines sont déjà exploitées ou consacrées au parcours conformément à la répartition actuelle.
Toutefois, il sera réservé une superficié de 40 hectares destinés à la création d'une ferme pilote.

Fonctionnement du S.A.R.

      - 1° C'est la Société Indigène de Prévoyance de Colomb-Béchar, présidée par le Chef d'Annexe, qui assure la marche et le financement de l'entreprise durant la période d'attente allant jusqu'à une production rémunératrice,

Le programme actuel de réalisations comprend plusieurs tranches dont chacune fera l'objet d'un projet de budget à la Commission du Paysanat d'Alger.

      - 2° Un chef dé culture, détaché à Abadla, assurera la direction technique et les soins culturaux nécessaires. La main-d'oeuvre est fournie par les intéressés.

Un agent comptable sera chargé de la gestion financière qui s'inspirera de l'exploitation agricole d'Aïn-Témouchent (Comptabilité commerciale en partie double).

      - 3° Les terrains concédés au S.A R étant déjà lotis et cultivés (ou susceptibles de l'être, soit par leurs propriétaires ou leurs représentants), il n'y a pas lieu de procéder à une répartition nouvelle.

      - 4° Le travail du S.A.R. consistera en des :
- Travaux de débroussaillement ;
- Labours préparatoires profonds destinés à ameublir le sol et à permettre une accumulation d'eau plus importante.

Les semailles et la moisson, ainsi que l'irrigation des terrains, seront exécutées par !es propriétaires eux-mêmes auxquels le S.A.R. se contentera d'indiquer les parcelles qui doivent être ensemencées en blé et celles qui doivent l'être en orge.

      - 5° Bien que prévu pour l'ensemble de la Confédération des Doui-Ménia, le S.A R ne fonctionnera dans une première étape qu'en faveur de la tribu des Abadla où existe actuellement un climat favorable à cette réalisation et susceptible, si les résultats obtenus sont satisfaisants, d'entraîner l'adhésion définitive de toutes les tribus.

      - 6° Les produits des terrains cultivés seront répartis entre tous les associés au prorata de la superficie des biens qui leur appartiennent, sans distinction aucune.

Ils seront conservés dans les silos du S A.R., après toutefois que chaque famille aura reçu la part de ses besoins annuels.

Le cinquième de la récolte sera versé au S.A.R. Le matériel et le cheptel seront acquis par la S.I P. Ils seront donc bien " collectifs " et gérés par elle. Pour la gestion et l'amortissement de ce matériel, le S.A.R. disposera en toute propriété de ce cinquième de la réfflite.

Mode d'exploitation.

Les terres à cultiver dans la tribu des Abadla seront portées à 1.000 hectares, comportant un assolement biennal.

Les façons culturales seront effectuées par labours profonds ou par sous-solage au moyen d'un matériel lourd de motoculture, appartenant au S.A.R. et qui permettra, en outre, d'opérer le débroussaillement

Les terres préparées, séparées par des bandes dé broussailles de protection, pour freiner la vitesse des eaux de crue et éviter l'entraînement du sol meuble seront ensemencées dans la proportion d'un tiers en blé, deux tiers en orge Le blé sera semé dans chaque bande en partant du lit de la séguia pour lui réserver le maximum d'eau de crue, l'orge plus rustique et plus précoce occupera le reste de la surface de chaque pièce.

Aux bandes de broussailles seront substituées progressivement et par les soins du S.A.R., des plantations de caroubiers, d'oliviers et de cyprès.

Ferme pilote,

La Ferme-Pilote est destinée à expérimenter :
-- Les techniques collectives de préparation du sol ;
-- Les variétés de céréales à multiplier, qu'elles soient d'origine locale ou qu'elles proviennent d'introductions.

Elle procurera, en outre, les plants nécessaires à la constitution des bandes de protection et diffusera les semences sélectionnées.

ORDRE D'URGENCE DES REALISATIONS.


Pour réussir, il est nécessaire de démarrer avec une extrême prudence aussi, ainsi que cela a été exposé plus haut, le S.A.R. débute modestement avec 1.000 hectares

Le Comité permanent du Paysanat a alloué au S A.R. du Guir, en vue de la mise en oeuvre du programme cultural prévu pour la prochaine campagne agricole :
- Une subvention de DEUX MILLIONS ;
- Une avance de UN MILLION.

Ces sommes ont permis de passer commande du matériel suivant :
- 1 tracteur à chenilles Clétrac, type D.D., équipé avec son éclairage électrique (1 phare avant, 1 phare arrière), avec un radiateur supplémentaire, si possible susceptible d'être transformé pour le démarrage à inertié (déjà livré)
- 2 charrues à 4 et 3 socs, 14 pouces, Mc. Cornick ;
- 1 attelage pour ces deux charrues 4-3 socs ;
- 1 sous-soleuse rondeur n° 161, avec obus dr aîneur ;
- 3 déchaumeuses 14 disques N° 2 Mc. Cornick (une déjà livrée) ;
- 2 attelages pour ces trois déchaumeuses ;
- 1 charrue à six disques.

Il est prévu ultérieurement dans un deuxième stade :
- la construction des bâtiments administratifs du S.A.R , des logements du personnel de direction, des bureaux, des garages et ateliers ;
- et plus tard, au fur et à mesure de ses disponibilités, le S.A.R. acquerra (le nouvelles machines, augmentera d'année en année ses emblavures et commencera la construction de silos, d'habitations rurales, d'écoles et de sa ferme-pilote.

Il est certes audacieux d'essayer de transformer une tribu d'anciens djicheurs en agriculteurs paisibles et de faire entendre le grondement des tracteurs dans une région où il y a vingt à peine claquaient les coups de fusil.

Mais cette audace est justifiée.

Les Doui-Ménia ont compris tout l'intérêt qu'ils pouvaient retirer du S.A.R. et, bien décidés à moderniser leurs façons culturales, se mettent au travail avec une ardeur admirable. Un immense espoir les soulève.

Bien plus, les autres tribus du Sud suivent avec curiosité cet essai d'exploitation collective, cette oeuvre faite pour les Musulmans et par les Musulmans, et qui apportera à cette région deshéritée une richesse insoupçonnée.

La réussite du S.A.R. de la valléé du Guir entraînera la création d'autres S.A R. et bientôt d'autres tribus viendront, comme les Doui-Ménia, demander des conseillers agricoles, des tracteurs et des charrues et offrir leurs terres en échange.

L'année 1947 voit le début d'une oeuvre qui demandera, peur être menée à bien, beaucoup d'efforts ét de continuité dans l'effort. Mais, en l'entreprenant, la. France prouve qu'elle n'a rien perdu de sa vigueur créatrice et de son génie civilisateur. A l'heure actuelle, il n'est pas sans intérêt de le constater et d'en retirer une raison de plus d'avoir foi dans l'avenir.

D'un point de vue plus terre à terre, la mise à la disposition de l'Algérie, dans un avenir rapproché, dé céréales précoces de l'ordre d'un million de quintaux n'est pas non plus sans intérêt.

Colomb-Béchar, le 7 septembre 1947.
Le Colonel QUENARD,
Commandant militaire du Territoire d'Ain-Sefra.