Secteur d'améliorations
rurales de la vallée du Guir
Le principe de la création du S.A.R.
de la vallée du Guir a été approuvé par le
Comité Permanent du Paysanat au cour de sa réunion du 30
mai 1947.
Les délibérations de la Commission Municipale de la Commune
Mixte de Colomb-Béchar portant organisation de ce S.A.R. ont été
approuvées par la Dépêche Gubernatoriale N° 7172
Sud/4 du 9 juin 1947.
SITUATION GEOGRAPHIQUE.
Les terres que se propose de mettre en valeur le S.A.R. sont situées
dans la vallée de l'Oued Guir, de part et d'autre du Poste d'Abadla
(95 kms S.O. de Colomb-Béchar sur la piste Colomb-Béchar-Tindouf).
Elles appartiennent à la confédération des Douï-Ménia.
Elles sont desservies par un réseau assez serré de pistes
et seront réunies à Colomb-Béchar, dans quelques
mois, par la voie ferrée du Méditerranée-Niger, ce
qui constitue un élément extrêmement intéressant
pour le développement futur de la région ( Le
terminus de la voie est actuellement (septembre 1947) à 25 km.
au Nord d'Abadie.).
D'après carte
Michelin 172, 1958 (Coll.perso)
Montage de deux "morceaux" de carte
|
APERÇU HISTORIQUE.
Les conditions économiques particulièrement favorables rencontrées
dans la vallée du Guir ont attiré l'homme depuis la. plus
haute antiquité ainsi que l'attestent les " tumuli ",
les outils et les armes de pierre qui abondent dans la région.
En l'an 45 après J. C., sous le règne de l'Empereur Claude,
une colonne commandée par Stetonius Paulinus partie de Volubilis
aurait, après avoir fran chi l'Atlas, atteint et descendu le fleuve
" Guer " jusqu'à son confluent avec la Zousfana. Pline
l'Ancien, qui relate cette expédition, mentionne que dans cette
région les éléphants vivaient en grand nombre.
Dans le cours des XVIè et XVIIè sièclés, la
région passe des mains des Hamyans dans celles des Chenamas pour
tomber, il y a deux siècles environ, dans celles des Douï-Ménia
qui y sont encore.
ASPECT DE LA VALLEE.
Le Guir prend sa source dans le Haut Atlas marocain ; il draine ainsi
les eaux météoriques recueillies par un immense impluvium
et coule, en période de crues sur 450 kms environ. Son lit, formé
d'alluvions profondes, est encombré par des tamaris et des genêts
épineux qui forment, en certains endroits, un véritable
maquis haut de plusieurs mètres et difficilement pénétrable.
Dans les clairières, les DouïMéfia sèment de
l'orge et du blé.
Seule la vallée inférieure, dénommée par les
habitants " Bahariat " (Petites Mers) est intéressante
du point de vue agricole, car sur 65 kilomètres, le Guir ralentit
son cours et coule en faisant de nombreux méandres dans une plaine
d'alluvions extrêmément fertile qui atteint sa plus grande
largeur, 20 kilomètres environ, à hauteur du Poste d'Abadla.
C'est donc un ensemble de terres de 100 à 200.000 hectares qu'il
est possible de mettre en culture ; terres émi.lemment fertiles
et dont la richesse est renouvelée à chaque crue par le
limon de ce Nil en réduction (En
arrivant sur le Guir, le 11 avril 1870, le général de Wipfen
écrivait à M. le Gouverneur Général de l'Algérie
:
" J'ai l'honneur, à
la date du 11 avril, de rendre compte à Votre Excellence, de mon
passage au Kenatsa. De ce point, j'arriverai en trois jours par l'oued
Guir au point nommé Bahariat ou les Petites Mers, parce que c'est
la partie la plus large de cette riche vallée dont, depuis deux
jours déjà, nous admirons la fertilité due aux crues
périodiques d'une rivière qui, petite image du Nil, féconde
de ses eaux des surfaces très étendues. Aucune vallée
du Tell, même les mieux dotées, ne peut donner une idée
des vastes terres de culture qui se déroulent à nos yeux,
et que de nombreux canaux rendent propres aux produits les plus divers
".).
Régime des crues.
Les crues qui constituent naturellement un des facteurs essentiels du
rendement des récoltes ont, en général, le régime
suivant :
- Crue d'Autome : Octobre, Novembre
- Labours et semailles ;
-
Crue de Printemps : Février, Mars - 1 mois avant la récolte
;
-
Crue d'Eté : Juillet, août - Inutilisée jusqu'à
présent.
Qui n'a pas vu le Guir en crue, ne peut se faire une idée de l'énorme
masse d'eau que roule le fleuve. Lorsque l'oued atteint la cote de 1 m.
90 au radier d'Abadla, son débit égale celui du Rhône
en crue et le soleil se mire dans un plan d'eau de 7 km de large.
Mais l'expérience a prouvé que, même sans crue de
printemps et pour peu que l'on ait pris le soin d'emmagasiner l'eau en
automne par des labours profonds, les rendements sont encore honorables
(10 à 15 quintaux à l'hectare). Quand la crue de printemps
survient au bon moment, on atteint alors des rendements extrêmement
élevés et qui sont de l'ordre de 30 à 35 quintaux
malgré des méthodes de culture encore rudimentaires et une
utilisation défectueuse de l'eau.
Nature juridique des terres.
Les terres cultivables du Guir, dans lesquelles il faut inclure celles
servant à la dépaissance d'un troupeau estimé en
1945 à 19.000 têtes (chameaux, moutons et chèvres)
sont actuellement réparties entre les différentes tribus
qui le composent. Le tableau ci-après résume la composition
des khoums :
DOUI-MENIA
|
KHOUMS
|
Tentes
|
Population
|
Surface cultivée
|
Proprements
dits
|
Ouled Youcef
|
Ouled
Youcef
|
288
|
1.695
|
160 Ha
|
Saïdane
|
65
|
450
|
100 —
|
Amor
|
55
|
320
|
60 —
|
Ouled
Bou-Amama
|
Abadla
|
264
|
1.810
|
150 —
|
|
Khodra
|
175
|
970
|
100 —
|
Idersa
|
Idersa
|
245
|
1.750
|
160 —
|
Ouled Djelloul
|
Messaada
|
115
|
840
|
85 —
|
Ouled Rezzag
|
95
|
738
|
75 —
|
Ouled
Belguiz
|
Ouled Belguiz
|
O.Djabbeur
|
|
578
|
|
|
Mdafra
|
|
432
|
|
|
O. Bouziane
|
|
474
|
|
|
Motrane
|
|
399
|
|
Dans chaque tribu, les terres sont partagées par
la Djemaâ en terres de labours et terres de parcours. Les terre
s de labours sont réparties entre les différentes
fractions composant la tribu, puis affectées par tirage au sort
aux différentes tentes.
Une étude des coutumes pratiquées par les Doui-Ménia
fait apparaître la nature collective ou "arche des terres de
la vall{e du Guir. Depuis la paix française, les grandes lois tribales
tendent à être oubliées par les Doui-Ménia,
qui se considèrent propriétaires des terrains dont ils ont
la jouissance.
Après défrichement, ils peuvent en disposer comme bon leur
semble dans le cadre de la tribu (location, vente, rahniya, habous), les
femmes sont admises à hériter. Ces terres ne peuvent être
aliénées à un étranger que si la Djemaâ
ne s'y oppose pas en exerçant le droit de préemption.
Régime des eaux.
Les eaux utilisées pour la submersion des terres appartiennent
à l'ensemble de la tribu. Elles font l'objet d'une réglementation
très ancienne et très complexe.
Un réseau compliqué de séguias, sans cesse remanié,
toujours imparfait, couvre la plaine des Bahariat, comme un réseau
sanguin et, tant bien que mal, réussit à irriguer 20 à
30 000 hectares de terres dont le quart, à peine, est actuellement
mis en culture et dans de mauvaises conditions.
Tels sont les hommes et le sol sur lesquels s'implante le S.A.R. de la
vallée du Guir
RAISONS DE LA CREATION DU S.A.R.
Elles sont d'ordre social, économique et politique :
- A. - Améliorer le sort des
populations par la mise en oeuvre de techniques modernes permettant des
récoltes plus importantes et plus régulières.
- B. - Mettre à la disposition
de l'Algérie un contingent élevé de céréales
à la période critique précédant la soudure.
Les récoltes ont lieu en effet en avril, à un moment où
les emblavures des départements du Nord ne comportent encore que
des promesses rendues aléatoires par les conditions climatiques.
- C. - Fixer et recaser les Douï-Ménia.
Cette confédération, qui compte 25 000 âmes environ,
est actuellement éparpillée à Abadla, Kenadsa, Oran,
Sidi-bel-Abbès et Marrakech, où dans ces dernières
villes, déracinée, elle vit en général misérablement.
Aujourd'hui, un tiers seulement des Douï-Ménia vit dans le
Guir.
On peut donc normalement espérer le retour d'une partie de la population
et sa fixation au sol où elle trouvera désormais sa subsistance.
ACTIVITES DU S.A.R.
Constitution.
Il est constitué par l'ensemble des terres de la vallée
dont certaines sont déjà exploitées ou consacrées
au parcours conformément à la répartition actuelle.
Toutefois, il sera réservé une superficié de 40 hectares
destinés à la création d'une ferme pilote.
Fonctionnement du S.A.R.
- 1° C'est la Société
Indigène de Prévoyance de Colomb-Béchar, présidée
par le Chef d'Annexe, qui assure la marche et le financement de l'entreprise
durant la période d'attente allant jusqu'à une production
rémunératrice,
Le programme actuel de réalisations comprend plusieurs tranches
dont chacune fera l'objet d'un projet de budget à la Commission
du Paysanat d'Alger.
- 2° Un chef dé culture,
détaché à Abadla, assurera la direction technique
et les soins culturaux nécessaires. La main-d'oeuvre est fournie
par les intéressés.
Un agent comptable sera chargé de la gestion financière
qui s'inspirera de l'exploitation agricole d'Aïn-Témouchent
(Comptabilité commerciale en partie double).
- 3° Les terrains concédés
au S.A R étant déjà lotis et cultivés (ou
susceptibles de l'être, soit par leurs propriétaires ou leurs
représentants), il n'y a pas lieu de procéder à une
répartition nouvelle.
- 4° Le travail du S.A.R. consistera
en des :
- Travaux de débroussaillement ;
- Labours préparatoires profonds destinés à ameublir
le sol et à permettre une accumulation d'eau plus importante.
Les semailles et la moisson, ainsi que l'irrigation des terrains, seront
exécutées par !es propriétaires eux-mêmes auxquels
le S.A.R. se contentera d'indiquer les parcelles qui doivent être
ensemencées en blé et celles qui doivent l'être en
orge.
- 5° Bien que prévu pour
l'ensemble de la Confédération des Doui-Ménia, le
S.A R ne fonctionnera dans une première étape qu'en faveur
de la tribu des Abadla où existe actuellement un climat favorable
à cette réalisation et susceptible, si les résultats
obtenus sont satisfaisants, d'entraîner l'adhésion définitive
de toutes les tribus.
- 6° Les produits des terrains
cultivés seront répartis entre tous les associés
au prorata de la superficie des biens qui leur appartiennent, sans distinction
aucune.
Ils seront conservés dans les silos du S A.R., après toutefois
que chaque famille aura reçu la part de ses besoins annuels.
Le cinquième de la récolte sera versé au S.A.R. Le
matériel et le cheptel seront acquis par la S.I P. Ils seront donc
bien " collectifs " et gérés par elle. Pour la
gestion et l'amortissement de ce matériel, le S.A.R. disposera
en toute propriété de ce cinquième de la réfflite.
Mode d'exploitation.
Les terres à cultiver dans la tribu des Abadla seront portées
à 1.000 hectares, comportant un assolement biennal.
Les façons culturales seront effectuées par labours profonds
ou par sous-solage au moyen d'un matériel lourd de motoculture,
appartenant au S.A.R. et qui permettra, en outre, d'opérer le débroussaillement
Les terres préparées, séparées par des bandes
dé broussailles de protection, pour freiner la vitesse des eaux
de crue et éviter l'entraînement du sol meuble seront ensemencées
dans la proportion d'un tiers en blé, deux tiers en orge Le blé
sera semé dans chaque bande en partant du lit de la séguia
pour lui réserver le maximum d'eau de crue, l'orge plus rustique
et plus précoce occupera le reste de la surface de chaque pièce.
Aux bandes de broussailles seront substituées progressivement et
par les soins du S.A.R., des plantations de caroubiers, d'oliviers et
de cyprès.
Ferme pilote,
La Ferme-Pilote est destinée à expérimenter :
-- Les techniques collectives de préparation du sol ;
-- Les variétés de céréales à multiplier,
qu'elles soient d'origine locale ou qu'elles proviennent d'introductions.
Elle procurera, en outre, les plants nécessaires à la constitution
des bandes de protection et diffusera les semences sélectionnées.
ORDRE D'URGENCE DES REALISATIONS.
Pour réussir, il est nécessaire de démarrer avec
une extrême prudence aussi, ainsi que cela a été exposé
plus haut, le S.A.R. débute modestement avec 1.000 hectares
Le Comité permanent du Paysanat a alloué au S A.R. du Guir,
en vue de la mise en oeuvre du programme cultural prévu pour la
prochaine campagne agricole :
- Une subvention de DEUX MILLIONS ;
- Une avance de UN MILLION.
Ces sommes ont permis de passer commande du matériel suivant :
- 1 tracteur à chenilles Clétrac, type D.D., équipé
avec son éclairage électrique (1 phare avant, 1 phare arrière),
avec un radiateur supplémentaire, si possible susceptible d'être
transformé pour le démarrage à inertié (déjà
livré)
- 2 charrues à 4 et 3 socs, 14 pouces, Mc. Cornick ;
- 1 attelage pour ces deux charrues 4-3 socs ;
- 1 sous-soleuse rondeur n° 161, avec obus dr aîneur ;
- 3 déchaumeuses 14 disques N° 2 Mc. Cornick (une déjà
livrée) ;
- 2 attelages pour ces trois déchaumeuses ;
- 1 charrue à six disques.
Il est prévu ultérieurement dans un deuxième stade
:
- la construction des bâtiments administratifs du S.A.R , des logements
du personnel de direction, des bureaux, des garages et ateliers ;
- et plus tard, au fur et à mesure de ses disponibilités,
le S.A.R. acquerra (le nouvelles machines, augmentera d'année en
année ses emblavures et commencera la construction de silos, d'habitations
rurales, d'écoles et de sa ferme-pilote.
Il est certes audacieux d'essayer de transformer une tribu d'anciens djicheurs
en agriculteurs paisibles et de faire entendre le grondement des tracteurs
dans une région où il y a vingt à peine claquaient
les coups de fusil.
Mais cette audace est justifiée.
Les Doui-Ménia ont compris tout l'intérêt qu'ils pouvaient
retirer du S.A.R. et, bien décidés à moderniser leurs
façons culturales, se mettent au travail avec une ardeur admirable.
Un immense espoir les soulève.
Bien plus, les autres tribus du Sud suivent avec curiosité cet
essai d'exploitation collective, cette oeuvre faite pour les Musulmans
et par les Musulmans, et qui apportera à cette région deshéritée
une richesse insoupçonnée.
La réussite du S.A.R. de la valléé du Guir entraînera
la création d'autres S.A R. et bientôt d'autres tribus viendront,
comme les Doui-Ménia, demander des conseillers agricoles, des tracteurs
et des charrues et offrir leurs terres en échange.
L'année 1947 voit le début d'une oeuvre qui demandera, peur
être menée à bien, beaucoup d'efforts ét de
continuité dans l'effort. Mais, en l'entreprenant, la. France prouve
qu'elle n'a rien perdu de sa vigueur créatrice et de son génie
civilisateur. A l'heure actuelle, il n'est pas sans intérêt
de le constater et d'en retirer une raison de plus d'avoir foi dans l'avenir.
D'un point de vue plus terre à terre, la mise à la disposition
de l'Algérie, dans un avenir rapproché, dé céréales
précoces de l'ordre d'un million de quintaux n'est pas non plus
sans intérêt.
Colomb-Béchar, le 7 septembre 1947.
Le Colonel QUENARD,
Commandant militaire du Territoire d'Ain-Sefra.
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