L'Organisation
Judiciaire pour les Musulmans en Algérie
LA JUSTICE EN 1830.
La conception musulmane du juge est liée au caractère théocratique
de l'Empire. Le souverain est le dispensateur de la justice. Mais si,
dans les villes et les localités importantes, des fonctionnaires
sont nommés par le dey ou les beys afin de rendre la justice, parmi
les populations de l'intérieur, à demi indépendantes,
le chef de tribu ou les djemaâs, ou des arbitres choisis par les
parties, tranchent les contestations.
a) A Alger
et dans les centres importants. - A Alger, existaient deux
cadis (1 malékite et 1 hanéfite), dans chaque ville résidait
1 cadi malékite.
Le cadi est le juge à caractère religieux qui connaît
des affaires de statut personnel et successoral, des obligations nées
des délits du sang, des infractions à la discipline religieuse
et de certains litiges immobiliers.
Les autres litiges civils ou commerciaux étaient jugés par
d'autres fonctionnaires ayant des attributions juridictionnelles et de
police comme la surveillance des marchés.
Les crimes étaient déférés à des fonctionnaires
d'autorité (caïds, hakems, agha). Mais, généralement,
les peines de mort et de longue détention n'étaient prononcées
que par le bey ou le dey.
La hiérarchie des juridictions est inconnue. Cependant, le recours
au souverain (Dey) est possible. Lorsque c'est un cadi qui a jugé
l'affaire, sa sentence peut être soumise à des assemblées
de jurisconsultes qui donnent un avis que le cadi est obligé de
suivre à la deuxième injonction.
b) En Kabylie.
- Il n'y a pas, en Kabylie, de magistrats de l'ordre judiciaire. Les parties
soumettent leur litige à des arbitres ou, si elles ne sont pas
d'accord sur le choix de ceux qui rendront la sentence, à la Djemaâ.
LA JUSTICE FRANÇAISE.
L'ordonnance du 10 août 1834 proclame le principe qu'en Algérie,
terre française, il n'y a qu'une justice, la justice française.
Les juges " indigènes " ou français sont nommés
par le Gouvernement, les cadis perçoivent un traitement. Le doit
musulman ou coutumier est applicable, tant au civil qu'au pénal,
aux Musulmans, par des magistrats " indigènes ", parce
que ce droit a été reconnu obligatoire par la loi française.
Quelles que soient les hésitations et les oscillations du législateur
tout au cours du XIXe siècle, pour organiser ou modifier, en Algérie,
la justice, le principe de l'ordonnance de 1834 a été maintenu.
La France s'est engagée à respecter le libre exercice de
la religion musulmane et les préceptes juridiques étroitement
unis aux règles coraniques. Elle doit laisser appliquer aux Musulmans
l'ensemble des coutumes observées traditionnellement par les populations,
conformes à leur état social, leurs moeurs, leur conception
des rapports des individus au sein de la famille ou de la société.
Mais la justice est réglementée par la loi française
et le droit applicable trouve sa force, tant dans la volonté des
justiciables de continuer à être régis par leurs traditions
que dans la loi qui lui confère toute son autorité.
Ainsi, les magistrats (cadis, comme juges de paix, tribunaux ou cours
d'appel) rendent-ils la justice " au nom du peuple français
", toutes leurs décisions sont revêtues de la formule
exécutoire et emportent autorité de la chose jugée.
La justice
répressive.
A) SON EVOLUTION. - La poursuite et le jugement
des infractions à la loi pénale sont donnés aux magistrats
français dès l'ordonnance du 26 septembre 1842. Les cadis
ne connaissent plus que des faits constituant des délits au regard
de la loi coranique mais non punissables par la loi française.
Cette compétence particulière des cadis en matière
pénale disparaît par le décret du 31 décembre
1859 qui ne donne plus à ces magistrats musulmans que des pouvoirs
juridictionnels en matière civile.
1° En
territoire civil. - Les crimes jugés, dès 1834,
par les tribunaux correctionnels, sont déférés en
1854 à des cours d'assises composées de magistrats professionnels
statuant sans jurés. Le décret du 24 cetobre 1870 étendait
à l'Algérie la loi sur le jury criminel.
Jusqu'à la fin du XIXe siècle, les Musulmans demeurant en
territoire civil ont été justiciables des tribunaux ordinaires
(cours d'assises, tribunaux correctionr els, tribunaux de simple police).
2° En
territoire militaire. - Les commandants de cercle exerçaient
des pouvoirs disciplinaires et les conseils de guerre jugeaient les infractions.
3° Les
réformes de 1902. - Lorsque des territoires civils prirent
une extension considérable, il parut nécessaire de créer
une- justice répressive spéciale dans les régions
qui passaient du commande. ment militaire à l'administration civile,
mais les juridictions nouvelles ne furent pas limitées aux territoires
qui changeaient d'administration, elles fonctionnèrent dans toute
l'Algérie.
Dès 1881, les administrateurs avaient des pouvoirs disciplinaires
qui disparurent en 1927.
En 1902, les délits commis par les Musulmans furent déférés
aux tribunaux répressifs composés du juga de paix, d'un
notable français, et d'un notable musulman ; les crimes, aux cours
criminelles, composées de trois magistrats français et deux
assesseurs jurés musulmans. Cette organisation des cours criminelles
permettait d'assurer aux autochtones, par la présence d'assesseurs
musulmans et de trois magistrats délibérant sur la culpabilité,
des garanties d'impartialité qu'ils déniaient à des
jurys composés exclusivement d'européens.
Par ces réformes, les Musulmans devenaient justiciables des juridictions
spéciales en matière répressive.
L'évolution qui tendait à effacer entre les divers habitants
de l'Algérie toute distinction quant à leurs droits à
et leurs obligations, fit abolir cette législation particulière.
La même infraction réprimée par le même texte
ne peut être jugée par deux tribunaux différents,
suivant que le prévenu est musulman ou européen. Les tribunaux
répressifs ont été supprimés en 1930, les
cours criminelles en 1942.
B) LA JUSTICE REPRESSIVE ACTUELLE. - Tous
les habitants de l'Algérie sont soumis aux mêmes lois pénales
sans aucune distinction depuis l'ordonnance du 7 mars 1944, et tous les
habitants de l'Algérie sont justiciables des mêmes juridictions
(simple police, correctionnelle, cour d'assises). Si les juges de paix
à compétence étendue de l'intérieur connaissent
certains délits résevés dans la Métropole
et dans les chefs-lieux d'arrondissement d'Algérie à la
juridiction du tribunal, et ceci dans le but de rapprocher la justice
des justiciables, leur compétence s'exerce indifféremment
sur tous les prévenus quels qu'ils soient, Musulmans ou Européens.
Une seule particularité subsiste pour les cours d'assises. Les
jurés sont au nombre de 6 lorsque l'accusé est musulman
non citoyen (au lieu de 7, chiffre des jurys ordinaires) et le jury est
composé de trois musulmans et de trois citoyens. Les cours d'assises
siègent dans les 17 chefs-lieux d'arrondissements judiciaires.
Le maintien de la dualité des jurés (musulmans et citoyens)
est souhaitable. Par leur connaissance de la langue et des coutumes, les
jurés musulmans sont plus aptes à saisir certains détails
qui pourraient échapper aux autres membres du jury moins avertis.
Il est ainsi possible de mieux recréer l'atmosphère du crime
pour la meilleure administration de la justice.
La justice civile répressive s'étend aujourd'hui à
toute l'Algérie et même les habitants des territoires du
Sud sont justiciables des tribunaux correctionnels et des cours d'assises
de Batna, Blida, Mascara.
La justice
civile.
A) EVOLUTION. - Dès le début de l'occupation
française, une connaissance insuffisante des règles de la
judicature dans l'Islam fit donner aux cadis tous pouvoirs juridictionnels
en matière civile et commerciale. Cependant, en 1841, les sentences
des cadis sont soumises en appel devant la Cour d'Alger. Le droit musulman
ou coutumier sera, en règle générale, seul applicable
à toutes les contestations entre les Musulmans jusqu'en 1886, sauf
option volontaire de ceux-ci pour la loi française, mais le caractère
des juridictions est souvent modifié.
En 1848, la justice musulmane (cadi) est séparée de la justice
civile. Celle-ci relève du Garde des Sceaux, celle-là du
Ministre de la Guerre. En 1854, il est créé des tribunaux
d'appel spécifiquement musulmans (Medjelès), au nombre de
21, et un conseil de jurisprudence musulmane à Alger. En 1859,
il fallut supprimer les Medjelès parce que toute unité cl(-
jurisprudence avait disparu et que ces juridictions s'étaient déconsidérées
auprès de leurs justiciables. L'appel des sentences des cadis fut
de nouveau porté devant les tribunaux français. Les Medjelè:,
devinrent des organismes consultatifs.
Le décret du 13 décembre 1866 permet aux Musulmans de s'adresser
au juge de paix pour faire trancher leurs contestations d'après
le droit musulman ou coutumier. Les appels des jugements rendus en premier
ressort étaient jugés par les tribunaux d'instance à
Oran et à Constantine, par la Cour à Alger, des assesseurs
musulmans assistaient les magistrats d'appel.
Un Conseil supérieur de droit musulman fonctionnait à Alger,
mais cette institution s'avéra lente, coûteuse et inutile.
Les assesseurs musulmans n'étaient pas toujours choisis avec discernement.
Enfin, l'évolution de la législation amena la réforme
des juridictions civiles pour les Musulmans
B) LA JUSTICE CIVILE ACTUELLE. - Il
est nécessaire de donner aux populations musulmanes une justice
simple, peu coûteuse et rapide. D'autre part, l'organisation judiciaire
doit être fonction de la législation applicable.
En matière personnelle et mobilière pour l'ensemble des
contrats, tant civils que commerciaux, la législation française
régit les Musulmans résidant en Algérie du Nord.
Le droit musulman des obligations et des contrats, ccmme le droit civil
français, est issu du droit romain qui a imprégné
de son influence tout le bassin méditerranéen. Il n'y a
donc eu aucun inconvénient d'étendre aux populations autochtones,
en ces matières, la loi française.
Par contre, le statut personnel et successoral qui régit l'état
et la capacité des personnes, la famille, la dévolution
des biens après décès, reste soumis à la lente
évolutiOrl des coutumes et usages locaux remontant à la
période pré-islamique mais modifiés par le "
Prophète " dans le but de mieux protéger la femme et
les incapables. En ces matières, l'unanimité de l'interprétation
des docteurs fait la loi.
Le régime de la propriété immobilière est
mixte. Lorsque la terre est francisée, c'est-à-dire lorsqu'elle
a fait l'objet d'un titre français, administratif, notarié
ou judiciaire qui l'a identifiée, délimitée et qui
a précisé le propriétaire, la loi française
régit l'immeuble.
Dans le cas contraire, le droit musulman est seul applicable.
De cette dualité de droit résulte la dualité de juge.
Le juge de paix est le juge de droit commun et le cadi le juge du statut
personnel et successoral.
Le cadi a donc, actuellement, les attributions essentielles qu'il exerce
traditionnellement en pays d'Islam.
Il importe que le juge soit près du justiciable. On ne peut guère
imposer aux Musulmans d'Algérie des déplacements aux chefs-lieux
d'arrondissement pour avoir audience à justice De plus, la procédure
française est complexe et, par cela même, coûteuse.
Aussi la justice civile des Musulmans est-elle décalée d'un
degré par rapport à la justice civile française.
Les juges de paix et les cadis sont juges de première instance,
les tribunaux juges d'appel, la Cour d'Alger (Chambre de révision
musulmane), organe de contrôle chargé de dire le droit.
1° En première instance.
a)
En Algérie du Nord, pays arabe. - Le juge de paix, qu'il réside
dans les villes ou dans les chefs-lieux de canton, connaît toutes
les contestations civiles et commerciales entre les parties musulmanes
lorsque le litige porte sur une affaire personnelle et mobilière
ou sur un immeuble rural. Lorsque le litige porte sur un immeuble urbain
francisé, le tribunal d'instance est, par exception, compétent
pour appliquer la loi française.
Le juge de paix statue en dernier ressort jusqu'à 2.000 francs
en matière mobilière et 3.000 francs en matière immobilière.
Au-delà de ces taux, il juge à charge d'appel. Si le droit
français est applicable en matière personnelle et mobilière,
le juge doit tenir compte, pour l'appréciation des conventions
et l'admission de la preuve, des coutumes et usages des parties. Il est
impossible d'exiger encore des justiciables illettrés la preuve
écrite d'un contrat. De même, le droit français est
applicable aux litiges concernant les immeubles ruraux francisés
quant au fond du droit et aux modes de preuves, mais les questions de
statut personnel et successoral qui peuvent se poser dans ces procès
sont jugées d'après le droit musulman ou coutumier.
Pout les affaires immobilières concernant des immeubles non francisés,
le juge de paix applique le droit musulman ou coutumier.
Le juge de paix statue aussi en référé, rend des
ordonnances sur requête, conformément à la loi française,
connaît des difficultés d'exécution des jugements.
Le cadi connaît, à charge d'appel, les contestations relatives
au statut personnel et successoral, soit : l'état et la capacité
des personnes, le mariage et sa dissolution, la paternité et la
filiation, l'absence, la minorité, l'interdiction, la qualité
et la capacité des héritiers, les droits successoraux, les
donations à cause de mort, les testaments, le habous (ou fondations
pieuses).
Le cadi a également compétence exceptionnelle pour juger
les contestations personnelles et mobilières nées sur les
marchés et dont l'importance ne dépasse pas 1.000 francs.
b)
En Kabylie. - Dans ce pays où il n'y a jamais eu de cadi, le juge
de paix est le juge de toutes les contestations entre autochtones, quel
que soit le litige : personnel, mobilier, immobilier, de statut personnel
ou successoral.
Le juge de paix est le seul juge du premier degré dans les arrondissements
de Tizi-Ouzou, de Bougie et, en plus, dans les cantons de Périgotville,
Mans oura (arrondissement de Sétif), Palestro, Bouira, Ain-Bessem
(arrondissement d'Alger).
c)
E n territoire du Sud. - Le droit musulman est seul applicable et le cadi
est le juge de droit commun pour toutes contestations entre musulmans.
Les populations du M'Zab ont des cadis ibadites ; les autres populations
des cadis malékites. Le cadi statue en dernier ressort dans les
litiges dont l'objet est inférieur à 1.000 francs.
En Algérie du Nord, 116 justices de paix, 81 mahakmas judiciaires
dont 57 principales, et 24 annexes, rendent la justice aux musulmans en
première instance. Dans les Territoires du Sud, il existe 23 mahakmas
principales.
d)
Option de juridiction. - En matière de statut personnel et successoral,
les musulmans peuvent, d'un commun accord, soumettre leurs litiges aux
juges de paix. De même, en Territoires du Sud, ils peuvent, pour
toutes contestations, saisir le juge de paix.
Le magistrat applique, dans ce cas, le droit musulman.
2° En. appel.
Dans l'ensemble du territoire algérien, y compris les Territoires
du Sud, l'appel des sentences prononcées en premier ressort par
les juges de paix et les cadis est porté devant les tribunaux d'arrondissement.
L'appel des sentences préparatoires ne peut être formé
qu'avec la décision définitive.
3° La Chambre de révision.
Par l'intermédiaire d'un avocat ou d'un avoué à la
Cour, les parties peuvent saisir la chambre de révision de la Cour
d'Alger des jugements définitifs prononcés en matière
musulmane et dans le délai de trois mois à compter du prononcé
de la décision attaquée.
Mais la chambre de révision ne peut être saisie que de la
violation du droit applicable dans les matières réservées
(statut personnel, successoral, immobilier) des règles du droit
musulman applicables à toutes les contestations dans les Territoires
du Sud, des violations aux modes de preuves de droit musulman ou coutumier,
des conflits de rite ou de coutume, des violations aux règles de
procédure devant les juridictions musulmanes, des contrariétés
de jugement.
4° Le pourvoi en cassation.
Le pourvoi en cassation est possible pour les violations de la loi française
applicable aux affaires personnelles et mobilières et aux litiges
concernant les immeubles ruraux francisés.
Ainsi toutes les violations de la loi ou du droit musulman ou coutumier
peuvent être dénoncées à une juridiction de
contrôle : soit la Cour de Cassation, soit la Chambre de révision
musulmane.
5° La procédure.
La procédure est très simple Les parties comparaissent volontairement
ou sur avertissement remis ar des " aouns ". Ces avertissements
sont délivrés à personne ou à domicile, ou
envoyés par la poste 311 encore lOssés à la commune
mixte qui les fait parvenir par ses fonctionnaires administratifs. Si
le défendeur ne comparait pas sur un premier avertissement, il
lui en est envoyé un deuxième.
Au cas de nouveau défaut, le juge retient l'affaire. Les parties
comparaissent en personne ou se font représenter par des avocats,
des oukils (défenseurs musulmans nommés par le Procureur
général) et exceptionnellement par des notables. Les représentants
des plaideurs déposent généralement des notes écrites
qui peuvent être développées oralement.
Les sentences en dernier ressort rendues par défaut en première
instance peuvent être frappées d'opposition si la partie
défaillante établit qu'elle n'a pas été touchée
à personne et qu'elle avait quitté son domicile.
La sentence est signifiée au succombant par un avis et par l'intermédiaire
de l'aoun.
L'appel des jugements définitifs en premier ressort est déclaré
au greffe de la justice de paix ou à la mahakma dans le mois qui
suit l'avis de décision et, au cas de sentence par défaut,
le délai court du jour où la partie a eu connaissance du
premier acte d'exécution.
Dans le mois de la déclaration d'appel, le greffier ou l'adel transmet
le dossier au greffe du tribunal. Le Président du tribunal fixe
le jour de l'audience et désigne un juge rapporteur. Les parties
sont avisées d'avoir à comparaître par avertissements.
Les plaideurs sont tenus de fixer par notes écrites leurs prétentions
et conclusions. A l'audience le juge fait un rapport écrit. Les
représentants des parties peuvent plaider oralement. Le Ministère
public est entendu dans ses conclusions
Si une partie ne comparait pas, il est statué par défaut,
mais le défaillant peut frapper d'opposition le jugement dans les
15 jours qui suivent la connaissance du premier acte d'exécution.
Les juges peuvent ordonner toutes les mesures d'instruction (enquêtes,
expertises, transports sur les lieux) prévues par la loi française.
Tout jugement avant dire droit doit être exécuté dans
l'année à peine de péremption.
Lorsque les femmes musulmanes sont appelées à comparaître
en justice, comme parties ou comme témoins, le juge respecte les
usages pour leur audition.
6° La procédure
d'exécution.
Les décisions rendues en matière musulmane étant
revêtues de la formule exécutoire, la partie succombante
peut être contrainte par la force publique d'exécuter
En principe, l'agent d'exécution en matière musulmane est
le cadi, que la décision soit prononcée par le juge de paix,
le tribunal ou le cadi. Mais les juges de paix peuvent aussi désigner
les huissiers.
Les saisies conservatoires au profit de créancier sont autorisées
par ordonnances sur requête rendues par les juges de paix, de même
que les saisies-arrêts. Les saisies-arrêts sont validées
par jugement rendu par le juge de paix emportant condamnation et injonction
au tiers saisi de se libérer au créancier saisissant.
Les saisies conservatoires sont aussi validées et transformées
en saisies exécution par jugement du juge de paix.
Les saisies exécution sont précédées de commandement
portant sommation de payer à huitaine, à quinzaine ou dans
le mois suivant l'importance de la dette. Le cadi doit, en cas de non
paiement, saisir d'abord les meubles et les vendre après publicité.
Si la vente du mobilier est insuffisante pour désintéresser
le créancier, le cadi peut saisir les immeubles qui sont vendus
après publicité par affiches et insertions dans les journaux.
L'adjudication ne devient définitive que si, dans le délai
de deux mois, le débiteur ne rembourse pas l'adjudicataire.
L'INFLUENCE DE LA JURISPRUDENCE FRANÇAISE.
-
En matière personnelle et mobilière, les tribunaux français
appliquent la loi française mais doivent tenir compte des coutumes
et usages de parties en ce qui concerne l'administration de la preuve.
Le rôle des tribunaux n'est pas de figer la coutume, ils doivent,
au contraire, suivre et aider son évolution. Aussi, la jurisprudence
a-t-elle posé en principe que le juge ne doit pas se prononcer
d'après une conviction puisée dans des éléments
dont il a eu seul connaissance, mais d'après les règles
de preuves légales soumises aux débats ; que les enquê-
tes doivent être contradictoires et que les actes de notoriété
unilatéraux dressés en cours d'instance doivent être
rejetés ; que la tierce opposition d'une personne lésée
par un jugement rendu dans une
instance où elle n'était pas partie est possible ; que les
juges d'appel ne peuvent connaître des moyens nouveaux qui n'ont
pas été soumis au premier juge, que le témoignage
d'une seule femme peut servir de présomption en faveur de celui
qui en bénéficie.
Dans les affaires de statut personnel et successoral, la jurisprudence
française considVe avec infiniment de respect le dogme musulman.
Cependant, elle intervient dans l'intérêt de la femme et
des incapables pour leur assurer le maximum de droits compatibles avec
les principes. Elle a décidé que la femme peut se dispenser
du recours au ouali (tuteur en mariage), que la femme qui a cohabité
déjà avec un mari est habile à consentir seule au
nouveau mariage, que si le tuteur refuse abusivement un mariage il peut
être passé outre, que le droit de contrainte matrimoniale
ne peut être exercé contrairement à l'intérêt
de l'enfant, que la durée de la grossesse est au maximum de 300
jours, que le divorce est admis au profit de la femme à peu près
dans tous les cas où l'admettrait la loi française, que
si la femme ne peut faire annuler une répudiation capricieuse,
elle pc-ut réclamer des dommages- intérêts, que le
mari qui reprend sa femme après répudiation et dans le délai
de retraite légale doit notifier cette reprise à la femme
; que le seul intérêt de l'enfant doit guider le juge en
matière de hadana (garde d'enfant) et que la distance maximum de
6 bérids (120 kilomètres) entre le domicile du père
de l'enfant et la résidence de la gardienne n'était qu'indicative
et non point fatale, au siècle des chemins de fer, autocars et
avions.
Cette jurisprudence fait autorité et bon nombre de cadis motivent
leurs sentences tant sur l'opinion des auteurs que sur les précédentes
décisions des tribunaux et de la chambre de révision.
L. LABATUT, Avocat
général,
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