Alger, Algérie : documents algériens
Série sociale
L'Organisation Judiciaire pour les Musulmans en Algérie *
ici, le 10-1-2012

* Document n° 21 de la série : Culturelle - Paru le 5 juillet 1947 - Rubrique JUSTICE EN ALGERIE

37 Ko ...nota: texte non corrigé.
retour
 

L'Organisation Judiciaire pour les Musulmans en Algérie

LA JUSTICE EN 1830.

La conception musulmane du juge est liée au caractère théocratique de l'Empire. Le souverain est le dispensateur de la justice. Mais si, dans les villes et les localités importantes, des fonctionnaires sont nommés par le dey ou les beys afin de rendre la justice, parmi les populations de l'intérieur, à demi indépendantes, le chef de tribu ou les djemaâs, ou des arbitres choisis par les parties, tranchent les contestations.

       a) A Alger et dans les centres importants. - A Alger, existaient deux cadis (1 malékite et 1 hanéfite), dans chaque ville résidait 1 cadi malékite.
Le cadi est le juge à caractère religieux qui connaît des affaires de statut personnel et successoral, des obligations nées des délits du sang, des infractions à la discipline religieuse et de certains litiges immobiliers.

Les autres litiges civils ou commerciaux étaient jugés par d'autres fonctionnaires ayant des attributions juridictionnelles et de police comme la surveillance des marchés.

Les crimes étaient déférés à des fonctionnaires d'autorité (caïds, hakems, agha). Mais, généralement, les peines de mort et de longue détention n'étaient prononcées que par le bey ou le dey.

La hiérarchie des juridictions est inconnue. Cependant, le recours au souverain (Dey) est possible. Lorsque c'est un cadi qui a jugé l'affaire, sa sentence peut être soumise à des assemblées de jurisconsultes qui donnent un avis que le cadi est obligé de suivre à la deuxième injonction.

       b) En Kabylie. - Il n'y a pas, en Kabylie, de magistrats de l'ordre judiciaire. Les parties soumettent leur litige à des arbitres ou, si elles ne sont pas d'accord sur le choix de ceux qui rendront la sentence, à la Djemaâ.

LA JUSTICE FRANÇAISE.


L'ordonnance du 10 août 1834 proclame le principe qu'en Algérie, terre française, il n'y a qu'une justice, la justice française. Les juges " indigènes " ou français sont nommés par le Gouvernement, les cadis perçoivent un traitement. Le doit musulman ou coutumier est applicable, tant au civil qu'au pénal, aux Musulmans, par des magistrats " indigènes ", parce que ce droit a été reconnu obligatoire par la loi française.

Quelles que soient les hésitations et les oscillations du législateur tout au cours du XIXe siècle, pour organiser ou modifier, en Algérie, la justice, le principe de l'ordonnance de 1834 a été maintenu.

La France s'est engagée à respecter le libre exercice de la religion musulmane et les préceptes juridiques étroitement unis aux règles coraniques. Elle doit laisser appliquer aux Musulmans l'ensemble des coutumes observées traditionnellement par les populations, conformes à leur état social, leurs moeurs, leur conception des rapports des individus au sein de la famille ou de la société. Mais la justice est réglementée par la loi française et le droit applicable trouve sa force, tant dans la volonté des justiciables de continuer à être régis par leurs traditions que dans la loi qui lui confère toute son autorité.
Ainsi, les magistrats (cadis, comme juges de paix, tribunaux ou cours d'appel) rendent-ils la justice " au nom du peuple français ", toutes leurs décisions sont revêtues de la formule exécutoire et emportent autorité de la chose jugée.

       La justice répressive.

              A) SON EVOLUTION. - La poursuite et le jugement des infractions à la loi pénale sont donnés aux magistrats français dès l'ordonnance du 26 septembre 1842. Les cadis ne connaissent plus que des faits constituant des délits au regard de la loi coranique mais non punissables par la loi française.
Cette compétence particulière des cadis en matière pénale disparaît par le décret du 31 décembre 1859 qui ne donne plus à ces magistrats musulmans que des pouvoirs juridictionnels en matière civile.

                     1° En territoire civil. - Les crimes jugés, dès 1834, par les tribunaux correctionnels, sont déférés en 1854 à des cours d'assises composées de magistrats professionnels statuant sans jurés. Le décret du 24 cetobre 1870 étendait à l'Algérie la loi sur le jury criminel.
Jusqu'à la fin du XIXe siècle, les Musulmans demeurant en territoire civil ont été justiciables des tribunaux ordinaires (cours d'assises, tribunaux correctionr els, tribunaux de simple police).

                     2° En territoire militaire. - Les commandants de cercle exerçaient des pouvoirs disciplinaires et les conseils de guerre jugeaient les infractions.

                     3° Les réformes de 1902. - Lorsque des territoires civils prirent une extension considérable, il parut nécessaire de créer une- justice répressive spéciale dans les régions qui passaient du commande. ment militaire à l'administration civile, mais les juridictions nouvelles ne furent pas limitées aux territoires qui changeaient d'administration, elles fonctionnèrent dans toute l'Algérie.

Dès 1881, les administrateurs avaient des pouvoirs disciplinaires qui disparurent en 1927.

En 1902, les délits commis par les Musulmans furent déférés aux tribunaux répressifs composés du juga de paix, d'un notable français, et d'un notable musulman ; les crimes, aux cours criminelles, composées de trois magistrats français et deux assesseurs jurés musulmans. Cette organisation des cours criminelles permettait d'assurer aux autochtones, par la présence d'assesseurs musulmans et de trois magistrats délibérant sur la culpabilité, des garanties d'impartialité qu'ils déniaient à des jurys composés exclusivement d'européens.

Par ces réformes, les Musulmans devenaient justiciables des juridictions spéciales en matière répressive.

L'évolution qui tendait à effacer entre les divers habitants de l'Algérie toute distinction quant à leurs droits à et leurs obligations, fit abolir cette législation particulière.

La même infraction réprimée par le même texte ne peut être jugée par deux tribunaux différents, suivant que le prévenu est musulman ou européen. Les tribunaux répressifs ont été supprimés en 1930, les cours criminelles en 1942.

              B) LA JUSTICE REPRESSIVE ACTUELLE. - Tous les habitants de l'Algérie sont soumis aux mêmes lois pénales sans aucune distinction depuis l'ordonnance du 7 mars 1944, et tous les habitants de l'Algérie sont justiciables des mêmes juridictions (simple police, correctionnelle, cour d'assises). Si les juges de paix à compétence étendue de l'intérieur connaissent certains délits résevés dans la Métropole et dans les chefs-lieux d'arrondissement d'Algérie à la juridiction du tribunal, et ceci dans le but de rapprocher la justice des justiciables, leur compétence s'exerce indifféremment sur tous les prévenus quels qu'ils soient, Musulmans ou Européens.

Une seule particularité subsiste pour les cours d'assises. Les jurés sont au nombre de 6 lorsque l'accusé est musulman non citoyen (au lieu de 7, chiffre des jurys ordinaires) et le jury est composé de trois musulmans et de trois citoyens. Les cours d'assises siègent dans les 17 chefs-lieux d'arrondissements judiciaires. Le maintien de la dualité des jurés (musulmans et citoyens) est souhaitable. Par leur connaissance de la langue et des coutumes, les jurés musulmans sont plus aptes à saisir certains détails qui pourraient échapper aux autres membres du jury moins avertis. Il est ainsi possible de mieux recréer l'atmosphère du crime pour la meilleure administration de la justice.

La justice civile répressive s'étend aujourd'hui à toute l'Algérie et même les habitants des territoires du Sud sont justiciables des tribunaux correctionnels et des cours d'assises de Batna, Blida, Mascara.

       La justice civile.

              A) EVOLUTION. - Dès le début de l'occupation française, une connaissance insuffisante des règles de la judicature dans l'Islam fit donner aux cadis tous pouvoirs juridictionnels en matière civile et commerciale. Cependant, en 1841, les sentences des cadis sont soumises en appel devant la Cour d'Alger. Le droit musulman ou coutumier sera, en règle générale, seul applicable à toutes les contestations entre les Musulmans jusqu'en 1886, sauf option volontaire de ceux-ci pour la loi française, mais le caractère des juridictions est souvent modifié.

En 1848, la justice musulmane (cadi) est séparée de la justice civile. Celle-ci relève du Garde des Sceaux, celle-là du Ministre de la Guerre. En 1854, il est créé des tribunaux d'appel spécifiquement musulmans (Medjelès), au nombre de 21, et un conseil de jurisprudence musulmane à Alger. En 1859, il fallut supprimer les Medjelès parce que toute unité cl(- jurisprudence avait disparu et que ces juridictions s'étaient déconsidérées auprès de leurs justiciables. L'appel des sentences des cadis fut de nouveau porté devant les tribunaux français. Les Medjelè:, devinrent des organismes consultatifs.

Le décret du 13 décembre 1866 permet aux Musulmans de s'adresser au juge de paix pour faire trancher leurs contestations d'après le droit musulman ou coutumier. Les appels des jugements rendus en premier ressort étaient jugés par les tribunaux d'instance à Oran et à Constantine, par la Cour à Alger, des assesseurs musulmans assistaient les magistrats d'appel.

Un Conseil supérieur de droit musulman fonctionnait à Alger, mais cette institution s'avéra lente, coûteuse et inutile. Les assesseurs musulmans n'étaient pas toujours choisis avec discernement.
Enfin, l'évolution de la législation amena la réforme des juridictions civiles pour les Musulmans

              B) LA JUSTICE CIVILE ACTUELLE. - Il est nécessaire de donner aux populations musulmanes une justice simple, peu coûteuse et rapide. D'autre part, l'organisation judiciaire doit être fonction de la législation applicable.

En matière personnelle et mobilière pour l'ensemble des contrats, tant civils que commerciaux, la législation française régit les Musulmans résidant en Algérie du Nord.

Le droit musulman des obligations et des contrats, ccmme le droit civil français, est issu du droit romain qui a imprégné de son influence tout le bassin méditerranéen. Il n'y a donc eu aucun inconvénient d'étendre aux populations autochtones, en ces matières, la loi française.

Par contre, le statut personnel et successoral qui régit l'état et la capacité des personnes, la famille, la dévolution des biens après décès, reste soumis à la lente évolutiOrl des coutumes et usages locaux remontant à la période pré-islamique mais modifiés par le " Prophète " dans le but de mieux protéger la femme et les incapables. En ces matières, l'unanimité de l'interprétation des docteurs fait la loi.

Le régime de la propriété immobilière est mixte. Lorsque la terre est francisée, c'est-à-dire lorsqu'elle a fait l'objet d'un titre français, administratif, notarié ou judiciaire qui l'a identifiée, délimitée et qui a précisé le propriétaire, la loi française régit l'immeuble.

Dans le cas contraire, le droit musulman est seul applicable.

De cette dualité de droit résulte la dualité de juge. Le juge de paix est le juge de droit commun et le cadi le juge du statut personnel et successoral.
Le cadi a donc, actuellement, les attributions essentielles qu'il exerce traditionnellement en pays d'Islam.

Il importe que le juge soit près du justiciable. On ne peut guère imposer aux Musulmans d'Algérie des déplacements aux chefs-lieux d'arrondissement pour avoir audience à justice De plus, la procédure française est complexe et, par cela même, coûteuse. Aussi la justice civile des Musulmans est-elle décalée d'un degré par rapport à la justice civile française. Les juges de paix et les cadis sont juges de première instance, les tribunaux juges d'appel, la Cour d'Alger (Chambre de révision musulmane), organe de contrôle chargé de dire le droit.
                     1° En première instance.
                     a) En Algérie du Nord, pays arabe. - Le juge de paix, qu'il réside dans les villes ou dans les chefs-lieux de canton, connaît toutes les contestations civiles et commerciales entre les parties musulmanes lorsque le litige porte sur une affaire personnelle et mobilière ou sur un immeuble rural. Lorsque le litige porte sur un immeuble urbain francisé, le tribunal d'instance est, par exception, compétent pour appliquer la loi française.

Le juge de paix statue en dernier ressort jusqu'à 2.000 francs en matière mobilière et 3.000 francs en matière immobilière.

Au-delà de ces taux, il juge à charge d'appel. Si le droit français est applicable en matière personnelle et mobilière, le juge doit tenir compte, pour l'appréciation des conventions et l'admission de la preuve, des coutumes et usages des parties. Il est impossible d'exiger encore des justiciables illettrés la preuve écrite d'un contrat. De même, le droit français est applicable aux litiges concernant les immeubles ruraux francisés quant au fond du droit et aux modes de preuves, mais les questions de statut personnel et successoral qui peuvent se poser dans ces procès sont jugées d'après le droit musulman ou coutumier.

Pout les affaires immobilières concernant des immeubles non francisés, le juge de paix applique le droit musulman ou coutumier.

Le juge de paix statue aussi en référé, rend des ordonnances sur requête, conformément à la loi française, connaît des difficultés d'exécution des jugements.

Le cadi connaît, à charge d'appel, les contestations relatives au statut personnel et successoral, soit : l'état et la capacité des personnes, le mariage et sa dissolution, la paternité et la filiation, l'absence, la minorité, l'interdiction, la qualité et la capacité des héritiers, les droits successoraux, les donations à cause de mort, les testaments, le habous (ou fondations pieuses).

Le cadi a également compétence exceptionnelle pour juger les contestations personnelles et mobilières nées sur les marchés et dont l'importance ne dépasse pas 1.000 francs.

                     b) En Kabylie. - Dans ce pays où il n'y a jamais eu de cadi, le juge de paix est le juge de toutes les contestations entre autochtones, quel que soit le litige : personnel, mobilier, immobilier, de statut personnel ou successoral.

Le juge de paix est le seul juge du premier degré dans les arrondissements de Tizi-Ouzou, de Bougie et, en plus, dans les cantons de Périgotville, Mans oura (arrondissement de Sétif), Palestro, Bouira, Ain-Bessem (arrondissement d'Alger).

                     c) E n territoire du Sud. - Le droit musulman est seul applicable et le cadi est le juge de droit commun pour toutes contestations entre musulmans. Les populations du M'Zab ont des cadis ibadites ; les autres populations des cadis malékites. Le cadi statue en dernier ressort dans les litiges dont l'objet est inférieur à 1.000 francs.

En Algérie du Nord, 116 justices de paix, 81 mahakmas judiciaires dont 57 principales, et 24 annexes, rendent la justice aux musulmans en première instance. Dans les Territoires du Sud, il existe 23 mahakmas principales.

                     d) Option de juridiction. - En matière de statut personnel et successoral, les musulmans peuvent, d'un commun accord, soumettre leurs litiges aux juges de paix. De même, en Territoires du Sud, ils peuvent, pour toutes contestations, saisir le juge de paix.

Le magistrat applique, dans ce cas, le droit musulman.

                     2° En. appel.

Dans l'ensemble du territoire algérien, y compris les Territoires du Sud, l'appel des sentences prononcées en premier ressort par les juges de paix et les cadis est porté devant les tribunaux d'arrondissement. L'appel des sentences préparatoires ne peut être formé qu'avec la décision définitive.

                     3° La Chambre de révision.

Par l'intermédiaire d'un avocat ou d'un avoué à la Cour, les parties peuvent saisir la chambre de révision de la Cour d'Alger des jugements définitifs prononcés en matière musulmane et dans le délai de trois mois à compter du prononcé de la décision attaquée.

Mais la chambre de révision ne peut être saisie que de la violation du droit applicable dans les matières réservées (statut personnel, successoral, immobilier) des règles du droit musulman applicables à toutes les contestations dans les Territoires du Sud, des violations aux modes de preuves de droit musulman ou coutumier, des conflits de rite ou de coutume, des violations aux règles de procédure devant les juridictions musulmanes, des contrariétés de jugement.

                     4° Le pourvoi en cassation.

Le pourvoi en cassation est possible pour les violations de la loi française applicable aux affaires personnelles et mobilières et aux litiges concernant les immeubles ruraux francisés.

Ainsi toutes les violations de la loi ou du droit musulman ou coutumier peuvent être dénoncées à une juridiction de contrôle : soit la Cour de Cassation, soit la Chambre de révision musulmane.

                     5° La procédure.

La procédure est très simple Les parties comparaissent volontairement ou sur avertissement remis ar des " aouns ". Ces avertissements sont délivrés à personne ou à domicile, ou envoyés par la poste 311 encore lOssés à la commune mixte qui les fait parvenir par ses fonctionnaires administratifs. Si le défendeur ne comparait pas sur un premier avertissement, il lui en est envoyé un deuxième.

Au cas de nouveau défaut, le juge retient l'affaire. Les parties comparaissent en personne ou se font représenter par des avocats, des oukils (défenseurs musulmans nommés par le Procureur général) et exceptionnellement par des notables. Les représentants des plaideurs déposent généralement des notes écrites qui peuvent être développées oralement.

Les sentences en dernier ressort rendues par défaut en première instance peuvent être frappées d'opposition si la partie défaillante établit qu'elle n'a pas été touchée à personne et qu'elle avait quitté son domicile.

La sentence est signifiée au succombant par un avis et par l'intermédiaire de l'aoun.

L'appel des jugements définitifs en premier ressort est déclaré au greffe de la justice de paix ou à la mahakma dans le mois qui suit l'avis de décision et, au cas de sentence par défaut, le délai court du jour où la partie a eu connaissance du premier acte d'exécution.

Dans le mois de la déclaration d'appel, le greffier ou l'adel transmet le dossier au greffe du tribunal. Le Président du tribunal fixe le jour de l'audience et désigne un juge rapporteur. Les parties sont avisées d'avoir à comparaître par avertissements.

Les plaideurs sont tenus de fixer par notes écrites leurs prétentions et conclusions. A l'audience le juge fait un rapport écrit. Les représentants des parties peuvent plaider oralement. Le Ministère public est entendu dans ses conclusions

Si une partie ne comparait pas, il est statué par défaut, mais le défaillant peut frapper d'opposition le jugement dans les 15 jours qui suivent la connaissance du premier acte d'exécution.

Les juges peuvent ordonner toutes les mesures d'instruction (enquêtes, expertises, transports sur les lieux) prévues par la loi française. Tout jugement avant dire droit doit être exécuté dans l'année à peine de péremption.

Lorsque les femmes musulmanes sont appelées à comparaître en justice, comme parties ou comme témoins, le juge respecte les usages pour leur audition.

                     6° La procédure d'exécution.

Les décisions rendues en matière musulmane étant revêtues de la formule exécutoire, la partie succombante peut être contrainte par la force publique d'exécuter

En principe, l'agent d'exécution en matière musulmane est le cadi, que la décision soit prononcée par le juge de paix, le tribunal ou le cadi. Mais les juges de paix peuvent aussi désigner les huissiers.

Les saisies conservatoires au profit de créancier sont autorisées par ordonnances sur requête rendues par les juges de paix, de même que les saisies-arrêts. Les saisies-arrêts sont validées par jugement rendu par le juge de paix emportant condamnation et injonction au tiers saisi de se libérer au créancier saisissant.

Les saisies conservatoires sont aussi validées et transformées en saisies exécution par jugement du juge de paix.

Les saisies exécution sont précédées de commandement portant sommation de payer à huitaine, à quinzaine ou dans le mois suivant l'importance de la dette. Le cadi doit, en cas de non paiement, saisir d'abord les meubles et les vendre après publicité. Si la vente du mobilier est insuffisante pour désintéresser le créancier, le cadi peut saisir les immeubles qui sont vendus après publicité par affiches et insertions dans les journaux. L'adjudication ne devient définitive que si, dans le délai de deux mois, le débiteur ne rembourse pas l'adjudicataire.

L'INFLUENCE DE LA JURISPRUDENCE FRANÇAISE. -

En matière personnelle et mobilière, les tribunaux français appliquent la loi française mais doivent tenir compte des coutumes et usages de parties en ce qui concerne l'administration de la preuve. Le rôle des tribunaux n'est pas de figer la coutume, ils doivent, au contraire, suivre et aider son évolution. Aussi, la jurisprudence a-t-elle posé en principe que le juge ne doit pas se prononcer d'après une conviction puisée dans des éléments dont il a eu seul connaissance, mais d'après les règles de preuves légales soumises aux débats ; que les enquê- tes doivent être contradictoires et que les actes de notoriété unilatéraux dressés en cours d'instance doivent être rejetés ; que la tierce opposition d'une personne lésée par un jugement rendu dans une
instance où elle n'était pas partie est possible ; que les juges d'appel ne peuvent connaître des moyens nouveaux qui n'ont pas été soumis au premier juge, que le témoignage d'une seule femme peut servir de présomption en faveur de celui qui en bénéficie.

Dans les affaires de statut personnel et successoral, la jurisprudence française considVe avec infiniment de respect le dogme musulman. Cependant, elle intervient dans l'intérêt de la femme et des incapables pour leur assurer le maximum de droits compatibles avec les principes. Elle a décidé que la femme peut se dispenser du recours au ouali (tuteur en mariage), que la femme qui a cohabité déjà avec un mari est habile à consentir seule au nouveau mariage, que si le tuteur refuse abusivement un mariage il peut être passé outre, que le droit de contrainte matrimoniale ne peut être exercé contrairement à l'intérêt de l'enfant, que la durée de la grossesse est au maximum de 300 jours, que le divorce est admis au profit de la femme à peu près dans tous les cas où l'admettrait la loi française, que si la femme ne peut faire annuler une répudiation capricieuse, elle pc-ut réclamer des dommages- intérêts, que le mari qui reprend sa femme après répudiation et dans le délai de retraite légale doit notifier cette reprise à la femme ; que le seul intérêt de l'enfant doit guider le juge en matière de hadana (garde d'enfant) et que la distance maximum de 6 bérids (120 kilomètres) entre le domicile du père de l'enfant et la résidence de la gardienne n'était qu'indicative et non point fatale, au siècle des chemins de fer, autocars et avions.

Cette jurisprudence fait autorité et bon nombre de cadis motivent leurs sentences tant sur l'opinion des auteurs que sur les précédentes décisions des tribunaux et de la chambre de révision.

L. LABATUT, Avocat général,