Alger, Algérie : documents algériens
Série sociale
Nelly Paté
Grand prix artistique de l'Algérie
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ici, le 11-1-2012

* Document n° 22 de la série : Culturelle - Paru le 5 juillet 1947 - Rubrique GRAND PRIX

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Nelly Paté
Grand prix artistique de l'Algérie

Le 23 novembre 1946, le jury constitué pour attribuer le Grand Prix Artistique de l'Algérie fixait, par vote, au premier tour, son choix sur Nelly Paté. Ur .e vingtaine de concurrents s'étaient portés candidats pour ce prix, dotée d'une somme de vingt mille francs, et c'est à la salle Pierre Bordes que les oeuvres furent jugées. M. l'Ambassadeur Yves Chataigneau, Gouverneur Général de l'Algérie, ratifia cet heureux choix.

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Je me trouve en terrain bien délicat pour parler de Nelly Paté, de son oeuvre, sans offrir quelque surface à la critique ; et je dois m'efforcer de mériter l'honneur qui m'est fait d'avoir à relater, avec pertinence et sans partialité, une oeuvre située parmi tant d'autres, quelques-unes remarquables, de roll-liftés sérieuses et de vertus bien personnelles, justifiant cette compétition, sur un plan élevé de rart et qui pouvaient faire hésiter le jury.

Nous avons pu goûter les fruits de cette expérience qui, sur le plan des harmonies colorées et de a poésie pure, donne à ce Grand Prix Artistique toute sa signification en dehors d'un encouragement êeessaire.

LE PROBLEME PICTURAL.

Expliquer l'art d'un quelconque peintre, avec ou sans esthétique bien déterminée, placée instinctivement ou philosophiquement sur une voie plastique d'harmonies colorées, mathématique ou poétique, avec ou sans confusion de la statique et du mouvant dans un ensemble : unité du réel apparent ou construction de songes, c'est ouvrir cette même porte qui, pour tous les chercheurs et poètes constructeurs de " formes ", nous place devant les horizons infinis de la peinture, nous libère d'un passé rigide et borné que les règles de l'harmonie conditionnaient sur un plan unique : celui des accords préconçus. C'est entamer le chapitre toujours nouveau des problèmes délicats de la lumière et de la couleur. Faire une introduction à tout le domaine pictural par lequel se classent les valeurs, où le cas singulier de chacun, en faisant jouer les généralités, se prononce en formes inédites sur la toile, pour avoir seulement et visuellement soumis ces générosités aux ordres d'une passion. Une majoration toute poétique des aspects naturels pose la condition humaine dans le monde des harmonies révélatrices. Révélatrices du mouvant (mobiles secrets) et d'inerties substantielles (la matière).

VIE ET DEBUTS D'UNE CARRIERE D'ARTISTE.

Nelly Paté est née à Reims. De vieille souche champenoise, elle vint en Alger à l'âge de dix ans. Heureux contact. Les Champenois, on le sait, sont solides, pleins de robuste bon sens ; de leur terroir nous vient un vin merveilleux, source de gaîté fine et légère révélant un esprit auquel on peut associer sans nul doute notre héroïne.

Ainsi placée sous le ciel d'Algérie, vouée au spectacle des effets prodigieux de sa lumière, les goûts artistiques que Nelly Paté prit au contact d'Algériens cultivés et inspirés l'orientaient, quelques années plus tard, dans la voie de la peinture.

Elle suivit, élevé studieuse, les cours de l'Ecole Nationale des Beaux-Arts d'Alger, sous la direction de Léon Cauvy. Ses premiers pas dans la voie difficile de la peinture se firent sous l'influence de peintres algérois, disparus depuis, qui surent imprimer des marques, pleines d'intérêt, de leur tempérament 'Personnel.

Plus tard, avec la sensation d'un domaine pictural plus étendu que ne lui révélait son propre et seul exercice, elle vint près de moi chercher des conseils que je ne ménageais pas devant la géné
reuse sensibilité dont elle disposait pour son art. Elle prit aussi les conseils d'André Lhote, esthéticien notoire, autre climat et des plus passionnants. Enfin l'heure vint où elle dut se déterminer à choisir en des lieux où son coeur débordant posait les accents poétiques ou " majeurs ", les valeurs d'une nouvelle unité. Sa sensibilité fit s'épanouir des dons innés qui prirent, à cette époque de sa vie, le sens d'un drame intérieur mais aussi d'une vocation. Il semblait qu'une force impérieuse déclenchât chez elle de nouveaux ressorts. Ses hardiesses ne furent 'pas toujours convaincantes, mais je devais, par la suite, de contrastes en contrastes, lui découvrir un caractère plus net et une fonction plus certaine que de simples intentions cachées dans la couleur.

Elle dut composer avec un monde extérieur, enivrant, ici, faisant vivre les apparences plus par la lumière qu'ailleurs, spectacle jamais indigent. Elle eut à choisir entre une conscience du réel durable et fugitif qui fixait son goût et ses " apparences propres " ,lesquelles devaient se traduire en synthèses plastiques pour gagner la poésie nécessaire et marquer le dépôt d'un peu d'esprit de France dans le climat algérien de son oeuvre.

Diverses conditions, par ailleurs, contribuèrent à son évolution. Encouragée par le Gouvernement Général de l'Algérie : la Bourse d'Espagne lui permettait, l'Espagne étant fermée par suite de difficultés intérieures, de faire un voyage en Italie. Belle compensation. Il en valait peut-être mieux ainsi, elle fut sensible aux fruits splendides des arts italiens et d'un pays qu'elle comprenait mieux. Faut-il dire aussi qu'elle connaissait déjà la péninsule ibérique par un voyage précédent ? Ainsi que la Grèce, nous avons pu voir, en quelques pages constituées par di\ ers moyens picturaux, pastel, crayon, peinture, l'effort du peintre devant une nature divisée par les climats. Un bon travail, de sérieuses espérances.

Une maturité de vue devient vite une maturité d'exercice, lorsque celle-ci s'appuie sur le monde extérieur, et on y peut acquérir un style. Pouvait-on compter dès lors pour proche la création d'une oeuvre solidement composée et assez fine d'harmonie pour constituer une unité visuelle et installer le poète sur une attitude prise ?

Dans ces trois toiles récentes, exposées à la salle Pierre Bordes, elle a répondu : oui !

Cela est important et j'ose dire ma surprise devant cette fermeté de langage qui lia dans l'unité ces trois oeuvres de climat visiblement algérien dans la couleur. Ces compositions sont heureuses. Unité qui, au demeurant, rapproche nos meilleurs artistes Est-ce là une certitude pour l'avenir ?
Elle se révèle, en ce moment, en puissance de moyens et de dons personnels qui lui permettront, je l'espère bien, d'aborder d'autres rives et d'autres aspects d'un pays d'adoption si bien servi par la lumière. Se délivrer des entraves de la matière que tant de tendances plastiques portent en des lieux les plus obscurs, escomptant un pouvoir seulement pressenti.

Nelly Paté n'eut de cesse, dans la jeunesse de ses transports, d'exposer ses oeuvres à Paris, dans les grands salons qui se disputaient les diverses tendances de l'esthétique, chaque salon croyant la détenir au plan le plus élevé. Elle parcourut le cycle des trois plus grands : les " Tuileries ", les " Indépendants " et les " Artistes Français ". Ces diverses étapes ou " rondes d'essais ", l'entretenaient dans la voie des recherches personnelles au moment des pires divisions entre artistes.

Je la vois évoluer, mais elle demeure installée instinctivement sur sa vision aux nuances fines et persuasives ; je la sais capable de ces " retours à la poésie " soudains ; dans le chaos des contingences, propres à la peinture, renouveler la position du peintre et prendre l'attitude conforme à la beauté ressentie, conforme à l'étendue de son rêve

Ainsi la peinture suit son cours en Algérie, où les ferments de poésie se lèvent à chaque pas, où les a apparences réelles offertes à la vue, nous laissent perplexes, statuant sur une vie et des couleurs qui nous paraissent si puissantes et telles qu'elles entraînent le découragement, le doute de ne pouvoir jamais les révéler dans leur valeur attractive, recherchées dans l'oeuvre, et qui portent l'émotion partout où l'humain se dépouille d'un faux savoir, de fausses vérités entretenues par l'ignorance et une éducation imparfaite.

Je pense que Nelly Paté doit à l'Algérie le meilleur du sens d'un art conditionné par la lumière, art éclairé aux sources nord-africaines, lieux enchanteurs dont elle accorda les gammes colorées sur les horizons infinis de la poésie plastique.

Son succès actuel nous montre le bonheur qu'elle mit dans son jeu à étre digne et reconnaissante des encouragements qui lui furent prodigués sur sa terre d'adoption. Il sied d'accorder à Nelly Paté l'attention que mérite son noble effort.

J.-D. BASCOULES.