L'oeuvre de l'Institut
Pasteur en Algérie
Dr. Edmond SERGENT,
Membre de l'Institut,
Directeur de l'Institut Pasteur d'Algérie,
Le Gouverneur Général Th. Steeg a condensé, en 1926,
en une brève formule, le programme assigné à l'activité
de l'institut Pasteur : " Asile de réflexion et d'expérience
où la science se crée, où la science s'enseigne,
où la science s'applique. "
L'exposé de l'ceuvre de l'Institut Pasteur en Algérie, qu'a
bien voulu nous demander M. le Gouverneur Général Yves Chataigneau,
traitera donc : des travaux ayant pour objet l'avancement de la Science,
- de l'enseignement supérieur de la microbiologie donné
à des stagiaires ou s'adressant au public, - des Services pratiques,
d'analyses, d'enquêtes épidémiologiques, de sérothérapie
et de vaccinothérapie.
TRAVAUX DE RECHERCHE.
La participation de l'école de Pasteur à l'oeuvre médicale
française en Algérie débute par une découverte
éclatante. Le 6 novembre 1880, à Constantine, A. Laveran
découvre le parasite du paludisme. Ainsi, la cause d'un mal si
redouté et si répandu, de la grande plaie des pays chauds
n'était pas une émanation invisible des marais, un "
miasme " subtil, mais bien un microbe figuré. Cette découverte
a inauguré l'ère scientifique de la pathologie exotique
; elle a ouvert la voie aux recherches sur les maladies mystérieuses
convoyées par des insectes, qui, bien plus que le climat, interdisaient
l'accès des riches contrées tropicales à la race
blanche. En moins de quarante ans, grâce à Laveran, la médecine
des pays chauds a été transformée, rénovée,
la mise, en valeur des colonies rendue possible, des milliers d'existences
gardées saines et sauves. Calmette a pu dire : " L'oeuvre
de Laveran apparaît aujourd'hui comme .1a plus importante en médecine
et en hygiène après celle de Pasteur ". C'est pour
l'Algérie un motif de fierté légitime qu'une découverte
de si heureuse conséquence ait eu lieu sur son sol, et c'est pour
la science française un titre éminent à la reconnaissance
des populations indigènes. Laveran poursuivit lui-même à
l'Institut Pasteur, pendant 25 ans, des travaux sur d'autres maladies
des pays chauds causées par des protozoaires : les trypanosomiases
et les leishmanioses.
Dans le sillon ouvert par Laveran, sous l'inspiration du Dr. E. Roux et
conseillés par Félix Mesnil, Edmond Sergent et Etienne Sergent
instaurent, en 1900, des recherches sur les maladies infectieuses les
plus répandues en Algérie.
Ce sont surtout les affections transmises
par des insectes qui sont, depuis 46 ans, l'objet de leurs études
et de celles des membres de l'Institut Pasteur d'Algérie, au laboratoire
ou dans le bled.
Paludisme.
D'abord, les recherches sur le paludisme et sur la prophylaxie palustre.
Elles sont, plus tard, étendues grâce au concours d'une équipe
de collaborateurs : H. Faley, L. Parrot, A. Catanei. Dès 1900,
Edmond et Etienne Sergent vérifient la découverte par Ronald
Ross du mode de propagation du paludisme des oiseaux à Plasmodium
relictum, en transmettant l'infection au canari par l'intermédiaire
de moustiques communs. Ils confirment ensuite l'exactitude de la loi de
Grassi : " Pas de paludisme sans' anophélisme ", c'est-à-dire
sans la présence de certains moustiques. En même. temps,
ils démontrent l'existence, dans la France métropolitaine,
d'un état " d'anophélisrne sans paludisme ", observent
pour la première fois des différences morphologiques et
biologiques entre les Anopheles maculipennis des régions paludéennes
(Algérie, Vendée) et des régions qui ne sont plus
paludéennes (environs de Paris). Dans des " champs de démonstration
", établis dans les contrées les plus malsaines de
l'Algérie, ils élaborent les méthodes de l'étude
épidémiologique du paludisme, établissent la notion
du " seuil de danger " des cieux facteurs épidémiques
actifs du paludisme : le plasmodique et l'anophélien, et la notion
de l'importance de " l'apport de virus étranger ". Ils
expérimentent dans ces " champs de démonstration
" les procédés de la prophylaxie palustre, définissent
les " grandes mesures antilarvaires ", ouvrages de premier établissement,
et les " petites mesures antilarvaires ", travaux d'entretien,
sans lesquels les grandes mesures restent inefficaces. Ils inventent des
techniques nouvelles, comme celle de " l'alternance des écoulements
d'eau " et réalisent, pour la première fois en Algérie,
un colmatage vrai, au sens de Léonard de Vinci. Au cours de la
première guerre mondiale, les paludologues algériens sont
envoyés par le Ministre de la Guerre à l'armée d'Orient,
après le désastre sanitaire causé par le paludisme
dans cette armée en 1916. Les mesures prophylactiques rigoureuses
et sévères proposées par Edmond et Etienne Sergent
ont pour résultat de délivrer, en 1917 et en 1918, l'armée
d'Orient du péril paludéen.
Au laboratoire, l'expérimentation avec le paludisme des oiseaux
à Pl. relictum permet aux pastoriens d'Algérie d'aborder
Je problème de la prémunition contre le paludisme et de
divers modes possibles de vaccination, d'inventer une méthode d'épreuve
des médicaments antipaludiques, et la méthode de l'isodiagnostic,
indispensable dans les expériences de cet ordre. D'autre part,
ils découvrent le mode de transmission du paludisme des pigeons
(à licemoproteus columbce) par un hippoboscide : Lynchia manra,
fait inattendu, les autres paludismes connus étant propagés
par des moustiques. Enfin, ils complètent cette série de
travaux par l'étude morphologique et systématique des moustiques,
et, en particulier, des anophèles. A la demande du Comité
d'hygiène de la Société des Nations, l'Institut Pasteur
d'Algérie a collaboré à l'étude des médicaments
antipaludiques de synthèse appliqués à la prophylaxie
collective du paludisme. Ces études continuent encore actuellement
(L. Parrot et A. Catanei).
Fièvre
récurrente et typhus exanthématique.
En 1907, des circonstances particulièrement favorables à
l'observation et à l'expérimentation ont conduit Edmond
Sergent et H. Foley à la découverte du rôle du pou
dans la transmission de la fièvre récurrente. La démonstration
de ce rôle résulte d'une observation épidémiologique
rigoureuse, faite dans un milieu étroitement surveillé,
- de l'infection donnée au singe par l'inoculation de poux broyés,
- et enfin, preuve décisive, de la transmission expérimentale
de la maladie à l'homme, obtenue chez deux volontaires, isolés
dans un local parfaitement clos, désinfecté, et désinsectisé,
au moyen de poux infectés placés sous leurs couvertures.
Pour la première fois, le pou prenait ainsi place parmi les agents
vecteurs d'une maladie humaine (1907-1908). Sergent et Foley signalent
d'autre part l'absence d'éléments figurés dans le
broyat des poux infectieux et le fait que ce n'est point par piqûres
visibles que la transmission s'effectue.
La découverte du mode de transmission de la fièvre récurrente
devait nécessairement orienter vers le pou les recherches visant
à élucider le mode de transmission du typhus exanthématique.
Charle' Nicolle, Blaizot et Conseil, rappelant l'étroite parenté
épidémiologique, reconnue depuis longtemps, des deux maladies,
écrivaient en effet : " Les médecins qui se sont attachés
à l'étude de la fièvre récurrente dans l'Afrique
du Nord ont été tous frappés de l'analogie que présentent
ses épidémies avec celles du typhus exanthématique...
". C'est le 30 juin 1909 que Ch. Nicolle et ses collaborateurs font
à. Tunis leur première expérience sur la transmission
expérimentale du typhus exanthématique par le pou.
En juin 1914, Edmond Sergent, H. Foley et Ch. Vialatte découvrent,
en Algérie, le microbe du typhus chez des pous nourris sur des
malades et décrivent son évolution dans l'intestin de ces
insectes.
Fièvre
récurrente hispano-nord-africaine.
André Sergent signale, en 1933, l'existence en Algérie,
chez l'homme et chez le rat d'égoût, de la fièvre
récurrente hispano-nord-africaine à Spirochta hispanicum.
Il trouve aussi des Sp. hispanicum chez c2 s tiques, Rhip'icephalus sanguineus,
prélevées sur des chiens sains en apparence. Rh. sanguineus
n'avait pas encore été signalé comme second hôte
de ce spirochète. Dans un cas humain et dans une série de
cas expérimentaux chez le cobaye, l'infection a été
transmise par piqûre de cette tique.
Debab des dromadaires.
La principale maladie du dromadaire, l'animal indispensable au Sahara,
est, disent les nomades, le debab. Edm. et Et. Sergent découvrent,
en 1932, que cette maladie est due à un trypanosome. Leurs recherches
expérimentales prouvent qu'il est transmis par la piqûre
de taons dans le bled, et par celle des stomoxes dans les fondouks. L'étude
complète est faite des symptômes, de la distribution géographique
et de l'épizootiologie de la maladie. Le dixième du troupeau
camelin de l'Afrique du Nord est trouve infecté.
Des thérapeutiques chimiques efficaces sont établies. Si
l'on applique es techniques de prémunition et de traitement conseillées
par l'Institut Pasteur, on ne verra plus les ht catombes de dromadaires
qui ont marqué jadis l'expédition du Sersou, dirigée
par le Général Marey-Monge, et, plus tard, l'occupation
des oasis du Touat.
Piroplasmoses.
Tous les colons savent que le développement de leur cheptel bovin
et, en particulier, son amélioration par l'introduction de géniteurs
de races fines européennes, sont empêchés par une
maladie qu'ils appellent : la jaunisse. La mortalité atteint 100
% chez les animaux de souches françaises. Les travaux de l'Institut
Pasteur (Edm. Sergent, A. Donatien, L. Parrot et F. Lestoquard) ont montré
que sous ce nom de " jaunisse " il faut distinguer cinq piroplasmoses
bovines, dont les agents ont été déterminés,
le mode de propagation par les tiques démontré, des médications
efficaces trouvées. Enfin, une méthode de vaccination prémunitive
a été instaurée, qui permet de protéger les
bovins contre ces multiples piroplasmes. Un troupeau de bêtes croisées
ou indigènes, contaminé, perd en moyenne 16 % de son effectif.
La vaccination réduit les pertes, au maximum, à 1 %. Des
pacages luxuriants, désertés autrefois par crainte des piroplasmoses,
peuvent, à présent, être utilisés.
Des études du même ordre ont fait connaître les piroplasmoses
ovines et équines sévissant en Afrique du Nord (Donatien
et Lestoquard).
Bouton d'Orient.
Le bouton d'Orient, curieuse lésion cutanée qui dure des
mois, sévit dans des régions steppiques ou désertiques
: Biskra, Gafsa, Alep, Bagdad, Delhi. Il est dû à un protozoaire
: Leishmania tropica. On ignorait son mode de propagation, quand Edm.
et Et. Sergent concluent, en 1904, d'une étude épidémiologique
faite à Biskra, qu'il faut soupçonner un petit moucheron
piqueur, le phlébotome (Phlebotomus papatasi). Edm. et Et. Sergent,
L. Parrot, A. Donatien et M. Béguet démontrent, en 1921,
l'exactitude de leur hypothèse en transmettant le bouton d'Orient,
à Alger, pays indemne, à un sujet sain venant de France,
avec des phlébotomes capturés à Biskra, pays infecté.
Ils font l'étude de la répartition géographique du
bouton d'Orient en Algérie et au Sahara ; - l'étude morphologique
et biologique des phlébotomes et de leur taxinomie (L. Parrot)
; - l'étude de l'évolution du parasite chez le phlébotome
transmetteur (L. Parrot et A. Donatien).
La découverte du rôle joué par un phlébotome
(P. papatasi) dans la propagation du bouton d'Orient, ou leishmaniose
cutanée, conduit à incriminer d'autres phlébotomes
dans la transmission, du chien à l'enfant, d'une autre leishmaniose,
bien plus grave (leishmaniose générale ou viscérale),
et à constater l'évolution du parasite de la maladie dans
l'organisme de ces phlébotomes. (L. Parrot, A. Donatien, F. Lestoquard
et Edm. Plantureux).
Levures et Drosophiles.
Pasteur, dans ses immortelles expériences, avait démontré
que la fermentation du jus de raisin est due à des levures qui,
en automne, se trouvent sur la pellicule des grains de raisin mûr.
On croyait qu'elles y étaient portées par les poussières.
Edm. Sergent et H. Rougebief montrent, en 1924, en Algérie et à
Sauternes, que ce sont de petits moucherons, les drosophiles, qui vont
déposer, sur les raisins mûrs des vignobles, en même
temps que leur ponte, des levures dans leurs déjections. Dans le
jus des raisins écrasés, les levures pullulent, et elles
le font fermenter. En même temps, les oeufs de drosophiles éclosent.
Les larves de drosophiles se nourrissent de levures, qui passent dans
l'intestin des drosophiles adultes ailés. Il s'établit ainsi,
entre les le vures et les drosophiles, une sorte de mutualisme qui assure,
à la fois pour le microbe et l'insecte, la perpétuation
de l'espèce. La fermentation vinique est le résultat indirect
de cette association entre un insecte et un microbe.
Thimni, nouvelle
myiase humaine.
Edm. et Et. Sergent signalent, en 1907, que l'oestre du mouton (en kabyle
thimni, dans le dialecte des Touaregs tamné), qui n'était
connu jusqu'alors que comme parasite du mouton, peut pondre ses larves
sur la muqueuse oculaire ou nasale d'êtres humains, causant ainsi
des conjonctivites et des rhinites. Depuis cette date, cette maladie a
été retrouvée dans le monde entier.
Après l'énumération des maladies
humaines et animales dont la transmission par des insectes a été
mise en lumière par les travails,. effectués à l'Institut
Pasteur d'Algérie, nous signalerons les parasites nouveaux qu'ils
ont fait connaître.
Baïoudh du
dattier.
Dans le Sahara occidental, les Indigènes dénoncent, comme
la maladie la plus grave du dattiet, le baïoudh, dont l'extension
menace l'existence même des palmeraies. Edm. Sergent et M. Béguet
montrent, en 1921, la présence constante, et à l'état
de pureté, d'un champignon nouveau, dans les lésions ainsi
que dans les parties saines en apparence des dattiers malades. Ils obtiennent
régulièrement en culture pure ce champignon, en ensemençant
dans les milieux appropriés le tissu de palmes atteintes de baïoudh.
L'ensemencement de tissus de dattiers sains ou atteints de lésions
autres que le baïoudh n'a jamais donné de culture de ce champignon.
Il y a donc lieu de le considérer comme l'agent de la maladie.
Edm. Sergent et M. Béguet rapportent, d'après leurs enquêtes
faites à Figuig, que certaines variétés de dattiers
(par exemple l'àsian, et, à un degré moindre,
Paziza) résistent davantage au baïoudh que d'autres, comme
la ghars et l'afrokh ntigent.
Sergentella hominis
Brumpt :
Edm. et Et. Sergent découvrent, en 1903, un protozoaire d'une espèce
nouvelle dans le sang d'un Algérien d'origine européenne
atteint d'une affection fébrile inconnue, à symptômes
frustes.
Agalaxie contagieuse.
Bridré, et A. Donatien parviennent, en 1923, à cultiver
le virus de l'agalaxie contagieuse in vitro dans des milieux renfermant
une proportion convenable de sérum. A la faveur de ces cultures,
ils peuvent voir le microbe spécifique, microbe qui, par sa morphologie
et certains caractères biologiques, se rapproche du microbe de
la péripneumonie. C'est le deuxième exemple d'un microbe
filtrable, cultivable et visible.
Maladies des animaux
domestiques
A. Donatien et F. Lestoquard découvrent plusieurs Rickettsia, parasites
de différentes espèces animales, et font une étude
détaillée de leur cycle évolutif. Ils décrivent
des maladies nouvelles : l'anémie pernicieuse du mouton et de la
chèvre, la bartonellose du boeuf, le typhus du porc. Ils élucident
la question des maladies rouges du porc et inventent un procédé
de diagnostic rapide de la peste porcine par intradermo-réaction.
Mycoses, Teignes.
A. Catanei effectue de vastes enquêtes, sur des milliers de sujets,
qui lui permettent de préciser la répartition des teignes
en Algérie et leurs rapports avec les conditions démographiques.
Il fait l'étude systématique, par l'ensemencement en milieux
de culture et surtout par l'inoculation aux animaux, de nombretix champignons
causant des mycoses humaines ou animales, et décrit des espèces
nouvelles.
L'Institut Pasteur
d'Algérie poursuit l'étude épidémiologique
approfondie et de longue haleine d'autres maladies menaçantes pour
l'Algérie, en prenant pour base les recherches de laboratoire,
et en ayant pour objet l'instauration de méthodes prophylactiques
rationnelles.
Tuberculose.
La carte de la répartition de l'infection tuberculeuse chez les
Indigènes d'Algérie est établie par :a méthode
de la cuti-réaction à la tuberculine, grâce à
plus de 45.000 cuti-réactions vérifiées. Cette carte
a permis de suivre la marche de la contagion dans le pays. L'Institut
Pasteur d'Algérie, qui a délivré, de 1924 à
1946, 240.000 doses du vaccin antituberculeux B.C.G., poursuit, depuis
1935, l'application systématique de la vaccination antituberculeuse
par le B.C.G. dans la commune d'Alger, avec un contrôle rigoureux
de ses résultats. D'autre part, H. Foley et L. Parrot montrent,
depuis 1928, comment on peut effectuer la vaccination des enfants de tout
âge, sans cuti-réactions préalables, dans la population
rurale.
Les méthodes de lutte sociale contre la tuberculose, qui produisent
de bons résultats dans les pays civilisés - et d'autant
plus qu'ils sont plus civilisés - sont inapplicables dans les milieux
rureaux d'Algérie, à cause de la misère générale
des Indigènes, de leur imprévoyance et de leur ignorance.
Seule, dans ce pays de civilisation attardée, une méthode
de vaccination peut lutter contre la propagati,,n de la tuberculose. Cette
vaccination, le vaccin B.C.G. permet de la généraliser à
peu de frais.
Fièvre
ondulante.
L'étude épidémiologique de la fièvre ondulante,
ou brucellose, a permis à Edmond Sergent de conseiller, en 1908,
des mesures prophylactiques qui ont fait disparaître presque complètement
la fièvre ondulante des départements d'Alger et de Constantine.
On a montré, dès 1908, la fréquence de la contamination
par contact, et l'existence de plusieurs races de Brucella melitensis.
Trachome.
H. Foley, L. Parrot et Edmond Sergent effectuent des enquêtes sur
l'épidémiologie du trachome dans le Tell et au Sahara, L.
Parrot propose un projet de lutte contre le trachome en milieu indigène
rural et crée les " biout el aïnin ", organes principaux
de cette lutte.
De l'ensemble de ses recherches expérimentales,
l'institut Pasteur d'Algérie a tiré une théorie qui
intéresse à la fois la biologie générale et
la médecine, la théorie de la prémunition.
A côté de l'immunité " vraie " que procure
une première attaque de certaines maladies infectieuses (rougeole,
scarlatine), il distingue une autre forme de résistance acquise
qu'il a désignée sous le nom de prémunition, et qui
est caractérisée par le fait qu'après certaines autres
maladies infectieuses (paludisme, piroplasmose, tuberculose, syphilis,
récurrente, fièvre ondulante) l'organisme ne résiste
à une nouvelle contamination que tant qu'il héberge encore
des microbes. Le terme de prémunition est aujourd'hui entré
dans le langage scientifique. L'avantage de cette notion n'est pas seulement
d'ordre théorique : elle sert à définir et à
préciser les possibilités et les limites de la vaccination,
de la sérothérapie, et des méthodes prophylactiques,
pour chacune des maladies virulentes.
SERUMS, VACCINS, ETC... INVENTES A L'INSTITUT PASTEUR D'ALGERIE.
Sérum antiscorpionique.
L'Institut Pasteur d'Algérie a été sollicité
d'étudier la préparation d'un sérum contre les scorpions.
Les scorpions tuent, en Algérie, plus de monde que les vipères
à cornes : plusieurs dizaines de personnes par an. Etienne Sergent
a résolu la question. Ses recherches ont établi d'abord
la toxicité du venin des différents scorpions de l'Afrique
du Nord. Cette toxicité varie beaucoup d'une espèce à
l'autre et, pour la même espèce suivant les régions.
Ainsi, le scorpion dit " languedocien ", qui existe dans le
Midi de la France, n'y cause jamais d'accidents mortels, tandis que sur
le littoral algérien, aux portes d'Alger, il a plusieurs fois donné
la mort à des enfants européens. Etienne Sergent a ensuite
préparé un sérum antiscorpionique polyvalent qui,
au titrage, sauve de 80 à 100 % des souris, dont les témoins,
qui ont reçu la même dose de venin, meurent tous en moins
de deux heures. Chez les êtres humains piqués par des scorpions,
et qui présentent des symptômes alarmants faisant prévoir
une fin imminente, le sérum en sauve de 89 à 93 %.
Vaccin anticlaveleux.
La Métropole a intérêt à faire venir des moutons
d'Algérie, pour diminuer le prix de la viande sur les marchés
français. Mais les moutons d'Algérie peuvent introduire
en France la clavelée, maladie qu'ils supportent bien, tandis que
les moutons français y sont très sensibles. Par suite, le
Ministère de l'Agriculture n'autorise l'entrée en France
des moutons algériens vivants que s'ils sont préalablement
immunisés contre la clavelée. J. Bridré et A. Boguet
ont inventé un vaccin anticlaveleux sensibilisé qui produit
les meilleurs résultats et qui permet ainsi l'exportation en France
des moutons de l'Afrique du Nord, pour le plus grand profit des éleveurs
algériens et des consommateurs métropolitains. Ce vaccin
est demandé à l'Institut Pasteur d'Algérie par plusieurs
pays étrangers. A. Donatien et F. Lestoquard inventent une méthode
de contrôle de l'immunité anticlaveleuse par intradermo-réaction.
Virus-vaccins
antipiroplasmiques.
Une expérience de 20 ans, portant sur plus de 36.000 bovins, montre
l'efficacité et l'innocuité des virus-vaccins antipiroplasmiques
inventés à l'Institut Pasteur d'Algérie.
Vaccin contre
la lymphangite épizootique.
Cette maladie, appelée aussi farcin d'Afrique, cause de grandes
pertes en Algérie chez les chevaux, les mulets et les ânes.
L. Nègre et A. Boguet réalisent, en 1915, la culture du
microbe causal, le cryptocoque, et préparent, en 1918, avec ses
cultures. un vaccin anticryptococcique dont les vétérinaires
constatent les bons résultats.
Sérum
antibrucellique.
Edmond Sergent a préparé, chez le cheval, un sérum
contre la fièvre ondulante avec des souches algériennes
de Brucella melitensis. Ce sérum n'a aucune action sur les accès
aigus, mais il a procuré un soulagement complet et immédiat
dans les séquelles douloureuses tardives de la maladie.
Antagonisme microbien.
Edmond Sergent a obtenu, en 1903, un extrait de levure de bière
qui agit comme la levure fraiche sur les lésions suppuratives à
staphylocoques (furonculose de l'homme, abcès expérimentaux
sous-cutanés du lapin).
Vaccination par
des microbes colorés vivants.
Edmond Sergent a inoculé, en 1902, à des lapins, dans la
veine, ou dans le péritoine, ou sous la peau, des pneumocoques
colorés par le cristal-violet, qui étaient restés
bien vivants, car, ensemencés dans un milieu de culture approprié,
ils poussaient abondamment. Inoculés sous la peau, ces pneumocoques
colorés vivants tuaient les lapins aussi vite que les pneumocoques
non colorés ; inoculés dans une veine ou dans le péritoine,
ils ne les faisaient aucunement souffrir et les immunisaient solidement,
au contraire, comme une inoculation d'épreuve le montrait.
Extrait de Mélia
pour la protection des cultures contre les acridiens.
Le Melia azedarach est un arbre que les sauterelles pélerines
et leurs criquets n'attaquent jamais. A l'Institut Pasteur d'Algérie,
Michel Volkonsky a eu l'idée, en 1937, de tirer du Mélia
des extraits qui ont le même pouvoir répulsif que la plante
vivante sur les acridiens. Etienne Sergent, en 1944, simplifie la préparation
de ces extraits, les expérimente et en vulgarise l'emploi, efficace
en particulier pour la protection des potagers, des vergers et des cultures
les plus précieuses, telles celles qui poussent sous les dattiers
des oasis.
SERUMS, VACCINS, ETC... DONT LA PREPARATiON PARTICULIEREMENT
DEVELOPPEE A L'INSTITUT PASTEUR D'ALGERIE.
Sérum contre
la peste porcine.
La peste porcine, maladie due à un virus invisible, doit son nom
à la rapidité avec laquelle elle se propage et à
la gravité de ses atteintes. On peut dire que 95 % des animaux
frappés dans un troupeau succombent. L'Institut Pasteur (A. Donatien,
F. Lestoquard, Edm. Plantureux, G. Gayot) prépare, à Alger,
un sérum dont l'empli- inverse la proportion des pertes et sauve
95 % d'un effectif contaminé. Ce sérum satisfait non seulement
aux besoins de l'Algérie, mais à ceux de la Métropole
pour l'application de la séro-inoculation.
Vaccin
antirabique.
La rage est encore extrêmement répandue en Algérie
: le nombre des personnes traitées à Alger varie, suivant
les années, de 3.000 à 4.000. On poursuit, pour le traitement
préventif des personnes mordues, des essais d'un vaccin phéniqué,
en vue de déterminer s'il y a avantage et nul inconvénient
à l'employer à la place du vaccin préparé
avec les moelles desséchées.
Edm. Plantureux prépare, depuis 1930, un vaccin formolé
contre la rage, destiné à la vaccination des chiens avant
morsure. Les décrets présidentiels du 14 décembre
1929 et du 19 août 1936 dispensent de l'abatage, en Algérie,
les chiens mordus ou roulés par un animal enragé ou ayant
pu être en contact avec lui, pourvu qu'ils aient été
vaccinés depuis plus de 20 jours et moins d'un an, ou revaccinés
depuis moins d'un an. Plusieurs milliers de chiens sont vaccinés
préventivement chaque année. Le même vaccin peut être
utilisé, après morsure, chez les herbivores.
Vaccin antityphique
non vivant.
L'Institut Pasteur d'Algérie prépare, en grandes quantités,
le vaccin antityphique non vivant, d'après la méthode de
Paul Durand et Paul Giroud. Pour cette préparation, il utilise,
outre la souris et le lapin, deux nouveaux animaux, le mouton et la chèvre,
ce qui augmente beaucoup le rendement.
Vaccin antivariolique.
Ce vaccin est préparé pour l'Algérie et les Territoires
du Sud. Il a été délivré, pendant la guerre,
aux armées alliées. A. Donatien a instauré l'heureuse
technique de sacrifier la génisse avant la récolte du vaccin.
Ferments lactiques.
L'emploi des ferments lactiques contre les infections intestinales est
connu et pratiqué depuis longtemps. Une circonstance fortuite amena
l'Institut Pasteur d'Algérie à s'en occuper. Un médecin
de Bône ayant demandé, en 1917, du ferment bulgare, dont
la culture avait dû être abandonnée pendant la guerre,
Edmond Sergent lui envoya, pour remplacer ce bacille, un microcoque isolé
du beurre, d'un faible pouvoir acidifiant. Ces cultures eurent un effet
prodigieux dans le traitement de plusieurs cas de gastro-entérites
infantiles. Maurice Béguet fut alors chargé de cette étude.
Il établit les deux règles suivantes qui donnent des résultats
excellents : administrer des cultures fraîches (de moins de 4 jours,
tous les microbes y sont encore vivants), à doses massives, correspondant
au volume de la ration alimentaire qu'elles remplacent. Les cultures fraîchesde
ferments lactiques en lait écrémé ont, en plus de
leur action thérapeutique, une valeur nutritive qui met les nourrissons
à l'abri de l'inanition, danger de la diète hydrique.
ENSEIGNEMENT.
En plus de sa mission de recherche scientifique l'Institut Pasteur est
chargé de l'enseignement supérieur de la microbiologie par
la parole et par l'écrit :
- conférences et cours de paludologie ;
- stages, dans ses laboratoires, de travailleurs français ou étrangers
;
- direction scientifique des médecins désignés pour
les postes des Territoires du Sud ;
- publication chaque année de plusieurs dizaines de milliers de
tracts diffusant les notions nouvelles sur les maladies infectieuses et
leur prophylaxie ;
- enseignement par l'exemple, dans une Station expérimentale, des
méthodes inspirées par la microbiologie et applicables à
l'hygiène et à l'économie rurales.
- L. Parrot a écrit, en 1922, le " Livre de la bonne santé
" (Kitab eç Çih'h'a) avec une version en arabe,
" dédié aux Musulmans de l'Afrique du Nord par l'Institut
Pasteur ".
Toutes les recherches effectuées à l'Institut Pasteur d'Algérie,
ainsi que le compte rendu des applications pratiques, sont consignés,
chaque année, dans une publication trimestrielle, les Archives
de l'Institut Pasteur d'Algérie ; un Rapport annuel du Directeur
les résume. On y trouve également l'inventaire de recherches
sur les parasites d'animaux inférieurs et d'animaux sauvages :
bactéries, protozoaires, champignons, etc... Ces études
ne sont pas seulement intéressantes pour le naturaliste, mais par
les analogies qu'elles révèlent, elles apportent d'utiles
enseignements au médecin.
SERVICES PRATIQUES.
Enfin, l'Institut Pasteur d'Algérie assure des Services pratiques
d'intérêt public :
- Enquêtes et missions, demandées par le Gouverneur Général
;
- Service d'analyses microbiologiques concernant surtout les maladies
pestilentielles dont la constatation peut entraîner l'intervention
de l'Etat ;
- Service de préparation et de délivrance des sérums,
vaccins et produits microbiologiques nécessaires aux Services d'Assistance
et d'Hygiène et aux Services vétérinaires sanitaires
de l'Algérie.
Le Directeur de l'Institut Pasteur d'Algérie est le conseiller
technique du Gouverneur Général pour toutes les questions
de pathologie, d'hygiène et d'économie rurale relevant de
la microbiologie.
ETUDES SAHARIENNES DE L'INSTITUT PASTEUR D'ALGERIE.
L'exploration scientifique, du point de vue de la microbiologie, de la
parasitologie et de l'entomologie médicale, à laquelle s'est
livré l'Institut Pasteur d'Algérie, ne s'est pas bornée
au Tell, mais s'est étendue à tout le Sahara.
Nous rappellerons brièvement les principales découvertes
concernant la pathologie humaine, animale ou végétale du
désert :
- Découverte du mode de transmission de la fièvre récurrente
à poux ;
- Découverte du mode de transmission du bouton d'Orient ;
- Invention du sérum antiscorpionique ;
- Découverte du microbe qui cause la principale maladie du dromadaire,
un trypanosome, et de son mode de transmission ;
- Découverte du champignon qui cause la plus dangereuse maladie
du dattier ;
- Invention de l'extrait de Mélia, qui protège contre les
sauterelles pélerines et leurs criquets les cultures des palmeraies
;
- Décélement d'un foyer d'ankylostomiase dans une oasis
du Sud Constantinois.
H. Foley poursuit, depuis 40 ans, l'exploration scientifique du Sahara,
au cours d'un long séjour à Beni Ounif et de nombreuses
missions, et en dirigeant les investigations des médecins des Territoires
du Sud, qui sont tous ses élèves. Son oeuvre de prospection
n'est pas seulement médicale ; elle embrasse toutes les questions
de démographie et d'histoire naturelle.
RAYONNEMENT DE L'INSTITUT PASTEUR D'ALGERIE.
Le Directeur de l'Institut Pasteur d'Algérie a été
envoyé en Grèce, en 1919, par le Dr. E. Roux, pou négocier
avec le Gouvernement de ce pays les bases d'un Institut Pasteur à
Athènes et, de nouveau, ei 1934, pour la révision du contrat
passé entre l'Institut Pasteur de Paris et le Gouvernement hellénique.
Le Dr. Roux l'a également chargé, de 1928 à 1932,
de créer un Institut Pasteur à Casablanca, d'établir
un contrat avec le Gouvernement chérifien du Maroc, de choisir
l'emplacement du nouvel Institut, de le construire et de l'organiser.
Il a été appelé par le Comité d'hygiène
de la S.D.N., à faire partie de la Commission du paludisme de la
S.D.N., et à la présider à partir de 1935.
L'Institut Pasteur d'Algérie s'efforce de remplir la tâche
essentielle qui lui est assignée : contribuer à l'avancement
de la Science par des travaux de recherche. D'autre part, il assure les
Services pratiques, relevant de la microbiologie, nécessaires à
la préservation de la Santé publique et à l'Economie
rurale du pays. En Algérie, comme dans tous les pays d'outre-mer,
et plus encore que dans la Métropole, les travaux des Instituts
Pasteur ne présentent pas seulement un intérêt d'ordre
scientifique, mais' à ne les envisager que du point de vue utilitaire,
ils ont pour résultat une économie de vies humaines et de
journées de maladies, et la protection des troupeaux et des cultures.
Dr. Edmond SERGENT,
Membre de l'Institut,
Directeur de l'Institut Pasteur d'Algérie,
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