Alger, Algérie : documents algériens
Série sociale

L'oeuvre de l'Institut Pasteur en Algérie *
mise sur site le 1-5-2011
* Document n° 9 de la série : Sociale - Paru le 15 septembre 1946 - Rubrique INSTITUT PASTEUR

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L'oeuvre de l'Institut Pasteur en Algérie
Dr. Edmond SERGENT,
Membre de l'Institut,
Directeur de l'Institut Pasteur d'Algérie,


Le Gouverneur Général Th. Steeg a condensé, en 1926, en une brève formule, le programme assigné à l'activité de l'institut Pasteur : " Asile de réflexion et d'expérience où la science se crée, où la science s'enseigne, où la science s'applique. "

L'exposé de l'ceuvre de l'Institut Pasteur en Algérie, qu'a bien voulu nous demander M. le Gouverneur Général Yves Chataigneau, traitera donc : des travaux ayant pour objet l'avancement de la Science, - de l'enseignement supérieur de la microbiologie donné à des stagiaires ou s'adressant au public, - des Services pratiques, d'analyses, d'enquêtes épidémiologiques, de sérothérapie et de vaccinothérapie.

TRAVAUX DE RECHERCHE.


La participation de l'école de Pasteur à l'oeuvre médicale française en Algérie débute par une découverte éclatante. Le 6 novembre 1880, à Constantine, A. Laveran découvre le parasite du paludisme. Ainsi, la cause d'un mal si redouté et si répandu, de la grande plaie des pays chauds n'était pas une émanation invisible des marais, un " miasme " subtil, mais bien un microbe figuré. Cette découverte a inauguré l'ère scientifique de la pathologie exotique ; elle a ouvert la voie aux recherches sur les maladies mystérieuses convoyées par des insectes, qui, bien plus que le climat, interdisaient l'accès des riches contrées tropicales à la race blanche. En moins de quarante ans, grâce à Laveran, la médecine des pays chauds a été transformée, rénovée, la mise, en valeur des colonies rendue possible, des milliers d'existences gardées saines et sauves. Calmette a pu dire : " L'oeuvre de Laveran apparaît aujourd'hui comme .1a plus importante en médecine et en hygiène après celle de Pasteur ". C'est pour l'Algérie un motif de fierté légitime qu'une découverte de si heureuse conséquence ait eu lieu sur son sol, et c'est pour la science française un titre éminent à la reconnaissance des populations indigènes. Laveran poursuivit lui-même à l'Institut Pasteur, pendant 25 ans, des travaux sur d'autres maladies des pays chauds causées par des protozoaires : les trypanosomiases et les leishmanioses.

Dans le sillon ouvert par Laveran, sous l'inspiration du Dr. E. Roux et conseillés par Félix Mesnil, Edmond Sergent et Etienne Sergent instaurent, en 1900, des recherches sur les maladies infectieuses les plus répandues en Algérie.

Ce sont surtout les affections transmises par des insectes qui sont, depuis 46 ans, l'objet de leurs études et de celles des membres de l'Institut Pasteur d'Algérie, au laboratoire ou dans le bled.

      Paludisme.
D'abord, les recherches sur le paludisme et sur la prophylaxie palustre. Elles sont, plus tard, étendues grâce au concours d'une équipe de collaborateurs : H. Faley, L. Parrot, A. Catanei. Dès 1900, Edmond et Etienne Sergent vérifient la découverte par Ronald Ross du mode de propagation du paludisme des oiseaux à Plasmodium relictum, en transmettant l'infection au canari par l'intermédiaire de moustiques communs. Ils confirment ensuite l'exactitude de la loi de Grassi : " Pas de paludisme sans' anophélisme ", c'est-à-dire sans la présence de certains moustiques. En même. temps, ils démontrent l'existence, dans la France métropolitaine, d'un état " d'anophélisrne sans paludisme ", observent pour la première fois des différences morphologiques et biologiques entre les Anopheles maculipennis des régions paludéennes (Algérie, Vendée) et des régions qui ne sont plus paludéennes (environs de Paris). Dans des " champs de démonstration ", établis dans les contrées les plus malsaines de l'Algérie, ils élaborent les méthodes de l'étude épidémiologique du paludisme, établissent la notion du " seuil de danger " des cieux facteurs épidémiques actifs du paludisme : le plasmodique et l'anophélien, et la notion de l'importance de " l'apport de virus étranger ". Ils expérimentent dans ces " champs de
démonstration " les procédés de la prophylaxie palustre, définissent les " grandes mesures antilarvaires ", ouvrages de premier établissement, et les " petites mesures antilarvaires ", travaux d'entretien, sans lesquels les grandes mesures restent inefficaces. Ils inventent des techniques nouvelles, comme celle de " l'alternance des écoulements d'eau " et réalisent, pour la première fois en Algérie, un colmatage vrai, au sens de Léonard de Vinci. Au cours de la première guerre mondiale, les paludologues algériens sont envoyés par le Ministre de la Guerre à l'armée d'Orient, après le désastre sanitaire causé par le paludisme dans cette armée en 1916. Les mesures prophylactiques rigoureuses et sévères proposées par Edmond et Etienne Sergent ont pour résultat de délivrer, en 1917 et en 1918, l'armée d'Orient du péril paludéen.

Au laboratoire, l'expérimentation avec le paludisme des oiseaux à Pl. relictum permet aux pastoriens d'Algérie d'aborder Je problème de la prémunition contre le paludisme et de divers modes possibles de vaccination, d'inventer une méthode d'épreuve des médicaments antipaludiques, et la méthode de l'isodiagnostic, indispensable dans les expériences de cet ordre. D'autre part, ils découvrent le mode de transmission du paludisme des pigeons (à licemoproteus columbce) par un hippoboscide : Lynchia manra, fait inattendu, les autres paludismes connus étant propagés par des moustiques. Enfin, ils complètent cette série de travaux par l'étude morphologique et systématique des moustiques, et, en particulier, des anophèles. A la demande du Comité d'hygiène de la Société des Nations, l'Institut Pasteur d'Algérie a collaboré à l'étude des médicaments antipaludiques de synthèse appliqués à la prophylaxie collective du paludisme. Ces études continuent encore actuellement (L. Parrot et A. Catanei).

      Fièvre récurrente et typhus exanthématique.
En 1907, des circonstances particulièrement favorables à l'observation et à l'expérimentation ont conduit Edmond Sergent et H. Foley à la découverte du rôle du pou dans la transmission de la fièvre récurrente. La démonstration de ce rôle résulte d'une observation épidémiologique rigoureuse, faite dans un milieu étroitement surveillé, - de l'infection donnée au singe par l'inoculation de poux broyés, - et enfin, preuve décisive, de la transmission expérimentale de la maladie à l'homme, obtenue chez deux volontaires, isolés dans un local parfaitement clos, désinfecté, et désinsectisé, au moyen de poux infectés placés sous leurs couvertures. Pour la première fois, le pou prenait ainsi place parmi les agents vecteurs d'une maladie humaine (1907-1908). Sergent et Foley signalent d'autre part l'absence d'éléments figurés dans le broyat des poux infectieux et le fait que ce n'est point par piqûres visibles que la transmission s'effectue.

La découverte du mode de transmission de la fièvre récurrente devait nécessairement orienter vers le pou les recherches visant à élucider le mode de transmission du typhus exanthématique. Charle' Nicolle, Blaizot et Conseil, rappelant l'étroite parenté épidémiologique, reconnue depuis longtemps, des deux maladies, écrivaient en effet : " Les médecins qui se sont attachés à l'étude de la fièvre récurrente dans l'Afrique du Nord ont été tous frappés de l'analogie que présentent ses épidémies avec celles du typhus exanthématique... ". C'est le 30 juin 1909 que Ch. Nicolle et ses collaborateurs font à. Tunis leur première expérience sur la transmission expérimentale du typhus exanthématique par le pou.

En juin 1914, Edmond Sergent, H. Foley et Ch. Vialatte découvrent, en Algérie, le microbe du typhus chez des pous nourris sur des malades et décrivent son évolution dans l'intestin de ces insectes.

      Fièvre récurrente hispano-nord-africaine.
André Sergent signale, en 1933, l'existence en Algérie, chez l'homme et chez le rat d'égoût, de la fièvre récurrente hispano-nord-africaine à Spirochœta hispanicum. Il trouve aussi des Sp. hispanicum chez c2 s tiques, Rhip'icephalus sanguineus, prélevées sur des chiens sains en apparence. Rh. sanguineus n'avait pas encore été signalé comme second hôte de ce spirochète. Dans un cas humain et dans une série de cas expérimentaux chez le cobaye, l'infection a été transmise par piqûre de cette tique.

      Debab des dromadaires.
La principale maladie du dromadaire, l'animal indispensable au Sahara, est, disent les nomades, le debab. Edm. et Et. Sergent découvrent, en 1932, que cette maladie est due à un trypanosome. Leurs recherches expérimentales prouvent qu'il est transmis par la piqûre de taons dans le bled, et par celle des stomoxes dans les fondouks. L'étude complète est faite des symptômes, de la distribution géographique et de l'épizootiologie de la maladie. Le dixième du troupeau camelin de l'Afrique du Nord est trouve
infecté. Des thérapeutiques chimiques efficaces sont établies. Si l'on applique es techniques de prémunition et de traitement conseillées par l'Institut Pasteur, on ne verra plus les ht catombes de dromadaires qui ont marqué jadis l'expédition du Sersou, dirigée par le Général Marey-Monge, et, plus tard, l'occupation des oasis du Touat.

      Piroplasmoses.
Tous les colons savent que le développement de leur cheptel bovin et, en particulier, son amélioration par l'introduction de géniteurs de races fines européennes, sont empêchés par une maladie qu'ils appellent : la jaunisse. La mortalité atteint 100 % chez les animaux de souches françaises. Les travaux de l'Institut Pasteur (Edm. Sergent, A. Donatien, L. Parrot et F. Lestoquard) ont montré que sous ce nom de " jaunisse " il faut distinguer cinq piroplasmoses bovines, dont les agents ont été déterminés, le mode de propagation par les tiques démontré, des médications efficaces trouvées. Enfin, une méthode de vaccination prémunitive a été instaurée, qui permet de protéger les bovins contre ces multiples piroplasmes. Un troupeau de bêtes croisées ou indigènes, contaminé, perd en moyenne 16 % de son effectif. La vaccination réduit les pertes, au maximum, à 1 %. Des pacages luxuriants, désertés autrefois par crainte des piroplasmoses, peuvent, à présent, être utilisés.

Des études du même ordre ont fait connaître les piroplasmoses ovines et équines sévissant en Afrique du Nord (Donatien et Lestoquard).

      Bouton d'Orient.
Le bouton d'Orient, curieuse lésion cutanée qui dure des mois, sévit dans des régions steppiques ou désertiques : Biskra, Gafsa, Alep, Bagdad, Delhi. Il est dû à un protozoaire : Leishmania tropica. On ignorait son mode de propagation, quand Edm. et Et. Sergent concluent, en 1904, d'une étude épidémiologique faite à Biskra, qu'il faut soupçonner un petit moucheron piqueur, le phlébotome (Phlebotomus papatasi). Edm. et Et. Sergent, L. Parrot, A. Donatien et M. Béguet démontrent, en 1921, l'exactitude de leur hypothèse en transmettant le bouton d'Orient, à Alger, pays indemne, à un sujet sain venant de France, avec des phlébotomes capturés à Biskra, pays infecté. Ils font l'étude de la répartition géographique du bouton d'Orient en Algérie et au Sahara ; - l'étude morphologique et biologique des phlébotomes et de leur taxinomie (L. Parrot) ; - l'étude de l'évolution du parasite chez le phlébotome transmetteur (L. Parrot et A. Donatien).

La découverte du rôle joué par un phlébotome (P. papatasi) dans la propagation du bouton d'Orient, ou leishmaniose cutanée, conduit à incriminer d'autres phlébotomes dans la transmission, du chien à l'enfant, d'une autre leishmaniose, bien plus grave (leishmaniose générale ou viscérale), et à constater l'évolution du parasite de la maladie dans l'organisme de ces phlébotomes. (L. Parrot, A. Donatien, F. Lestoquard et Edm. Plantureux).

      Levures et Drosophiles.
Pasteur, dans ses immortelles expériences, avait démontré que la fermentation du jus de raisin est due à des levures qui, en automne, se trouvent sur la pellicule des grains de raisin mûr. On croyait qu'elles y étaient portées par les poussières. Edm. Sergent et H. Rougebief montrent, en 1924, en Algérie et à Sauternes, que ce sont de petits moucherons, les drosophiles, qui vont déposer, sur les raisins mûrs des vignobles, en même temps que leur ponte, des levures dans leurs déjections. Dans le jus des raisins écrasés, les levures pullulent, et elles le font fermenter. En même temps, les oeufs de drosophiles éclosent. Les larves de drosophiles se nourrissent de levures, qui passent dans l'intestin des drosophiles adultes ailés. Il s'établit ainsi, entre les le vures et les drosophiles, une sorte de mutualisme qui assure, à la fois pour le microbe et l'insecte, la perpétuation de l'espèce. La fermentation vinique est le résultat indirect de cette association entre un insecte et un microbe.

      Thimni, nouvelle myiase humaine.
Edm. et Et. Sergent signalent, en 1907, que l'oestre du mouton (en kabyle thimni, dans le dialecte des Touaregs tamné), qui n'était connu jusqu'alors que comme parasite du mouton, peut pondre ses larves sur la muqueuse oculaire ou nasale d'êtres humains, causant ainsi des conjonctivites et des rhinites. Depuis cette date, cette maladie a été retrouvée dans le monde entier.

Après l'énumération des maladies humaines et animales dont la transmission par des insectes a été mise en lumière par les travails,. effectués à l'Institut Pasteur d'Algérie, nous signalerons les parasites nouveaux qu'ils ont fait connaître.

      Baïoudh du dattier.
Dans le Sahara occidental, les Indigènes dénoncent, comme la maladie la plus grave du dattiet, le baïoudh, dont l'extension menace l'existence même des palmeraies. Edm. Sergent et M. Béguet montrent, en 1921, la présence constante, et à l'état de pureté, d'un champignon nouveau, dans les lésions ainsi que dans les parties saines en apparence des dattiers malades. Ils obtiennent régulièrement en culture pure ce champignon, en ensemençant dans les milieux appropriés le tissu de palmes atteintes de baïoudh. L'ensemencement de tissus de dattiers sains ou atteints de lésions autres que le baïoudh n'a jamais donné de culture de ce champignon. Il y a donc lieu de le considérer comme l'agent de la maladie. Edm. Sergent et M. Béguet rapportent, d'après leurs enquêtes faites à Figuig, que certaines variétés de dattiers (par exemple l'àsian, et, à un degré moindre, Paziza) résistent davantage au baïoudh que d'autres, comme la ghars et l'afrokh ntigent.

      Sergentella hominis Brumpt :
Edm. et Et. Sergent découvrent, en 1903, un protozoaire d'une espèce nouvelle dans le sang d'un Algérien d'origine européenne atteint d'une affection fébrile inconnue, à symptômes frustes.

      Agalaxie contagieuse.
Bridré, et A. Donatien parviennent, en 1923, à cultiver le virus de l'agalaxie contagieuse in vitro dans des milieux renfermant une proportion convenable de sérum. A la faveur de ces cultures, ils peuvent voir le microbe spécifique, microbe qui, par sa morphologie et certains caractères biologiques, se rapproche du microbe de la péripneumonie. C'est le deuxième exemple d'un microbe filtrable, cultivable et visible.

      Maladies des animaux domestiques
A. Donatien et F. Lestoquard découvrent plusieurs Rickettsia, parasites de différentes espèces animales, et font une étude détaillée de leur cycle évolutif. Ils décrivent des maladies nouvelles : l'anémie pernicieuse du mouton et de la chèvre, la bartonellose du boeuf, le typhus du porc. Ils élucident la question des maladies rouges du porc et inventent un procédé de diagnostic rapide de la peste porcine par intradermo-réaction.

      Mycoses, Teignes.
A. Catanei effectue de vastes enquêtes, sur des milliers de sujets, qui lui permettent de préciser la répartition des teignes en Algérie et leurs rapports avec les conditions démographiques. Il fait l'étude systématique, par l'ensemencement en milieux de culture et surtout par l'inoculation aux animaux, de nombretix champignons causant des mycoses humaines ou animales, et décrit des espèces nouvelles.

L'Institut Pasteur d'Algérie poursuit l'étude épidémiologique approfondie et de longue haleine d'autres maladies menaçantes pour l'Algérie, en prenant pour base les recherches de laboratoire, et en ayant pour objet l'instauration de méthodes prophylactiques rationnelles.

      Tuberculose.
La carte de la répartition de l'infection tuberculeuse chez les Indigènes d'Algérie est établie par :a méthode de la cuti-réaction à la tuberculine, grâce à plus de 45.000 cuti-réactions vérifiées. Cette carte a permis de suivre la marche de la contagion dans le pays. L'Institut Pasteur d'Algérie, qui a délivré, de 1924 à 1946, 240.000 doses du vaccin antituberculeux B.C.G., poursuit, depuis 1935, l'application systématique de la vaccination antituberculeuse par le B.C.G. dans la commune d'Alger, avec un contrôle rigoureux de ses résultats. D'autre part, H. Foley et L. Parrot montrent, depuis 1928, comment on peut effectuer la vaccination des enfants de tout âge, sans cuti-réactions préalables, dans la population rurale.

Les méthodes de lutte sociale contre la tuberculose, qui produisent de bons résultats dans les pays civilisés - et d'autant plus qu'ils sont plus civilisés - sont inapplicables dans les milieux rureaux d'Algérie, à cause de la misère générale des Indigènes, de leur imprévoyance et de leur ignorance. Seule, dans ce pays de civilisation attardée, une méthode de vaccination peut lutter contre la propagati,,n de la tuberculose. Cette vaccination, le vaccin B.C.G. permet de la généraliser à peu de frais.

      Fièvre ondulante.
L'étude épidémiologique de la fièvre ondulante, ou brucellose, a permis à Edmond Sergent de conseiller, en 1908, des mesures prophylactiques qui ont fait disparaître presque complètement la fièvre ondulante des départements d'Alger et de Constantine. On a montré, dès 1908, la fréquence de la contamination par contact, et l'existence de plusieurs races de Brucella melitensis.

      Trachome.
H. Foley, L. Parrot et Edmond Sergent effectuent des enquêtes sur l'épidémiologie du trachome dans le Tell et au Sahara, L. Parrot propose un projet de lutte contre le trachome en milieu indigène rural et crée les " biout el aïnin ", organes principaux de cette lutte.

De l'ensemble de ses recherches expérimentales, l'institut Pasteur d'Algérie a tiré une théorie qui intéresse à la fois la biologie générale et la médecine, la théorie de la prémunition.

A côté de l'immunité " vraie " que procure une première attaque de certaines maladies infectieuses (rougeole, scarlatine), il distingue une autre forme de résistance acquise qu'il a désignée sous le nom de prémunition, et qui est caractérisée par le fait qu'après certaines autres maladies infectieuses (paludisme, piroplasmose, tuberculose, syphilis, récurrente, fièvre ondulante) l'organisme ne résiste à une nouvelle contamination que tant qu'il héberge encore des microbes. Le terme de prémunition est aujourd'hui entré dans le langage scientifique. L'avantage de cette notion n'est pas seulement d'ordre théorique : elle sert à définir et à préciser les possibilités et les limites de la vaccination, de la sérothérapie, et des méthodes prophylactiques, pour chacune des maladies virulentes.

SERUMS, VACCINS, ETC... INVENTES A L'INSTITUT PASTEUR D'ALGERIE.


      Sérum antiscorpionique.
L'Institut Pasteur d'Algérie a été sollicité d'étudier la préparation d'un sérum contre les scorpions. Les scorpions tuent, en Algérie, plus de monde que les vipères à cornes : plusieurs dizaines de personnes par an. Etienne Sergent a résolu la question. Ses recherches ont établi d'abord la toxicité du venin des différents scorpions de l'Afrique du Nord. Cette toxicité varie beaucoup d'une espèce à l'autre et, pour la même espèce suivant les régions. Ainsi, le scorpion dit " languedocien ", qui existe dans le Midi de la France, n'y cause jamais d'accidents mortels, tandis que sur le littoral algérien, aux portes d'Alger, il a plusieurs fois donné la mort à des enfants européens. Etienne Sergent a ensuite préparé un sérum antiscorpionique polyvalent qui, au titrage, sauve de 80 à 100 % des souris, dont les témoins, qui ont reçu la même dose de venin, meurent tous en moins de deux heures. Chez les êtres humains piqués par des scorpions, et qui présentent des symptômes alarmants faisant prévoir une fin imminente, le sérum en sauve de 89 à 93 %.

      Vaccin anticlaveleux.
La Métropole a intérêt à faire venir des moutons d'Algérie, pour diminuer le prix de la viande sur les marchés français. Mais les moutons d'Algérie peuvent introduire en France la clavelée, maladie qu'ils supportent bien, tandis que les moutons français y sont très sensibles. Par suite, le Ministère de l'Agriculture n'autorise l'entrée en France des moutons algériens vivants que s'ils sont préalablement immunisés contre la clavelée. J. Bridré et A. Boguet ont inventé un vaccin anticlaveleux sensibilisé qui produit les meilleurs résultats et qui permet ainsi l'exportation en France des moutons de l'Afrique du Nord, pour le plus grand profit des éleveurs algériens et des consommateurs métropolitains. Ce vaccin est demandé à l'Institut Pasteur d'Algérie par plusieurs pays étrangers. A. Donatien et F. Lestoquard inventent une méthode de contrôle de l'immunité anticlaveleuse par intradermo-réaction.

      Virus-vaccins antipiroplasmiques.
Une expérience de 20 ans, portant sur plus de 36.000 bovins, montre l'efficacité et l'innocuité des virus-vaccins antipiroplasmiques inventés à l'Institut Pasteur d'Algérie.

      Vaccin contre la lymphangite épizootique.
Cette maladie, appelée aussi farcin d'Afrique, cause de grandes pertes en Algérie chez les chevaux, les mulets et les ânes. L. Nègre et A. Boguet réalisent, en 1915, la culture du microbe causal, le cryptocoque, et préparent, en 1918, avec ses cultures. un vaccin anticryptococcique dont les vétérinaires constatent les bons résultats.

      Sérum antibrucellique.
Edmond Sergent a préparé, chez le cheval, un sérum contre la fièvre ondulante avec des souches algériennes de Brucella melitensis. Ce sérum n'a aucune action sur les accès aigus, mais il a procuré un soulagement complet et immédiat dans les séquelles douloureuses tardives de la maladie.

      Antagonisme microbien.
Edmond Sergent a obtenu, en 1903, un extrait de levure de bière qui agit comme la levure fraiche sur les lésions suppuratives à staphylocoques (furonculose de l'homme, abcès expérimentaux sous-cutanés du lapin).

      Vaccination par des microbes colorés vivants.
Edmond Sergent a inoculé, en 1902, à des lapins, dans la veine, ou dans le péritoine, ou sous la peau, des pneumocoques colorés par le cristal-violet, qui étaient restés bien vivants, car, ensemencés dans un milieu de culture approprié, ils poussaient abondamment. Inoculés sous la peau, ces pneumocoques colorés vivants tuaient les lapins aussi vite que les pneumocoques non colorés ; inoculés dans une veine ou dans le péritoine, ils ne les faisaient aucunement souffrir et les immunisaient solidement, au contraire, comme une inoculation d'épreuve le montrait.

      Extrait de Mélia pour la protection des cultures contre les acridiens.
Le Melia azedarach est un arbre que les sauterelles pélerines et leurs criquets n'attaquent jamais. A l'Institut Pasteur d'Algérie, Michel Volkonsky a eu l'idée, en 1937, de tirer du Mélia des extraits qui ont le même pouvoir répulsif que la plante vivante sur les acridiens. Etienne Sergent, en 1944, simplifie la préparation de ces extraits, les expérimente et en vulgarise l'emploi, efficace en particulier pour la protection des potagers, des vergers et des cultures les plus précieuses, telles celles qui poussent sous les dattiers des oasis.

SERUMS, VACCINS, ETC... DONT LA PREPARATiON PARTICULIEREMENT DEVELOPPEE A L'INSTITUT PASTEUR D'ALGERIE.

      Sérum contre la peste porcine.
La peste porcine, maladie due à un virus invisible, doit son nom à la rapidité avec laquelle elle se propage et à la gravité de ses atteintes. On peut dire que 95 % des animaux frappés dans un troupeau succombent. L'Institut Pasteur (A. Donatien, F. Lestoquard, Edm. Plantureux, G. Gayot) prépare, à Alger, un sérum dont l'empli- inverse la proportion des pertes et sauve 95 % d'un effectif contaminé. Ce sérum satisfait non seulement aux besoins de l'Algérie, mais à ceux de la Métropole pour l'application de la séro-inoculation.

      Vaccin antirabique.
La rage est encore extrêmement répandue en Algérie : le nombre des personnes traitées à Alger varie, suivant les années, de 3.000 à 4.000. On poursuit, pour le traitement préventif des personnes mordues, des essais d'un vaccin phéniqué, en vue de déterminer s'il y a avantage et nul inconvénient à l'employer à la place du vaccin préparé avec les moelles desséchées.

Edm. Plantureux prépare, depuis 1930, un vaccin formolé contre la rage, destiné à la vaccination des chiens avant morsure. Les décrets présidentiels du 14 décembre 1929 et du 19 août 1936 dispensent de l'abatage, en Algérie, les chiens mordus ou roulés par un animal enragé ou ayant pu être en contact avec lui, pourvu qu'ils aient été vaccinés depuis plus de 20 jours et moins d'un an, ou revaccinés depuis moins d'un an. Plusieurs milliers de chiens sont vaccinés préventivement chaque année. Le même vaccin peut être utilisé, après morsure, chez les herbivores.

      Vaccin antityphique non vivant.
L'Institut Pasteur d'Algérie prépare, en grandes quantités, le vaccin antityphique non vivant, d'après la méthode de Paul Durand et Paul Giroud. Pour cette préparation, il utilise, outre la souris et le lapin, deux nouveaux animaux, le mouton et la chèvre, ce qui augmente beaucoup le rendement.

      Vaccin antivariolique.
Ce vaccin est préparé pour l'Algérie et les Territoires du Sud. Il a été délivré, pendant la guerre, aux armées alliées. A. Donatien a instauré l'heureuse technique de sacrifier la génisse avant la récolte du vaccin.

      Ferments lactiques.
L'emploi des ferments lactiques contre les infections intestinales est connu et pratiqué depuis longtemps. Une circonstance fortuite amena l'Institut Pasteur d'Algérie à s'en occuper. Un médecin de Bône ayant demandé, en 1917, du ferment bulgare, dont la culture avait dû être abandonnée pendant la guerre, Edmond Sergent lui envoya, pour remplacer ce bacille, un microcoque isolé du beurre, d'un faible pouvoir acidifiant. Ces cultures eurent un effet prodigieux dans le traitement de plusieurs cas de gastro-entérites infantiles. Maurice Béguet fut alors chargé de cette étude. Il établit les deux règles suivantes qui donnent des résultats excellents : administrer des cultures fraîches (de moins de 4 jours, tous les microbes y sont encore vivants), à doses massives, correspondant au volume de la ration alimentaire qu'elles remplacent. Les cultures fraîchesde ferments lactiques en lait écrémé ont, en plus de leur action thérapeutique, une valeur nutritive qui met les nourrissons à l'abri de l'inanition, danger de la diète hydrique.

ENSEIGNEMENT
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En plus de sa mission de recherche scientifique l'Institut Pasteur est chargé de l'enseignement supérieur de la microbiologie par la parole et par l'écrit :
- conférences et cours de paludologie ;
- stages, dans ses laboratoires, de travailleurs français ou étrangers ;
- direction scientifique des médecins désignés pour les postes des Territoires du Sud ;
- publication chaque année de plusieurs dizaines de milliers de tracts diffusant les notions nouvelles sur les maladies infectieuses et leur prophylaxie ;
- enseignement par l'exemple, dans une Station expérimentale, des méthodes inspirées par la microbiologie et applicables à l'hygiène et à l'économie rurales.
- L. Parrot a écrit, en 1922, le " Livre de la bonne santé " (Kitab eç Çih'h'a) avec une version en arabe, " dédié aux Musulmans de l'Afrique du Nord par l'Institut Pasteur ".

Toutes les recherches effectuées à l'Institut Pasteur d'Algérie, ainsi que le compte rendu des applications pratiques, sont consignés, chaque année, dans une publication trimestrielle, les Archives de l'Institut Pasteur d'Algérie ; un Rapport annuel du Directeur les résume. On y trouve également l'inventaire de recherches sur les parasites d'animaux inférieurs et d'animaux sauvages : bactéries, protozoaires, champignons, etc... Ces études ne sont pas seulement intéressantes pour le naturaliste, mais par les analogies qu'elles révèlent, elles apportent d'utiles enseignements au médecin.

SERVICES PRATIQUES.


Enfin, l'Institut Pasteur d'Algérie assure des Services pratiques d'intérêt public :
- Enquêtes et missions, demandées par le Gouverneur Général ;
- Service d'analyses microbiologiques concernant surtout les maladies pestilentielles dont la constatation peut entraîner l'intervention de l'Etat ;
- Service de préparation et de délivrance des sérums, vaccins et produits microbiologiques nécessaires aux Services d'Assistance et d'Hygiène et aux Services vétérinaires sanitaires de l'Algérie.

Le Directeur de l'Institut Pasteur d'Algérie est le conseiller technique du Gouverneur Général pour toutes les questions de pathologie, d'hygiène et d'économie rurale relevant de la microbiologie.

ETUDES SAHARIENNES DE L'INSTITUT PASTEUR D'ALGERIE.


L'exploration scientifique, du point de vue de la microbiologie, de la parasitologie et de l'entomologie médicale, à laquelle s'est livré l'Institut Pasteur d'Algérie, ne s'est pas bornée au Tell, mais s'est étendue à tout le Sahara.

Nous rappellerons brièvement les principales découvertes concernant la pathologie humaine, animale ou végétale du désert :
- Découverte du mode de transmission de la fièvre récurrente à poux ;
- Découverte du mode de transmission du bouton d'Orient ;
- Invention du sérum antiscorpionique ;
- Découverte du microbe qui cause la principale maladie du dromadaire, un trypanosome, et de son mode de transmission ;
- Découverte du champignon qui cause la plus dangereuse maladie du dattier ;
- Invention de l'extrait de Mélia, qui protège contre les sauterelles pélerines et leurs criquets les cultures des palmeraies ;
- Décélement d'un foyer d'ankylostomiase dans une oasis du Sud Constantinois.

H. Foley poursuit, depuis 40 ans, l'exploration scientifique du Sahara, au cours d'un long séjour à Beni Ounif et de nombreuses missions, et en dirigeant les investigations des médecins des Territoires du Sud, qui sont tous ses élèves. Son oeuvre de prospection n'est pas seulement médicale ; elle embrasse toutes les questions de démographie et d'histoire naturelle.

RAYONNEMENT DE L'INSTITUT PASTEUR D'ALGERIE.

Le Directeur de l'Institut Pasteur d'Algérie a été envoyé en Grèce, en 1919, par le Dr. E. Roux, pou négocier avec le Gouvernement de ce pays les bases d'un Institut Pasteur à Athènes et, de nouveau, ei 1934, pour la révision du contrat passé entre l'Institut Pasteur de Paris et le Gouvernement hellénique.

Le Dr. Roux l'a également chargé, de 1928 à 1932, de créer un Institut Pasteur à Casablanca, d'établir un contrat avec le Gouvernement chérifien du Maroc, de choisir l'emplacement du nouvel Institut, de le construire et de l'organiser.

Il a été appelé par le Comité d'hygiène de la S.D.N., à faire partie de la Commission du paludisme de la S.D.N., et à la présider à partir de 1935.

L'Institut Pasteur d'Algérie s'efforce de remplir la tâche essentielle qui lui est assignée : contribuer à l'avancement de la Science par des travaux de recherche. D'autre part, il assure les Services pratiques, relevant de la microbiologie, nécessaires à la préservation de la Santé publique et à l'Economie rurale du pays. En Algérie, comme dans tous les pays d'outre-mer, et plus encore que dans la Métropole, les travaux des Instituts Pasteur ne présentent pas seulement un intérêt d'ordre scientifique, mais' à ne les envisager que du point de vue utilitaire, ils ont pour résultat une économie de vies humaines et de journées de maladies, et la protection des troupeaux et des cultures.

Dr. Edmond SERGENT,
Membre de l'Institut,
Directeur de l'Institut Pasteur d'Algérie,