L'Habitat social en
Algérie
La nécessité d'apporter des
améliorations à la condition matérielle et morale
de certaines catégories de populations d'Algérie, particulièrement
dignes d'intérêt en raison de leur situation très
modeste, s'est imposée aux Pouvoirs publics bien avant le dernier
conflit mondial.
Au cours des années qui l'ont précédé, l'Administration
s'était déjà préoccupée de déterminer
les besoins en logement et de satisfaire à ces derniers au moyen
de ressources proprement algériennes et de crédits spéciaux
mis à la disposition de l'Algérie par la Métropole.
Différents systèmes originaux pour améliorer une
situation difficile furent envisagés mais, n'ayant jamais reçu
de consécration légale, ils furent l'objet de réalisations
locales n'ayant aucun caractère général.
Orientés, à cette époque, vers les besoins spécifiques
des populations musulmanes rurales et urbaines, ces projets, étant
donné l'évolution de leurs bénéficiaires urbains,
semblent ne plus devoir faire actuellement l'objet d'une législation
spéciale et s'intégrer dans le vaste programme de réalisations
prévu par l'organisation de " l'habitat social " en Algérie.
LE PROBLÈME.
Le problème de l'habitat occupe dans les questions algériennes
une place prépondérante et le taudis qui sévit en
Algérie avec plus d'acuité que dans les pays d'Europe, est
l'apanage presque exclusif de la population musulmane laborieuse.
Le mal est moindre pour le rural dont la tente, le gourbi, la maison de
pierre ou de torchis s'élève en ordre dispersé sur
des surfaces aérées et ensoleillées. Mais, le travailleur
de conditions modeste résidant dans les villes ou autres agglomérations
est, en général, logé dans des conditions autrement
dépourvues d'hygiène.
L'attraction exercée par la ville sur les campagnes, surtout depuis
la fin de la guerre 1914-1918, a aggravé les conditions de logement
urbain, et l'on assiste à l'entassement, dans les villes ou leur
banlieue, .d'une nombreuse population en grande majorité musulmane.
On évalue la densité du peuplement à plus de 2.000
habitants à l'hectare dans la Casbah d'Alger, chiffre déconcertant,
si l'on considère que des moissons ont rarement plus d'un étage.
Les " bidons-villes " déshonorent la banlieue de la plupart
des villes algériennes autour desquelles tendent à se créer
des " zones " plus malsaines et plus hideuses que toutes celles
des grandes agglomérations d'Europe. On peut aussi citer le surpeuplement
des villages kabyles.
Si l'on admet que le développement de l'habitat est indispensable
à l'évolution rapide des masses musulmanes et qu'il conditionne
l'extension de l'artisanat, on comprendra le prix attaché par l'Administration
algérienne à la lutte contre le taudis sous toutes ses formes.
HISTORIQUE DE L'HABITAT MUSULMAN AVANT 1937.
Après les expériences de la première heure du Maréchal
Bugeaud, du Général de Lapasset et des bureaux arabes, on
peut citer la création, en 1889, du village indigène de
Bédrabine, à 35 km de SidiBel-Abbès par M. Varnier,
administrateur de la Commune mixte de la Mékéna.
Centre prospère, dont l'outillage agricole s'est perfectionné,
Bédrabine a quintuplé sa production et sa population est
passée de 169 habitants en 1896 à 1.800 en 1945.
Après cette réalisation, ce n'est que beaucoup plus tard
(après les réalisations d'initiative privée de M.
Charles Lévy à Sétif et de M. Averseng à El-Affroun,
qui entreprennent la construction de cités indigènes modernes)
en 1927, qu'un rapport général concluant à la nécessité
de remplacer les gourbis par
des maisons et proposant un vaste programme d'habitat à réaliser
par l'Algérie avec l'aide de la Métropole, est présenté
à la Commission interdélégataire de coordination
de l'enseignement technique et professionnel des Délégations
Financières.
Un premier crédit de 5 millions inscrit au budget de 1930 servit
à doter la construction de villages indigènes à Bordj-Ménaïel,
El-Affroun, Rivet, Ameur-El-Aïn, Marnia, Hammam-Bou-Hadjar, Philippeville,
Rhira, et l'agrandissement de l'agglomération de Bel-Air (Sétif)
créée par M. Lévy.
Un nouveau crédit de 5 millions fut inscrit au budget de 1932,
et l'effort de l'Algérie pour l'amélioration de l'habitat
indigène se poursuivit.
La loi du 18 août 1936 destinée à combattre et prévenir
le chômage, apporta enfin à l'Algérie l'aide efficace
de la Métropole, un crédit de 100 millions lui ayant été
accordé, sur lequel trente millions étaient affectés
à l'habitat indigène (21 à l'habitat urbain et 9
à l'habitat rural).
RÉALISATIONS DEPUIS 1937.
La circulaire gouvernementale du 11 janvier 1937 a fixé les règles
d'utilisation de ce crédit de 30 millions, et elle constitue en
quelque sorte, dans le passé, la charte de l'habitat indigène,
définissant les modalités de concession, de construction
et d'exploitation des habitations.
Le Service d'architecture, chargé de la construction ou du contrôle
de là construction dans certains cas, a fixé par circulaire
aux architectes, le 5 juillet 1938, les conditions techniques d'aménagements
et de distribution des maisonnettes édifiées.
Telles sont les bases qui ont permis la création des cités
d'Hussein-Dey et du Clos-Salembier
à Alger, de Constantine, de Ménerville,
de Miliana, d'Orléansville, de Mascara, de Bône, d'Aïn-Boucif,
dont la plupart feront l'objet d'extensions ultérieures. (Annexe
I).
CONCEPTION DE L'" HABITAT SOCIAL ".
Ce terme nouveau appliqué à un programme nouveau révèle
les besoins actuels de l'Algérie en voie d'évolution.
Des programmes échappant au cadre de la législation sur
les habitations à bon marché ont été réalisés,
depuis un certain temps déjà, par le Gouvernement Général
de l'Algérie, sous le contrôle des Directions des Affaires
Musulmanes et des Travaux Publics, tandis que, dès 1939, une expérience
portant sur un petit programme était entreprise à Sétif,
sous la dénomination de " constructions prolétaires
"
Tout en confirmant l'intérêt que présente l'habitat
populaire, cette dernière tentative, faite en conformité
de la réglementation sur les habitations à bon marché,
a démontré que, s'agissant de bénéficiaires
dont les ressources sont minimes, il était difficile, sinon impossible,
d'équilibrer sur le plan financier une telle opération,
sans avoir recours aux subventions et sans abandonner, en définitive,
certaines prescriptions relatives aux habitations à bon. marché.
Après six ans de guerre, les circonstances se trouvent être
bien moins favorables et les besoins généraux de l'Algérie
en logements se révèlent considérablement accrus.
La partie la plus pauvre de la population éprouve des difficultés
insurmontables à se loger convenablement du fait de la modicité
de ses ressources et des prix de plus en plus élevés exigés
pour des appartements souvent insalubres.
Il ne peut, d'autre part, être fait appel à la réglementation
sur les habitations à bon marché proprement dite, en raison
de son maniement délicat, de la faible faculté contributive
des intéressés, de la hausse des prix des matériaux
et de la main-d'uvre nécessaire à l'édification
de maisons correspondant aux anciens types normaux.
C'est en tenant compte de ces considérations et à la suite
du désir exprimé par les Assemblées Algériennes
de participer à la construction d'habitations populaires, qu'un
projet de loi instituant " l'habitat social " en Algérie
sera soumis au Gouvernement. Intermédiaire entre l'Institution
des H.B.M. et les projets autrefois arrêtés pour l'habitat
musulman, cette organisation, qui doit satisfaire à tous les besoins
de l'Algérie, marquera une fois de plus l'égalité
laplus complète entre les différentes catégories
ethniques de la population algérienne.
Le
principe.
Le projet de loi préparé, qui se situe en bonne place dans
le programme des réformes actuellement en voie de réalisation
en Algérie a pour objet d'instituer une uvre sociale répondant
aux besoins importants de l'habitat algérien et susceptible d'apporter
dans un avenir immédiat une solution aux problèmes posés
par les trop nombreux " bidonvilles " et les quartiers anciens
aux appartements étroits et insalubres.
Les moyens financiers.
Organisation située à mi-chemin entre la législation
des habitations à bon marché et celle anciennement prévue
pour l'habitat urbain indigène, elle bénéficiera,
sous forme de subventions limitées, de l'aide de l'État
pour l'édification de logements individuels ou collectifs, tout
en exigeant un effort minimum de la part des bénéficiaires.
L'accession à la propriété sera ainsi rendue possible,
dans certains cas, sans que, pour autant, le régime ainsi institué
participe de l'assistance, mais bien de la prévoyance sociale.
A un moment où l'on se préoccupe d'industrialiser l'Afrique
du Nord et où il importe de stimuler les initiatives, l'octroi
de subventions pourra également être étendu, dans
le cas où des conventions auront été passées
entre la Métropole ou l'Algérie et des entreprises industrielles,
à la construction de cités ouvrières, en vue de faciliter
la création de ces dernières et de diminuer les charges
très lourdes imposées aux employeurs à cette occasion.
La réglementation.
Ce projet confie au Gouverneur Général de l'Algérie
le soin de fixer, par arrêtés, les modalités d'application
pratique. Ces arrêtés prévoiront notamment, des types
différents d'habitation, répondant aux besoins des diverses
catégories de travailleurs, ainsi que des foyers adaptés,
autant que possible, à leurs ressources, tout en constituant un
complément nécessaire de l'oeuvre des habitations à
bon marché.
Par sa souplesse, cette méthode permettra, en outre, de suivre
de plus près les fluctuations possibles des prix de revient et
d'apporter une solution rapide aux difficultés qui pourraient se
révéler du fait des circonstances économiques actuelles.
En contrepartie, toutes les garanties désirables seront apportées
grâce à la création de commissions de réalisation
des programmes et à leur contrôle technique, administratif
et financier.
LA PRÉPARATION D'UN VASTE PROGRAMME.
Ainsi l'Algérie va se trouver dotée d'un organisme susceptible
d'apporter dans le domaine de l'habitat une solution rapide et efficace.
Les réalisations fragmentaires actuellement en cours pourront recevoir
une impulsion définitive, 100 millions étant inscrits au
budget pour l'habitat rural et le double pour l'habitat urbain.
Tout en préparant cette vaste organisation, l'Administration expérimente
des maisons-types d'un prix de revient serré, de construction facile
et utilisant de préférence des matériaux locaux.
Les techniciens y ont une occasion d'exercer leur ingéniosité.
Déjà, l'emploi du béton de terre stabilisé
retient leur attention. Ce mélange dosé d'argile, de sable
et de gravillons, déjà employé en France, en U.R.S.S.
et aux U.S.A., sera probablement utilisé en Algérie. D'autre
part, on prévoit l'usage de la " fusée céramique
" qui a déjà donné d'excellents résultats
au Maroc.
Telle est l'organisation sociale de l'habitat qui va permettre de dépasser
la période d'expérimentation et de " mise en place
" préliminaires. Dotée de moyens financiers sérieux,
elle permettra grâce à une contribution minime des bénéficiaires,
de recaser les familles urbaines mal logées et la création
de vastes cités ouvrières.
L'ère des réalisations est venu et le programme de l'habitat
s'intègre en bonne place dans l'uvre algérienne, uvre
harmonieuse adaptée aux exigences d'éléments ethniques
divers, uvreà laquelle préside avec clairvoyance et
énergie M. le Gouverneur Général Yves Chataigneau.
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